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Introduction :

ADIAL

« Toute oeuvre d’art est la fille de son temps et bien souvent la mère de nos émotions ». Ainsi
Kandinsky donnait-il sa définition de l’oeuvre d’art contemporain dans son célèbre essai
« Du spirituel dans l’art »(1). De cette définition nous pouvons tirer la conclusion que la
définition d’une oeuvre d’art varie dans le temps et au gré des préoccupations de notre société
et du législateur. Dans le langage profane, l’oeuvre d’art est souvent assimilée à une activité
ou à un travail de la part de l’artiste. L’oeuvre serait le résultat sensible, d’une action orientée
vers une fin esthétique. Plus spécifiquement, ce serait un ensemble organisé de matériaux et
de signes propres à une certaine forme d’art et mis en forme par l’esprit créateur de son
auteur. L’oeuvre devient indissociable de la personnalité de son auteur.

L’assurance des oeuvres d’art, une niche à fort potentiel.

Un rapport publié par la Lloyd’s de Londres en avril 2010 répertorie les différents domaines
de l’assurance ainsi que leur rentabilité potentielle, sur une échelle graduée de 1 à 4. Le
niveau 1 est constitué par un fort volume potentiel ainsi que par un fort potentiel de croissance
qui peut générer un haut niveau de revenus. Au contraire le niveau 4 est constitué par un
faible volume et un potentiel de croissance réduit. C’est le cas par exemple de l’assurance des
compagnies aérienne. Au contraire l’assurance des oeuvres d’art (Fine Art) relève de la
catégorie 1, au même titre que l’assurance des bijoutiers (jewellers).

Photo L’assurabilité de l’art contemporain  Etude autour de la valeur et de son indemnisation

D’ailleurs sur la période de 2006 à 2007, les ventes d’art contemporain ont connu une
progression de plus de 50%(2) selon la compagnie spécialisée Hiscox. Au niveau mondial, le
marché des oeuvres d’art ne cesse de gravir les sommets. En novembre 2006 une toile du
peintre américain Jackson Pollock se serait échangée contre une somme avoisinant les 108
millions de dollars(3). Le marché des oeuvres d’art représentait, en 2010, 43 milliards d’euros(4),
alors que l’on peut l’estimer entre 3 et 5 milliard d’euros pour la France(5).

Un marché encore peu développé.

Pourtant, malgré ces études avantageuses, l’assurance des oeuvres d’art reste un marché de
niche, exploité par très peu d’acteurs. Selon une estimation récente, seulement 15 à 20% des
oeuvres détenues par les particuliers bénéficient d’un contrat d’assurance(6). Ce faible taux de
pénétration s’explique avant tout par la peur de devoir payer une prime d’assurance trop
élevée. Mais les particuliers redoutent aussi d’attirer l’attention de l’administration fiscale sur
la composition de leur patrimoine. Autre frein soulevé par Claire Paix, directrice de la
branche risques spéciaux d’Albingia, celui des règles concernant les successions, qui
présentent un double visage, car « on se rend compte très souvent que la valeur du patrimoine
mobilier s’intègre dans le forfait de 5% de l’actif global successoral. Concernant les objets
exceptionnels, ils seront par nature identifiés pour le partage entre les héritiers et auront été
souvent assurés par les propriétaires de leurs vivant »

Actuellement, les spécialistes estiment qu’en France, sur les 300 000 ménages s’acquittant de
l’impôt sur la fortune (ISF), seulement 20% seraient assurés(7). Pourtant depuis 2004, une
disposition fiscale a levé un frein en supprimant l’obligation pour les compagnies
d’assurances, de déclarer les contrats portant sur les objets d’art et matériaux précieux
supérieurs à 15 000 euros. Depuis cette date les chiffres sont clairement à la hausse. Les vols
sont en déclin grâce à l’action de prévention des assureurs et la mise en place de nombreuses
mesures de sécurité. Des mesures qui viennent confirmer les études de la Lloyd’s, comme le
confirme Diana Des Moutis, directrice de Gras Savoye Patrimoine « la démarche des
assureurs a beaucoup évolué depuis que la branche oeuvre d’art / collection affiche de bons
résultats, c’est-à-dire depuis 4 / 5 ans. Ils connaissent mieux les risques et sont maintenant à
notre écoute et au rendez-vous pour assurer et indemniser nos grands clients privés, même si
il s’agit de capitaux très significatifs ».

Qu’est-ce qu’une oeuvre d’art contemporain ?

Définir l’art contemporain revient à définir l’art de notre époque sans vraiment tenir compte
de ces spécificités. L’art d’un Léonard de Vinci, fût, à une époque, un art contemporain. Le
terme « art contemporain » est une notion qui évolue au fil du temps et des périodes. Nous ne
retiendrons pas ici la qualification utilisée l’Université française, qui distingue l’art moderne
et l’art contemporain, selon une chronologie spécifique. Ainsi l’art moderne débute avec les
productions artistiques de la Renaissance, tandis que l’art contemporain débute au milieu de
XIXe siècle avec l’avènement de la personnalité de l’artiste, au détriment des règles des
corporations et de l’académie, qui avaient cours jusqu’à la révolution. C’est au XIXe siècle
qu’apparaît la figure de l’artiste contemporain et son émancipation vis à vis des critères
esthétiques. Ce changement de statut a permis l’apparition des mouvements d’avant-garde,
qui ont remis en cause la notion d’oeuvre d’art comme objet et par voie de conséquence
l’appréhension de celle-ci par le marché de l’art. Nous retiendrons de préférence, l’approche
qui est faite pas les maisons de ventes aux enchères, qui utilisent le terme « Vente d’art
contemporain », pour les ventes d’oeuvres produites après la seconde guerre mondiale. Une
nomenclature qui tient compte des règles économiques du marché.

Pour Raymonde Moulin(8), il existe deux typologies d’art contemporain. Le premier, qu’elle
qualifie d’art de la « figuration traditionnelle », constitue un marché stable et large. Il s’agit le
plus souvent d’une peinture de chevalet, encadrée qui est produite actuellement, pour
répondre aux besoins du producteur, du distributeur et de l’acheteur. On le retrouve
notamment dans certaines galeries spécialisées ou sur des lieux touristiques. Les arguments de
ventes reposent essentiellement sur la valeur décorative. Cette tranche de l’art contemporain
n’est pas reconnue par le marché et il ne figure pas dans les manifestations telles que la FIAC
(Foire d’art contemporain de Paris). D’un autre coté nous avons un art « labellisé » « art
contemporain », dont la structure hétérogène engendre une forte instabilité. Une instabilité qui
ne l’empêche pas d’attirer tout un paysage d’amateur, qui va des collectionneurs, aux
investisseurs financiers. Cet « art labellisé » est celui qui anime un marché particulier, où
certaines oeuvres atteignent des prix vertigineux qui font la une des journaux. C’est cette
deuxième catégorie qui sera l’objet de notre étude.

Si le terme de « contemporain » s’est imposé dans les années 80, les spécialistes, comme
Catherine Millet fondatrice et rédactrice en chef d’ « Art Press », situent le début de l’art
contemporain au cours de la décennie des années 60(9). Ce qui nous intéresse particulièrement
dans cette distinction, ce sont les formes très diverses des oeuvres produites à partir de cette
période. En effet les artistes se sont peu à peu ouverts à d’autres moyens de production, en
utilisant de nouveaux matériaux, voir en reniant l’objet en tant que tel. Une approche « postmoderne
», qui va de pair avec une remise en cause d’un système économique.Les années 60,
sont aussi une période où les artistes tiennent compte de la dimension économique de leurs
oeuvres et de la valeur de celle-ci sur le marché. Le XXe siècle est marqué par une inquiétude
quant au rôle de l’art et à la fluctuation des valeurs sur le marché. D’autant que les artistes, se
plaisent, comme le souligne l’artiste belge Wim Delevoye, à « parasiter » le système(10). En
jouant avec la valeur et le marché, en provocant et en créant des oeuvres éphémères ou
immatérielles, telles que le propose le Land Art qui crée des oeuvres paysagères comme
« Spiral Jetty » de Robert Smithson, les artistes tentent de s’affranchir des règles du marché
économique.

Une part de plus en plus importante de l’art contemporain sur le marché de l’art

L’art contemporain représente actuellement une part très importante du montant des ventes
d’art. Si 2010 a marqué un net recul des ventes d’art contemporain avec une baisse de 63,8%,
l’année 2010 a marqué un net regain de forme, puisque les recettes ont doublé par rapport à
2009. Comme toute source de placement, l’art contemporain est la partie la plus médiatique et
la plus spéculative du marché de l’art. Si au début des années 2000, le marché global se
répartissait à 45,29% pour l’art moderne, contre seulement 2,83% pour l’art contemporain, la
tendance a nettement évolué en l’espace de 10 ans. L’art moderne reste le pivot du marché
avec 4,75 milliards de dollars de recettes, mais l’art contemporain a connu un développement
spectaculaire. En 2000 son chiffre d’affaires atteignait 82,5 millions de dollars, dix ans après
il a atteint en 2010, 954,8 millions de dollars, avec un indice de prix en hausse de
105,6%(11).Le graphique ci-dessous permet de se rendre compte de l’évolution des prix sur la
décennie passée. On remarque une inflexion des prix sur la période 2009 – 2010 avant une
reprise en 2011. Mais sur l’ensemble de la période, force est de constater une hausse constante
et importante des prix pratiqués.

Photo L’assurabilité de l’art contemporain  Etude autour de la valeur et de son indemnisation 2

Le champ de l’assurance confronté à la création contemporaine :
Le marché de l’assurance se trouve à la jonction des domaines juridiques et économiques.
Comme nous le verrons, la définition juridique de l’oeuvre d’art est une question qui reste
encore en suspens. Seul un faisceau d’indice permet de définir tel objet comme étant une
oeuvre d’art.

D’un point de vue économique, l’assurance s’appuie sur des références économiques afin
d’estimer le montant du risque en cas de sinistre. En matière d’objet, le risque est avant tout
un risque de dommage (nous laisserons ici de côté les questions de responsabilité qui peuvent
se poser pour des oeuvres exposées qui seraient susceptibles de causer un préjudice à des
spectateurs). Or ici encore, l’art contemporain vient brouiller les cartes. Si on prend exemple
sur le domaine de l’assurance automobile, il existe des références sur la valeur économique
d’un véhicule (argus, tarif des réparations…etc). L’art contemporain au contraire est
caractérisé par une très forte volatilité de sa valeur avec des prix qui peuvent varier du simple
au triple en l’espace de quelques années voire de quelques mois. L’économie du marché de
l’art s’adapte mal à celle de l’assurance qui préfère la prévisibilité à l’incertitude.

Ces caractéristiques sont un véritable casse-tête pour les assureurs dans l’élaboration de leurs
contrats. Pourtant ce marché représente un intérêt non négligeable pour les compagnies
d’assurance. Un marché, qui à l’image des records enregistrés par les maisons de ventes aux
enchères à travers le monde, représente une opportunité pour les compagnies d’assurances et
les courtiers spécialisés. Aborder la question de l’assurabilité, c’est se poser la question de la
possibilité d’établir un contrat protecteur pour l’oeuvre et son propriétaire. Or comme nous
allons le constater, les caractéristiques des oeuvres contemporaines soulèvent de nombreuses
questions, qui nécessitent une remise en cause des techniques assurancielles classiques.
Malgré le développement de nouvelles méthodes, la bonne protection des oeuvres n’est pas
toujours acquise.

Un marché spécifique à fort potentiel qui nécessite une adaptation des principes
de l’assurance

Les oeuvres d’art, du fait de leurs spécificités et de la valeur patrimoniale qu’elles
représentent, sont sources de conflit pour les compagnies d’assurance. Malgré la forte
rentabilité de ce marché, due à un faible taux de sinistralité et à un montant de prime
relativement faible au regard des valeurs assurées, on observe encore un nombre élevé de
biens non assurés. Aux raisons économiques viennent s’ajouter trois éléments qui empêchent
une meilleure protection des oeuvres d’art en général et des oeuvres d’art contemporain en
particulier.

La première tient à l’absence d’une définition juridique précise de l’oeuvre d’art (Chapitre 1).
Il existe de nombreuses définitions de notions voisines tel que celle de Patrimoine ou de biens
culturels, mais aucune ne fixe les critères de définition d’une oeuvre. Seul le droit d’auteur
utilise un certain nombre de notion, afin de protéger les oeuvres contre une exploitation
commerciale abusive.

Le droit des assurances quant à lui met en place une approche différente, compte tenu du flou
pesant sur la définition d’une oeuvre d’art. En mettant la valeur du bien au coeur du contrat
d’assurance, il choisit une méthode qui se heurte à la très grande volatilité des prix sur le
marché de l’art contemporain (Chapitre 2) qui nécessite une spécialisation de la part des
acteurs de l’assurance.

Toutes ces particularités aboutissent à une problématique en cas de sinistre, avec notamment
la confrontation avec le principe indemnitaire qui peut se heurter à la volonté d’un artiste
vivant ou bien aux techniques employées par celui-ci pour réaliser son oeuvre (Chapitre 3).

En s’affranchissant des règles classiques de production, en incorporant des objets du quotidien
et en leur conférant une valeur artistique parfois difficile à quantifier, l’art contemporain
repousse sans cesse ses limites. Par essence, il ne se prête mal à une définition fixe. Or le droit
en général et le droit de l’assurance en particulier, sont au contraire des disciplines qui tentent
d’encadrer et fixer le cadre de leurs domaines d’application. La rencontre de ces deux univers
pose de nombreuses questions et aboutit souvent à des solutions originales, que nous allons
essayer d’envisager au fil de ce travail.

1 W. Kandinsky, « Du spirituel dans l’art et dans la peinture en particulier », édition Folio essais.
2 www.hiscox.fr/courtage/Default.aspx?tabid=626
3 www.lexpansion.fr – Un Picasso bat le record mondial
4 Etude TEFAF art market update par Dr Clare Andrew du 23/03/2011
5 Jean-Marie Schmitt, « Le marché de l’art », édition Documentation française, 2008, p. 25
6 La revue du courtage N°869 mai 2011
7 La revue du courtage N°869 mai 2011
8 Raymonde Moulin, « le marché de l’art : mondialisation et nouvelles technologies », édition Champs arts, P 30
9 Catherine Millet, « L’art contemporain », édition Flammarion, 1997
10 Beaux-arts magazine, N°319, janvier 2011
11 Tendances du marché de l’art 2010 – Artprice

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