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Introduction

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Au sein des matières constituant le champ d’intervention du droit de l’Union
européenne(1) (UE) et faisant l’objet d’une coordination, qui peut prendre la forme d’une
harmonisation ou d’une uniformisation, le droit des sociétés constitue selon certains auteurs
« un terrain d’analyse idéal pour qui s’intéresse au processus de rapprochement des droits
nationaux au sein de l’Uni européenne »(2). Le droit des sociétés de l’UE trouve son fondement
dans les articles 50 § 2 point g et 54 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne
(ex-articles 44 § 2 point g et 48 TCE). La seconde de ces dispositions proclame la liberté
d’établissement des sociétés dont le siège social est situé sur le territoire d’un Etat membre de
l’Union européenne et oblige les Etats à supprimer toute discrimination à l’encontre des
sociétés régulièrement constituées dans un autre Etat membre, et donc à les traiter de la même
manière que les sociétés constituées selon leur droit national et situées sur leur propre
territoire(3), tandis que la première donne au Conseil et à la Commission européenne le pouvoir
de coordonner, « dans la mesure nécessaire en vue de les rendre équivalentes, les garanties
qui sont exigées, dans les Etats membres, des sociétés au sens de l’article 54, deuxième
alinéa, pour protéger les intérêts tant des associés que des tiers ». Un double objectif est donc
imposé aux institutions européennes dans le domaine du droit des groupements d’affaires, de
telle façon que la coordination des droits nationaux joue à la fois un rôle de protection des
intérêts des tiers, des associés et des actionnaires et d’accompagnement de la concrétisation de
la liberté d’établissement(4).

Préconisée par l’article 50 TFUE (ex-article 44 TCE), la technique de la coordination
ou de l’harmonisation par voie de directives occupe une place majeure dans l’activité de l’UE
dans le domaine du droit des sociétés. En application de l’article 288 TFUE (ex-article 249
TCE), la directive lie tout Etat membre destinataire quant au résultat à atteindre, mais lui
laisse la compétence quant à la forme et aux moyens de parvenir à ce résultat, ce qui signifie
qu’une obligation de transposition des directives incombe aux Etats membres. Parfois, ces
normes d’origine européenne se « diluent » dans les législations nationales de telle façon que
l’on en vient à en oublier leur origine(5), ce qui donne « matière à une savoureuse méditation
sur le charme discret de l’intégration juridique furtive et indolore »(6) . En France, tel est le cas
du droit applicable aux fusions et scissions internes(7). Ce phénomène s’explique entre autres
par le fait que le droit européen des sociétés est le produit d’influences réciproques : ainsi, le
droit français a inspiré les troisième et sixième directives sur les fusions et les scissions
internes et, réciproquement, ces deux directives l’ont contraint à améliorer ses propres
dispositions(8). Cependant, il faut souligner que, malgré son caractère contraignant,
l’harmonisation par voie de directives n’a pas permis de s’abstraire totalement des différences
de cultures juridiques entre les États membres et des disparités des droits nationaux des
sociétés(9). Par ailleurs, si la technique du règlement n’est pas totalement exclue du champ du
droit européen des sociétés, elle y est davantage utilisée dans le but de créer des formes
supranationales de groupements, comme la Société européenne(10) ou le Groupement européen
d’intérêt économique(11), qui ne s’abstraient pas non plus des législations nationales.

Il n’est pas aisé de mettre en évidence des traits généraux communs à l’ensemble des
textes européens de droit des sociétés, certains ayant une formulation très précise qui ne laisse
que peu de marge de manoeuvre aux législateurs nationaux lors de leur transposition (c’est par
exemple le cas des deux premières directives), tandis que d’autres ont un caractère beaucoup
plus général, et utilisent abondamment la technique du renvoi aux droits nationaux
(« directives cadres »)(12). Cependant, la majorité de ces textes présente un point commun : leur
objectif est, entre autres, d’assurer la protection des intérêts des « associés », notion générique
englobant celle d’« actionnaire », limitée aux sociétés par actions. Ces actionnaires peuvent
faire partie d’une société cotée ou non cotée : la première fait appel publiquement à l’épargne.
On parle également de société dont les titres sont « admis à la négociation sur un marché
réglementé ». Au contraire, les actions de la seconde ne le sont pas. La distinction entre
sociétés cotées et sociétés non cotées est, depuis le début du mouvement d’harmonisation
européenne de la réglementation boursière, abondamment utilisée par le droit européen des
sociétés(13). Au contraire, le droit français ne la connaît que de façon embryonnaire(14). En droit
européen, cette distinction est fondamentale dans la mesure où des obligations plus lourdes
pèsent sur les sociétés cotées, notamment en matière d’information envers les actionnaires et
les autres acteurs du marché. Certaines directives ont donc un champ d’application limité aux
sociétés cotées(15).

Si le droit européen se fixe comme objectif d’assurer la protection de l’actionnaire, il
faut cependant constater que cette notion n’a, pour l’heure, fait l’objet d’aucune définition
européenne. Antérieurement à la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil
du 5 janvier 2006(16), qui a abouti à la directive 2007/36/CE du 11 juillet 2007 concernant
l’exercice de certains droits des actionnaires des sociétés cotées, nous ne trouvons en effet
aucune tentative de consécration de la notion d’ « actionnaire » en tant que telle. Cependant,
le point c) de l’article 2 de la proposition de directive, qui définissait l’actionnaire comme
étant « toute personne physique ou morale régie par le droit privé ou public, qui détient,
directement ou indirectement i) des actions de l’émetteur, en son nom propre et pour son
propre compte ou ii) des actions de l’émetteur, en son nom propre mais pour le compte d’une
autre personne physique ou morale » ne constitue qu’une reprise de la rédaction des alinéas i)
et ii) de l’article 2, point 1 e) de la directive 2004/109/CE du Parlement européen et du
Conseil, dite directive « Transparence »(17), qui définit la notion de « détenteur d’actions »,
notion qui englobe aussi les détenteurs de certificats représentatifs de valeurs mobilières.
Cette proposition de définition de la notion d’actionnaire a cependant été supprimée du projet
de directive par un amendement n°18, qui définit l’actionnaire par renvoi aux droits nationaux
comme « la personne physique ou morale qui est reconnue comme actionnaire conformément
au droit applicable ». Cet amendement a été justifié par le fait que la définition de
l’actionnaire « varie considérablement d’un Etat membre à l’autre ». Il s’agissait donc
d’éviter d’imposer de nouvelles exigences qui retentiraient sur la définition nationale de
l’actionnaire(18). L’article 2 § 1 point a) de la proposition de Règlement du Conseil relatif au
statut de la Société privée européenne (SPE) en date du 25 juin 2008(19) tente à son tour de
définir l’actionnaire comme « l’actionnaire fondateur et toute autre personne dont le nom est
inscrit sur la liste des actionnaires conformément aux articles 15 et 16 ». Il nous semble que
cette formulation ne contribue pas à instaurer une définition européenne de la notion
d’actionnaire, dans la mesure où elle définit celui-ci comme étant…un actionnaire ! Malgré
les nombreuses dispositions faisant appel à la notion d’« actionnaire », il y a donc, en l’état
actuel du droit européen, toujours lieu de se référer aux droits nationaux pour la définir.

Les définitions française et allemande de la notion d’actionnaire sont similaires, voire
identiques : l’actionnaire est l’associé d’une société par actions(20), c’est-à-dire le membre d’un
groupement constitué sous forme de société dont les droits essentiels sont le respect de son
droit de propriété sur ses actions, la participation aux bénéfices et au fonctionnement de la
société, ainsi que la mise à disposition d’informations concernant la marche de celle-ci, tandis
que ses obligations principales sont la libération des apports et la contribution aux pertes(21)
(bien que, dans le cadre des sociétés par actions, cette dernière sera le plus souvent limitée au
montant des apports). L’actionnaire est donc l’associé propriétaire d’une ou plusieurs
actions(22), la notion d’« action » désignant une quote-part du capital social de la société par
actions, c’est-à-dire à la fois le droit de l’associé dans la société et le titre négociable qui
représente ce droit, matérialisé par une inscription en compte(23). Il est le pilier des sociétés par
actions, parmi lesquelles figure la société anonyme, qui est la plus courante d’entre elles(24).

Malgré cette absence de définition autonome de la notion d’actionnaire, le droit
européen des sociétés appréhende depuis plus de quarante ans le statut de l’actionnaire, c’està-
dire les droits qui lui sont conférés et les obligations qui lui incombent dans le cadre de la
société dont il détient des actions. Comment le droit communautaire (puis européen) des
sociétés appréhende t-il le statut de l’actionnaire ? Exerce-t-il une influence sur l’essence des
droits et obligations de celui-ci ? Quels sont les vecteurs utilisés par lui afin d’assurer une
protection efficace des intérêts des actionnaires, exigée par l’article 54 TFUE (ex-article 48
TCE) ? Ces interrogations sont capitales à la fois pour les intérêts directs des actionnaires et
pour la réalisation du marché unique européen, dans la mesure où l’effectivité des libertés
d’établissement et de libre circulation des capitaux est dépendante de la capacité du droit
européen à assurer une certaine sécurité juridique aux investisseurs.

Un ordonnancement systématique de l’action des institutions européennes quant au
statut de l’actionnaire peut s’articuler autour de deux grands axes que sont, d’une part, l’étude
de l’influence du droit de l’Union européenne sur le régime d’acquisition de la qualité
d’actionnaire ainsi que sur les droits et obligations essentiels de celui-ci (Première partie) et,
d’autre part, la protection de l’actionnaire par le droit européen à l’occasion d’opérations
spécifiques portant sur la société (Seconde partie).

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