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III.4. De l’analogie à la solidarité

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J. de Finance, disons-le, ne parle pas ouvertement de solidarité dans son œuvre. L’auteur n’entendait certainement pas tirer cette conséquence à partir de l’analogie, telle n’était probablement pas sa préoccupation. Bien qu’il n’en parle pas lui-même, nous pouvons cependant dégager de sa pensée des perspectives qui servent de fondements pour une philosophie de la solidarité. Telle est l’orientation que nous voulons suivre.

En outre, nous pensons que le fait que l’auteur ne tire pas expressément cette conséquence en termes de solidarité n’interdit nullement la récupération de sa pensée dans une telle perspective. Notre souci est justement de montrer comment une telle orientation est possible en partant de l’analogie et même de certaines expressions employées par notre auteur.

L’analogie de l’être pense en fait les étants dans une communion intime, chacun gardant son ipséité. Il y a entre eux une unité dans l’unicité. (160) Chaque être, tout en restant soi, est intimement semblable et uni aux autres. Transposons maintenant cette communion ontologique sur le plan humain. Elle nous dévoile une société où les hommes entretiennent entre eux des rapports d’interdépendance, compte tenu de la finitude de chaque homme et de son incapacité à être pleinement humain en dehors de toute société. Et c’est là que nous trouvons le premier fondement de la solidarité, entendue comme dépendance mutuelle entre les hommes, qui n’a lieu que dans une société ou communauté humaine.

En effet, l’expérience humaine révèle que l’homme est un être social et de communion. Ce n’est qu’en lien avec la société qu’il se réalise, acquiert une famille, une identité et une personnalité. Bref, l’humanité est le fait de la socialisation. Vivant en société et ayant des besoins qu’il ne saurait combler par lui-même, l’homme est obligé de se tourner vers les autres (signe d’interdépendance) afin de satisfaire ses besoins. Pour que les autres ne soient pas pour lui simplement des moyens, il doit appréhender cette relation qui le lie à eux comme une relation de communion véritable. C’est en cela que l’analogie ontologique et, partant, la métaphysique de J. de Finance constituent un fondement véritable de la solidarité. Mais à ce niveau, on pourrait objecter que la solidarité n’est pas un allant de soi, elle n’est pas encore réalisée et reste un effort à accomplir ; bref, rien ici ne garantit le passage de l’interdépendance vers la solidarité. Nous répondons que la vie sociale elle-même et la communauté des hommes demeurent des efforts à faire, elles ne sont pas définitivement construites. La solidarité humaine reste par conséquent un effort à renouveler sans cesse. Mais nous pouvons aller chercher plus loin et dériver la solidarité de l’affirmation radicale de l’être. Nous avons montré que cette affirmation nous posait dans l’être non pas comme une plénitude qui épuiserait l’être, mais comme participant à l’être, à côté des autres étants. (161) Cette affirmation implique nécessairement la multiplicité des étants : dire je suis ne signifie pas que je sois le seul à exister. Mon existence implique aussi celle des autres.

Or, cette multiplicité, comme nous l’avons vu, ne peut se comprendre ni selon l’univocité ni selon l’équivocité. Seule l’analogie permet d’affirmer l’être dans sa ressemblance et dans sa différence avec les autres. La ressemblance est ce qui permet à l’homme de comprendre l’autre dans sa situation, de le rejoindre, de se mettre à sa place… Victor Hugo l’avait très bien compris lorsqu’il affirmait : « Insensé qui crois que je ne suis pas toi ! » (162) C’est donc par cette ressemblance qui nous apparente les uns aux autres que se comprennent des attitudes philanthropiques telles que la sympathie, la compassion et la solidarité. Autrement dit, considérée d’un point de vue humain, l’analogie révèle la fraternité universelle entre les hommes. Cette fraternité conduit à la solidarité ou du moins elle fonde et permet de comprendre cette solidarité. Elle a pour base la conviction partagée de l’existence d’une nature humaine, mieux, d’une essence commune qui est présente en chaque homme et qui nous spécifie tous comme humains.

L’analogie ontologique a donc des incidences effectives sur la solidarité humaine. Et nous sommes en droit d’affirmer que les organisations humanitaires et les associations à caractère communautaires telles que l’ONU ont pour fondement, bien que cela ne soit pas explicite, une conception analogique de l’être humain. Sans ce fondement métaphysique d’ailleurs, les droits de l’homme, la coopération entre les hommes et toutes les attitudes analogues seraient alors impossibles.

Telles sont les implications que nous pouvons tirer de la métaphysique de J. de Finance. Voyons à présent quelles sont les expressions qui, chez notre auteur, fondent cette solidarité, bien que, comme nous l’avons déjà dit, il n’en parle pas lui-même.

Déjà, le lien intime entre les êtres dont parle J. de Finance, c’est-à-dire la communion qui les fait tous participer, dans leur unicité, à l’esse commune, autorise une lecture herméneutique de la solidarité.

Mais ce qui fonde véritablement l’herméneutique de la solidarité que nous faisons de la pensée de J. de Finance, c’est lorsque, se transportant sur le plan purement humain, il affirme que « rien d’humain ne nous est étranger. Il y a un point secret où nous coïncidons tous. (163)» Et il évoque V. Hugo : « Insensé qui crois que je ne suis pas toi ! (164)» Il y a ici une thèse forte de la ressemblance entre les hommes, de leur communauté de nature. C’est pourquoi notre auteur y tire la possibilité de comprendre sympathiquement les autres. Dès lors, il n’existe, selon lui, aucun sentiment ni passion qui ne trouve sa racine en tout cœur humain. (165) Et si, comme il l’affirme, les individus humains sont porteurs d’un ensemble de possibilités identiques pour tous, et que le lieu de ces possibilités constitue la nature humaine (166), c’est que la socialité, la solidarité, sont des attitudes latentes chez tout homme, quitte à les rendre conscientes par des méthodes et des moyens aptes à les susciter et à les favoriser.

La nature humaine, pour finir donc, est la même en tous, contrairement à ce que prétend Sartre. (167) Les hommes sont ontologiquement les mêmes, ils sont unis, cependant chacun est sui generis. Comprendre l’exigence de solidarité qui est inhérente à notre être et qui nous rend véritablement humains requiert qu’on se situe dans une conception analogique de l’être. Et inversement, la légitimité des actes philanthropiques, les organisations et associations humaines supposent en amont une certaine communauté, mieux, une conception analogique de l’essence de l’homme, de la nature humaine. D’où nous pouvons affirmer qu’analogie et solidarité s’impliquent mutuellement.

Conclusion

Parvenus au terme de ce troisième chapitre, nous voulons rappeler ce qui suit. Nous nous sommes assignés comme tâche de dégager, à partir de la structure definancienne de l’être, la prédication logique qui convenait à cette structure ontologique et de montrer ensuite les implications pratiques de ce mode de prédication.

Pour ce faire, nous avons d’abord étudié l’univocité de l’être. Celle-ci nous est apparue comme une solution inacceptable, dans la mesure où elle n’admet qu’une seule signification de tous les êtres et fait fi des particularités propres à chacun d’eux. Elle réduit ainsi à une même essence et à un même mode d’existence Dieu, l’homme, l’animal, bref, tous les êtres, et ceux qui existent de façon consciente, et ceux qui n’ont pas conscience de leur existence.

L’univocité rejette la différence ontologique. Il en va de même pour le monisme et l’immobilisme qui excluent de l’être la multiplicité et le mouvement. Le mouvement et la multiplicité nous sont plutôt apparus comme des faits irrécusables. Nous ne saurons les nier. D’où l’univocité ne convient pas à la prédication de l’être. Nous avons ensuite étudié l’équivocité et ses épigones. Celles-ci admettent la multiplicité, mais refusent de penser les êtres comme formant un tout. C’est ainsi que l’équivocité, dans son pluralisme absolu, conduit à un séparatisme total, au chacun pour soi, à une vie sans unité ni cohésion. Le mobilisme, vécu de façon cohérente, nous est apparu aussi comme un danger, en ce qu’il ruine la personnalité, la stabilité et donc la morale.

Nous avons donc rejeté l’univocité et l’équivocité, deux attitudes qui se rejoignent finalement, en faisant correspondre tout à tout, le bien au mal, l’homme à l’animal… Il nous fallait maintenant examiner l’analogie. Celle-ci, parce qu’elle allie dans son explication l’unité et la diversité des êtres, non seulement comme simple opération logique, mais aussi comme véritable structure ontologique qui saisit les êtres au plus intime d’eux-mêmes, elle nous est apparue comme une explication convenable pour dire l’être. C’est la voie que préconise notre auteur J. de Finance. L’analogie montre que les êtres, tout en étant divers, restent cependant unis par une similitude de proportions. Ainsi, l’unité et la diversité dans l’être se trouvent sauvegardées sans que la pensée ait à se contredire.

Nous fondant sur cette analogie ontologique, nous avons montré qu’elle était le fondement métaphysique de la solidarité humaine et des actes philanthropiques. La pensée métaphysique de J. de Finance nous est ainsi apparue comme un véritable fondement philosophique, bien que l’auteur lui-même n’en dise rien de tel explicitement.

Ainsi, analogie et solidarité s’impliquent mutuellement. L’une conduit à l’autre, et inversement. Telle est la richesse de la prédication analogique que l’analyse definancienne de la structure de l’être nous a permis de découvrir.

160 Cf. ibid., p. 123.
161 Cf. ibid., p. 66.
162 V. HUGO, Contemplations, Préface, cité par J. DE FINANCE, op. cit., p. 287.
163 Ibid., p. 287.
164 V. HUGO, Contemplations, Préface, cité par J. DE FINANCE, op. cit., p. 287.
165 J. DE FINANCE, op. cit., p. 287.
166 Cf. ibid., p. 288.
167 Cf. J.-P. SARTRE, L’existentialisme est un humanisme, p. 22.

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