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III.3. L’analogie de l’être

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Etymologiquement, l’analogie désigne un rapport d’égalité entre deux proportions. (142) En métaphysique, elle est, selon le mot de V. Bergen, ce choix de pensée qui implique que l’être se distribue en des formes numériquement distinctes qui en varient le sens et qu’il soit réparti entre des étants déterminés dotés chacun d’un sens unique (143).

L’analogie remonte à Aristote. Mais celui-ci ne mentionne pas le terme d’analogie à propos de l’être. (144) La seule analogie qu’il reconnait consiste en une égalité de proportions, ce qui s’accorde avec l’étymologie. Dans Ethique à Nicomaque, il parle d’unité d’analogie à propos des biens, en affirmant que ce que la vue est au corps, l’intellect l’est à l’âme, et de même pour d’autres analogies. (145) Cette pensée de l’unité est la première forme d’analogie qu’on peut trouver chez Aristote et la seule analogie que lui-même reconnait comme telle.

Pourtant, il existe bel et bien une autre analogie qu’Aristote ne nomme pas ainsi, mais qui est développée dans sa Métaphysique. Il écrit en effet que l’être se dit en des sens multiples qui se rapportent tous à une même réalité et ce, non pas par homonymie. (146) C’est ainsi que le mot sain qui, se rapportant à la santé, se dit de ce qui la conserve, de ce qui la produit et de ce qui la reçoit. D’après A. Léonard, cette analogie est la conséquence de la théorie aristotélicienne des catégories de l’être, où la substance étant primordiale, l’être se dit d’elle et des différents accidents qui lui sont subordonnés et qui renvoient tous à elle.

D’un homme (substance individuelle), on peut dire qu’il est grand, noir, frère de quelqu’un, assis, dans une maison, regardant la télé, riant… Il s’agit là des différents accidents mais qui appartiennent à une seule et même substance. Bref, les catégories se rapportent à un être commun distributif et hiérarchique (substance) et avec lequel elles nouent toutes un rapport intérieur. Cette pensée de l’unité est bien une forme d’analogie qu’on trouve chez Aristote, mais qui ne consiste plus, comme dans la première forme, en une égalité de proportions, mais en un rapport de plusieurs termes avec un terme primordial unique. Aristote, à titre de rappel, ne nomme pas ce rapport analogie, il le qualifie de par rapport à un (147).

Comme on peut le constater, bien qu’Aristote ne parle pas d’analogie de l’être, la saisie de ce dernier se fait cependant analogiquement. C’est pourquoi les scolastiques, en reprenant la pensée du Stagirite, appelleront analogie les deux pensées de l’unité. La première sera dite analogie de distribution ou de proportionnalité, la seconde, analogie d’attribution ou de proportion. Ils privilégieront l’analogie d’attribution (148).

C’est ainsi que chez Thomas d’Aquin pour qui l’être se conçoit selon un ordre, une hiérarchie, la multiplicité des significations de cet être converge vers un terme premier ; et l’unité entre les divers termes n’est pas seulement logique, elle est aussi réelle. (149) C’est dans le Traité sur les Noms Divins que se pose ostensiblement le problème de l’analogie chez le Docteur Angélique. (150) Mais déjà dans De Potentia, il affirme que notre intuition de Dieu n’est possible qu’à travers le truchement des créatures (analogie). (151) Cela signifie que nous n’avons pas, à proprement parler, d’intuition métaphysique immédiate, directe et pure de l’Ipsum esse subsistens. Ce n’est qu’à partir du réel que nous pouvons analogiquement saisir Dieu. C’est ce qu’il montrera dans ses cinq voies.

Dans la Somme Théologique, il avance que parmi les noms attribués à Dieu, d’autres le sont en propre, d’autres par analogie. Ceux par analogie, soit expriment des perfections qui procèdent de Dieu dans les créatures et qui sont en Dieu plus pleinement que dans les créatures, soit sont attribués à Dieu improprement, leur mode de signification ne convenant qu’aux créatures (152). Autrement dit, appliqués à Dieu, ces noms ne signifient « rien d’autre qu’une ressemblance avec de telles créatures. (153)» De ce fait, la connaissance que nous avons de Dieu, puisqu’elle est médiatisée par la nature, est elle-même aussi une connaissance analogique. Cette attribution, souligne notre auteur, n’est pas extrinsèque, mais intrinsèque, en ce que les êtres sont liés à l’Etre – les créatures à Dieu, les accidents à la substance – par une relation intime qui les affecte par tout ce qu’ils sont, dans leur intimité et dans leur totalité (154).

Ainsi donc, l’idée de l’être est un concept analogue, « susceptible de prendre des valeurs de signification diverses – mais non totalement disparates – selon les objets auxquels on l’applique. (155)» Cette analogie n’est pas extrinsèque, ce qui conduirait à l’équivocité, mais intrinsèque : les différentes significations sont reliées du dedans. « C’est ce qu’on exprime en disant que l’être (comme concept et, corrélativement, comme terme) est analogue d’une analogie de proportionnalité interne. (156)»

L’unité de l’idée de l’être n’est pas seulement logique. Elle est aussi réelle, en ce qu’elle se fonde et requiert un Etre subsistant par lui-même, l’Ipsum esse subsistens, « dont tous les êtres tiennent leur être, qui est à tous leur lien et leur principe ordonnateur. (157)» C’est ce que montre la théologie naturelle, d’après laquelle la hiérarchie des êtres ne se justifie qu’en posant la réalité d’un être qui possède en soi la plénitude de l’exister, de façon absolue : l’ipsum esse subsistens.

Mais l’hypothèse de l’esse commune suffit à justifier l’unité des êtres. L’insertion de tous les êtres dans l’être permet de penser l’esse commune, c’est-à-dire l’existence comme unité. Nous avons mis en exergue cette unité dans le premier chapitre lorsque nous abordions la totalité et la plénitude de l’être. L’existence, qui s’était d’abord présentée à nous comme l’acte original et intime de chaque étant, nous apparait maintenant comme le lieu de communauté des étants. J. de Finance appelle cela le mystère de l’être, « que les êtres soient le plus profondément, le plus radicalement unis, par cela même qui les constitue dans leur individualité irréductible. L’esse est la communion des uniques dans leur unicité. (158)»

Les êtres sont donc un par ce qu’ils ont de plus intime. Affirmer cela requiert le dépassement d’un simple niveau logique vers un niveau ontologique, vers une métaphysique de la participation (159).

C’est dans ce mode qui affirme sans confusion l’identité entre les êtres et leur différence, à travers leur participation à l’esse commune que se comprend l’ontologie definancienne. Il nous faut à présent montrer comment cette métaphysique de l’analogie peut servir de fondement à une philosophie de la solidarité. En d’autres termes, comment retrouver des prolégomènes à une philosophie de la solidarité, à partir de l’ontologie développée par notre auteur ? Dégager la solidarité sous-jacente à l’analogie de l’être, voila l’objectif que nous poursuivons depuis le début de notre enquête.

142 Cf. A. LEONARD, op. cit., p. 86.
143 Cf. V. BERGEN, op. cit., p. 23.
144 Cf. ibid., p. 22.
145 ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, I, 4, 1096b, 28 – 29.
146 IDEM, Métaphysique, IV, 2, 1003a, 33 – 34.
147 Cf. A. LEONARD, op. cit., p. 88.
148 Cf. ibid., p. 89.
149 Cf. J. DE FINANCE, op. cit., p. 72.
150 Cf. THOMAS D’AQUIN, Somme théologique, I, q. 13, a. 3.
151 Cf. A. LEONARD, op. cit., p. 91.
152 Cf. THOMAS D’AQUIN, Somme théologique, I, q. 13, a. 6, réponse.
153 Ibid.
154 Cf. J. DE FINANCE, op. cit., p. 72.
155 Ibid., p. 70.
156 Ibid.
157 Ibid., p. 71.
158 Ibid.
159 Cf. ibid.

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