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III. Le luxe comme production d’images et de représentations

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1. Quand le luxe fait la classe sociale

1. La consommation ostentatoire

Destinée à prouver – qu’il soit justifié ou non- un statut social, un mode de vie ou une personnalité, le concept de consommation ostentatoire nous vient du sociologue Thorstein Veblen (1857-1929) et de son ouvrage Théorie de la classe de loisir(93). Dans cette étude, Veblen note le gaspillage (de temps et de biens) de la haute bourgeoisie américaine. Au XIXe siècle, l’affirmation de statut passait par exemple par le nombre de domestiques, aujourd’hui il peut passer par l’achat d’une voiture de luxe. On retrouve aussi ce concept chez Bourdieu (94) et K. Merton (95) . D’après la théorie de Veblen, la consommation ostentatoire, la fréquentation de certains lieux, les goûts esthétiques et culinaires de cette bourgeoisie sont seulement statutaires. Merton qualifie ce concept d’effet latent de la consommation.

2. La distinction sociale

« Un objet de luxe qui est un objet ordinaire pour des gens extraordinaires, mais également un objet extraordinaire pour des gens ordinaires. »

Bernard Dubois, professeur de marketing à HEC

Le luxe a toujours été source de distinction sociale que ce soit du temps de l’Egypte ancienne ou à notre époque. Dans La Distinction, critique sociale de jugement(96), Pierre Bourdieu explique que les classes dominantes cherchant à se distinguer, affirment une identité propre. Les apparats du luxe(97) deviennent alors symboles de pouvoir témoignant alors d’une culture, d’un niveau social(98). Par exemple, le reflet que Chanel souhaite renvoyer sur ses clientes s’agit d’une femme élégante, séductrice, sophistiquée mais qui aime cependant se faire remarquer là où chez Yves Saint Laurent la femme se veut fatale, indépendante, inaccessible et en compétition avec les hommes. Le luxe peut donc se catégoriser en deux parties : le luxe pour soi et le luxe pour les autres(99). Ainsi selon Luxe Oblige (100) il existerait 4 consommateurs du luxe : Les connaisseurs, sensibles aux plaisirs rares et authentiques où le luxe est un art de vivre (ces adeptes du luxe se tournent vers des marques comme Hermès, Cartier…), ceux qui cherchent à s’individualiser en prenant partie d’un style original et créatif (se tournant plus vers du Jean Paul Gaultier), ceux en quête de reconnaissance sociale cherchant à s’intégrer via la réputation internationale des marques telles que Vuitton, et enfin ceux voulant signaler leur appartenance à une minorité aisée, recherchant un statut et surconsommant les signes (exemple des milliardaires russes aux berlines Mercedes classe S qui dépensent sans compter).

En fin de compte, la vie sociale s’organise autour de codes stratégiques où chacun comme au théâtre, peut donner une représentation de soi, une expression de lui-même afin de donner l’impression voulue(101).

2. Le luxe dans l’imaginaire collectif

a. L’argent

L’argent est l’un des premiers concepts qui nous vient lorsqu’on parle du luxe, au point où en viendrait presque à les assimiler. En effet l’argent est souvent utiliser pour mesurer le luxe d’un objet (et par conséquence mesurer son « impact social », l’argent rendant possible une comparaison). Or l’argent en lui-même ne fait pas rêver, c’est ce que l’on peut obtenir avec qui a une signification concrète. Le « chiffre » dénature donc l’objet de luxe. Dépenser 8 000€ dans une voiture et 5 000€ dans une montre Rolex signifie que certes, la valeur pécuniaire de la voiture est plus forte que la montre mais pas pour autant que celle-ci est d’un ordre plus luxueux. Il ne suffit pas d’un prix plus élevé pour faire d’un objet un produit de luxe.

« L’argent est l’hypostase de l’échange entre les humains (…) : si la valeur économique des objets réside dans la relation d’échange qu’ils nouent, l’argent est l’expression de cette relation parvenue à l’autonomie. »

Georg Simmel(102)

Dans Cours de Linguistique Générale (1916) Ferdinand de Saussure avait assimilé l’échange des termes de la langue avec ceux de la monnaie. Ainsi peut-on dire que l’argent est le langage de toute société : chaque chose à son prix fixé. D’après Luxe Oblige(103), dans une telle société le luxe tient le rôle de grammaire du langage : le luxe créait un langage grâce aux signes monétaires. Concrètement, comme vu précédemment le luxe créait la stratification sociale et l’argent le propulse : le luxe transforme l’argent en un produit culturel sophistiqué.

b. La culture

« Consommer du luxe, c’est consommer à la fois un produit, une légende/un mythe, une tradition, des savoir-faire et un rite d’usage »,

Gilles Lipovetsky

Dans chaque produit de luxe est ancrée une parcelle de culture d’où il a été créé. En achetant un carré Hermès on acquiert par exemple une parcelle de l’imaginaire de la France, on n’achète pas un simple foulard. Un produit de luxe porte une partie de l’univers de son pays d’origine. Cette culture est souvent très liée à l’ancienneté du produit (cette notion d’héritage avait quelques temps disparue dans les années 90 car à cette époque c’est la modernité d’une marque qui faisait sa valeur ajoutée). La mention de la ville ou se situe le siège du produit donne ainsi souvent une connotation positive et culturelle au produit. Paris est devenu ainsi un terme générique (illustration 16 au verso) considéré comme la capitale de la mode et du luxe. Certains maisons utilisent même la mention Place Vendôme en plus de celle de Paris afin d’hausser encore plus son prestige.

Ainsi en achetant un produit de luxe, l’acquéreur achète une part de rêve (un rêve sans prix) et cela peut passer par « l’achat d’une identité culturelle ».

« La mission du groupe LVMH est d’être l’ambassadeur de l’art de vivre occidental en ce qu’il a de plus raffiné. LVMH veut symboliser l’élégance et la créativité. Nous voulons apporter du rêve dans la vie par nos produits et par la culture qu’ils représentent, alliant tradition et modernité ».
http://www.lvmh.fr/

Ainsi le souvenir principal que rapportera un chinois(104) après un séjour en France sera sans doute un produit Louis Vuitton. Avec ses 1800m² basés sur 5 étages, le temple Louis Vuitton des champs Elysées est aujourd’hui une destination culturelle à part entière.

c. La rareté

Le mot rareté revient régulièrement lorsqu’il s’agit de définir le luxe. Mais qu’estce que la rareté ? On pourrait en définir deux : une rareté réelle, physique : les composants nécessaires à la confection du produits sont de faibles quantité, la production est donc limitée (ex : pierres précieuses, fourrures…) ; et une rareté virtuelle, créée pour communiquer. Dans l’absolu, la rareté réelle est donc celle propre au luxe réel.

La rareté des composants d’un produit limitent forcément sa production et donc son volume de vente. Il existe par exemple des crèmes de visage au caviar(105) ou à l’or(106) qui font que par la même occasion, ces produits acquièrent aussi une rareté technologique. En effet la technique, le savoir-faire peut aussi faire de son produit, un objet rare. C’est le cas de nombres de produits comme Rolex(107). Il faut savoir qu’un produit rare suscite le désir.

Avoir un produit rare c’est faire du possesseur quelqu’un de spécial. Si un objet est inaccessible il en devient forcément désirable : c’est donc tout l’enjeu des séries limitées (communiquées aux élites qui arboreront le produit en avant-première et susciteront encore plus de désir) ou du volume de vente contrôlé. Bernard Fornas, PDG de Cartier International a ainsi déclaré en 2007 : «Je dois gérer la désirabilité de cette maison, il faut maintenant le ratio entre disponibilité et rareté »(108).

d. La qualité

La qualité est bien sûr l’une des plus grandes valeurs des produits de luxe. La qualité d’un produit lié à l’utilisation de composants exceptionnels et au son savoir-faire de sa création. La seule raison pour laquelle un produit de luxe ne soit pas de bonne qualité serait qu’il soit une contrefaçon. Le savoir-faire se veut gage de qualité. Depuis 2010, héritage et savoir-faire sont d’ailleurs les principaux messages de communication dans les publicités de luxe. Visite des ateliers (LVMH, 15 et 16 octobre 2011), vidéos (LVMH, Chanel, Dolce & Gabbana) ou affiches (Gucci, hermès …) tous les moyens sont bons pour réaffirmer ses valeurs et don sa légitimité. Lors d’une interview(109), Anne Dellière directrice marketing du groupe Richemont a déclaré que les clients étaient de plus en plus friands de découvrir comment leur objet se fabrique «On a placé des webcams dans des ateliers pour que le client suive le travail de sa montre. Internet a changé la donne. Il faut prendre en compte le client, le tenir au courant, l’informer. » La qualité passe aussi par son lieu de production. Ainsi comme vu auparavant, la mention Paris accompagnée de Place Vendôme est un gage certes de prestige mais aussi de qualité.

En 2010, la marque Prada a lancé un projet nommée « Made In » (illustration 17 au verso) . Ce projet a consisté en 4 mini lignes de vêtements et accessoires en collaboration avec des artisans de 4 pays : L’Ecosse, le Japon, l’Inde et le Pérou. Ainsi chaque pays avait sa « spécialité » : la collection « Made in Scotland » était réalisée autour du tartan et du kilt, « Made in India » se composait d’une robe, de ballerines et de sacs colorés ornés de broderies, « Made in Peru » était une collection de pulls chauds en laine d’alpaga et « Made in Japan » a travaillé autour du jean denim. Cette collection unique et originale fut entièrement fabriquée à la main. Les étiquettes des produits étaient alors mentionnées « Prada, Milano, Made in (Scotland, India, Peru, Japan) ». Un véritable hommage donc à l’artisanat local et leur gage de qualité…

3. Le luxe et l’art

a. L’objet de luxe et l’objet d’art

Le luxe et l’art ont toujours été très liés. Ils remontent tous deux aux origines de l’humanité(110). Chacun à son rapport à l’esthétique et possède une valeur symbolique très forte. Marqueurs sociologiques, luxe et art peuvent et savent se dissocier autant que s’allier(111). L’art comme le luxe séduit et se veut subjectif. Néanmoins l’objet de luxe se doit d’être un minimum pratique (contrairement à l’objet d’art “pur”). De plus, l’art dans sa philosophie se veut de toucher le plus de monde possible là où le luxe au contraire se veut très sélectif afin de conserver ses valeurs. L’objet de luxe a de plus pour but d’être diffusé (sauf création unique de la haute couture) là ou l’objet d’art, lui est unique dans le temps et l’espace. Une reproduction n’a que peu de valeur contrairement à son original.

b. Le mécénat des maisons de haute couture

Si l’objet d’art et l’objet de luxe se veulent relativement différents, l’art n’en reste pas moins une source d’inspiration du luxe. Contrairement à l’Antiquité où des mécènes finançaient les arts (ce qui est toujours le cas aux Etats-Unis), aujourd’hui en Europe se sont les grands groupes de luxe (LVMH, PPR) qui financent beaucoup de grandes expositions. Ces collaborations vont bien sûr dans les deux sens. Si ces entreprises sont un atout financier, l’art et notamment l’art contemporain reste une grande source d’inspiration pour un grand nombre de créateurs(112). Ainsi beaucoup de marques ont créé diverses fondations dédiées à l’art contemporain.(113) Baigner dans cet univers permet ainsi aux artistes de s’inspirer et garantir une certaine actualité de leurs produits afin de ne pas devenir « vieillots ». Créer une fondation, s’associer avec un musée(114) permet donc de conforter l’idée d’intemporalité cherchée par les maisons de luxe et étendre leur réseau de communication. Dans une interview (115) le président de la fondation Cartier Alain-Dominique Perrin exprimait ainsi que la fondation créée en 1984 avait un budget avoisinant les 3 à 4 millions d’euros pour une programmation sur quatre ans (…) le regard porté sur Cartier était alors positif et respectueux comme il le souhaitait.

93 Thorstein Bunde Veblen, Théorie de la classe de loisir, Gallimard (1 janvier 1979)
94 Pierre Bourdieu, La Distinction. Critique sociale du jugement, Edition minuit 1979
95 Robert K..Merton Éléments de théorie et de méthode sociologique, 1949
96 Pierre Bourdieu, La distinction sociale du jugement, Edition minuit 1979
97 Un sac à main griffé Louis Vuitton, un carré Hermès …
98 Nicolas Herpin , L’habillement, la classe sociale et la mode , Economie et statistique, volume 188 issue 188 p35-54 : « L’habit exprime de façon symbolique, les rapports d’autorité et de prestige. La tenue est en effet une référence de la personnalité de son porteur et de sa position sociale ».
99 Aux Etats Unis il existe 2 baromètres du luxe : Le LCI – luxury Customer Experience Index- qui mesure l’excellence ressentie des prestations et le LSBU – Luxury Brand Status Index- qui mesure le prestige associe à la marque, son potentiel de rêve et de distinction de son possesseur. L’un est personnel (plaisir individuel, confort) et l’autre social, comme affirmation vis-à-vis des autres.
100 Vincent Bastien et Jean-Noël Kapferer, Luxe Oblige Eyrolles, 2011
101 Erving Goffman, La Mise en scène de la vie quotidienne. La présentation de soi (1959)
102 Georg Simmel, Philosophie de l’argent p.193 PUF, collection Quadrige
103 Vincent Bastien et Jean-Noël Kapferer, Luxe Oblige Eyrolles, 2011
104 En Chine, Louis Vuitton est le symbole du luxe français.
105 « Caviar luxe » de la marque La Prairie 328€ 50ml
106 Sérum à l’or pur 24 carats La Prairie 514€ 30ml
107 En 2007, l’accroche publicitaire de Rolex était : « Pure Rolex ». On y parle de sa fonderie exclusive qui crée des alliages exclusifs et nouveaux d’une pureté absolue. Vincent Bastien et Jean-Noël Kapferer, Luxe Oblige Eyrolles, 2011
108 Air France Magazine, p 108 aout 2007
109 Les nouvelles valeurs du Luxe par Veronique Guichard, mercredi 6 avril 2011 www.toutpourlesfemmes.com
110 Ils sont probablement nés en même temps, les objets d’arts étant assimilés aux objets de luxe
111 Par exemple, la haute joaillerie est un luxe mais aussi un art de tailler des pierres précieuses, les assembler et créer un bijou raffiné.
112 On pensera à Yves Saint Laurent et Mondrian et Louis Vuitton et Takashi Murakami
113 Cartier ouvra en 1984 la Fondation pour l’Art Contemporain à Jouy-en-Josas. En 2006 PPR créa sa fondation au Palazzo Grassi à Venise et en 2010 Louis Vuitton a créé la sienne à Neuilly.
114 Du 9 au 16 septembre 2012 aura lieu une exposition Louis Vuitton-Marc Jacobs au musée des Arts décoratifs de Paris.
115 Archives de Les Echos, L’art, apanage du luxe Série Limitée n° 43 du 14 Avril 2006 • page 79

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