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III. Convergence culturelle : le culte des fans cultivés et encouragés

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A. L’engagement des fans et le pouvoir de l’intelligence collective

Comme nous l’avons vu, les fans se caractérisent par un engagement particulier envers la série qui les passionne. On parle ainsi d’un public investi dans l’oeuvre culturelle, tant sur le plan personnel (dans la façon de voir et de réagir émotionnellement face à celle-ci), que dans les pratiques collectives, au sein des communautés virtuelles par exemple. L’engagement des fans est à mettre en relation avec la fidélité qu’ils ont envers le programme. En effet, les passionnés sont les plus susceptibles à se renseigner sur les taux d’audience et à suivre chaque diffusion, comme s’il s’agissait d’un pacte tacite entre eux et le programme. Les fans sont ce noyau dur qui, s’ils sont nombreux et visibles, poussent les téléspectateurs dits « lambda » à être curieux et à regarder la série. La visibilité et la survie d’un programme se posent souvent comme de véritables combats pour les fans, qui s’engagent dans un processus de visibilité destinés à faire part aux institutions télévisées comme aux programmes et au reste des téléspectateurs, du caractère indispensable de la série. Dans ce contexte, il est important de définir un certain nombre de termes qu’emploient les sociologues de la culture, et en particuliers ceux qui travaillent sur les « fan studies ». La notion d’intelligence collective désigne le fait qu’Internet est un espace de rassemblement de données : des données réunies par des millions d’internautes, et qu’un seul individu ne pourrait détenir à lui seul. Il y a, pour chaque oeuvre culturelle que nous consommons, de nouvelles discussions et de nouveaux débats qui naissent.

Ces discussions sont facilités et reprises grâce aux outils numériques que nous avons à notre disposition, et sont ainsi échangées, débattues et vues par tous les internautes qui se connectent au réseau internet. L’intelligence collective, pour Pierre Lévy(41), c’est cette idée selon laquelle chaque individu pose une pierre à l’édifice. En rassemblant chacune des connaissances des fans d’une série, on obtient une base de données riche, une ressource née d’un ensemble comparable à véritable pouvoir médiatique. Ces données n’ont pas nécessairement besoin d’être objectives pour exister de façon visible.

Il arrive souvent lorsqu’un nouveau personnage récurrent fait son entrée dans une série populaire et diffusée depuis plusieurs années, que les fans n’accrochent pas à son histoire et à sa personnalité. Si le fandom est actif sur internet, les débats orientés vers le non-intérêt qu’il lui porte sera visible aux créateurs de la série, qui pourront décider de la suite à donner à ce personnage. La production cherche en général à savoir ce que pensent les téléspectateurs de leurs intrigues, mais ne choisit pas toujours de les écouter en allant dans leur sens. Internet a sensiblement changé le rapport qui existait entre les fans et la série. Auparavant, il était beaucoup plus difficile aux communautés de s’accorder sur des actions destinées à mettre en lumière l’avis qu’ils avaient quant à un quelconque élément du programme. Les nouvelles technologies numériques ont permis de structurer des actions à grande échelle, et à coordonner les fans entre eux. Les médias interactifs permettent non seulement de faciliter la consommation culturelle, mais permettent aussi d’allier entre eux, les publics investis venant des quatre coins de la planète.

La « culture participante » fait contraste avec ce qui a longtemps été désigné comme une consommation passive. Ce terme désignait alors la fracture qui existait entre les institutions (les chaînes comme les séries) et les téléspectateurs. Aujourd’hui, il s’agit davantage de les voir comme deux entités indispensables l’une de l’autre, et interagissant ensemble. Une série dépend de son public et s’adapte le plus souvent à ses désirs pour durer sur le long terme, tandis que les téléspectateurs et plus généralement les fans, développent des pratiques connexes pour le faire subsister. Il s’agit alors de deux entités travaillant dans un même intérêt : la survie de l’objet culturel.

Nous venons de définir deux termes, qui ensembles, participent au processus de convergence culturelle. Cette dernière notion est importante dans le sens où elle résume l’importance des pratiques que les fans développent autour des programmes, et l’importance qu’ils ont acquis avec les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Pour reprendre les termes d’Henry Jenkins, la convergence culturelle se définie par « la coopération entre les industries médiatiques et le comportement de leurs publics » [Jenkins; P. 3]. Il s’agit d’un processus à la fois technologique, industriel, culturel et social, qui met en lumière un circuit dans lequel les contenus culturels sont dépendants de la participation qu’y accordent les consommateurs. Deux aspects sont donc visibles dans ce processus : la production d’un côté, et la réception de l’autre. La notion de convergence culturelle nous intéresse dans ce mémoire, parce pour appréhender une production spécifique et que des liens étroits se tissent entre le programme et les téléspectateurs, il faut que ce public soit particulièrement attentif et investis.

Nous en revenons donc aux fans, dont l’attachement pour l’oeuvre les poussent à connaître de façon méticuleuse, tous ses détails. En effet, les fans sont à même d’en venir à plusieurs interprétations de l’oeuvre, et à participer à son existence sur la toile. Leur degré d’engagement étant plus grand, ils développent ainsi des relations plus poussées avec les programmes.

B. Une convergence culturelle indispensable pour les institutions

Pour les oeuvres culturelles, il est indispensable d’établir une convergence avec le public. Et en particulier pour les séries, dont l’objectif pour survivre, est de fidéliser les téléspectateurs sur la durée. En effet, le programme aura d’autant plus de chance de survivre et de gagner en popularité, s’il parvient à nouer un lien étroit avec le noyau de ses fans. Par ailleurs, s’il est nécessaire pour se faire connaître, qu’une série investisse dans une communication importante sur différents supports médiatiques (les publicités à la télévision, les interviews des acteurs…), la meilleure des communications se fait directement, et en général par le bouche à oreille, avec comme point de départ, les communautés de fans. Pour ces derniers, il s’agit de transmettre leur passion pour la série, mais aussi de façon plus ou moins consciente, d’être acteur de celle-ci, en la faisant connaître et en incitant son entourage à la regarder. Les fans occupent ainsi le même rôle que les producteurs de la série, et essaient de pousser à la consommation du programme. Du fait même que l’influence des téléspectateurs est plus importante que d’autres techniques pour communiquer, ce sont les outils de promotion qui sont aujourd’hui modifiés pour en tenir compte. S’il est bien connu que le meilleur médium pour faire connaître un produit est son consommateur, les fans assurent donc eux même la promotion de ce qu’ils regardent et apprécient. Que ce soit lorsqu’ils sont en famille ou entre amis, au boulot ou à l’école… Les fans échangent des points de vue et des opinions sur des programmes qui suscitent la curiosité de ceux qui ne sont pas dans la confidence. Malgré le sujet des séries télévisées, celles-ci se concentrent sur l’être humain, comme nous le verrons dans la partie consacrée à leurs prescripteurs. Ainsi, elles ne laissent jamais le public blasé, et celui-ci est souvent enclin à jouer les scénaristes et à imaginer la suite. Les producteurs viennent d’ailleurs piocher dans les idées émises par leurs fans, au sein même des forums et des sites internet, pour faire évoluer leurs personnages. On note bien dans ce genre d’attitude, un renversement de situation, qui implique que les fans ont un rôle de plus en plus important pour les créateurs des programmes. De nombreuses séries illustrent particulièrement bien cet engouement du public. On notera parmi elles: Dallas, Twin Peaks ou encore Lost plus récemment.

Devenus de véritables sujets de conversation pendant et après leur diffusion, ces séries montrent bien que leur succès résulte de leur capacité à accrocher le public autour de discussions quotidiennes. Cet aspect des programmes expliquent le fait que toutes ces séries aient été programmées aux États Unis et en France, en prime-time (le début de soirée qui correspond au moment où les familles se retrouvent devant le petit écran) et à des jours précis. En effet, les chaînes de télévision essaient d’éviter la diffusion des épisodes de ces séries populaires le vendredi et le samedi soir, du fait même que les téléspectateurs ne se retrouvent pas le lendemain, dans les cours d’école où au travail. Ces cases sont généralement réservées aux séries policières dites “fermées”, qui entament et résolvent une enquête dans le même épisode, laissant peu de place aux spéculations sur la suite.

Enfin, pour montrer que la convergence culturelle est indispensable pour les institutions, il nous faut parler du mois de mai, qui se présente comme le moment de l’année où les diffuseurs américains invitent les représentants des chaînes du monde entier pour leur présenter leurs nouveaux programmes. Après la diffusion de “screenings” (une sélection d’extraits du pilote dont la postproduction n’est pas encore terminée), les acheteurs peuvent signer des contrats pour disposer d’une option prioritaire sur la série. Beaucoup de diffuseurs, pour convaincre les chaînes d’acheter leurs produits, mettent en ligne les screenings ou des bandes annonces de présentation. Ainsi, en fonction de la popularité et du “bruit” que provoquent les extraits des pilotes, les acheteurs sont plus ou moins enclins à jeter leur dévolu sur telle ou telle série. Les fans sont de véritables experts, et au-delà, une valeur sûre pour savoir si un programme à des chances de trouver un bon public et par conséquent, le succès. Cet exemple illustre bien la confiance qu’accordent les institutions dans les opinions de leurs fans. On peut dire de ces derniers qu’ils gouvernent dans de nombreux cas, la programmation qui leur est dédiée. On peut parler de confort pour les chaînes et pour les programmes, qui s’assurent d’abord de la viabilité de leurs projets avant de véritablement les commercialiser. Cependant, il s’agit aussi de souligner, comme l’ont montrés certains débats au sein des industries culturelles, les inquiétudes en ce qui concerne la perte de créativité, dès lors que celles-ci essaient de soumettre de façon systématique, leurs projets aux fans. En effet, le lien étroit que les producteurs essaient de créer entre eux et les publics de fans tendent à amoindrir leur capacité à surprendre l’audience.

41 LEVY P. dans l’ouvrage de JENKINS H. Convergence culture : where old and new media collide, New York University Press, 2008 (P.26)

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