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III- CHAPITRE III : Conversion des lieux de culte et transmission du patrimoine

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Tous les édifices et les objets patrimoniaux(82) de manière générale subissent des interventions, des modifications, des changements plus ou moins remarquables qui interviennent et même déterminent l’évolution de l’objet patrimoniale. Que ce soit à cause des aléas naturels et le vieillissement que subisse un objet à travers le temps, ou des interventions humaines dans le but est de restaurer ou de transformer, aucun objet patrimonial ne peut traverser le temps figé dans son état initial.

Ainsi, on peut se questionner par rapport à la transmission des objets patrimoniaux et du patrimoine, sur la nature même de ces objets, et est-ce qu’il s’agit du même objet qui évoluent dans le temps ou de plusieurs objets qui existent à des époques différentes.

Le patrimoine bâti, de par sa complexité, sa variété d’usage et la multiplicité des fonctions qu’il remplit, fait sans doute partie des objets patrimoniaux qui subissent le plus de transformation au cours de leur existence. Edifice remplissant une fonction ou plusieurs, symbole d’une idéologie, d’un culte ou une appartenance, et façade des idées, des arts, des techniques et capacités de construction d’un groupe social à une époque donnée ; Les créations architecturales regroupent plusieurs valeurs, des valeurs qui elles même évoluent dans le temps avec l’évolution de l’édifice.

La transmission du patrimoine architectural reste un défi entre : ce qu’on voudrait transmettre et ce que perçoit les récepteurs de ce patrimoine, et cela en tenant compte des impératifs d’usage, de cout et de faisabilité. Dans ce contexte, la réception d’un patrimoine est la finalité de toute transmission, et si on considère que « ce n’est pas le monument qui nous impose son interprétation…c’est nous qui devons trouver les questions à poser au monument, et il nous répondra. Cela implique, comme pour les textes, que le monument contient un potentiel non délimité de réponses »(83), et on se retrouve avec autant de réponses qu’on a d’interrogateurs, et même les réponses aux mêmes questionnes peuvent être différentes d’un récepteur à un autre.

Dans l’exemple d’un patrimoine lié à un ou plusieurs conflits, comme le bâtiment cas d’étude de ce mémoire, en l’occurrence la mosquée/cathédrale de ketchaoua, « Si l’on considère que l’histoire se structure autour d’antagonismes entre égaux, classes sociales, groupes ethniques ou religieux et, plus récemment, entre états-nations, le patrimoine culturel peut être imprégné des conflits du passé. Des bâtiments, des sites et des artéfacts, dont de magnifiques monuments à la valeur artistique incontestable comme des cathédrales gothiques, d’anciens hôtels de ville, des manoirs et leurs jardins ou des collections de musée de toutes sortes, rappellent l’histoire d’un affrontement militaire, civil, social ou culturel, d’une exploitation, d’une tromperie ou même d’un vol »(84), ce monument participe activement à la construction de l’histoire qui se fait dans le présent, et d’un autre côté, l’histoire influence la perception qu’on peut avoir de ce monument.

Les interventions les plus importantes qu’a subit ce monument sont liées aux deux conversions qu’il a subit, de mosquée à cathédrale en un premier temps, pour retrouver sa fonction initiale de mosquée en 1962 ; Ces conversions qui sont loin d’être imposée que par l’impératif du besoin en matière de lieu de culte, mais sont plutôt « l’expression d’un projet politique »(85), d’une idéologie. Les deux niveaux de la conversion d’un lieu de culte que sont : la conversion cultuelle et la transformation architecturale, nous amènent à se questionner sur la pratique d’un culte dans un environnement conçu pour un autre culte en ce qui concerne le premier type, et les réflexions sur l’adaptation de l’élément architecturale au nouveau culte et les limites de cette adaptation qu’est la transformation de l’édifice.

Le processus de conversion va être abordé en ce qui suit dans le cadre de la dualité mosquée/église, et cela à travers le cas d’étude qui a subit ce processus dans les deux sens.

A- La prise de l’édifice :

La conversion d’un lieu de culte d’une confession à une autre commence tout naturellement par l’occupation des lieux, l’ancien lieu de culte est soit pris par la force des armes ou par d’autre moyens ou il peut s’agir d’un lieu vacant qui ne remplit plus aucune fonction.

Cette prise de l’édifice est particulièrement importante pour la suite du processus, et déterminent le caractère des relations entre les communautés parts de ce conflits, puisque un édifice convertie d’une religion à une autre est toujours enlevé à une communauté pour l’usage d’une autre. C’est dans ce contexte conflictuel que l’occupation d’un lieu de culte d’une autre religion, influence l’atmosphère dans lequel va se dérouler l’utilisation de ce lieu de culte et même les actions qui vont suivre que ce soit pour légitimer cette prise ou pour adapter lieu au nouveau culte.

Ainsi, en Espagne pendant la reconquête, la conversion presque de toutes les grandes mosquées des villes conquises ne se faisait pas de la même façon, « dans les cas de capitulation, la conversion de la grande mosquée n’intervient pas immédiatement après la conquête. Les musulmans conservent par exemple à Tolède l’usage de la grande mosquée…d’autres exemples plus tardifs de capitulations comme celle de Saragosse en 1118, qui stipulait que les saraqustis pourraient conserver leur grande mosquée pendant un an au terme duquel elle reviendrait aux chrétiens qui en feraient leur cathédrale »(86), mais dans le cas de villes prises par la forces des armées suite à des batailles, les vaincue n’ont plus aucun droit et la conversion de la grande mosquée de la ville se fait beaucoup plus rapidement, .

Cette différence d’usage, selon que l’établissement du nouveau rapport de force s’est fait par un conflit armé ou par des négociations qui ont aboutie à la cession de l’édifice, conduit tout de même au même résultat qu’est la conversion du lieu de culte. Mais le déroulement, la brutalité de cette conversion est fortement tributaire de cette phase, ainsi la prise en main de l’édifice de culte par la nouvelle communauté dominante se fait, soit progressivement en laissant aux anciens occupants des lieux le droit de les utiliser pendant le temps nécessaire à la transition, ou brutalement, on s’appropriant les lieux dès l’installation du nouveau pouvoir(87).

La prise brutale d’un monument peut engendrer un traumatisme qui dure dans le temps, ainsi ces édifices rappelant l’architecture, les arts et la richesse d’une époque peuvent aussi bien évoquer des souvenirs des conflits du passés, vue que ces monuments sont souvent crées et liés à des périodes historique chargé de conflits. Ces valeurs conflictuelles, véhiculées en parallèle des « valeurs positives, historiques, artistiques ou morales »(88) restent présente dans la mémoire collective et sont rappelé à la fois par les récits historiques que par le monument en lui-même à travers son expression architecturale, malgré que « La qualité et l’objectivité du message pédagogique [du patrimoine] dépendent des valeurs véhiculées par ceux chargés de l’interprétation du patrimoine »(89), et ce message peut être différent selon sa provenance, ainsi « un monument peut s’inscrire dans des narratifs différents, même contradictoires, d’une part et d’autre d’une frontière de territoire ou d’une limite de classe»(90), comme c’est le cas de la mosquée/cathédrale de Ketchaoua, ou les épisodes historiques liés à la prise de la mosquée en 1832 ou de la cathédrale en 1962 sont racontés de manière différente par les parties qui ont pris part à ce conflit.

B- La conversion cultuelle :

La conversion cultuelle d’un lieu de culte consiste à le consacrer à un autre culte que celui célébré dans l’édifice auparavant, cet acte bien que de nature religieuse intervient tout de même dans un espace architectural et nécessite des réaménagements de cet espace pour l’adapter à sa nouvelle fonction.

Malgré qu’il s’agisse d’un changement qui va affecter l’essence même de l’existence du lieu de culte qu’est la religion qu’on y célébrait, cette conversion assure quand même la pérennité de la fonction cultuelle de l’édifice, ce qui constitue une continuité de son l’usage même s’il change de confession, et garde en outre l’objet architectural qui continue d’exister on assurant la célébration d’un nouveau culte, ce bâtiment d’une autres époque et d’un autre style peut être considéré comme un trophée lié à une conquête ou à la domination d’une communauté d’une autre.

Cette conversion cultuelle qui s’accompagne de peu d’interventions sur le corps du bâtie et qui ne nécessite généralement que de légers aménagements intérieurs arrive tout de même à imposer « dans un cadre a priori inadapté, un nouvel univers mental issu d’un discours théologique différent »(91) ; Ainsi, une semaine après l’occupation effective de la mosquée de Ketchaoua en décembre 1832, on y célébra la messe de Noel et elle devint l’église Saint-Philippe première cathédrale de la ville ; de la même façon, après l’indépendance de l’Algérie en 1962, l’ancienne cathédrale retrouve sa fonction de mosquée en un laps de temps relativement cours.

Cette variation de la fonction mosquée/église dans un même édifice, interpelle sur la nature de chaque lieu de culte, et sur les convergences et les analogies qui rentrent dans le processus d’installation d’une église catholique dans la bâtisse d’une mosquée et vice-versa.

La mosquée se distingue de l’église par sa vacuité de tout élément représentant ou faisant directement référence à Dieu, et cela en accord avec l’un des principes de l’islam qu’est la relation directe entre le créateur qui est dieu et l’homme à l’instant de la prière, ainsi les fidèles n’ont pas besoin d’intermédiaire pour s’adresser à dieu. De là on comprend que la mosquée, ‘masjid’ en arabe, ce qui signifie « lieu de prosternation », est un lieu qui permet le rassemblement des fidèles pour l’accomplissement des prières, notamment les prières groupées par obligation comme celle du vendredi(92).

Mais ce lieu de rassemblement des fidèles a évolué pour être au centre de la vie de la communauté musulmane, du fait que l’islam «dans la culture musulmane où les domaines du politique, du social et du religieux sont intimement mêlés, elle [la mosquée] sert aussi d’école religieuse et d’espace de diffusion d’informations officielles concernant les impôts ou les taxes par exemple ; on y rend aussi la justice, on y tient des réunions publique… certaines des fonctions des grandes mosquées sont aussi celles des cathédrales chrétiennes, qui abritent par exemple des écoles cathédrales et accueillent des assemblées de corporation »(93), ce qui était le cas de la mosquée de Ketchaoua, qui était considérait comme une des grandes mosquée de la ville d’Alger.

Ainsi, pour adapter le lieu de culte à sa nouvelle confession, après une purification de l’édifice par aspersion d’eau sur le sol et les murs, on procèdes à des changements de mobilier par l’installation de sièges, banquettes, chaire et maitre-autel pour l’église, et de tapis, lustres, ‘Mihrab’ et ‘Minbar’ pour une mosquée. Il arrive meme qu’on utilise l’ancien mobilier en l’adaptant à un nouvel usage, comme ce fut le cas du ‘Minbar’ de la mosquée de Ketchaoua, transformer en chaire pour la cathédrale en 1832, pour retrouver sa fonction initiale en 1962. Ce mobilier nécessaire à la célébration du nouveau culte est indispensable pour le déroulement de la conversion cultuelle.

En plus de l’installation du nouveau mobilier, des intervention sur la décoration intérieur et extérieur de l’édifice sont effectuées, pour effacer les références au culte anciennement célébrer dans les lieux ; cette purification de l’ornementation est plus stricte du coté musulman au regard de l’interdiction des représentation humaines et animales dans les mosquée, ainsi toutes les décorations de cette natures sont soit effacées soit recouvertes, et les croix sont enlevées contrairement au clocher qui est toléré et peut servir de minaret pour la mosquée ; ce changement de fonction à une valeur symbolique très forte, l’appel à la prière du succède à la sonnerie de cloches, ou l’inverse. La valeur de cette élément d’appel caractéristique des mosquées comme des églises explique l’importance accordée à cette élément, ainsi « Les cloches de la cathédrale de Compostelle furent emportées comme butin par le célèbre Almanzor et suspendues comme des lustres, dans la grande mosquée de Cordoue en 997 puis ramenées par Alphonse X le Sage après la conquête de la capitale musulmane en 1236 »(94) ; Dans le cas de la mosquée Ketchaoua, le clocher est toujours en place, bien qu’il n’a actuellement aucune fonction.

Dans le cas de la conversion cultuelle d’une mosquée au culte chrétien, le souci d’effacer la décoration antérieur des lieux est de moindre importance, du fait de la sobriété de l’ornementation des mosquées qui est à caractère floral ou géométrique, ne faisant pas référence directement à l’islam, sauf pour les versets coraniques calligraphiés sur les lieux, mais même ces calligraphie ne font pas objet d’une proscription stricte, ce qui explique qu’ils ont été gardés dans la cathédrale Saint-Philippe après 1832.

Le changement de l’orientation est un acte crucial de la conversion, par lequel on affirme la nouvelle destination de l’édifice, les églises par tradition sont orienté vers l’Est par la mise en place d’absides, les mosquées sont orienté en direction de la Mecque par l’installation du ‘Mihrab’ indiquant la ‘qibla’ direction de la Mecque.

Ces aménagements sont suivis par la consécration de l’édifice au nouveau culte, les rites de conversion d’une mosquée ou d’une église sont les même que les rites de consécration d’un nouvel édifice, le rituel de dédicace qui est bien codifié du coté chrétien est considéré « parmi les actions liturgiques les plus solennelles et les plus riches de signification…En consacrant par ses rites un édifice matériel fait de mains d’hommes, la dédicace exprime le mystère même de l’Eglise, temple de Dieu »(95), ce rituel a évolué à travers les siècles et sa dernière codification date de 1977, ou le Concile Vatican II a publié l’Ordo ‘dedicationis’ destiné à la consécration des lieux de culte, une consécration qui s’effectue en plusieurs étapes.

Du coté musulman, l’inauguration a un caractère moins cérémonial, la consécration de la mosquée se fait par la célébration de la prière dans les lieux, et l’édifice est aussitôt considéré comme une mosquée à part entière.

L’inauguration de l’édifice comme un nouveau temple purifié de l’ancienne religion, est fort en significations symboliques, cet évènement consacre en même temps une victoire. Les cloches ou le ‘Azan’ (l’appel à la prière) retentissent célébrant la victoire, puisque les conversions de mosquées ou d’églises sont liées étroitement aux victoires militaires, aux conquêtes auxquelles elles succèdent ; Contrairement aux invasions temporaires qui provoquent profanations ou destructions, l’occupation durable des territoires permet la conversion des édifices du culte(96).

C- la transformation architecturale :

La transformation architecturale d’un édifice de culte, est une intervention majeure sur le corps du bâtiment, une intervention qui implique un remaniement de l’édifice dans un souci d’adapter le lieu de culte à sa nouvelle confession. Ce besoin de transformer l’édifice apparait quelque temps après la conversion cultuelle, suite aux confusions crée par l’illisibilité de l’objet architectural et l’inadéquation entre la forme, l’apparence du bâtiment et sa fonction ; En plus de l’atténuation de la notion de trophée qui devienne désuète avec le temps.

Si la conversion cultuelle de l’édifice obéit à un rituel codifié par les autorités religieuses, la transformation architecturale doit prendre en compte plusieurs autres éléments influents sur cette opération, en parallèle des impératifs religieux liés à la fonction du lieu, cette intervention doit concilier ses impératifs avec la volonté politique, la disponibilité financière et l’expression architecturale et artistique à donner à ce lieu de culte.

Les interventions architecturales en milieu urbain posent beaucoup plus de contraintes au concepteur qu’en terrain isolé, mais dans le cas d’une conversion suivi d’une transformation architecturale, il s’agit en plus d’intervenir sur un bâtiment existant, qui a acquis à travers le temps plusieurs valeurs, dont la valeur religieuse qui reste en conflit entre le nouveau et l’ancien culte.

Tous ces contraintes qui pèsent sur le projet de transformation font qu’il n’existe pas un model général d’adaptation d’un bâtiment mosquée à une église ou le contraire, ces interventions s’adaptent au contexte spatial et temporel dans lequel elles se déroulent, et le projet peut aller de la solution catégorique de la démolition/reconstruction aux interventions ciblées sur des parties du bâtiment dans le but de changer sa morphologie.

Dans le cas de la mosquée Ketchoua qui a vu son architecture transformé à partir de 1845, et cela 13 ans après sa conversion cultuelle, suite à une période ultérieur où des voies se sont levées pour signaler l’inadéquation de l’édifice architectural avec la fonction et l’image que doit donner la première cathédrale d’Algérie, plusieurs solutions pouvaient être préconisées, comme la construction d’une nouvelle cathédrale tel que suggérait pat l’évêque d’Alger Monseigneur Dupuch, mais d’autres éléments rentraient en causes, comme l’aspect financier d’une transformation qui va s’avérer à la fin beaucoup plus couteuse qu’une nouvelle construction(97), l’aspect symbolique de la prise de la « plus belle »(98) mosquée de la ville et son affectation au culte de la nouvelle communauté dominante dans le pays, celle des colons européens ; mais aussi l’aspect urbain, avec les grands aménagements urbains de la ville dans le but d’en faire une ville aux normes européennes, et seul la Casbah constituait un obstacle à ce projet, construite dans un style vernaculaire qui ne permettait pas son absorption par la nouvelle ville, ce qui laisser aux aménageurs la solution de remanier cette partie de la ville petit à petit par les bords de la cité en pénétrant jusqu’au coeur.

Le projet de transformation architecturale de la mosquée de Ketchaoua, rentrait dans le grand projet de remaniement urbain de la basse Casbah qui été déjà entamé avec l’aménagement du front de mer et de la place du gouvernement, les urbanistes ne voulants pas construire une ville européen à côté de la ville autochtone suivaient une logique de pénétration urbaine dans l’ancienne cité.

Les travaux de transformation entraient dans la nouvelle logique de colonisation en Algérie, avec la pacification Nord algérien et l’installation de colons européens à travers le pays, ce qui engendre un nouvel état d’esprit qu’ai celui de l’installation durable dans le pays ; Ainsi, après la phase de conquête vient la phase d’établissement, et cette transformation architecturale peut se lire comme une nouvelle conversion(99) qui consacre une nouvelle phase dans la présence française en Algérie.

Dans cette logique, et par un projet de transformation qui s’éternisait dans le temps, en dépassant largement ses délais initiaux, l’ancienne mosquée fut tour à tour, transformée de l’intérieur, agrandit des côtés Est puis Ouest, métamorphosée de l’extérieur avec une façade qui n’a pris son aspect définitif qu’à la fin du XIXème siècle. L’ancienne mosquée a été englobée dans la nouvelle cathédrale, tout en étant démontée de l’intérieur, et certains de ces éléments architecturaux réutilisés sur place ; ce mécanisme de construction/destruction n’a pas laissé dans l’histoire, ni dans la mémoire collective le souvenir d’une destruction totale de l’ancienne mosquée, pourtant au regard des plans anciens et de l’édifice dans son état actuel, il ne subsiste que de rares éléments de l’ancienne mosquée.

Toutefois, cette transformation architecturale de l’édifice n’a pas fait l’unanimité au sein de la communauté chrétienne, son but étant de concilier son apparence architecturale avec sa nouvelle fonction de cathédrale, la superficie de l’édifice terminé et le choix du style architectural ont laissé perplexes une grande partie de la communauté chrétienne de la ville ; en 1858 déjà l’architecte Charles Frédéric Chassériau déclarait que « la cathédrale, quand elle sera terminée, n’égalera pas en dimension l’une des chapelle de Saint-Pierre »(100), et les urbanistes de la ville qui signalaient son « insuffisance à chaque réunion officielle et surtout aux jours de grandes fêtes »(101).

Le projet de conversion architectural a été critiqué sur les maladresses des actions menées, et qui ont conduit à des remplacements fréquents des architectes en charge des travaux, et après une vingtaine d’année d’usage du lieu, un constat négatif en a été fait, ce qui conduit à une seconde intervention, entamée dans les années 1890 par Albert Ballu architecte des monuments historiques et architecte et qui donnera à l’édifice sa façade actuelle.

Pendant cette période de la fin du XIXème et début du XXème siècle, où l’autorité coloniale en Algérie cherchait à se démarquée du pouvoir de la métropole, on voit la naissance du style architecturale Néo-Mauresque, qui puise ces références dans l’histoire de la région et surtout dans les références de l’architecture islamique en Andalousie ; c’est dans le contexte qui a abouti à l’apparition du Néo-Mauresque que la cathédrale Saint-Philippe est construite dans un style hybride qui associe l’architecture romano-byzantine à l’architecture arabo-islamique, ce choix d’une architecture qualifiée péjorativement de style bâtard, n’allez pas dans la direction de la conciliation du bâtiment avec son statut de cathédrale, et n’a pas été bien reçu par les fidèles.

Toutefois l’église Saint-Philippe garda son statut de cathédrale de la ville jusqu’à l’indépendance de l’Algérie en 1962, ou elle fut reconvertie en mosquée, et cinquante ans après, elle garde toujours son aspect architectural de la fin du XIXème siècle qui n’a été que légèrement modifié, ce qui amène cette question : Pourquoi cinquante ans après la reconversion cultuelle de l’édifice, on ne ressent pas toujours l’envie de le transformer architecturalement ?

Après cinquante ans, et avec une population algérienne qui n’a pas en sa grande majorité vécu la période de colonisation française, garder un édifice comme trophée n’a plus aucun sens ; et le principe de la conversion cultuel dans la période conflictuelle qui suit une conquête et la transformation architectural à l’établissement du nouveau pouvoir, ne peut s’appliquer sur le cas de la mosquée Ketchaoua, puisque le pouvoir postindépendance est bien établi dans le pays depuis plusieurs décennies.

Dans ce cas, comment expliquer la longévité de cet édifice, malgré sa conversion cultuelle au lendemain de l’indépendance ? L’ancrage de la mosquée de Ketchaoua dans la mémoire collective des habitant de la ville est une des raisons de cette longévité, le souvenir de la mosquée qui fait abstraction de l’objet architectural renvoie directement à l’époque Ottomane.

Mais le style architectural dans lequel a été construite la cathédrale Saint-Philippe a contribué en grande partie à l’appropriation de cet édifice comme mosquée, cette architecture avec des inspirations arabo-islamique continue a créé la confusion, et suggère aux fidèles l’existence d’une continuité entre la mosquée du XVIIème siècle et celle d’aujourd’hui, malgré que du point de vue architectural cette continuité a été rompu et malgré l’aménagement intérieur particulier de la mosquée actuelle, comme expliqué dans la dernière partie du deuxième chapitre.

On peut aussi évoquer l’évolution de la notion du patrimoine et de la règlementation en la matière, en Algérie et dans le monde, comme raison de cette pérennité de l’édifice ; Classé en tant que monument historique en 1908, l’actuelle mosquée Ketchaoua est toujours classé en tant que patrimoine national et fait partie de la zone de la casbah classé patrimoine mondial de l’UNESCO. Ça serait difficile d’imaginer en nous jours une opération de restauration de la mosquée, qui prendra les mêmes proportions que la transformation de l’édifice dans la deuxième moitié du XIXème siècle, c’est même contraire à la règlementation en vigueur en Algérie –signataire de la charte du patrimoine mondial de 1972- en matière de protection des biens culturels qu’est la loi 98/08, et qui reprend les principes de l’UNESCO en la matière. Ainsi les opérations de restauration en cours se résument à des actions de consolidations et de confortements, après quelques libertés prise par les autorités religieuse dans le pays qui ont construit dans la hâte un espace d’ablution accolé à l’édifice et un ‘Mihrab’ à l’intérieur de la mosquée.

Tous ces éléments peuvent expliquer l’absence de volonté de transformation architecturale d’un édifice qui a été construit pour être la cathédrale de la ville et qui remplit actuellement la fonction de grande mosquée.

D- Réception des conversions et transmission du patrimoine religieux :

Dans cette partie, et à travers l’exemple de la mosquée/ cathédrale Ketchaoua, j’essayerai d’analyser l’impact des conversions des lieux de culte dans le processus de transmission patrimoniale de ces lieux. Dans ce sens, l’évolution de l’édifice cas d’étude à travers les différents épisodes de son histoire constitue sa transmission ; Ainsi, nous avons l’objet crée en un temps T –et cela avant 1612(102)- qu’est la mosquée Ketchaoua, et l’objet actuel qu’on peut visiter dans la basse casbah d’Alger qu’est aussi la mosquée Ketchaoua.

On peut traiter la transmission de cet édifice comme une évolution d’un même objet dans le temps, ou comme plusieurs objets qui ont existé à des époques différentes ; La deuxième méthode semble la plus appropriée puisque l’édifice a changé plusieurs fois et de plusieurs façon, et ces changement ont impliqué autant son aspect architecturale en tant que bâtiment que sa fonction en tant que lieu de culte, et ça dépasse même le changement de fonction qui renvoie à l’usage du lieu, à son statut ou rang, puisque on ne peut considérer les qualificatifs mosquée, église et cathédrale comme de simple fonctions d’usage, ces qualificatifs renvoient à des valeurs symboliques et spirituelles qui se destine à une communauté religieuse bien précise.

Le changement de l’objet architectural est un changement visible, perceptible à travers les plans, les images, les descriptions et à travers les traces sur le corps du bâtiment ; par contre le changement de la confession d’un lieu de culte est un changement intelligible, un changement de concept, quand on parle de conversion d’une mosquée à une église ou vice-versa, il ne s’agit pas d’un simple changement d’usage, puisque cet édifice qui était attribué à une communauté religieuse est dorénavant attribué à une autre, et change de ce fait de nature, même si son usage reste un usage cultuel.

La réception étant la finalité de toute transmission peut servir d’appréciation de ce processus de transmission, c’est dans ce sens que j’ai essayé d’examiner la réception de transformations majeures qu’a subit la mosquée/cathédrale de Ketchaoua, que ce soit sur son corps de bâti ou sur sa nature ; et cela à travers les sources qui m’ont été accessibles et à travers une enquête par questionnaires réalisé à Alger en mois de février 2012, une enquête qui n’est surement pas représentative de par le nombre limités des participants, mais que j’ai choisi de mettre en annexe comme information supplémentaire pour le lecteur.

1- Transmission de l’objet architectural :

La mosquée Ketchaoua a été construite avant 1612, à cette époque il ne s’agissait pas de la grande mosquée qu’on décrit au XIXème siècle, mais d’une mosquée de taille inferieur construite par les tribus présentent dans la région et auquel l’arrivé des turcs dans le pays en 1515 a donné plus d’importance, avant d’être totalement reconstruite dans dimensions beaucoup plus importante en 1794 par l’autorité Ottomane en place à savoir le Dey(103), c’était une des mosquée qui appartenait au beylik d’Alger.

a- 1794 : a date de 1794 est une date importante dans l’évolution de l’objet architectural de l’édifice, et bien qu’on n’ait pas de plan précis de la construction qui existait avant cette date, à travers les descriptions on peut parler de deux objets architecturaux :

-La mosquée Ketchaoua d’avant 1794 qui était une mosquée parmi d’autres, construite dans des proportions communes et permettant au fidèles d’accomplir les prières.

-La grande mosquée de Ketchaoua édifié sous le règne du Dey Hassan Pacha en 1794 (Figures.1, 2 et 3), et là le lieu de culte acquiert tout une autre dimension, désormais monument de la ville, ses proportions, son architecture et son décor sont venté dans les récits historiques de cette période, on parle d’une mosquée construite « avec une beauté sans pareille»(104), d’un « intérieur fort coquet et élégant»(105)(Figure.12), et les historiens d’art et de l’architecture donne des descriptions assez détaillé de cette édifice (voir chapitre II) qui constituait un des chef d’oeuvre de l’architecture Ottomane en Algérie.

D’un simple lieu d’accomplissement des prières, la nouvelle mosquée Ketchaoua devenait l’une des grandes mosquées de la ville, une curiosité architecturale et artistique, et un symbole de la puissance du beylik d’Alger. Si on prend comme échelle, le système de valeur d’Aloïs Riegl(106), la valeur d’ancienneté de l’édifice est considérablement diminuée, sa valeur commémorative, sa valeur historique et sa valeur artistique sont amplifiées ainsi que la valeur d’usage et la valeur de nouveauté. Au vu de cette analyse, on constate que l’édifice acquiert ses principales valeurs en 1794, à la suite de la métamorphose que subit son architecture.

b- 1845 : La mosquée de Ketchaoua garde le même aspect architecturale de 1794 à 1845, date à laquelle sont entamés les travaux de transformation -dite de restauration-, pour adapter l’édifice à son nouvel statut de cathédrale de la ville d’Alger. La mosquée convertit en 1832 au culte catholique -suite à la conquête française de l’Algérie en 1830- devenait la cathédrale Saint-Philippe, mais malgré quelques aménagements, l’édifice garda son cachet architectural jusqu’au début des travaux de transformation.

Ces travaux qui ont fait de la salle de prière de l’ancienne mosquée le choeur de l’église (Figure.13), et ont ajouté des extensions à l’édifice, du côté Est par un prolongement et une entrée avec un grand escalier (Figure.14), et du côté Ouest par l’aménagement de l’abside.

En parallèle de la réalisation des extensions, le choeur qui occupait le bâtiment de l’ancienne mosquée a été profondément remanié, en fait une comparaison entre l’état actuel de l’édifice et les relevées de l’ancienne mosquée, laisse penser à des opérations de destruction/reconstruction par partie, qui ont touchées même les éléments porteurs de l’ancienne mosquée, « Elle fut presque entièrement démolie et reconstruite, puis considérablement agrandie »(107).Et c’est pourquoi à part quelques éléments réutilisés –essentiellement des colonnes et des chapiteaux- dans la réalisation de la nouvelle cathédrale, les traces de l’ancien édifice construit en 1794 sont indiscernables à l’oeil nu.

Les interventions sur l’édifice se sont succédées jusqu’à la fin du XIXème siècle, ou la cathédrale prend son aspect architectural définitif à travers le traitement de sa façade par l’architecte A.Ballu.

Le résultat architectural de cette transformation qui a duré plus d’un demi-siècle n’a gardé que de rares point commun avec l’édifice de 1794, sa superficie a été multiplié par quatre, le coté de l’entrée principale a été changer, le volume architectural s’est métamorphosé en un nouveau bâtiment de style hybride, associant les références romano-byzantine à l’architecture arabo-islamique. Architecturalement, on peut parler de deux bâtiments distincts, qui n’ont en commun que l’assiette de l’ancienne mosquée occupée par le choeur de l’église, et quelques alignements de l’arcature des nefs sur les anciennes travées d’arcs de la mosquée.

Juste quelques années après la fin des travaux de transformation, le nouveau bâtiment est classé monument historique en 1908 par les autorités française en Algérie, ce qui implique qu’il appartenait désormais officiellement au patrimoine culturel ; ce qui conduit à la question sur la ou les valeurs de cet objet architectural à la fin des travaux de transformation, et encore une fois suivant le système de valeurs établie par Aloïs Riegl, la valeur d’ancienneté à encore une fois considérablement diminuée, les valeurs historiques et commémoratives de l’édifice ont changé de nature ainsi que la valeur d’usage, la valeur artistique en plus d’avoir changé de nature, puisque il s’agit d’une nouvelle architecture etd’un tout nouveau traitement de l’espace, il parait que cette valeur ait diminuer après la transformation architecturale, puisque la nouvelle apparence de l’édifice n’a pas fait l’unanimité et qu’en parallele des louanges, des approbations de l’architecture de 1794, le résultat final de la transformation entamé en 1845 a reçu beaucoup de critiques, en raison de son style architectural traité de style bâtard, et que l’édifice n’était pas « un palais digne du chef de la religion»(108).

Architecturalement, l’édifice de la fin du XIXème siècle est pratiquement une nouvelle réalisation architecturale par rapport au bâtiment d’avant 1845, cette période de transformation a constitué un changement intégrale de l’objet architectural.

Actuellement, et après sa reconversion en mosquée en 1962, l’édifice n’a pas subi de changement architecturaux majeurs, ainsi, on peut dire qu’il s’agit du même objet architecturale, qui a acquis plus de valeur d’ancienneté et de valeur historique.

La mosquée/cathédrale de Ketchaoua a subi plusieurs transformations majeures de son architecture notamment en 1794 et en 1845, ces transformations qu’on peut assimiler à des destructions/reconstructions ont modifié profondément l’architecture du bâtiment, au point qu’on peut parler d’au moins trois objets architecturaux qui se sont succédés sur ce terrain du XVIème siècle à nos jours.

Figure 12 CONVERSION DES LIEUX DE CULTE A ALGER DU XVIIIEME AU XXEME SIECLE  CAS DE LA MOSQUEE CATHEDRALE KETCHAOUA

Figure 12 : La mosquée Ketchaoua avant sa conversion en 1832, d’Après une lithographie de Lessore et Wyld. Source : MARÇAIS Georges, Manuel d’art musulman : L’Architecture (Tunisie, Algérie, Maroc, Espagne, Sicile), Vol VII, Ed Picard, Paris, 1926-1927.

Figure 13 CONVERSION DES LIEUX DE CULTE A ALGER DU XVIIIEME AU XXEME SIECLE  CAS DE LA MOSQUEE CATHEDRALE KETCHAOUA

Figure 13 : Cathédrale Saint-Philippe, Alger, 1860-1920.
Source: Library of Congress Prints and Photographs Division Washington, D.C. 20540 USA, circa 1860-1920.

Figure 14 CONVERSION DES LIEUX DE CULTE A ALGER DU XVIIIEME AU XXEME SIECLE  CAS DE LA MOSQUEE CATHEDRALE KETCHAOUA

Figure 14 : Cathédrale Saint-Philippe, Alger.
Source : http://diaressaada.alger.free.fr/i2-mes_voyages_05_07/15-rue-d-isly2/057b-lyre_1000.jpg

2- Transmission du lieu de culte :

La mosquée/cathédrale Ketchaoua existait en tant que mosquée, et cela avant 1612, elle a gardé sa fonction cultuelle jusqu’à nos jours, mais ce lieu de culte qui nous ait transmis aujourd’hui en tant que l’un des grandes mosquées d’Alger, a connu plusieurs changements de son activité cultuelle. Mais en même temps et au regard des transformations architecturales majeures abordées ci-dessous, il semble que l’aspect cultuel est le seul aspect qui a constitué une continuité à travers la vie de l’édifice et ce qui fait que ce monument a toujours été considéré comme un lieu de culte.

L’analyse de la transmission d’un lieu de culte à travers les changements de confessions et les transformations que subit l’objet architectural montre la pérennité de la fonction principale du monument qui se maintient malgré les transformations majeures que subit ce dernier, cet édifice en plus d’être un lieu de culte est un monument historique avec une valeur patrimoniale.

a- De la mosquée à la grande mosquée :

Erigé comme mosquée, probablement par les tribus dans la région d’Alger avant le XVIème siècle, la mosquée de Ketchaoua était un lieu de prière qui ne se distinguait pas dans les récits des historiens et des voyageurs qui ont passé par Alger à cette époque.

C’est en 1794 et en parallèle d’une transformation architecturale majeure, que la mosquée se démarque et deviennent l’une des grandes mosquées de la ville. Cette transformation a été accompagné par l’accession de cette mosquée à un nouveau rang, celui de la mosquée du pouvoir, puisqu’elle est accolé au palais Hassan Pacha, et quelques récits racontent même qu’il y’avait des passages directes entre les deux édifices qui permettait aux occupants du palais de rallier la mosquée sans sortir, ce qui n’est pas étonnant puisque c’était une pratique courante au Maghreb.

L’architecture ostentatoire de l’édifice et son association au pouvoir en place lui conférait un nouveau statut au sein des habitants d’Alger, symbolisant la richesse et la splendeur de la ville à cette époque après qu’elle soit devenue capitale du territoire Algérien, ce nouvel édifice était une source de fierté pour les habitants de la régence d’Alger, et d’une mosquée antérieurement dédiée essentiellement à la prière, le lieu de culte acquiert une importance politique et symbolique avec la transformation de 1794.

Avec ce changement de rang, le lieu de culte reçoit d’avantage de valeur historique et de valeur commémorative, en étant un des symboles d’une époque far de la présence Ottomane en Algérie.

b- De la grande mosquée à la cathédrale :

Après le débarquement de l’armée Française à Alger à l’été 1830, la prise de la ville a été rapide suite à l’accord de reddition entre l’armée française représentée par le compte de Bourmont et le Dey Hassan Pacha du côté algérien, ce traité en plus d’épargner les biens personnels du Dey, ses proches et ses janissaires, stipulait que la liberté de culte était garantie au musulmans d’Algérie qui pouvaient continuer à disposer de leurs lieux de culte.

Ces accords n’ont pas été respectés à la lettre puisque selon l’ Abbé Jean-Pierre Henry -de l’Archevêché d’Alger- la mosquée Ketchaoua fut occupée pendant la période de 1830-1832 par l’armée française pour en faire un entrepôt109 , sans donner pour autant la date exacte de cette occupation, ce qui fragilise cette information qui n’a pas été relayée par aucune autre source à ma disposition.

Par contre, ce qui est confirmé par les différentes sources de l’époque, c’est que la mosquée a été prise sous l’impulsion du Duc de Rovigo, le 18 décembre 1832, et consacrée comme cathédrale de la ville une semaine plus tard à l’occasion des festivités de Noel.

Cette consécration donna tout un autre statut au lieu de culte, de la mosquée Ketchaoua, l’édifice devient la cathédrale Saint-Philippe, domicile de l’archevêché d’Alger et première cathédrale d’Algérie. Une autre forme de sacralisation de ce lieu de culte s’est exprimée matériellement par des aménagements superficiels et des changements de mobilier, jusqu’en 1845 ou commence les grands travaux de transformation, et de façon immatériel à travers la célébration des cérémonies religieuses de grandes envergures dans ce lieu dès sa consécration.

Avec ce nouveau statut du lieu de culte, qui est toujours sacralisé mais d’une autre manière, par une autre communauté et consacré pour une autre divinité, il acquiert de nouvelles valeurs lié au culte chrétien célébré désormais dans ce lieu et son image de trophée d’une conquête militaire réussite.

c- De la cathédrale à la grande mosquée :

Quelque temps après l’indépendance algérienne annoncé le 5 juillet 1962, « les algérois ont envahi la cathédrale et ont réclamé son retour au culte musulman»110, cette mobilisation populaire poussé par l’élan de l’indépendance a abouti à la reconversion de l’édifice au culte musulman dès le mois de novembre 1962, et en décembre de la même année ce fut l’église du Sacré-Coeur qui occupa le rôle de cathédrale d’Alger.

Cette reconversion qui s’est produite au lendemain de l’indépendance, après une guerre de libération d’une violence inouïe, s’est dérouler dans un climat d’euphorie, dans une période où les bâtiments vacants laisser par les européens qui ont quitté le pays été considérée comme un butin de guerre.

Et suite à cette période que le lieu de culte récupère de façon instantané son ancien statut parmi les grandes mosquées de la ville d’Alger, et c’est là qu’on peut se demander : comment se fait la réappropriation instantanée d’une ancienne mosquée qui a été cathédrale chrétienne pendant plus de 130 ans ?

Rationnellement, la majorité écrasante –si ce n’est la totalité- des algérois qui ont réclamés la reconversion de l’ancienne mosquée Ketchaoua n’était pas encore nait au moment de la conversion de cet édifice au culte chrétien en 1832, mais malgré cela le souvenir de la grande mosquée Ketchaoua était encore présent dans la mémoire collective des habitants de la ville.

Cette mémoire collective qui selon Maurice Halbwachs est liée à la pérennité du groupe sociale auquel elle appartient, est « un courant de pensée continu… elle ne retient du passé que ce qui en est encore vivant ou capable de vivre dans la conscience du groupe qui l’entretient »111, contrairement à l’histoire qui est érudite par définition ; Ainsi on peut en déduire que c’est la cohésion sociale au sein de la communauté musulman à Alger, et surtout dans la Casbah qui est à l’origine de continuité du souvenir de l’ancienne mosquée Ketchaoua, et cela malgré la disparition de presque la totalité des traces physique de cette mosquée et l’occupation du lieu par un autre culte pendant plus d’un siècle.

A la suite de cette reconversion, la mosquée Ketchaoua récupère en quelque sorte sa sacralité première, et change encore une fois de communauté, pour être destiné aux fidèles musulmans en tant que mosquée, et acquiert une valeur de trophée de guerre, d’un symbole de la victoire à l’issu de la guerre d’indépendance, et cela malgré que la mosquée appartenait au beylik avant la colonisation française, mais était tout de même à la disposition de toute la communauté musulmane de la ville.

La mosquée/cathédrale de Ketchaoua qui a était est reste jusqu’au jour d’aujourd’hui un lieu sacré, un lieu dédié à la pratique de la religion et un symbole pendant toutes les phases historique qu’a traversée la ville d’Alger ; Ce lieu a changé plusieurs fois de valeurs, a perdu et a acquis d’autres valeurs et cela à travers toutes les interventions, les conversions, les transformations et les reconversions qu’il a subit.

82 « L’objet patrimonial est simplement l’objet grâce auquel une communauté existe. Elle a besoin de lui pour exister, et il a besoin d’elle pour exister en tant que patrimoine. » MELOT Michel, « Qu’est-ce qu’un objet patrimonial ? », BBF, 2004, n° 5, p. 5-10, [en ligne] <http://bbf.enssib.fr/> Consulté le 20 mai 2012.
83 GABI Dolff-Bonekämper, «Lieux de mémoire et lieux de discorde : la valeur conflictuelle des monuments», in Prospective : Fonctions Du Patrimoine Culturel Dans Une Europe En Changement, dirigé par Daniel THEROND, Division du patrimoine culturel, Conseil de l’Europe.
84 GABI Dolff-Bonekämper, « Patrimoine européen des frontières – Points de rupture, espaces partagés », Direction de la culture et du patrimoine culturel et naturel, Projet intégré «Réponses à la violence quotidienne dans une société démocratique», Editions du Conseil de l’Europe, imprimé en Allemagne, décembre 2004.
85 BARON Mathilde, op.cit.
86 BURESI Pascal, op.cit.
87 Ibid.
88 GABI Dolff-Bonekämper, «Lieux de mémoire et lieux de discorde »..Op.cit.
89 Déclaration finale de la conférence européenne des ministres responsables du patrimoine culturel, Helsinki, 30/31 mai 1996.
90 GABI Dolff-Bonekämper, «Lieux de mémoire et lieux de discorde »..Op.cit.
91 BARON Mathilde, Op.cit.
92 BAYLE Marie‐Hélène, Op.cit.
93 BARON Mathilde, Op.cit.
94 Ibid.
95 Chanoine Norbert HENNIQUE, Colloque “églises des villes, églises rurales, un héritage en partage ? », Op.cit.
96 BURESI Pascal, op.cit.
97 OULEBSIR Nabila, op.cit.
98 Le duc de Rovigo cité dans JULIEN Charles André, op.cit.
99 BURESI Pascal, op.cit.
100 CHASSERIAU Charles Frédéric, 1858, Etude pour l’avant-projet d’une cité Napoléon ville à établir sur la plage du Mustapha à Alger, Alger, Dubos frères : 5, dans OULEBSIR Nabila, op.cit.
101 VIGOUREUX, CAILLAT, « Alger, projet d’une nouvelle ville », op.cit.
102 Date à laquelle un acte de cadi signale l’existence de la mosquée Ketchaoua.
103 MARÇAIS Georges, Manuel d’art musulman : L’Architecture (Tunisie, Algérie, Maroc, Espagne, Sicile), Vol II, Chap.7-9, Ed Picard, Paris, 1926-1927.
104 Inscription à l’intérieur de la mosquée, dans Klein.H. Op.cit.
105 Descriptions d’Albert DEVOULX, responsable des Domaines, dans KOUMAS Ahmed, Op.cit.
106 RIEGL Alois, le culte modern des monuments, traduit par Daniel WIECZOREK, Seuil, Paris, 1984.
107 KLEIN.H, Op.cit.
108 VIGOUREUX, CAILLAT, « Alger, projet d’une nouvelle ville », Alger, 1858, dans OULEBSIR Nabila, op.cit.
109 Reportage, « Ketchaoua : mosquée d’Alger », op.cit.
110 Interview de l’’abbé Jean-Pierre Henry, Reportage, « Ketchaoua : mosquée d’Alger », op.cit.
111 Halbwachs Maurice, la mémoire collective, Edition numérique réalisé à partir du livre du même titre de 1950, la Bibliothèque Paul-Émile-Boulet de l’Université du Québec, 2001.

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