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II. L’expérience personnelle et l’expérience de groupe

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A. Le rapport intime à l’oeuvre

Pour répondre à la problématique de ce mémoire et essayer de comprendre la notion de fan, il est important de disséquer l’individu portant cet attribut, en fonction de ses expériences de réception. La sociologie des publics dans le domaine culturel, s’intéressent aux spectateurs selon deux grands aspects : leur rapport intime à l’oeuvre, et leur rapport à celle-ci en fonction de groupe ou de communauté dans laquelle ils évoluent. Ces aspects s’avèrent particulièrement importants lorsque nous parlons des fans, car leur attachement et leurs pratiques se créent en fonction d’une passion à la fois personnelle et existant bien souvent, dans un groupe d’intérêt commun. Cette double caractéristique pose la question de savoir comment les fans composent leur espace intime en tant qu’être sociaux. En effet, il est important dans ce mémoire, de nous demander s’il est vraiment pertinent de mettre l’identité personnelle et l’identité collective dans des cases séparées. Jean Claude Kaufmann(27), dans son ouvrage L’invention de soi : une théorie de l’identité, revient sur l’idée selon laquelle l’identité d’un individu, quelle qu’elle soit, part d’un besoin des individus de revendiquer leur appartenance à différentes valeurs pour vivre. Pour cela, il émet l’hypothèse suivante : « le collectif répond à un besoin individuel ». Par ces mots, il signifie que l’entité personnelle n’est rien sans les autres. L’identité individuelle correspond au soi, à la représentation et à la conscience de soi. L’identité personnelle se traduit par une histoire propre et la construction d’un parcours et d’expériences passées et présentes. Pour les fans de séries télévisées, on peut dire que l’expérience de réception et l’attachement particulier qu’ils développent, provient en partie, d’une expérience intime liée à un parcours individuel et à une représentation de soi et des autres, qui leur est personnelle. « La notion d’identité personnelle, en tant que « négociation de soi avec soi-même » apparaît particulièrement pertinente pour interpréter le sens subjectif que l’acteur donne à son engagement. Cette approche semble donc essentielle pour saisir les orientations qui sont prises et s’observe à travers le « processus d’engagement »(28). Outre le pacte de réception, on peut parler de « pacte d’engagement », dès lors que le fan va choisir une manière d’agir (choisir de regarder une série sur du long terme, choisir de développer des pratiques) et engager un processus de définition de soi. Nous intéresser au rapport intime à l’oeuvre, nous permet de saisir les mécanismes sociaux qui sont porteurs de sens pour les individus et leur implication envers certaines d’entre elles. On parle de « rapport intime » à l’oeuvre, pour signifier que celle-ci donne lieu à une certaine proximité et à une connivence plus ou moins importante entre elle et celui qui la consulte. L’aspect feuilletonnant de la série permet de développer des personnages sur du long terme. Ces derniers deviennent familiers et deviennent des points de repère pour les téléspectateurs. Pour les fans, il est intéressant de nous pencher sur la question de l’identification aux personnages, car ce processus, qui fait appel à des valeurs et un vécu personnel, est amplifié lorsque l’on porte un attachement particulièrement fort pour la série. Les deux tableaux qui suivent donnent à voir, d’une part, si les fans de Supernatural s’identifie aux personnages ou à l’univers de la série. Par ailleurs pour ceux ayant répondu affirmativement, il s’agit de savoir où ils voient cette identification.

Question 24 : Identifiez-vous (ou faites-vous le rapprochement) entre des éléments de votre vie et l’univers de la série ?

Identifiez-vous (ou faites-vous le rapprochement) entre des éléments de votre vie et

Question 24 (suite)

Question 24 (suite)

*Sur les 23 réponses affirmatives, certains ont donné plusieurs explications.

De ces tableaux, plusieurs éléments d’analyse donnent à voir des résultats pertinents quant au processus d’identification. D’une part, il est important de souligner qu’un nombre conséquent de fans interrogés affirment rapprocher certains éléments fictionnels à leur vie. On peut penser que le fait d’être fan, et par conséquent de vivre sa passion par une multitude de pratiques connexes et par un attachement plus important que la moyenne, permet de tisser un lien plus étroit avec les caractéristiques de la série. Cela peut donc être une conséquence au fait d’être passionné. Par ailleurs, on peut penser que l’on aime le programme et on s’y attache parce qu’il y à la base comme ciment, des éléments qui nous rappellent notre vie.

Parmi les réponses soulevées, 11,1% des interrogés disent utiliser fréquemment à propos de choses n’ayant aucun rapport avec la série, des expressions qu’ils ont en commun ou qu’ils ont tiré de Supernatural. 11,1% des enquêtés affirment par ailleurs que dans leur quotidien, tout fini par être assimilé à la série. 1 autre personne a donné le nom de l’un des personnages à son animal de compagnie. Ces trois résultats témoignent d’une conséquence au fait d’être fan. Mais le plus gros résultat demeure les 37% des interrogés, qui déclarent assimiler la relation fusionnelle des deux personnages préférés (deux frères) à leur propre fratrie. Cela peut s’avérer être l’une des raisons pour laquelle on développe une passion pour la série.

Sur internet, le corps se met en représentation pour devenir numérique. On parlera alors d’un « avatar » de soi-même, mis en scène par le soi social pour s’adapter aux différentes interfaces du web. Reprenons le terme de « village global »(29), pour illustrer ce monde du numérique où nous devons composer une image de nous-même, et interagir avec les avatars construits de nos amis virtuels. Fanny Georges(30) parle d’hexis numérique pour aborder ce processus qui consiste à adapter une représentation de soi à une sémiotique qui témoigne de l’interaction de soi avec le dispositif interactif.

B. Faire partie d’un groupe : de la nécessité du « faire ensemble »

a. Un besoin intime de chercher ses semblables

Comme nous l’avons dit dans la partie précédente, l’individu n’est rien sans les autres. Le « soi social » correspond à l’investissement dans des relations sociales, dont il a besoin pour s’épanouir. Si le téléspectateur se connecte à ses semblables, c’est avant tout car il s’agit d’un besoin primaire de s’exprimer, comme l’explique Henry Jenkins(31) dans son ouvrage : Convergence culture : where old and new medias collide. Comme tous les autres médiums culturels, le spectateur jouit de l’oeuvre et construit une pensée autour de celle-ci. Pensée qu’il partage naturellement avec son entourage, puis s’il est fan, avec une communauté d’intérêt sur le même sujet. Le sociologue écrit à ce sujet : “Not every media consumer interacts within a virtual community yet ; some simply discuss what they see with their friends, family members and workmates. But few watch television in silence and total isolation.” [“Tous les spectateurs n’interagissent pas encore dans des communautés virtuelles ; beaucoup discutent simplement de ce qu’ils voient avec leurs amis, les membres de leur famille et leurs collègues de boulot.

Mais peu regardent la télévision dans le silence et en isolation totale. »] [JENKINS 2008 : p.26] Les pratiques culturelles se font par choix et alimentent bien souvent les conversations.

La télévision est un donc un instrument de lien social, qui apporte des thèmes de discussion. Aujourd’hui, de plus en plus de personnes créent ces discussions sur la toile, où la recherche de semblables partageant donc les mêmes intérêts est facilitée par l’abolition des frontières géographiques. A ce titre, les interactions apparaissent véritablement comme un besoin humain.

C’est par ailleurs, comme l’explique Jean Claude Kaufmann(32), grâce à l’image de l’autre, que l’individu accepte à une représentation de lui-même. Il s’agit de voir que la quête identitaire de l’individu passe par une identification à l’autre (sa parole, l’image qu’il renvoie et l’interaction qu’il lui concède). S’il s’agit d’un geste naturel que de discuter avec les autres lorsque l’on regarde un programme à la télévision, il est facile de comprendre l’importance de ce besoin pour les fans. Leur attachement étant plus grand, il est indispensable pour eux, de communiquer. Avec leur entourage d’une part, mais aussi et surtout avec des gens qui partagent les mêmes valeurs autour du programme, et qui leur permettront d’orienter la discussion vers des détails plus pointus, mais aussi sur une durée plus longue.

b. Construire ensemble et se sentir appartenir à un groupe

La télévision rassemble les hommes. La création d’internet a quant à elle complètement changé les modes de réception de ses utilisateurs. Les séries télévisées offrent des sujets de discussion aux téléspectateurs, et leur permet de communiquer autour de sujets très différents. Rares sont, comme nous venons de le voir, les individus, qui vont se complaire dans un complet mutisme.

Dès lorsqu’ils se connectent au réseau mondial qu’est internet, les fans en particulier, oublient leurs objectifs personnels au profit de quêtes communautaires. Ceci traduit les propos de Durkheim, qui voyait dans le travail, un moyen de rassembler les hommes pour être capables d’actions plus grandes. Ce que l’on peut dire ici, c’est que l’humanité réside dans cette volonté, ce désir parfois inconscient de mettre son savoir, sa connaissance et sa passion, au service d’une communauté plus grande, et dont les intérêts rassemblés vont parfois être capables – parce que constitués d’une intelligence collective – de se mettre à égal niveau des programmes télévisés.

Pour Henry Jenkins(33), les fans ont besoin de mettre leurs expertises et leurs opinions au service d’objectifs et de missions communes à des groupes d’individus ayant le même intérêt. On parle d’intelligence collective pour aborder la capacité de ces communautés virtuelles à rassembler les expertises de leurs membres. De façon plus générale, les groupes sociaux sont un moyen pour les individus de compléter leur identité propre, de s’exprimer librement sur les sujets qui les passionnent et de rejoindre une cause : celle qui vise à défendre le programme en question face à la concurrence. Le public des fans agit de sorte qu’avec de la cohésion et des actions regroupées qui feront parler de lui et de la série, il peut faire changer les choses, se faire entendre par l’institution « toute-puissante » qu’est la chaîne, et renverser ce rapport de dominant/dominé pour prendre le dessus. Voter lors de concours ou de cérémonies, en parler sur les réseaux sociaux où manifester son attachement pour la série, sont autant de pratiques qui lient les fans entre eux, et qui les font se démarquer du reste des téléspectateurs. Notons qu’il existe des centaines de concours et d’occasions, pour défendre le programme dont on est fan. Il s’agit de voir qu’il faut se tenir particulièrement au courant de toutes les opportunités qui sont liées à la série, pour voir sa série de culte l’emporter. Nous pouvons constater que de telles connaissances sont détenues par les fans, dont l’activité autour de la série est particulièrement importante.

Dès lorsqu’ils se connectent au réseau mondial qu’est internet, les fans oublient leurs objectifs personnels au profit de quêtes communautaires. Cette conclusion traduit les propos de Durkheim(34), qui voyait dans le travail, un moyen de rassembler les hommes pour être capables d’actions plus grandes. Ce que l’on peut dire ici, c’est que la condition même de fan réside dans cette volonté, ce désir parfois inconscient de mettre son savoir, sa connaissance et sa passion, au service d’une communauté plus grande, et dont les intérêts rassemblés vont parfois être capables – parce que constituée d’une intelligence collective – de se mettre à égal niveau des programmes télévisés.

c. Internet : réseaux et communautés virtuelles

Les nouvelles technologies de l’information et de la communication facilitent le débat et la participation du public, et particulièrement des fans. Il s’agit en effet, du premier outil de leur engagement vis-à-vis de la série dont ils sont passionnés. Les pratiques culturelles sont aujourd’hui traversées par cette démocratisation dans l’accès au contenu. Si aujourd’hui, le taux d’équipement des ménages place la télévision comme une pratique dominante, on note que 75%(35) des foyers sont équipés d’Internet à domicile. C’est ainsi que de nombreux fans se retrouvent sur la toile, pour discuter de la série qu’ils apprécient. On parle de « communauté », pour illustrer la façon dont des codes connus de tous, règlent les échanges et les relations entre des individus. Pour les fans, il s’agit de communiquer autour d’un objet culturel qui a une valeur particulière à leurs yeux. Si les fans (par ailleurs hétérogènes par leur environnement géographique, ethnique, socio-économique…) partagent donc un intérêt commun, il leur est tout de même nécessaire de trouver des éléments leur permettant de comprendre les informations émises par chacun d’entre eux. Internet permet à des communautés d’exister, sans que ces différences n’altèrent leur passion et leurs relations. On parle d’environnement numérique pour aborder cet espace abstrait où évoluent les engagements de chacun. Les communautés existent sous différentes formes, et grâce à différents dispositifs. Les nouvelles technologies de l’information et de la communication permettent d’une part, de rester en contact : avec les amis et connaissances du réel, via des réseaux sociaux comme Facebook. Elles permettent également (sur des forums, des chats ou des sites web) de rassembler, d’échanger et de faire de nouvelles rencontres liées aux passions et aux divers intérêts qui nous animent.

Une communauté virtuelle naît d’un désir formel puisque les individus qui en sont à l’oeuvre, ont conscience de ce qu’ils cherchent à créer, et mettent en oeuvre des actions réelles pour y parvenir : Ils élaborent une liste de membres, utilisent des outils de communication pour construire un espace de rassemblement, et réfléchissent à différents usages : base de données, vote, gestion collective…). Ainsi, on peut dire qu’une communauté de fans existe parce qu’il y a d’une part : un désir d’appropriation et de communication sociale autour d’une oeuvre culturelle, mais aussi parce qu’il y a pour se faire, des technologies propices à ce rassemblement.

Comme nous allons le voir dans le paragraphe suivant, il existe différents degrés d’engagement, et par conséquent, différents types de communautés. En effet, plus les membres sont liés par un fort degré de volonté, plus leur rassemblement sera visible.

Les membres d’une communauté d’intérêt ont tous en premier lieu, un usage personnel. Certains d’entre eux sont par ailleurs membres de plusieurs communautés sur différentes oeuvres culturelles, et ne les utilisent que comme des passe-temps sur des objets qu’ils apprécient avec un attachement égal. Dans chaque communauté d’intérêt cependant, il existe un noyau dur, formé de quelques membres qui imposent la signification du rassemblement et qui diffusent l’idée d’une appartenance inconditionnelle à cette seule oeuvre culturelle. Les membres constitutifs de ce noyau sont les fans, et ce sont eux qui structurent la communauté : ils sont en effet ceux qui lui restent fidèles sur le long terme, qui accueille et plongent les nouveaux membres dans les débats de la communauté, et qui illustrent le mieux l’identité d’un fandom. Ils connaissent en effet, les codes liés à celui-ci, mais aussi les connaissances les plus pointues sur les divers éléments et connaissances qui le constituent.

Les fans sont particulièrement investis dans des pratiques liées à l’oeuvre culturelle, et développent sur internet, des interfaces destinées à diffuser leur savoir et leurs opinions. Internet est un réseau d’expression et de communication incontournable, qui permet à chacun de créer du contenu et de diffuser ses idées. Les fans utilisent cet outil pour développer leur communauté, notamment à travers la création de forums non-officiels sur la série qui les passionne.

Ce genre d’interface leur permet de poser les modalités de fonctionnement au sein du groupe, mais aussi de gérer les différentes connaissances en parties claires et synthétisées (la série, les acteurs, les personnages…). Sur les forums, les membres peuvent débattre, discuter, enrichir le contenu et émettre des hypothèses. On peut parler d’un véritable travail de fond, et revenir à cette image du fan-expert dont nous avons parlé. En effet, les forums sont particulièrement investis par les fans de série, qui les utilisent comme des repères de rassemblement et des lieux d’épanouissements tant personnels que collectifs. Les communautés tirent profit de l’hétérogénéité des savoirs de leurs membres, et manifestent auprès des institutions télévisées et des séries elles-mêmes, une grande capacité de créativité sociale et de soutien.

Si certains membres ne viennent sur les forums que pour discuter de façon temporaire et occasionnelle, ce n’est pas le cas des fans, qui développent le plus souvent, d’autres usages autour du programme, donnant ainsi de leur temps et un dévouement parfois extrême envers celui-ci. En effet, comme nous l’avons vu, les technologies numériques ont rabattu les cartes des pratiques de consommation des fans, et leur ont permis d’apprécier la diversité des activités qui engageait aujourd’hui leur amour des séries. Cette quête identitaire des sériephiles passe par la relation qu’ils parviennent à établir avec celle-ci. Elle passe par des pratiques profondément ancrées dans un désir de satisfaire et de prouver leur condition de fan. Comme le montrent les réponses données dans les questionnaires que propose ce mémoire, de nombreux interrogés partagent leur passion sur des blogs ou d’autres interfaces permettant de les mettre en relation avec le reste du fandom connecté.

Question 21 : Avez-vous un compte sur :

Avez-vous un compte sur

Ce premier tableau donne à voir qu’une majorité massive des personnes interrogées possède un compte sur plusieurs de ces réseaux sociaux. Facebook et Twitter arrivent en tête, avec respectivement 85,45% et 80%. Si on peut supposer que Facebook est davantage utilisé pour maintenir le contact avec les proches de la « vraie vie » comme la famille, les amis et les contacts professionnels, Twitter, Tumblr ( un site de microblogging) et Youtube se posent comme trois réseaux sociaux davantage orientés vers la découverte et le partage avec des individus qui ont les mêmes intérêts. Twitter permet de se connecter aux comptes de ceux qui partagent les mêmes passions, comme le rappelle le site lui même : « Instantly connect to what’s most important to you »(36). [Vous connecte instantanément à ce qui est important pour vous]. Ces chiffres montrent qu’il est important d’être connecté aux communautés d’intérêts qui nous passionnent. Les tableaux présentés en annexe, quant à l’utilité que les fans de Supernatural accordent aux réseaux sociaux, nous confirment plusieurs points. Avec 43,10% d’inscrits à Facebook(37), indiquant qu’ils l’utilisent principalement pour garder le contact avec leurs proches, on peut faire l’hypothèse suivante : malgré qu’il soit le site ayant le plus grand nombre d’inscrits parmi les enquêtés (85,45%), il n’est pas pas le plus utilisé en ce qui concerne les pratiques de fans. Sur Twitter(38), on note que la plupart des interrogés inscrits l’utilisent pour discuter et partager autour de leur passion pour la série : 30,19% s’en servent pour suivre l’actualité des acteurs de Supernatural, et 26,41% pour discuter entre fans. Twitter est donc un dispositif massivement utilisé par les admirateurs de série, pour assouvir leurs besoins et se réaliser en tant que fans. Les deux autres réseaux sociaux étudiés apportent une conclusion similaire, puisque le tableau des résultats de Tumblr(39) est dans sa totalité, occupé par des pratiques de fans. On note en effet que 37,50% s’en servent pour découvrir les créations en lien avec la série, faite par d’autres admirateur. L’aspect créatif se démarque, mais nous l’étudierons un peu plus tard. Il s’agit ensuite de suivre l’actualité du fandom, et du reste des séries de façon plus générale. Tumblr est donc un outil dont les sériephiles se servent essentiellement pour leur passion pour les fictions du petit écran.

Tout ceci nous amène au fait que depuis l’arrivée d’internet, les blogs se sont sensiblement développés, permettant aux internautes de mettre en ligne leur journal intime. En juin 2007, on compte entre 50 et 85 millions(40), le nombre de pages personnelles sur la toile. Si ce nombre semble déjà impressionnant, l’évolution dynamique de celui-ci ne cesse de croître, en raison de la facilité de création qui les rend possibles. Cette caractéristique rend particulièrement complexe, l’analyse sociologique de l’objet « blog », mais nous permet cependant de nous intéresser à son succès et à ce qu’il signifie pour les téléspectateurs fans. Comme le montre les résultats analysés un peu plus haut, la plupart des fans de Supernatural interrogés, possède un compte sur Tumblr, qu’ils utilisent pour avoir leur page perso et être reliés aux autres fans et à chacune de leurs publications. Les blogs, de façon plus générale, correspondent davantage à une pratique sociale, plus qu’à une activité personnelle. La relation et les échanges se font à distance et par l’intermédiaire d’une machine, mais si la fonction originelle du blog était de mettre sous forme numérique le contenu de son journal intime, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit aujourd’hui de rendre public et de mettre en scène, les goûts et les valeurs des internautes. En effet, il s’agit d’exposer sa vie privée, de façon consciente et consentante, dans une forme écrite et symbolique. Exposer, car nul blog ne se prive aujourd’hui des fonctions « commentaires » et des ajouts aux favoris. Dès lors se pose la question de la limite entre la vie publique et la vie privée. Jusqu’où les internautes reformulent leurs impressions, réajustent leurs goûts et tronquent certains éléments de leur quotidien, pour plaire au reste de la sphère publique ? Se cache donc derrière la notion de blog, l’idée d’une « interaction permanente ». Le blogueur, qu’il commente et échange avec d’autres internautes ou qu’il se contente d’écrire des billets sur sa propre page, agit dans l’attente des réactions et des commentaires qui vont la ponctuer.

Dans le cadre de la problématique qui anime ce mémoire, il est intéressant de nous pencher sur les motivations que peuvent avoir les téléspectateurs lorsqu’ils sont fans d’une série télévisée. Le blog dans sa représentation première, renvoie à une activité de loisirs, mais on retrouve sur de nombreuses plate formes, des éléments venant contrecarrer cette vision : les compteurs de visite, les espaces commentaires, les outils de géolocalisations ou encore la possibilité d’ajouter un billet à ses favoris. On peut voir, dans ces différents outils souvent mobilisés, un moyen de faire naître un sentiment de reconnaissance. Celui-ci de base, est l’une des motivations qui pousse les internautes à mettre leur blog régulièrement à jour et à se dépasser dans chaque nouveau poste. Pour les fans, il peut s’agir de mettre chaque semaine, une critique d’épisode complète avec un ressenti personnel et une façon d’écrire plus journalistique, ou d’échanger des avis sur des caractéristiques de la série. Il s’agit dans le cas de ces publics spécifiques, de témoigner et de dévoiler leur engouement pour un programme en donnant leur avis, en se montrant créatif et en tissant des liens avec d’autres individus partageant les mêmes passions. Les fans utilisent souvent leurs blogs pour afficher et affirmer leur identité de « fan ». En travaillant sur cet aspect spécifique de leur vie, il développe et contrôle sur du long terme, une image de soi représentative de leur passion. Beaucoup de fans, parce qu’ils sont experts sur la série qu’ils apprécient, ouvrent des blogs dédiés à cette passion, et se considèrent comme de véritables auteurs. Pour être perçus comme tels, leurs publications sont régulières et fréquentes (la plupart du temps, quotidiennes). Leur popularité et leur désir de reconnaissance peut les pousser à acquérir, au moins dans leur fandom, un certain succès et par conséquent une légitimité sur le plan social. Leur page peut devenir, si elle est entretenue régulièrement, et dotée d’un style personnel original et complète, une référence au sein des fans de la série. Ce processus de légitimation de certaines pages personnelles permet de rendre visible la rigueur et le caractère d’expert dont sont dotés les fans. Ces derniers ambitionnent clairement de se distinguer des autres téléspectateurs. En écrivant, créant et diffusant leur attachement, les fans adoptent ainsi une posture qui les place dans le même monde que leur série préférée.

27 KAUFMANN J.-C. L’invention de soi : une théorie de l’identité, Hachette, 2005.
28 http://www.revue-interrogations.org/article.php?article=53 (consulté le 18 juin 2012)
29 MCLUHAN M. Pour comprendre les médias, Bibliothèque Québécoise, 1954.
30 GEORGES F. Sémiotique de la représentation de soi dans les dispositifs interactifs, 2007. (P. 7)
31 JENKINS H. Convergence culture : where old and new media collide, New York University Press, 2008 (P.26)
32 op. Cit. Note 26 (Page 28)
33 JENKINS H.Convergence culture : where old and new media collide, New York University Press, 2008
34 DURKHEIM E. De la division du travail social, éd. PUF, 2004.
35 Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie
36 Www.twitter.com
37 Annexe n° page
38 Annexe n° page
39 Annexe n° page
40 Revues.org : http://ticetsociete.revues.org/412 (consulté le 3 juillet 2012)

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