1) La réserve expérimentale de Vohibola
La réserve de Vohibola est un territoire de plus de 2 000 ha, situé le long du canal des Pangalanes sur la côte Est de Madagascar, entre les villes de Tamatave (à 67 km au Nord) et de Brickaville (à 40 km au Sud).
A un niveau local, elle est encadrée par les villages d’Andranokoditra, Tampina, Topiana et d’Ambodirotra (cf. Figure 3).
Figure 3 : Localisation de la réserve de Vohibola
Suite à la déforestation, qui a sévi sur la côte Est et qui a drastiquement réduit l’étendue de la forêt tropicale humide, la forêt de Vohibola constitue l’un des derniers fragments de forêt dense littorale de toute la côte Est. De ce fait, elle constitue un écosystème forestier et humide rare qu’il convient de préserver afin d’enrayer l’érosion de la biodiversité. On retrouve en effet, associée à cet écosytème, une biodiversité exceptionnelle qui se traduit par (Randrianirina & al., 2005 ; Missouri Botanical Garden, 2002) :
– 7 espèces de lémuriens, qui sont endémiques de Madagascar, dont Eulemeur fulvus fulvus et Propithecus diadema respectivement « quasi-menacé » et « en danger » d’extinction selon les critères de l’IUCN (International Union for Conservation of Nature).
– plus de 50 espèces d’oiseaux dont 50% sont endémiques et dont une espèce est considérée « vulnérable » tandis qu’une autre est jugée « en danger » par l’IUCN.
– 19 espèces d’amphibiens, dont 1 « en danger » d’extinction et 2 commercialisées (Randrianirina & al., 2005)
– 19 espèces de reptiles (Randrianirina & al., 2005), dont 10 espèces citées en Annexe 2 et 2 en Annexe 1 de la CITES (the Convention on International Trade in Endangered Species of Wild Fauna and Flora) qui réglemente voire interdit le commerce de ces espèces.
– 443 espèces de plantes endémiques de Madagascar dont 4 espèces d’arbres spécifiquement endémiques de Vohibola « en danger critique » d’extinction.
Cette réserve représente donc l’un des derniers refuges possible pour de nombreuses espèces. Sa grande biodiversité fut d’ailleurs remarquée par le premier président de la république malgache qui en fit un conservatoire botanique strictement interdit à la coupe et y installa sa résidence secondaire. En 2001, le Ministère de l’Environnement, des Forêts et du Tourisme décida de la vendre pour en faire une concession forestière destinée à l’exploitation. L’Homme et l’Environnement proposa alors de la prendre en gestion pour assurer sa conservation tout en permettant aux populations locales d’en tirer profit (MATE, 2009).
La forêt de Vohibola devient ainsi une réserve expérimentale (réserve naturelle protégée où sont menées conjointement des actions de conservation et des projets de développement).
Cette forêt, qui fut très exploitée par le passé, si bien qu’aujourd’hui on n’y retrouve plus qu’une forêt secondaire assez jeune, est toutefois en bon état de conservation. Elle n’est pas habitée mais n’en est pas moins menacée par les pressions anthropiques des villages limitrophes (charbonnage, surexploitation des espèces à valeur économique comme l’ébène ou le bois de rose, commerce des animaux sauvages…) et par les feux qui peuvent être d’origine naturelle ou anthropique.
Par ailleurs, selon les données de l’ONG, 90% de la population riveraine à la réserve vit sous le seuil d’extrême pauvreté, ce qui les rend totalement dépendants des revenus qu’ils tirent de l’exploitation de cette forêt. Bien qu’il existe des restrictions d’exploitation mises en place par l’Etat, celles-ci n’ont pas été accompagnées de solutions alternatives. Les villageois exploitaient donc “illégalement” leurs ressources naturelles immédiates (MATE, 2009).
Dès lors, la forêt de Vohibola représente une zone prioritaire à gérer de manière durable afin d’allier préservation de la biodiversité et développement économique et social des villages avoisinants.
C’est pourquoi MATE a poursuivi les restrictions d’exploitation de la forêt tout en proposant des alternatives économiques permettant de compenser le manque à gagner des populations locales. Elle a ainsi mis en place des projets tels que la visite guidée de la réserve et l’hébergement chez l’habitant pour ce qui concerne l’écotourisme et la production d’huile essentielle de niaouli (Melaleuca quinquennervia, plante invasive introduite le long du canal lors de sa construction afin d’en renforcer les berges) et de cannelle pour le développement économique. Côté conservation de la biodiversité, MATE a mis l’accent, depuis sa prise en gestion du site, sur le reboisement des zones dégradées, un incendie d’origine inconnue ayant ravagé une grande partie de la forêt en 2002.
Figure 4 : Répartition des espèces d’amphibiens menacées à Madagascar
Vohibola, de par sa situation géographique, regroupe une forêt tropicale et de nombreuses zones humides (il existe en effet environ 327 ha de zones humides représentés par des marais, des lacs, des écotones entre milieux humides et forêts, la bordure du canal et des lacs périphériques…), ce qui en fait un territoire extrêmement favorable aux amphibiens.
On peut s’apercevoir par ailleurs (cf. Figure 4) que la zone de Vohibola, comme l’ensemble de la côte Est, est concernée par une potentielle disparition d’espèces d’amphibiens, d’où la justification d’une surveillance accrue de leur évolution en terme de diversité spécifique et de taille des populations.
2) Les grenouilles de la réserve
Tous les amphibiens de Madagascar, appartiennent à l’ordre des Anoures (Glaw & Vences, 2007). De plus, il n’existe aucun crapaud, tous les amphibiens retrouvés à Madagascar, et donc à Vohibola, sont des grenouilles. Ce qui fait l’importance et l’originalité des grenouilles malgaches est le fait qu’il existe de nombreuses espèces et que celles-ci soient en grande majorité endémiques. On recense en effet 240 espèces endémiques sur un total de 242 espèces de grenouilles identifiées à ce jour. Madagascar se place ainsi au 4 ème rang mondial des pays les plus riches en espèces endémiques(2).
A Vohibola, sur la base des trois inventaires réalisés à ce jour (Randrianirina & al., 2005 ; Deschamps, 2007 ; Gehring & al., 2010), on retrouve potentiellement un total de 23 espèces de grenouilles dont : une espèce non endémique (Ptychadena mascareniensis), une espèce (Guibemantis bicalcaratus) citée en annexe III de la CITES et une espèce (Platypelis tetra) “en danger” d’extinction selon les critères IUCN.
Toujours sur la base de ces données, et lorsque l’on s’intéresse à la systématique des amphibiens de la réserve, on constate (cf. Annexe III) que quatre des cinq familles d’amphibiens présentes à Madagascar se retrouvent à Vohibola et que les 23 espèces recensées se répartissent en 11 genres différents (soit presque la moitié de tous les genres représentés sur l’île).
2 Données IUCN, disponibles sur : http://www.iucnredlist.org/initiatives/amphibians/analysis/geographic-patterns