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II) La défense des droits de personnes migrantes : nécessité contre réalité

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Dans ce chapitre, nous essayerons de comprendre les processus de régularisation au Mexique pour des personnes migrantes et en demande du titre de réfugié. Le contexte international, national et local influence les politiques menées à destination des personnes migrantes. Pour comprendre les enjeux des politiques actuels, nous allons nous appuyer sur le travail effectué par le CDH Fray Matias dans la défense des droits de l’Homme pour des personnes migrantes. De nombreuses informations présentées dans ce chapitre ont été récoltées auprès des deux avocates qui travaillent actuellement au CDH Fray Matias.

A/ La défense des droits des personnes migrantes, un enjeu périlleux dans le contexte juridique national

Au niveau du droit, le Mexique a connu d’importants changements ces trois dernières années. Migration et réfugiés sont deux thèmes qui étaient regroupés en une seule loi jusqu’à septembre 2011, date où elles furent divisées en deux lois spécifiques. Les règlements de ces lois sont apparus en 2012, celle de la loi de la migration est toujours en attente de validation. Ces changements montrent l’intérêt du Mexique envers ces thématiques. Bien que cela soit récent, de nombreuses critiques ont déjà été divulguées. Nous essayerons dans cette partie de relater le contexte juridique de ce pays.

1/ Défense des droits de l’Homme : un pari difficile face à la loi

La défense des droits apparait comme étant le champ d’investissement de divers organismes de Tapachula particulièrement du CDH Fray Matias. Nous allons maintenant illustrer les difficultés qui émanent de ce domaine, en nous appuyant sur divers outils juridiques existants.

a/ Des processus juridiques alambiqués

Le processus juridique concernant les personnes en demande du titre de réfugié prend forme sous différentes phases. Tout d’abord les individus concernés doivent déposer leur demande auprès de la Commission Mexicaine d’Aide aux Réfugiés (COMAR(22)) qui a 45 jours pour résoudre chaque cas. En cas de refus du titre de réfugié, la personne concernée à 15 jours pour porter un recours c’est souvent à ce moment qu’interviennent les employés du CDH Fray Matias. Le recours donne lieu de nouveau à un délai de 45 jours durant lequel la COMAR doit donner une réponse. Si à nouveau la contestation est négative, il est possible de demander un nouveau recours appelé « amparo » durant les 15 jours suivants. Cela ce fait principalement pour les cas où il y aurait eu non respect de la loi en vigueur dans le processus de régularisation. Pour certains cas extrêmes, il est possible de continuer le processus si la réponse est à nouveau négative, en portant le dossier devant une instance internationale, ici la Commission Inter Américaine des Droits de l’Homme (CIDH).

En ce qui concerne les personnes migrantes cherchant à se régulariser, elles doivent se rendre dans les bureaux de l’Institut National des Migrations (INM). Les personnes en centre de rétention INM peuvent commencer leur démarche depuis cet espace tel que celui de Tapachula : « siglo XXI ». Un bureau spécialisé traite ces questions et reçoit les individus et familles intéressées. Si ces personnes entrent dans les critères de l’article 133 de la loi de la Migration(23), elles peuvent sortir du centre de rétention pour réaliser leurs démarches administratives.

Pour les personnes qui vivent de façon irrégulière au Mexique, d’autres bureaux de l’INM accueillent et réalisent le processus de régularisation. Il y a peu, un des critères pour être régularisé était d’avoir un travail fixe, cela a été retiré, ce qui montre le durcissement pénal des critères d’admission dans le but de limiter les régularisations et ainsi freiner les migrations. En cas de litige il est possible de faire un recours devant le tribunal fédéral.

Le CDH Fray Matias intervient s’il y a un cas de violation des Droits de l’Homme. Les deux avocates de ce centre suivent des personnes désignées au sein de leur organisme comme étant des cas paradigmatiques permettant de mettre à jour des violences systématiques en fonction des droits des migrants. Ceci doit permettre de généraliser et de rendre visible ces affaires pour que de nombreux individus migrants ne subissent pas le même sort. Souvent, ces individus ont enduré la violation de plusieurs droits. L’objectif étant d’obtenir des répercussions positives auprès de nombreux individus. Cela peut amener le CDH Fray Matias à suivre deux processus : celui de déposer une plainte de façon publique d’un côté et de façon légale de l’autre ou de déposer une plainte au tribunal pour les migrants voulant être régularisés et devant la COMAR pour les personnes en demande du titre de réfugié. Ces affaires peuvent se terminer devant la “suprema corte” que nous pouvons associer du point de vue français, au regroupement de la Cour suprême avec le tribunal constitutionnel Les deux avocates du CDH Fray Matias utilisent dans leur travail aussi bien le droit mexicain comme la constitution fédérale et le Code pénal du Chiapas, que des textes internationaux tels : les conventions internationales des droits de l’Homme de l’ONU, les pactes internationaux ou encore les accords tels ceux de la Commission Inter Américaine des Droits de l’Homme. Signalons que depuis juin 2011, une nouvelle réforme au Mexique permet de protéger les droits de la Constitution mexicaine et les Droits de l’Homme établis dans les différents instruments juridictionnels internationaux ratifiés par le Mexique.

b/ Complexité des différentes formes migratoires existantes

À toute cette complexité s’ajoutent les différentes formes migratoires permettant le séjour au Mexique. La variété et la diversité des critères de sélection sont une des causes de la difficulté de diffuser ces informations. Les formes de séjour les plus utilisées à la frontière Sud sont les suivantes(24) :

– La Forme Migratoire Multiple (FMM) permet de rester au Mexique durant une période maximale de 180 jours pour entre autres venir pour affaire, tourisme ou étude.

– Le FM2 permet de résider un an au Mexique en tant qu’immigré. Il est renouvelable chaque année. Cette forme migratoire concerne les étrangers désirant résider de façon permanente au Mexique vivant en couple avec une personne de nationalité mexicaine ou ayant des enfants mexicains (droit du sang et du sol). Au bout de deux ans, il est possible de demander la naturalisation. Son prix est fixé à 3,140 pesos (185 euros).

– Le FM3 permet également de résider durant un an au Mexique comme non-immigré. Il doit se renouveler chaque année et est prolongeable durant 4 années. Au bout de 5 ans, il est possible d’obtenir un FM2. Le FM3 concerne les étrangers qui désirent vivre au Mexique de manière temporelle tels les touristes, les groupes religieux, les demandeurs d’asile politique les étudiants, etc. Son coût va de 279 pesos à 2.356 pesos (16 à 140euros) en fonction de la raison et justification de la demande.

À ces tarifs, s’ajoute l’amende imposée par l’INM pour entrer illégale sur le territoire mexicain. Cette dernière varie en fonction du pays d’origine. À cela vient s’ajouter le coût de l’enregistrement sur le registre national des étrangers qui permet à l’INM d’obtenir des données sur les personnes concernées. Il est actuellement fixé à 669 pesos par personne (environ 40 euros). La multiplication des divers frais à investir est un frein à la régularisation de nombreux individus qui possèdent peu ou pas de ressource financière.

Dans un article du journal l’Orbe écrit par Scott Vasquez du 13 juillet 2012, une dizaine de migrants dénoncent « les coûts excessifs de chaque document de régularisation, la lenteur des procédures, les mauvaises informations de l’INM et le traitement de tyran des fonctionnaires fédéraux contre les Centre-américains ». Le coût de la régularisation pour des personnes venu de façon irrégulière n’est pas adapté à la situation économique de nombreuses personnes migrantes.

De plus, aux différents coûts, doit parfois s’ajouter le paiement d’un passeport, par exemple celui des personnes de nationalité salvadorienne revient à 60 dollars le passeport salvadorien, mais suite à un accord avec le consulat du Salvador, ceux qui ont une carte de recommandation du CDH Fray Matias peuvent l’obtenir pour 12 dollars. Aussi, le CDH Fray Matias et l’INM ont créé un accord permettant aux individus ayant des bas revenus, ce qui signifie moins de 50 pesos par jour (environ 3 €, ce qui équivaut au salaire minimum mexicain), de ne pas payer le prix de la documentation (FM2, FM3, etc.) sous réserve d’une
lettre de justification du CDH Fray Matias. Un des problèmes majeurs et le temps restreint pour payer le document de régularisation, « ils ont seulement dix jours pour réaliser ce paiement » (SCOTT VASQUEZ, 2012).

Pour en revenir aux différentes formes migratoires, il en existe deux autres spécifiques à la frontière et à destination sous conditions, de certains Guatémaltèques et Béliziens vivant dans des régions frontalières au Mexique.

Il existe le FMTF(25) qui remplace la Forme Migratoire de Visiteur Agricole (FMVA) qui était en application depuis 1997 pour ceux qui veulent travailler de façon temporelle (DIAZ MANSILLA, 2011).

Il y a 4 états où ce titre permet de travailler de manière légale : Chiapas, Tabasco, Campeche y Quintana Roo. Cela concerne les Guatémaltèques et Béliziens de plus de 16 ans ayant une offre de travail licite et un employeur mexicain sans antécédent judiciaire.

Figure 12 : Les quatre États où peuvent séjourner Guatémaltèques et Béliziens munis du FMTF :

Les quatre États où peuvent séjourner Guatémaltèques et Béliziens munis du FMTF

Source : INM, disponible sur internet : http://www.inm.gob.mx/index.php/page/FMTF

Ce document peut s’obtenir le jour même et permet aux bénéficiaires de travailler dans tous les secteurs de productions de ces quatre États. Il est valable un an.

Il existe également la forme migratoire des visiteurs locaux (FMVL) qui permet aux Guatémaltèques (des départements Quetzaltenango, San Marcos, Huehuetenango, Quiché, Petén, Retalhuleu y Alta Verapaz) de venir rendre visite à des personnes vivant à proximité de la frontière mexicaine pour une période de trois jours.

Figure 13 : Zone de libre séjour pour les bénéficiaires du FMVL :

Zone de libre séjour pour les bénéficiaires du FMVL

Source : INM, disponible sur internet : http://www.inm.gob.mx/index.php/page/FMVL

Voilà pourquoi, en vue des restrictions imposées par ces deux dernières formes migratoires, il est fréquent qu’elles servent que de passe pour entrer dans ce pays.

c/ La corruption, facteur influent dans le contexte juridictionnel ?

Concernant le contexte mexicain, du point de vue des avocates du CDH Fray Matias, tout ce qui est d’ordre de la corruption n’influence peu ou pas la défense d’individus migrant au niveau des instances juridictionnelles. Le défaut relevé par les avocates serait toute la difficulté à faire respecter les droits des migrants et personnes réfugiées dans un pays où les citoyens sont peu ou pas sensibilisés à ce sujet. De plus, il y a un manque visible de professionnalisation dans ce domaine, les formations universitaires sont inexistantes, les employés se forment en travaillant. Il faut ajouter qu’il est parfois difficile de clarifier certaines lois, vient ici toute la question de l’ambiguïté politique et du sens des mots.

D’après José Luis de l’OIM ; « au niveau migratoire, le Mexique n’a pas une politique adéquate, elle se centrait sur la loi de la population. Maintenant, il y a une législation du thème migratoire […] mais il y a un haut niveau de corruption qui évidemment, affecte les migrants. L’argent suffit pour ne pas appliquer les lois », bien qu’il ajoute que « la fonction publique lutte contre » cette corruption, il conclut qu’« il faut en finir avec le cercle de la corruption, c’est un mal endémique […] c’est un défi du Mexique d’en finir avec la corruption ». Le mot corruption revient fréquemment dans ses propos bien qu’ils furent écourtés. Ici, nous voulons souligner la réalité frappante qui apparait dans ces propos. Les lois existent, mais la corruption les rend caduques.

Un autre propos vient nous conforter dans notre affirmation ; « on est dans un système à moitié corrompu » (Romain, Médecins du Monde). Irma, la coordinatrice de l’auberge Belén tient un discours qui va dans la même direction, pour elle, un des problèmes majeurs dont sont victimes les migrants est le fait qu’« à la frontière on leur vole tout. On leur retire la possibilité de transiter au Mexique, de voyager de façon plus digne […] Au Guatemala, c’est la police qui pille les migrants surtout à Agua Caliente ». Elle nous a confié qu’elle trouvait affolant le fait que cela soit public, mais que rien ne change avant d’ajouter qu’à la frontière hondurienne, « c’est pire ». Elle dénonce la corruption et le banditisme qui subsistent à la frontière disant que rien ne se fait pour changer ça. Bien que la frontière est beaucoup plus sécurisée qu’il y a quelques années.

Dans ces différents cas, on retrouve le manque d’action de la part des autorités publiques pour une réelle évolution dans le domaine du respect des droits des personnes migrantes.

2/ Une modification du cadre juridique applicable aux migrants et réfugiés

Les textes juridiques ont connu de grands changements depuis 2011 en laissant apparaître deux nouvelles lois à destination des personnes migrantes et réfugiées qui vont de pair avec les engagements du gouvernement formulés devant différentes instances comme l’ONU. Nous ne mentionnerons pas ici tous les accords et mécanismes établis aux différentes échelles territoriales, nous nous contenterons de nommer ceux qui nous semblent les plus pertinents.

a/ De l’évolution récente à la frontière Sud…

La frontière Sud tout comme l’ensemble du Mexique ont connu de multiples évolutions sur le plan juridique. Ceci est dû en grande partie à des pressions internationales, principalement de la part des États-Unis, du Canada et de l’ONU.

Concernant la frontière Sud, elle a été mise sous contrôle en 1981 suite aux politiques de militarisation et de contrôle des migrations (MADUEÑO HAON, 2009), ceci sous pression de Washington. Cela coïncide et fut justifié essentiellement du fait de la guerre civile au Guatemala. Durant cette même décennie « le gouvernement mexicain a développé sa présence à la frontière sud en créant la Commission Mexicaine d’aide aux réfugiés (COMAR) » (ARMIJO CANTO, 2011, p.41) permettant l’obtention du titre de réfugié à nombreux migrants fuyants les conflits armés. Puis, « c’est en 1993 qu’a été mis en marche le programme de retour volontaire » (ARMIJO CANTO, 2011, p.39) pour permettre aux personnes venuent s’installer (souvent devenues réfugiées) durant les différentes guerres civiles en Amérique Centrale de retourner dans leur pays d’origine. Malgré cela, nombre d’entre eux sont restés au Mexique. « Avec la signature des accords de paix au San Salvador et au Guatemala, respectivement en 1992 et 1996, les flux migratoires n’ont pas disparu, au contraire, ils se sont modifiés et développés, du fait des problèmes économiques des pays d’Amérique centrale » (ARMIJO CANTO, 2011, p.39). Cela a donc engendré de nouvelles mesures restrictives.(26)

Pour augmenter sa capacité de contrôle des flux migratoires, « le Mexique a initié en juillet 2001, la mise en application du “plan Sud” qui envisage le renforcement d’actions d’interception de personne sans papier depuis l’isthme de Tehuantepec (centre du Mexique) jusqu’à la frontière Sud » (ARMIJO CANTO, 2011, p.42). Cela a permis d’augmenter le nombre de rapatriements. La photo ci-dessous illustre une zone d’arrêt et de contrôles des passagers située avant les bureaux des agents de l’INM. Qualifiées de zones de non-droit, les photographies de ces espaces ne sont pas permises.

Figure 14 : Zone de contrôle au nord-ouest de Tapachula, route 200 :

Zone de contrôle au nord-ouest de Tapachula, route 200

Source : photographie personnelle, juillet 2012. © B-W Matthieu

En 2006, un « plan de réaménagement de la Frontière Sud » illustre l’importance qu’a prise cette zone pour le gouvernement. Son « objectif principal d’actualiser et de rendre plus efficace la gestion des flux migratoires légaux et décourager les passages irréguliers, avec l’entière protection des droits de l’Homme des migrants » (GOBIERNO, 2007, p.42). Un autre point de ce plan était de combattre la corruption des agents d’état à la frontière sud. Une des grandes avancées nationales, peu de temps après ce plan, est une loi de 2008, décriminalisant la migration illégale. Elle fût mise en place, somme toute, pour répondre à l’impossibilité de continuer à remplir les prisons de personnes migrantes. Cet ancien délit était passible de cinq ans de prison (GRILHOT, 2011) selon l’article 123 de la loi de la population. Cela permettait de dissuader les immigrés de porter plainte pour violation de leur droit ce qui est contraire à la convention internationale des droits de l’Homme de 1948 (articles 6,7 ,8 et 927). Ceci est désormais possible, au Chiapas un secrétariat spécialisé et implanté à Tapachula traite ces plaintes.

Malgré toute l’importance qu’à pris la frontière sud depuis vingt ans, elle reste un espace dangereux, d’infraction des droits des personnes migrantes et de flux irréguliers.

b/…aux accords internationaux, moteurs de restrictions.

Les contrôles à la frontière Sud sont influencés par les relations entre les États-Unis et le Mexique. « La présence militaire n’est pas due aux flux migratoires […], cependant elle coïncide avec d’autres événements qui ont affecté la migration : la signature de l’accord de libre-échange nord-américain en 1994 (ALENA ou TLCAN) et le durcissement des politiques d’immigrations aux États-Unis » (ARMIJO CANTO, 2011, p.42). L’emprise de cette grande puissance sur le Mexique est indéniable. Son influence sur les contrôles et renforcements militaires à la frontière sud sont remarquables bien que cela soit relatif, comparé aux dispositifs mis en place à la frontière nord.

Des accords comme le Mercado Común del Sur (Mercosur) entre pays andins et pays d’Amérique Centrale, « entre lesquels il existe des accords bilatéraux ou multilatéraux permettent à leurs citoyens la libre circulation. Curieusement, le TLCAN, schéma d’un système de libre commerce entre trois pays, le Canada, les États-Unis et le Mexique, est tout le contraire. Non seulement il n’existe pas de libre circulation, mais en plus, c’est une des zones du Monde où il existe les plus grandes restrictions de circulation » (ARTOLA, HERRERA-LASSO, p.13).

Pareillement, les attentats du 11 septembre 2001 ont permis de renforcer les contrôles migratoires sous impulsion des États-Unis pour lutter contre le terrorisme. Ajoutons à cela que les politiques restrictives sont également dues au fait que les politiciens appréhendent que les migrations puissent affecter la relation du Mexique avec les États-Unis (DIAZ et KUHNER, 2008). Ils décrivent et perçoivent les migrations comme un problème de sécurité nationale (MADUEÑO HAON, 2009). Entre autres, voilà pourquoi des accords bilatéraux existent, permettant des rapatriements dits sûrs et organisés de personnes en situation irrégulière. C’est le cas entre le Mexique avec le Guatemala, le Honduras, le Nicaragua et San Salvador. Cela a été fait dans le but de décourager les migrants à retenter l’expérience migratoire (CASTILLO, 2006).

Au sujet des accords internationaux, en 2000, le Mexique a ratifié la convention de Genève, presque cinquante ans après l’avoir signé en 1951. En 2010, il ratifie la convention des Nations Unies sur les travailleurs migrants qu’il avait signé en 1990, vingt ans auparavant. Il est courant de signer des accords et de ne pas les ratifier. Sans cela, il n’y a aucune obligation d’application, voilà pourquoi différents pays tardent à ratifier ce type d’accords ou ne s’exécutent jamais pour ne pas avoir de nouvelles contraintes.

En 2008, est entré en vigueur le plan Merida, qui est un accord entre les États-Unis et le Mexique permettant de lutter contre le trafic de drogue et la criminalité. Pour cela, le Mexique a reçu des sommes d’argent avec lesquels il a pu renforcer ses forces militaires et augmenter les points de contrôles à la frontière Sud. Des controverses décrivent ce plan comme le moyen de limiter les migrations en ayant pour argument la lutte contre les cartels et le terrorisme.

Tout cela nous montre l’importance de la thématique migratoire depuis plusieurs années dans les discours politiques. En 2010, avant l’arrivée de nouvelles lois concernant les migrations, le président Mexicain, Caldéron déclarait devant l’ONU que le Mexique allait devenir un modèle pour les migrants. Malgré tout, cette thématique fut pour ainsi dire, oubliée durant les dernières élections nationales de juillet 2012, ce qu’ont reproché différents organismes de la société civile comme le mouvement étudiant « Yo soy 132 ».

c/ L’arrivée de nouvelles lois nationales, la marque d’une évolution

Pour combler le manque en terme de législation migratoire, deux nouvelles lois ont vu le jour en 2011 ; la loi de la migration et la loi des réfugiés. Avant cela le thème migratoire était contenu dans la loi de la population de 1974 et la loi générale de protection. Pour Véronica du CDH Fray Matias, ces lois « ont été faites sous la pression internationale » ce qui vient conforter nos propos antérieurs. Effectivement suite à différents discours du président Felipe Calderón devant le conseil de l’ONU, il s’était engagé à prendre des mesures pour une meilleure gérance des flux migratoires.

La ley de migración (loi de la migration) de mai 2011 fut perçue comme une révolution au niveau du droit au Mexique. Le thème de la migration était au préalable, inclus dans la loi générale de la population. Elle permet désormais une meilleure visibilité du phénomène migratoire. Une des avancées est le combat de la corruption dont les acteurs sont des agents de contrôle migratoire. Il faut savoir que le thème de la migration est géré au niveau fédéral, c’est-à-dire sous la responsabilité de chaque État. À la suite de son entrée en vigueur, différentes Organisations Non Gouvernementales (ONG) l’ont décrite de confuse(28).

Son règlement est actuellement en révision par la Comisión Federal de Mejora Regulatoria (Commission fédérale d’une meilleure régularisation) et donc, il n’est toujours pas entré en vigueur.

Quant au règlement de la loi des réfugiés, elle est entrée en vigueur en mars 2012, plus d’un an après la loi. Au niveau des changements majeurs, il est à présent possible de demander refuge s’il y a eu violence pour question de genre. De plus a été mise en place la « protection complémentaire » permettant de solliciter l’asile quand la cause de la persécution peut-être mouvante dans son pays d’origine. « La protection complémentaire est une avancée de la nouvelle loi des réfugiés. […] c’est pratiquement égal au titre de réfugié qui sont tout deux permanents » (Gema, ACNUR). Ces titres permettent la régularisation pour les personnes qui le souhaitent ; « Après deux ans avec le titre de réfugié il est possible d’être naturalisé, mais cela est cher et long » (Hans, ACNUR), c’est pour cela qu’actuellement peu de réfugiés ou personnes sous protection complémentaire sont naturalisés.

Une des avancées du Mexique en matière de connaissances d’information juridique et la création du site officiel INFOMEX qui permet aux individus d’interroger des agents compétents en cas de doute sur certains aspects des lois. Le CDH Fray Matias utilise certaines réponses pour dénoncer des manques ou abus.

d/ Le Chiapas, un état aux avancées significatives

Dans l’état du Chiapas, différents éléments au sujet des migrations sont remarquables dans le contexte juridique actuel. « Il y a de nombreux programmes pour les migrants au Chiapas : ils peuvent aller dans n’importe quel centre de santé, s’ils ont le virus du VIH ils peuvent aller au centre de santé CAPACIT qui effectue un second test et apporte les premiers soins […] Il y a le passeport de santé » (Irma, auberge Belén). Ici, Irma, coordinatrice de l’auberge Belén indique que les migrants ont accès à n’importe quel centre de santé, normalement établi et réservé à des habitants d’une zone délimitée. Il existe également le passeport de santé qui serait l’équivalent d’un carnet de santé en France, permettant de connaitre les antécédents d’un individu. « Au Chiapas, il existe le passeport de santé pour les migrants, c’est l’équivalent du carnet de santé. C’est une reconnaissance des migrants comme des personnes mobiles […] La juridiction sanitaire permet la gratuité des soins et les migrants les plus pauvres peuvent accéder à l’assurance populaire » (Romain, Médecins du Monde). Il existe également le secrétariat public (fiscalía) spécialisé dans les violations des Droits de l’Homme permettant pour les migrants de déposer une plainte. Ces avancées sont des points que les associations espèrent sauvegarder suite au changement de gouvernement de décembre 2012.

3/ Des appréciations divergentes et subjectives des textes en vigueur

Les textes juridiques existent, mais des insuffisances de clarté subsistent, ce qui ne laisse pas sans voix divers organismes internationaux et associatifs. Nous allons voir leurs principales critiques et remarques.

a/ Vision de la loi selon divers discours

Dire que le Mexique est un pays de non-droit serait caricaturer cet état. Au niveau des migrations, il existe bien des lois comme nous venons de le voir. Pour Romain, coordinateur de Médecins du Monde à Tapachula « C’est pas le Mexique qui est un pays de non-droit, mais des zones, ce serait faux de parler de non-droit ».

Certains sont plutôt satisfaits des récentes avancées comme Hans, coordinateur de la ACNUR à Tapachula pour qui le Mexique a « une législation très avancée dont le règlement est sorti cette année ». En cela, il se réfère à la loi des réfugiés, il ajoute que « le Mexique a ratifié la convention des réfugiés en 2000 ». Pour Gema également de l’ACNUR son discours est plus mitigé : « je ne peux pas dire qu’il n’y a pas de droits, on vient de commencer », en cela elle se réfère aux deux nouvelles lois de 2011. « Il y a 5 ans je t’aurais peut-être dit le contraire […] c’est pour ça que notre travail c’est d’informer les gens, c’est un début […] les droits de l’Homme sont écrits, notre travail c’est qu’ils soient respectés dans la pratique » (Gema, ACNUR). Ici, elle parle de non-respect de ces lois en pointant du doigt le manque de connaissance de ces dernières de la part des personnes devant les appliquer.

D’autres ont émis des réflexions venant compléter ses propos, pour José Luis, coordinateur de la OIM : « les lois de la migration et des réfugiés seront des avancées quand il y aura les instruments pour qu’elles soient appliquées » ce qui correspond aux propos de Romain : « oui il existe des droits, mais il y a beaucoup de violations des ces droits-là. Il y a des efforts qui sont faits, le problème est dans l’application des droits […] Il y a un vrai problème des indicateurs sur les migrations ». Dans ces deux discours, le problème soulevé tourne autour de l’application de ces lois, il y aurait un manque d’indicateur et de suivi. Effectivement, les règlements de ces lois ont vu le jour cette année bien que celui sur la loi de la migration soit toujours en révision, mais aucun outil n’a été mis en place pour pouvoir les appliquer, ce qui est une défaillance de l’actuel système.

Deux propos coïncident, « Les Droits des migrants ne sont pas respectés […] dans le nouveau règlement il n’y a rien de nouveau, la loi de la migration continue à être contradictoire, elle ne dit pas grand-chose » (Veronica, CDH Fray Matias), toujours sur la loi de la migration ; « c’est encore pire que c’était, c’est rendre plus difficile la vie des gens » (Romain, Médecins du Monde). La teneur engagée de ces discours peut être mise en relation avec le fait que les personnes en question travaillent dans le milieu associatif. Pour eux ces lois ne sont pas des avancés ce qui s’oppose au premier discours qui lui émané d’une personne travaillant dans un organisme international. Il y a donc des désaccords au sujet de ces nouvelles lois qui sont loin de faire l’unanimité, mais pour reprendre les dires de Gema « c’est un début » . Il serait intéressant d’étudier les répercussions sur le terrain des deux règlements en cours et à venir.

b/ Une insuffisance de clarté face à la diversité d’interprétation

Une des grandes critiques relevées régulièrement au sein d’associations de la société civile comme d’organismes internationaux (OIM et ACNUR) est le souci d’interprétation des lois migratoires. Effectivement, les articles ne sont pas suffisamment explicites ce qui contraint aux soucis d’interprétation. Cela est évidemment gênant puisqu’en fonction des politiques fédérales de chaque État mexicain, ces lois peuvent être traduites de façon diverses et variées. Pour José Luis de l’OIM ; « il y a des ambigüités dans la loi […] ce n’est pas clair, tout le monde donne la faute à l’autre ». Le manque de précision occasionne des incompréhensions. Les responsables de la non-application de ces lois sont multiples, mais chacun renvoie la responsabilité à un autre de ses paires, ce qui ne permet pas une réelle application de celles-ci.

Un discours écouté lors de nos entretiens explicite nos propos ; « le droit mexicain c’est un peu un arbre à palabres, on écrit beaucoup, on parle beaucoup, mais à la fin c’est la merde », il ajoute ; « il n’y a pas de protocole d’application des lois donc il y a des dérives, on ne peut pas se contenter d’interprétation, les affirmations générales sont durs à appliquer » (Romain, Médecins du Monde). Effectivement, nous revenons au fait que si les personnes devant appliquer ces lois n’ont pas les outils adéquats, il est aisé d’en arriver à des dérives dont le manque de contrôle permet de les passer sous silence. C’est une des raisons qui explique l’énergie déployée par des organismes de la société civile pour dénoncer les abus tels que le fait le CDH Fray Matias.

B/ Le travail du Centre des droits de l’Homme Fray Matias de Córdoba, enjeu dans la défense des droits

Le nom de ce centre vient du Dominicain FRAY MATIAS Antonio de Córdoba y Ordonnez, né à Tapachula. C’était un religieux impliqué politiquement dans la défense des populations indigènes, il est perçu comme un précurseur de liberté dans le Chiapas.

Le Centro de Derechos Humanos Fray Matías de Córdova(29) (CDH Fray Matías), a été créé en 1994 par l’Église catholique principalement pour dénoncer les abus des agents de police envers les immigrés. Cette même année ont commencé les mouvements zapatistes (Ejército Zapatista de Liberación Nacional, EZLN) du Chiapas en lien avec l’entrée en vigueur du traité de libre-échange commercial des pays d’Amérique du Nord (1er janvier 1994). Un de leurs objectifs est de mettre en avant la dégradation des conditions de vie des populations indigènes du Chiapas, ce groupe se revendique comme opposé au gouvernement mexicain, leur slogan « ¡Ya basta! » a permis à certains de décrire ce groupe comme étant alternatif.

Figure 15 : Le Centro de Derechos Humanos Fray Matías de Córdova A.C. à Tapachula, Chiapas :

Le Centro de Derechos Humanos Fray Matías de Córdova A.C. à Tapachula, Chiapas

Source : photographies personnelles, juin 2012. © B-W Matthieu

Pour en revenir au CDH Fray Matias c’est en 1997 qu’il se constitue légalement comme association. Il a pour ligne directrice la défense des droits de l’homme pour les migrants, réfugiés et leur famille.

En 2009, cet organisme a cherché de nouveaux modes d’action pour mettre davantage à jour les violations des droits de l’Homme C’est ainsi, qu’en 2011, une stratégie de défense globale a vu le jour pour rendre visible des cas emblématiques de violations des droits de l’Homme.

Ces cas servant de référence à la création d’un manuel annuel de litige stratégique.

1/ Des champs d’action visibles à différentes échelles

Le CDH Fray Matias s’est développé rapidement durant les trois dernières années, en 2009, il comptait quatre employés puis le double l’année suivante pour atteindre dixpersonnes en 2012. Cela sans compter les différents volontaires qui ont intégré la structure sur des périodes différentes. En 2010, cette association a changé son image en choisissant un nouveau logo et en déménageant pour un espace plus adapté au nombre d’employés. Bien qu’existant depuis 1997, ce n’est que depuis juillet 2012 que les employés ont accès à une sécurité sociale. Son travail est ainsi devenu plus large, permettant des répercussions plus amples au niveau local comme international. Cela donne davantage de possibilités pour participer à des réunions, forum ou encore à des formations au Mexique ou à l’étranger.

Les thèmes d’actions et de projets changent et évoluent avec le temps en fonction des besoins, de l’actualité et des demandes. Nous allons voir brièvement le travail actuel effectué par les employés de cette association.

a/ Le pôle de défense et de régularisation

Ce centre s’implique dans la défendre les droits de l’Homme pour des personnes migrantes et réfugiées à la frontière Sud du Chiapas en diffusant de l’information, accompagnant et conseillant des individus migrants ayant subi des injustices et violations au niveau de leurs droits. Une assistance est apportée envers des personnes migrantes ou réfugiés.

Concernant le domaine de la régularisation, n’importe quelle personne migrante peut venir chercher une aide ou un appui dans ce centre aux horaires d’ouverture, du mardi au vendredi de 9 h à 16 h, éventuellement le lundi bien que ce jour soir régulièrement consacré aux réunions. Le CDH Fray Matias délivre aux migrants des attestations permettant de réduire le coût des documents leur permettant la régularisation, comme nous l’avons vu ultérieurement.

Quant au domaine dit de défense, le projet principal mené par les avocates s’appuie sur des cas spécifiques décrits comme « intégraux » qui permettent d’illustrer diverses injustices et violations des droits pour les dénoncer et ainsi, espérer qu’elles ne se reproduisent plus ou que ces cas servent de référence pour des situations similaires. À titre d’exemple, les deux actuelles avocates apportent conseils et suivent des individus en processus de régularisation (10 par an). Elles accompagnent les personnes désirant déposer une plainte suite à une violation d’un ou de plusieurs de leurs droits au secrétariat (fiscalía) responsable du thème migratoire. Nous pouvons qualifier cet organe juridique d’un mélange entre une gendarmerie et un tribunal. Au Chiapas, le secrétariat spécialisé dans les violations des Droits de l’Homme auxquelles peuvent être sujets des personnes migrantes se trouvant dans la ville de Tapachula.

Un des problèmes récurant est que « les personnes migrantes refusent généralement de présenter une plainte pas peur d’être rapatrié dans son pays d’origine » (OACN UDH, p.21).

Cela est plus confortable en présence d’une ou d’un avocat.

Comme nous l’avons dit plus haut, il existe très peu d’avocats au Mexique, engagés dans la défense des droits de l’Homme des personnes migrantes. C’est pourquoi il pourrait sembler opportun, pour garder ses personnes perçues comme vitales, de leur attribuer un salaire adéquat. Actuellement, les deux avocates touchent respectivement 530 euros et 700 euros par mois, alors que d’autres organismes proposent des salaires autour de 900euros (15.000 pesos).

Nous ne rentrerons pas dans le débat financier des ASI, mais nous souhaitons permettre la réflexion autour de la stabilité d’un organisme et de ses stratégies pour garder des éléments vus comme importants.

b/ Un travail ayant une portée locale comme internationale

Au niveau local, l’association utilise les médias comme les journaux « el Orbe » ou « Diario del Sur » pour dénoncer des violations des droits des migrants. Pour cela le CDH Fray Matias a du personnel travaillant dans le domaine du plaidoyer et en communication, secteurs actuellement stratégiques pour rendre public des faits et mobiliser l’opinion publique dans l’espoir d’éventuelles avancées.

Également, d’autres secteurs font partie des lignes d’action du CDH Fray Matias, celui des formations, de la recherche (actuellement sur les mineurs migrants), et prochainement celle prénommée bien être social.

Pour illustrer la portée de certains projets, prenons deux exemples. Concernant le secteur communication, le projet en cours « Periodistas de Tapachula a favor de los derechos humanos de la población migrante » (Journalistes de Tapachula en faveur des droits de l’Homme de la population migrante) cherche à informer et former les journalistes des journaux locaux au thème migratoire pour avoir un autre regard sur les migrations et ses conséquences. Cela devrait permettre de lire des articles plus proches de la réalité avec moins de sensationnel. Au niveau international, le projet de recherche « Los derechos humanos de la niñez en el contexto de la migración en la frontera de México y Guatemala » (Les droits de l’Homme de l’enfance dans le contexte migratoire de la frontière Mexico-Guatémaltèque) fait en partenariat avec des chercheurs de l’université Lanus d’Argentine va donner à des présentations dans différents pays comme le Costa Rica et le Guatemala. Ainsi le CDH Fray Matias est entendu aussi bien localement qu’à plus grande échelle.

c/ Réseaux nationaux et internationaux

Le CDH Fray Matias, reconnu pour son travail de terrain est membre de différents réseaux nationaux qui lui permettent d’être reconnu au niveau national et dans une moindre mesure internationale.

Il fait partie du réseau Todos los Derechos para Todas y Todos (TDT) qui regroupe de nombreux organismes de la société civile mexicaine qui « partage l’idée que la lutte pour les droits de l’Homme doit être intégrale » (30). Ce réseau est très médiatisé au niveau national, il est souvent consulté sur les questions migratoires. Entre autres, il édite un rapport dit « sombra » -ce qui signifie « ombre »- à destination de l’ONU sur la situation du Mexique pour contrecarrer celui fait par le gouvernement.

D’un autre côté, cette association est membre du réseau national « Foro migraciones »(31), créé en 2001. Ils organisent des réunions environ tous les deux mois de 2 à 3 jours. Sont membres de ce réseau, des organisations civiles, académiques et dits activistes “qui travaillent sur la réalité migratoire” (RIVAS CASTILLO, 2008, p.10). Ce forum est un espace de dialogue, d’échange, d’analyse et de dénonciation qui promeut la défense des droits de l’Homme des personnes migrantes. Différents groupes de travail définissent des propositions de modifications des normes juridiques impactant les personnes migrantes dans l’espoir d’un changement. Ils abordent 5 thèmes : la défense des Droits de l’Homme, la déportation des immigrés, la réception des immigrés, le transit pour raison politique ou torture et la recherche scientifique.

En ce qui concerne l’importance d’avoir du poids ou, tout au moins une reconnaissance internationale, cela permet une meilleure visibilité de ces actions. Ajoutons que « la meilleure défense des ONG vis-à-vis de leurs gouvernements respectifs semble être l’internationalisation […] C’est aussi une façon pour elles de se protéger de la concurrence des autres ONG sur le marché des levées de fonds » (VERNA, 2007, p.40). Cela est le cas d’Amnesty International ou encore d’Oxfam. Concernant le CDH Fray Matias, qui est une structure bien plus humble et qui n’a pas de bureaux en dehors du Chiapas, elle ne peut-être qualifiée d’internationale. Malgré tout, en travaillant avec des partenaires internationaux comme l’université de la Lanus en Argentine, et faisant partie de réseaux internationaux, cette association tend à s’insérer dans cette voie.

Depuis 2007, le CDH Fray Matias s’est allié avec la « Fundación para el Debido Proceso DPLF »(32) (DPLF) qui est une fondation privée, basé à Washington. Son objectif est de renforcer la primauté du droit et de promouvoir le respect des droits de l’Homme en Amérique latine, grâce à des partenariats stratégiques, des recherches scientifiques, de la communication et exerçant du plaidoyer.

Par ailleurs, il fut sollicité avec d’autres organismes de la société civile pour participer au groupe de travail sur la politique migratoire pour donner son opinion sur le règlement de la loi de la migration avant qu’elle soit fonctionnelle. En juillet 2012, le CDH Fray Matias a envoyé remarques et recommandations à ce groupe de travail dans l’espoir de voir apparaitre des modifications dans le règlement.

Dans un projet en cours d’élaboration en partenariat avec Médecins du Monde France Mission Chiapas envers les travailleuses domestiques migrantes, il est possible que le CDH Fray Matias intègre la confédération internationale « CONLACTRAHO » constituée de syndicats, d’associations et de groupes de travailleuses domestiques en Amérique Latine et aux Caraïbes. Le CDH Fray Matias ne travaillant pas seulement sur ce thème, il s’avère difficile de savoir s’il sera possible où non de l’intégrer.

2/ Déficiences de cette structure et enjeux des

ONG

La perfection n’existant pas, toute structure à des failles. Les déceler et les comprendre est un atout pour pouvoir tendre à une amélioration. Aussi, nous verrons qu’agir en toute légitimité n’est en rien aisé.

a/ Faiblesses et limites au développement de cette structure

Tout d’abord, nous pouvons relever une insuffisance d’interaction entre les employés de cette structure. Ceci donne lieu à un manque de transversalité entre les différents secteurs d’activité du CDH Fray Matias. Le secteur de recherche et celui de plaidoyer, qui sont tous deux gérés par une seule personne, ne sont que peu connectés avec le secteur de défense juridique. Aussi, les données de tous et toutes ne sont pas ou peu accessibles, du fait de la dispersion des sujets exploités. Chacun travaille de son côté sans diffuser ses informations. Il devient donc difficile d’obtenir certaines informations. La justification qui revient sans cesse est le manque de temps. Effectivement, gérer son temps est dans le monde actuel, quelque chose de particulièrement difficile. Il empêche qu’il soit préférable d’avoir des missions moins ambitieuses, qui laisseraient le temps d’établir plus de connexions entre les différents secteurs, pour arriver à une meilleure cohésion entre les différents projets appliqués. Ajoutons également, que de nombreuses des réunions internes ne sont pas préparées, il n’y a pas d’ordre du jour. Tout se déroule sous forme de table ronde ou chacun exprime ses avancées et inquiétudes. Une meilleure préparation pourrait laisser aux employés davantage de temps pour d’autres préoccupations.

Au niveau des grands changements de l’année 2012 auxquels nous avons pu assister et l’accès des employés à la sécurité sociale depuis juin dernier. Ce sujet revenait à chaque réunion dans les débats internes et a fini par voir le jour à la suite de la grossesse d’une des employés. Également, un nouveau secteur nommé « bien être social » va voir le jour durant les mois à venir, il fut planifié dans le plan stratégique triennal de l’association en mai dernier. Il permettra d’apporter une aide sociale aux personnes suivies par les avocates répondant aux problématiques de l’intégration. Un autre point serait l’intégration du Conseil Administratif dans les décisions et le travail en général du CDH Fray Matias qui jusqu’à présent ne servait qu’à gérer les questions administratives.

Également, nous pouvons indiquer qu’il y a un manque de suivi de certains volontaires impliqués dans l’organisme. Une mission leur est confiée, mais personne ne veille réellement au travail qu’ils effectuent, les laissant s’autogérer. Cela serait certainement moins gênant s’ils n’avaient pas à leur charge des responsabilités propres à des chargés de projets. Entre juin et juillet 2012, une volontaire était chargée de la réalisation de la phase deux d’un projet en cours. Devant organiser et réaliser des formations sans aucune formation. Pour notre part, nous devions chercher des financeurs entrant dans les lignes stratégiques de l’association.

Pour cela, nous avions un courriel avec lequel nous entrions en contact avec divers bailleurs de fonds sans être épaulé par la direction. De plus, nous devions réaliser des notes conceptuelles à destination d’organismes donateurs (cadre logique et rédaction de documents) qui étaient seulement relus et modifiés par la direction. Il semble plus judicieux que l’inverse soit fait dans le sens où, un volontaire devrait être dans une structure pour apprendre des outils et donc appuyer un secteur plutôt que de rédiger les prémices de certains projets ou de réaliser un projet. Il serait plus approprié, que des volontaires travaillent au côté d’un(e) coordinateur/rice plutôt que d’être pour ainsi dire, isolé.

b/ Légitimité des ONG et organismes de la société civile

Être légitime dans le champ d’action proposé par son organisme n’est pas une chose simple. Cela dépend souvent d’une multitude d’acteurs, comme le sont les bénéficiaires de tout projet, les pouvoirs en place ou encore les populations locales. De la portée des projets dépendra leur légitimité. Cela est soumis également à la portée des actions élaborées. La question de la légitimité est là encore un sujet en soi. Nous l’aborderons de façon succincte pour relever des points liant légitimité et indépendance.

Il est indéniable que les associations et ONG ont pris de plus en plus de poids dans les instances publiques et au sein de la société civile. « La question des ONG apparaît avec leur multiplication sur la scène internationale, mais surtout parce qu’elles ont aujourd’hui la capacité financière de pouvoir peser sur certains processus décisionnels. Depuis le début des années quatre-vingt-dix, elles commencent à être considérées comme les représentantes de la société civile » (KESZLER, 2004, p.1). D’une certaine manière, ce poids les rendent légitimes sans quoi, elles ne seraient pas écoutées. Par ailleurs, le besoin de peser politiquement « a prévalu pour chercher à établir un droit d’ingérence » (VERNA, 200, p.29). Cela lorsqu’un État n’est pas en mesure de faire respecter les droits de ces citoyens ou de leur venir en aide en cas de crise. Le danger est que « l’ingérence des gouvernements dans l’action humanitaire prend une importance croissante au fur et à mesure que ceux-ci se défaussent sur les ONG d’un certain nombre d’actions, mais cherchent cependant à en retirer quand même le maximum de bénéfices » (VERNA, 2007, p.40).

Ici, s’ajoute le terme « humanitaire » décrit comme le fait d’agir dans l’urgence bien qu’il reste ambivalent et qu’en fonction des définitions, beaucoup de projets sont considérés comme humanitaires. À titre d’exemple représentatif, dans le texte de 2004 d’Aoust et ses collègues, une association comme Médecins du Monde est décrite comme une ONG du domaine de l’humanitaire et, dans celui de Langlois et Tuyishime de 2007, comme relevant du domaine de la Solidarité internationale. Savoir où se trouve la frontière entre l’une et l’autre et périlleux puisque les définitions varient en fonction des interlocuteurs. À Tapachula, l’équipe de Médecins du Monde ne se considère pas comme étant un organisme humanitaire. Voilà pourquoi nous ne polémiquerons pas sur ces termes.

Par ailleurs, tout succès mené par une association de la société civile « bénéficiant d’une excellente image auprès de l’opinion publique, relayée amplement par les médias, n’a pas échappé à l’attention des dirigeants politiques » (AOUST et al., 2004, p.13). Cela s’accompagne généralement d’« une aide financière croissante » (AOUST et al., 2004, p.14). Dans les citations de Jean-Marie Aoust et ses collègues, il est question des ONG françaises. Si nous les citons, c’est qu’ils nous semblent adaptables aux ASI mexicaines. Plus les actions entreprises d’un organisme sont reconnues publiquement, plus il est aisé d’obtenir des fonds, voire de recevoir des offres de propositions de subventions. L’image est donc vectrice d’une certaine légitimité.

Comme nous l’avons constaté, il existe une grande confusion dans les textes juridiques et leur application. Face aux différents manques présentés en terme d’application de la loi, le CDH Fray Matias trouve toute sa place en essayant de les combler et de les dénoncer. Malgré tout, nous venons de voir qu’il est difficile pour une association civile d’être légitime, bien que son implication dans divers réseaux lui donne un poids non négligeable. À présent, nous allons aborder l’aspect économique de cette structure pour comprendre ce que peut pouvoir signifier, être indépendant sur ce plan.

22 http://www.comar.gob.mx/en/COMAR/Preguntas_Frecuentes
23 http://info4.juridicas.unam.mx/ijure/fed/65/134.htm?s=
24 Données du site internet de l’INM : http://www.inm.gob.mx/
25 http://www.inm.gob.mx/index.php/page/FMTF
26 Nouvel accord le 5 mai 2006 entre le Mexique et le Guatemala, le Honduras, le Nicaragua et San Salvador pour un rapatriement digne et ordonnée par voie terrestre.
27 Référence des articles sur le site : www.un.org/fr/documents/udhr/
28 Référence : http://www.oem.com.mx/laprensa/notas/n2560563.htm
29 Informations sur le site de l’association : http://www.cdhfraymatias.org/
30 Description de leur site internet : http://www.redtdt.org.mx/
31 Description sur le site internet de Sin Fronteras : http://www.sinfronteras.org.mx/index.php/es/?option=com_content&view=article&id=74:ique-es-el-foromigraciones
32 Site internet : www.dplf.org/

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