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II) Critère du sexe

ADIAL

La France comme la Belgique ont opté pour la dérogation au principe d’égalité de traitement
entre les sexes prévue par l’article 5, paragraphe 2, de la directive 2004/113/CE du 13
décembre 2004(52). Le critère du sexe pouvait alors licitement être employé comme outil de
tarification jusqu’à un arrêt retentissant de la Cour de justice de l’Union Européenne (ci-après
CJUE). En l’espèce, une association belge de consommateurs Test-Achats ASBL et deux
particuliers ont saisi la Cour Constitutionnelle Belge d’un recours en annulation de la loi
belge transposant la directive tout en usant de la possibilité de déroger au principe d’égalité
pour l’assurance sur la vie. La juridiction belge a, à cette occasion, posé une question
préjudicielle(53) à la CJUE sur la validité de la dérogation permise dans la directive eu égard au
principe d’égalité entre les femmes et les hommes consacré par ailleurs dans le droit de
l’Union par des normes de droit supérieur (articles 21 et 23 de la Charte des droits
fondamentaux notamment). La CJUE a conclu à l’invalidité de l’article 5, paragraphe 2.

La censure de l’article 5, paragraphe 2, serait imputable à l’incohérence du législateur de
l’Union européenne. La CJUE relève que « lorsque le Conseil a décidé d’intervenir pour
mettre en oeuvre le principe fondamental d’égalité de traitement entre les hommes et les
femmes, il doit oeuvrer d’une manière cohérente à la réalisation de l’objectif visé ». Analysons
le raisonnement suivi par la CJUE l’ayant conduit à conclure à l’invalidité de la dérogation.

Pour procéder à ce contrôle de validité du paragraphe 2 de l’article 5, la CJUE a opté pour une
interprétation téléologique. Pour ce faire, elle a scruté la raison d’être de la directive, sa
finalité. Aussi, l’interprétation téléologique commande de retenir le sens qui donne un effet
utile au droit de l’Union Européenne.

Ainsi, au nom du principe d’égalité, l’article 5, paragraphe 1, énonce que « l’utilisation du
sexe comme facteur dans le calcul des primes et des prestations aux fins des services
d’assurance et des services financiers connexes n’entraîne pas, pour les assurés, de différences
en matière de primes et de prestations ». « La règle des primes et prestations unisexes » est
ainsi consacrée.

En imposant un traitement identique tant aux femmes qu’aux hommes en matière d’assurance,
le législateur de l’UE a eu en tête que les hommes et les femmes sont placés dans une
situation comparable. La CJUE relève que la directive elle-même déclare que les situations
respectives des femmes et des hommes à l’égard des primes et prestations d’assurance sont
comparables. C’est ce qu’exprime le point 30 de l’arrêt lorsqu’il énonce que « la directive
2004/113 est fondée sur la prémisse selon laquelle, aux fins de l’application du principe
d’égalité de traitement des femmes et des hommes consacré aux articles 21 et 23 de la charte
[des droits fondamentaux], les situations respectives des femmes et des hommes à l’égard des
primes et des prestations d’assurances contractées par eux sont comparables. »

Conformément à la jurisprudence constante de la CJUE, le principe d’égalité exige
effectivement que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et
que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel
traitement ne soit objectivement justifié (CJUE, 16 décembre 2008 ARCELOR).

Dès lors, la CJUE déduit de la règle des primes et prestations unisexes posée à l’article 5,
paragraphe 1, que le législateur de l’Union européenne, en considérant que l’homme et la
femme sont placés dans une situation comparable, n’autorise aucun traitement différencié sauf
à avancer une justification objective.

Or, en assortissant ce principe d’une dérogation prévoyant un traitement différencié, cette
dernière contredit le postulat posé au paragraphe 1, à savoir que l’homme et la femme sont
placés dans une situation comparable.

Au regard du principe d’égalité tel que défini en droit de l’Union européenne, les paragraphes
2 et 1 de l’article 5 se retrouvent antinomiques.

La CJUE s’imprègne du choix politique opéré par le législateur de l’UE, dont l’objectif à
terme était d’atteindre l’égalité hommes-femmes même en matière d’assurance, et ce
abstraction faite des spécificités du mécanisme assurantiel. L’intention de la Commission
européenne, dans sa proposition de directive de novembre 2003, était de prohiber toute
utilisation du critère du sexe comme facteur de calcul des primes et des prestations dans les
assurances visées par cette initiative législative (article 4). Quant à la dérogation prévue au
paragraphe 2 de l’article 5, elle a été obtenue par le lobbying de l’industrie européenne de
l’assurance. C’est donc « sous l’influence de groupe de pression, et sans doute au nom du
compromis interinstitutionnel, que le Conseil de l’Union a juxtaposé à l’expression du
principe d’égalité des sexes affichée à l’article 5, paragraphe 1, une dérogation au paragraphe
2 de ce même article, ce qui revient en définitive à « détricoter » ce principe, ainsi que le
confirme le fait que les vingt-sept Etats membres ont usé, certes dans des proportions
variables, de cette dérogation. Tel est le grief principal formulé par la Cour de Justice :
affirmer un principe et autoriser dans la foulée à le nier relève d’une maladresse législative
plutôt grossière, revenant à reprendre d’une main ce que l’on a donné de l’autre»(54).

L’incohérence du législateur de l’Union européenne provient du fait que cette dérogation
n’est assortie d’aucune limitation temporelle, ce qui conduit à maintenir de manière pérenne
la contrariété entre le principe posé au paragraphe 1 et son contraire au paragraphe 2.

Si l’homme et la femme sont considérés comme étant placés dans une situation comparable,
aucun traitement différencié n’est justifiable, à moins que ce traitement puisse objectivement
être fondé. Malgré leur similitude, ils peuvent être traités différemment s’il existe une
justification objective.

La CJUE aurait pu également estimer que le traitement différencié autorisé par la dérogation,
prévue au paragraphe 2 de l’article 5 de la directive de 2004, se justifiait objectivement par
l’usage des statistiques, données actuarielles précises et pertinentes, lesquelles illustrent d’une
manière objective la différence de degré d’exposition au risque selon le sexe. Imputer une
subjectivité aux chiffres semble impossible. Tirer des chiffres le signe d’une quelconque
subjectivité paraît divinatoire. Les statistiques peuvent en effet fonder objectivement une
différence de traitement des assurés en considération de leur sexe, dans la mesure où,
objectivement démontré par les statistiques, le degré d’exposition au risque varie selon que
l’on est une femme ou un homme. Ainsi, la CJUE aurait pu conclure à la validité du
paragraphe 2 de l’article 5.

Or, tel n’a pas été son parti pris. « Les juges européens ont su tirer profit de cette incohérence
interne pour s’épargner un débat difficile […] sur les vérités statistiques de l’assurance
vie ».(55)

Cette voie ne fut pas celle empruntée par la CJUE parce qu’elle n’aurait pas conduit à une
solution cohérente, et surtout parce qu’elle aurait conduit à remettre en cause la validité de la
règle des primes et prestations unisexes posée au paragraphe 1 de l’article 5.

En admettant la validité du paragraphe 2 de l’article 5, la légitimité statistique des
différenciations entre les femmes et les hommes en assurance aurait certes été admise, mais au
prix d’une mise en cause implicite de la règle des primes et prestations unisexes. Or, la
validité de cet article 5, paragraphe 1, n’a pas été soumise au contrôle de la CJUE.
Quant à la possibilité de justifier ce traitement différencié objectivement au moyen des
statistiques, elle n’était pas réalisable, parce que la directive n’ouvrait la faculté de déroger à
la règle des primes et prestations unisexes (en se fondant sur les statistiques) qu’aux Etats
n’appliquant pas encore, au moment de l’adoption de la directive, des primes et prestations
identiques aux femmes et aux hommes. La quatrième phrase du considérant 19 de la directive
2004/113 énonce expressément que « les dérogations ne sont autorisées que lorsque le droit
national n’a pas déjà appliqué la règle des primes et prestations unisexes. » Dès lors, selon le
type d’assurance, certains États ne pouvaient pas bénéficier de la clause d’opting-out alors
que d’autres le pouvaient. Par conséquent, dans certains États membres, les hommes et les
femmes peuvent être traités différemment au regard d’un produit d’assurance, alors que dans
d’autres, ils doivent être traités de la même manière en ce qui concerne ce même produit.

Ensuite, le but de la directive consiste à aboutir, à terme, à l’application uniforme du principe
d’égalité tout en admettant que les situations des hommes et des femmes sont comparables
même en matière d’assurance. Il est alors logique que les Etats membres qui pratiquent déjà la
règle des primes et prestations unisexes ne puissent pas recourir à la dérogation. Ouvrir cette
dérogation aurait été une régression au regard de l’objectif pour les Etats pratiquant déjà la
règle des primes et prestations unisexes. La limitation de la possibilité de déroger aux seuls
Etats ne pratiquant pas la règle de prestation unisexe est justifié et logique.

Il n’est pas admissible que certains Etats ne pratiquant pas la règle de primes et prestations
unisexes puissent bénéficier d’une dérogation qui leur est ouverte alors que les Etats
appliquant déjà la règle des primes et prestations unisexes en sont privés.

L’incohérence naîtrait du fait qu’alors que le principe d’égalité aurait dû à terme être pratiqué
dans toute l’UE, il ne le serait qu’en partie faute de limitation temporelle à la dérogation
ouverte aux seuls Etats ne pratiquant pas la règle de primes et prestations unisexes.

Dans cette perspective, on comprend davantage ce qui a conduit la CJUE à conclure à
l’invalidité de la dérogation plutôt qu’à admettre qu’un traitement différencié se justifierait
objectivement au moyen des statistiques. On conçoit qu’il était difficile pour la CJUE
d’affirmer qu’une telle différenciation se justifie objectivement, via des statistiques, dans
certains Etats alors qu’elle est prohibée dans d’autres.

Mais encore une fois, l’incohérence provient de la maladresse du législateur de l’UE lequel,
en voulant trouver un compromis entre les professionnels et les principes UE, s’est
embrouillé.

A présent, quel que soit le motif qui a amené la CJUE à conclure à l’invalidité du paragraphe
2 de l’article 5, une chose est certaine : ce faisant, est (implicitement mais nécessairement)
remise en cause la légitimité statistique des différenciations en assurance, au moins en ce qui
concerne les statistiques fondées sur le sexe.

Le secteur des assurances a ainsi assisté à l’émergence et à l’essor du principe d’égalité entre
les assurés, ce qui lui a valu une remise en cause de la légitimité de différencier les primes et
tarifs en se fondant sur les statistiques établies en fonction du sexe. Cette évolution amorce
nécessairement un processus d’adaptation de l’industrie européenne de l’assurance au
principe susvisé (Partie II).

52 Directive 2004/113/CE du Conseil du 13 décembre 2004 mettant en oeuvre le principe de l’égalité de
traitement entre les femmes et les hommes dans l’accès à des biens et services et la fourniture de biens et
services.
53 Le renvoi préjudiciel permet aux juridictions des États membres, dans le cadre d’un litige dont elles sont
saisies, d’interroger la Cour sur l’interprétation du droit de l’Union ou sur la validité d’un acte de l’Union. La
Cour ne tranche pas le litige national. Il appartient à la juridiction nationale de résoudre l’affaire conformément
à la décision de la Cour. Cette décision lie, de la même manière, les autres juridictions nationales qui seraient
saisies d’un problème similaire.
54 J-M BINON, 21 décembre 2012 : L’ « apocalypse maya » pour le sexe en assurance ?, RDC mars 2012, Larcier,
p 220 et suivants.
55 J-M BINON, 21 décembre 2012 : L’ « apocalypse maya » pour le sexe en assurance ?, RDC mars 2012, Larcier,
p 224.

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