Gagne de la cryptomonnaie GRATUITE en 5 clics et aide institut numérique à propager la connaissance universitaire >> CLIQUEZ ICI <<

CONCLUSION GENERALE

Non classé

L’abrogation d’une Constitution est toujours considérée comme un acte fort(259). C’est tout à la fois le rejet d’un système politique et la manifestation d’un désir de changement.

D’où, l’abrogation d’une Constitution est un phénomène de rupture. La République d’Haïti n’échappe pas à cette réalité. La plupart de nos Constitutions ont été abrogées. A titre indicatif, après la chute du régime des DUVALIER, en Février 1986, la majeure partie de la population n’a pas voulu que soit possible la restauration du statu quo ante, vu la haute portée symbolique de la chute et la soif de démocratie. Ainsi, fallut-il marquer, par un signe fort, cette volonté de rupture. La ratification d’une nouvelle Constitution en Mars 1987 a été l’expression formelle de cette volonté de rupture.

Voulant tenir compte des aspirations légitimes de la majorité de la population, les constituants de 1987 ont cru devoir, par tous les moyens, tenter d’éviter le retour au présidentialisme traditionnel pour éviter toute dérive dictatoriale. Donc, à l’origine, l’intention est bonne. Cependant, la manière de procéder pose problème. Des anomalies ont été tentées d’être corrigées par d’autres anomalies.

En effet, au lieu de chercher les équilibres manquants dans les régimes antérieurs, les constituants de 1987 ont préféré quitter un extrême pour se diriger vers l’autre. Ils ont instauré un parlementarisme absolu, s’appuyant sur le fait qu’il est plus facile à un seul homme, doté d’un pouvoir fort, d’instituer le despotisme. C’est là oublier les méfaits du phénomène de l’obstruction parlementaire, de celui de la paralysie parlementaire ou encore de celui de la dictature parlementaire.

Le système institutionnel retenu sous le régime constitutionnel de 1987 se caractérise par la prééminence du Parlement et l’esprit du texte constitutionnel trahit une méfiance à l’égard de la fonction présidentielle. D’une façon ou d’une autre, les pouvoirs les plus importants du Président de la République sont teintés de l’influence et du contrôle du Parlement, alors que les deux sont issus du suffrage universel direct. D’ailleurs, on pourrait même présumer une plus forte légitimité du Président de la République, par rapport aux parlementaires, puisque celle du Président de la République a une portée nationale. De plus, le bicéphalisme exécutif est organisé de manière à transférer le pouvoir réel au Premier Ministre.

En même temps, le Gouvernement, dirigé par le Premier Ministre, est mis sous tutelle des Assemblées parlementaires qui peuvent le faire et le défaire sans s’inquiéter d’une possible dissolution.

Comme si tout cela n’était pas suffisant, les constituants de 1987 ont accordé une puissance législative illimitée au Parlement, jusqu’à lui permettre implicitement d’étendre le champ de ses attributions par la voie législative ordinaire, alors qu’il a une bonne maîtrise de la procédure législative.

L’absence de moyens d’action décisifs de l’Exécutif sur la procédure législative favorise le phénomène de la paralysie parlementaire et celui de l’obstruction parlementaire.

En effet, la procédure législative, telle que tracée dans ses grandes lignes par la Constitution, ne permet pas au Gouvernement d’écarter le principe de la spécialité du vote, même dans le cas d’un projet de loi d’une extrême importance pour lui. L’hypothèse classique de l’habilitation législative est inenvisageable, même pour permettre au Gouvernement d’exécuter son programme. L’inaction du Parlement n’est pas sanctionnée même dans un domaine très stratégique et prioritaire qu’est le budget national. Pourtant, le Législateur est incontournable en matière législative ; même le Peuple n’est pas appelé à collaborer à l’élaboration de la loi.

Le nouveau régime institué devait servir de repoussoir aux visées totalitaires du Président de la République, pour protéger les libertés fondamentales, la démocratie, l’alternance politique, le pluralisme politique et idéologique que l’on entendait instituer. Il faut reconnaître, par souci d’objectivité, que la toute-puissance accordée au Parlement ne met pas en cause, a priori, l’alternance politique, le pluralisme politique et idéologique.

Cependant, elle paraît attentatoire à la démocratie libérale. Le Peuple participe peu à la vie politique et le niveau de protection des libertés fondamentales laisse à désirer.

Une protection assurée de la Constitution de 1987, en tant que code des Pouvoirs publics et charte des libertés, constituerait « un minimum démocratique vital ». Se hissant au sommet de la hiérarchie des normes juridiques, son règne devrait succéder à celui de la loi. Or, la souveraineté parlementaire débouche sur la mise sous tutelle de la Constitution.

Cette souveraineté parlementaire trouve, essentiellement, son expression dans la non limitation des attributions du Sénat et de la Chambre des Députés, dans l’inefficacité du contrôle de constitutionnalité des lois, dans l’absence de contrôle de constitutionnalité des traités internationaux et dans le non encadrement de l’organisation et du fonctionnement des Assemblées.

Le régime constitutionnel de 1987 fait du Parlement l’épicentre du régime et lui accorde, en quelque sorte « la compétence de sa compétence ». En plus de pouvoir se donner compétence en cas de vide juridique, rien ne l’empêche d’empiéter sur les pouvoirs de l’Exécutif, puisqu’aucune sanction du partage des compétences entre les Pouvoirs publics n’est instituée. Donc, le principe de la Séparation des Pouvoirs consacré par la Constitution de 1987 paraît un vain mot. Pour qu’il y ait Séparation des Pouvoirs, il faut que les compétences des divers Pouvoirs publics soient fixées et que le partage des compétences soit sanctionné. Or, dans le régime actuel, il revient au Parlement de s’autolimiter. A fortiori, il paraît inconcevable de parler de sanction de partage des compétences. En ce sens, le Parlement détient la clé de la stabilité du schéma institutionnel du régime.

Les débordements éventuels des pouvoirs du Parlement pourraient être relégués au rang des abstractions si le contrôle de constitutionnalité des actes du Parlement était d’une efficacité à toute épreuve. Or, à ce sujet, la Constitution a fixé des limites et permet en même temps au Parlement de les dépasser. Par conséquent, le problème reste entier. La Constitution de 1987 est affirmée comme la norme suprême de l’Etat, mais les mécanismes de garantie de cette suprématie laissent à désirer. Dans ces conditions, la hiérarchie des normes juridiques est sinon tombée, du moins ébranlée.

Pourtant, l’importance réelle des droits fondamentaux se mesure à travers l’efficacité du contrôle de constitutionnalité et l’existence d’un Etat de droit s’accompagne obligatoirement d’une hiérarchie des règles juridiques(260). « L’Etat de droit implique l’existence d’un ordre juridique hiérarchisé au sommet duquel se trouve la Constitution (…) et l’existence d’un système de contrôle garantissant le respect de cet ordre juridique par toutes les autorités de l’Etat »(261). Par voie de conséquence, l’Etat de droit, en Haïti, est sinon un projet, du moins une construction inachevée.

En outre, on a vu que si le régime arrive à fonctionner dans la continuité institutionnelle, on peut doublement craindre des dérives dictatoriales du Parlement. D’ailleurs, à ce moment, on aura vu toutes les manifestations de sa toute-puissance. Par voie de conséquence, le choix n’est pas facile entre faire fonctionner le régime tel quel dans la continuité institutionnelle pour respecter la Constitution, et attendre que la Constitution soit amendée pour borner les pouvoirs du Parlement avant de prôner la continuité institutionnelle.

A priori, on ne peut pas avoir l’audace de se prononcer contre le respect de la Constitution, en dépit de ses failles. Par contre, on ne peut non plus faire l’autruche. La Constitution de 1987 a besoin d’être amendée pour corriger ses faiblesses, notamment, la portée illimitée des pouvoirs du Parlement et la quasi-absence de contrôle de ses actes, causant ainsi la fragilisation de l’autorité de la Constitution, donc de l’Etat de droit.

C’est le cas de dire que le vers est dans le fruit. La chute du Président Jean-Claude DUVALIER, en 1986, devrait être la chute d’un système idéologico-politique. La majorité du Peuple aspirait à l’Etat de droit pour ne plus avoir à subir l’arbitraire des gouvernants. Le Peuple a ratifié massivement le texte constitutionnel, le 29 Mars 1987, dans l’espoir de voir instaurer à jamais dans le pays un Etat de droit. Cependant, vu la toute-puissance accordée au Parlement, le régime constitutionnel de 1987 paraît plus instaurer un Etat légal qu’un Etat de droit ou, plus précisément, un Etat de droit constitutionnel.

La toute-puissance accordée au Parlement empêche la réalisation de l’Etat de droit. On pourrait même s’intéresser spécifiquement, dans le cadre d’un travail de recherche, à la question de savoir si la souveraineté du Peuple n’est pas confisquée par ses délégués au Parlement.

Nous ne sommes pas d’avis que le choix du parlementarisme absolu soit la meilleure façon de contourner les dérives dictatoriales. Certes, il a fallu couper court au présidentialisme traditionnel, car l’omnipotence du Président de la République frisait souvent la dictature.

Cependant, l’omnipotence accordée au Parlement jusqu’à fragiliser la suprématie de la Constitution, n’en est pas moins compromettante. Quoi qu’il soit difficile de demander à un Pouvoir politique de réviser une Constitution pour limiter, voire encadrer ses pouvoirs, nous proposons un déclenchement rapide de la procédure d’amendement fixée dans la Constitution de 1987 en vue de parvenir à l’améliorer. Dans cette démarche, on devrait s’intéresser en premier lieu à instaurer effectivement un Etat de droit, au sens plein du terme ; quitte à mettre en œuvre, par la suite, dans la pratique politique, le cadre constitutionnel proprement dit.

Cela passe par des mécanismes effectifs de garantie de la suprématie de la Constitution dans la hiérarchie des normes juridiques. Pour arriver à cela, il aura fallu instituer une Cour constitutionnelle non intégrée dans l’ordre judiciaire. Nous rappelons que le juge constitutionnel est le gardien de la suprématie du Peuple sur ses délégués. Il est déjà très difficile, sur le plan théorique, à classer le juge constitutionnel dans l’un ou l’autre des trois grands Pouvoirs de l’Etat, ou encore à le situer par rapport aux trois Pouvoirs. Comment juger concevable qu’une juridiction de l’ordre judiciaire puisse faire office de juge constitutionnel ?

Cette Cour constitutionnelle aura exercé son contrôle de constitutionnalité a priori. Elle devra être obligatoirement saisie, avant la promulgation de la loi, avant la publication du règlement intérieur respectif des Assemblées et avant l’adoption du décret de ratification des traités, par le Président de la République ou le Président du Sénat ou encore celui de la chambre des Députés suivant les modalités qu’une loi d’application viendra fixer.

Les juges qui devront siéger à cette Cour doivent être recrutés par la voie de concours et présélectionnés parmi les avocats et les juges ayant marqué leur passage dans le métier du droit tant par leur dextérité que par leur probité tout au long de leur longue carrière de professionnels du droit.

De plus, nous proposons ardemment que le régime soit rationalisé, pour que le Parlement ne puisse pas empêcher au Gouvernement de gouverner sans qu’il ne gouverne à sa place. Ainsi, on aura mis fin à la puissance législative du Parlement. Par ailleurs, les compétences des Pouvoirs institués auront été limitativement fixées et le partage des compétences entre les Pouvoirs publics constitutionnels aura été sanctionné.

Le Peuple devra participer plus activement à la vie politique, notamment, par le référendum législatif, le référendum constituant et en pouvant trancher les conflits irréductibles entre les Pouvoirs publics constitutionnels.

Loin de prétendre avoir souligné tout ce qui devrait être fait pour avoir un régime plus démocratique et libéral ; et très loin de prétendre que la position suivante reflète une doctrine unanime, nous avons jugé quand même utile de rappeler que le professeur Monferrier DORVAL a fait valoir : « L’omnipotence parlementaire est incompatible avec les fondements de l’ordre juridique et peut se révéler dangereuse pour les libertés(262) ». Ce point de vue fait chorus avec l’ensemble de ce qui a été démontré dans ce travail de recherche académique.

C’est le cas de dire que l’hypothèse de départ est bel et bien confirmée. Une meilleure protection des libertés fondamentales contre l’arbitraire des gouvernants passe par l’institution de mécanismes effectifs de garantie de la suprématie de la Constitution, mais non par un sur-encadrement de l’Exécutif au profit d’un Parlement tout-puissant.

259 Philippe ARDANT parle d’ « événement exceptionnel », Institutions politiques Droit constitutionnel, op. cit., page 97.
260 BARILARI, GUEDON 1994, op. cit., pages 37 et 57.
261 Idem, page 20.
262 Propos tenus lors d’un colloque international organisé à l’Université Quisqueya les 28 et 29 Avril 1997 sous le thème la Constitution et les droits de l’homme.

Page suivante : BIBLIOGRAPHIE GENERALE

Retour au menu : La puissance quasi-illimitée du Parlement et la fragilité de la suprématie de la Constitution de 1987