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Conclusion

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Brest est une ville de composition récente, atteignant son apogée à la veille de la Révolution. Toutefois, sa morphologie physique et économique, encastrée dans ses remparts et soumise aux décisions de la Marine, fait que c’est une ville qui a connu, tout au long du XIXe siècle, différentes périodes d’activités plus ou moins intenses, allant du bouillonnement à la quasi-léthargie. Très vite, en raison de sa dépendance aux activités militaires maritimes, elle fut qualifiée de cité coloniale. Ce fait est très clair dans la correspondance du XIXe siècle, même si le caractère colonial de la ville est quelquefois nuancé et ne concerne que tel ou tel aspect, mais Yves Le Gallo sera le premier, à la fin des années 1960, à théoriser ce sujet. Pour lui, Brest est une colonie française de part ses caractéristiques sociales, économiques, historiques, géographiques, politiques, religieuses et linguistiques. Toutefois, certains documents, dont l’accès s’est particulièrement facilité depuis cette étude grâce aux nouvelles technologies, tendent à nuancer quelque peu cette théorie. En effet, le caractère colonial de la ville n’est pas aussi marqué qu’il y paraît lorsqu’on s’intéresse à la population. Il n’existait pas de relation colons-indigènes comme a pu le prétendre Yves Le Gallo. Une noblesse et une bourgeoisie bretonne étaient bien présentes à Brest et l’organisation maîtres-domestiques n’y était pas différente des autres villes de Basse-Bretagne.

Aussi, la cité brestoise n’était pas un îlot linguistique français dans un océan de breton. La municipalité, dès le début du XIXe siècle, ressentait le besoin de communiquer en breton, même si le langage utilisé revêtait une valeur toute symbolique. En effet, les proclamations devaient être lues à haute voix mais, étant donné le vocabulaire politique et administratif qu’elles contenaient, le message transmis était certainement très mal compris.

Lors des élections de 1869, la municipalité de Brest a reçu dans son matériel électoral une affiche rédigée en breton celle-ci est rédigée dans un breton beaucoup plus proche du langage utilisé par la majorité de la population rurale et ce document était compréhensible par tous. La presse locale a aussi fait paraître quelques articles en breton, notamment entre 1858 et 1862 et était également le relais des maisons d’éditions brestoises en termes de publicité. La plupart des ouvrages édités en langue bretonne ou traitant de la compréhension de la langue bretonne (grammaire, conjugaison, vocabulaire) bénéficiaient d’une bonne publicité dans les pages de l’Océan. Ces ouvrages servaient certainement aux membres des sociétés savantes de Brest pour mener à bien certains travaux de traduction parus dans les bulletins annuels de ces mêmes organisations tout au long du XIXe siècle.

La langue bretonne dans la vie publique brestoise ne s’arrête pas à l’affichage, à la presse et à l’édition. S’il n’est pas possible de mettre en évidence une quelconque utilisation de la langue bretonne dans l’instruction laïque à Brest, nous pouvons affirmer qu’elle était bien utilisée dans l’instruction religieuse, y compris dans la marine militaire. De plus, si la paroisse de Saint-Sauveur, dont dépendait Recouvrance, était majoritairement bretonnante, il y a aussi eu des souhaits de messes en breton à l’intérieur des murs de Brest (rive gauche). Il restait toutefois à déterminer quelle population parlait breton.

La société brestoise du XIXe siècle était composée d’une grande majorité de femmes mais c’était les hommes qui étaient aux affaires. L’arsenal, qui employait en moyenne près de 5 000 personnes, était le premier employeur brestois, au coude-à-coude avec la bourgeoisie qui avait à son service plus de 4 700 domestiques. La domesticité était donc très présente à Brest. Les membres de cette dernière viennent des communes rurales du Finistère, les femmes venant avec leur costume, leur culture et leur langage. C’était même ce qui les caractérisait : une femme en costume à la mode de Bretagne, si elle n’était pas commerçante, était domestique. De plus, une bourgeoisie bretonne existant à Brest, nous pouvons supposer que cette dernière n’avait aucune difficulté à prendre à son service une population bas-bretonne. Toutefois, cette société brestoise du début du XIXe siècle va connaître des bouleversements, conséquence de la métamorphose du visage urbain de la cité. La ville va s’étendre hors de ses murailles et absorber petit à petit une population rurale : la population municipale brestoise va donc voir son nombre de locuteurs bretonnants s’accroître. Mais cette population n’a pas le monopole de la langue bretonne.

En effet, certains notables de la ville, membres de la bourgeoisie, sont sociétaires des sociétés savantes de Brest, telle la Société d’Émulation ou la Société Académique. Ceuxci, de par leurs parcours ou leurs travaux, ne pouvaient ignorer la langue bretonne. Certains, par exemple, étaient membres de l’association pour le progrès agricole et devaient pouvoir communiquer avec la population paysanne ; d’autres étaient des figures savantes de la recherche consacrée à la langue bretonne. Par ailleurs, les ouvriers de l’arsenal venaient des communes rurales voisines de Brest et des presqu’îles de la rade.

Cette population rurale bretonnante est devenue une population ouvrière citadine qui a su s’adapter à ce changement. Son apprentissage du français s’est fait sur le tas et leur langage, mélange de termes maritimes et de quelques mots et expressions bretonnes « francisés » a fait naître un parler français local qui est devenu un signe d’appartenance à une communauté ouvrière citadine prolétaire.

Par conséquent, définir Brest comme une colonie française composée d’une élite francophone ayant une prééminence sur un prolétariat bretonnant est une méprise qui ne résiste pas à l’observation de la sociolinguistique historique.

Cette étude traite exclusivement du XIXe siècle. Mais que c’est-il passé par la suite ? Quelles ont été les répercutions des deux guerres mondiales sur le paysage social et linguistique de Brest ? Quel a été le rôle de la reconstruction, qui a été l’occasion de recréer la ville et faire table rase du passé, dans la perte ou non de locuteurs bretonnants ? Quelle a été l’évolution de la langue bretonne et de l’idiome de l’arsenal tout au long du XXe siècle et comment ces langages sont-ils perçus aujourd’hui ? Ces quelques questions – il en existe sans aucun doute une quantité d’autres – pourront faire l’objet d’une suite à ce travail et permettraient de définir quelle a été l’évolution des pratiques du breton et de l’idiome de l’arsenal à Brest depuis la fin du XIXe siècle jusqu’à nos jours.

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