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Comptes-rendus d’entretiens avec des experts*

Non classé

« Le fardeau supporté en groupe est une plume »

Proverbe maure

Dr Serge Reingewirtz

Président de la Société Française de Gériatrie et de Gérontologie d’Île-de-France
Médecin Chef de la Maison de Retraite et de Gériatrie de la Fondation Rothschild (AP-HP, Paris)

Les personnes âgées de la communauté Israélite

Il existe 8 établissements en France proposant un accueil spécifique pour les personnes de la
communauté israélite. La population des personnes israélites de plus de 75 ans, était estimée en 2008 à
11 000 personnes dont un tiers relèverait d’EHPAD. Les spécificités de l’offre mise en avant
concernent : le respect des fêtes religieuses, le lieu de culte, le respect des règles alimentaires et des
accompagnements spécifiques pour les victimes de la Shoah.† Suivant le site du Fonds Social Juif
Unifié : « La question de la vie juive en EHPAD prend alors tout son sens dans une approche même
thérapeutique de la personne. »

Concernant les règles alimentaires, elles sont multiples et complexes : espèces animales illicites (porc,
lapin…), règles liées à l’abattage, à l’extraction de parties interdites, à l’accommodage, aux mélanges,
aux jours saints, à la préparation par des personnes de confession juive…9

Présentation de la Maison de Retraite et de Gériatrie :

L’EHPAD a été fondé il y a 150 ans par la famille Rothschild pour venir en aide aux personnes les plus
démunies, dont celles issues de la communauté juive. Cette création s’inscrivait dans un contexte où
deux communautés étaient déjà fortement implantées pour secourir « leurs pauvres » (protestante et
catholique, notamment avec Les Petites soeurs des pauvres) Depuis la fondation a été cédée pour un
franc symbolique à l’Assistance Publique Hôpitaux de Paris (APHP) afin de devenir un établissement
public au conseil d’administration plus ouvert. L’établissement comprend 510 lits.

Signataire d’une convention tripartite depuis 2003 et habilité à l’aide sociale, certains usages perdurent
toutefois, comme en témoigne cette présentation sur le site internet de l’établissement :
« L’établissement est ouvert à toute personne, sans discrimination quelle que soit sa race ou sa religion.
Mais il respecte la tradition juive avec la célébration du Shabbat et des fêtes religieuses. Une
synagogue, ouverte sur l’extérieur, permet la célébration des offices au quotidien. La restauration
respecte les règles de la cacherout et il est interdit d’apporter et de consommer des denrées non
cachères dans les espaces communs »

De nos jours, environs 70 à 80 % des personnes accueillies sont d’origine juive.

Entretien

Pour le Dr Reingewirtz, il n’est certainement pas facile d’aborder un tel sujet, et pour sa part, c’est la
première fois qu’il est amené à s’exprimer sur ce point, bien que les questions posées lui semblent
particulièrement pertinentes.

La persistance d’une communauté majoritairement israélite, est attribuable aux missions qui étaient
celles à l’origine de la fondation, mais aussi à l’image positive dans la communauté dont jouissent les
établissements hospitaliers créés par la famille Rothschild (de la maternité à l’EHPAD), et à la croyance
fortement enracinée dans les esprits des professionnels qu’il s’agit d’un établissement réservé aux
personnes de confession israélite.

L’une des particularités architecturales demeure la présence d’une synagogue en fonctionnement et
ouverte sur l’extérieur. Mais malgré la possibilité d’un lien intergénérationnel, on remarque que peu de
résidents la fréquentent véritablement.

Quant à l’alimentation cachère (notamment sans porc, ni lapin), cela peut s’avérer un véritable frein
culturel à l’ouverture sur d’autres publics, même s’il est possible de consommer d’autres aliments dans
les espaces privés. Toutefois, la mise en garde lors d’une visite médicale d’admission, est parfois perçue,
y compris par des travailleurs sociaux, comme une façon insidieuse d’écarter d’autres publics. Aussi, de
tels établissements préfèrent ne pas trop mettre l’accent sur les règles alimentaires. Tout au plus, préciset-
on lors de l’admission qu’il existe une forte communauté israélite pour limiter les réactions
antisémites. Certains l’acceptent dans un premier temps, pour le contester une fois admis, plongeant la
direction dans l’embarras.

Bien sûr, il est possible pour tout EHPAD de commander des repas cachères, ce qui inclus les couverts
pour les plus orthodoxes. Mais dans l’état actuel des contraintes qui pèsent sur ceux-ci, lesquels seraient
véritablement prêts à s’engager dans une telle démarche ? D’autant que cela a un coût, et l’on peut
toujours s’interroger sur le financement de ce surcoût. Est-ce à la collectivité de prendre en charge ces
dépenses supplémentaires (ce surcoût est négligeable lorsque le type d’alimentation est le même pour
tous les résidents) ?

D’autres sujets peuvent s’avérer délicats comme la célébration des fêtes, même si le fait de toutes les
célébrer quelque soit la religion ou la culture, pourrait être l’occasion d’animations festives et variées
tout au long de l’année. C’est une opportunité pour renforcer les liens par une meilleure connaissance
réciproque. Ainsi, la question d’un sapin de Noël s’est avérée délicate, alors même que la fête de Noël
s’est largement déchristianisée. Un tel établissement à pu trouver une parade, en remplaçant le
controversé sapin par un « marché de Noël » plus consensuel, et sans doute plus conforme à l’esprit du
citoyen consommateur. Mais le débat est rarement le fait d’un échange, d’un partage avec l’ensemble du
personnel, des résidents ou de leur famille. Cet arbitrage est trop souvent laissé à la seule appréciation
du directeur qui examinera d’abord la situation au regard de ses propres convictions, puis de celles de
l’institution, de l’usager et enfin des réactions possibles des familles.

La tendance actuelle, dans le médico-social, est de mettre plutôt l’accent sur les prestations, et sur les
valeurs individuelles. Les lois de 2002 et 2005, dont la Charte des droits de la personne accueillie, ont
consacré l’usager en tant que consommateur ayant des droits. Cet aspect est à mettre en lien avec une
tendance sociétale à la victimisation où chacun peut se sentir spolié et exploité par « l’Etat ». Dès lors, la
minimisation des risques judiciaires est un objectif impératif pour l’institution, ce qui ne veut pourtant
pas forcément dire « zéro risque » pour la personne âgée. On observe un calibrage des interventions et
de la gestion des établissements.

La tentation est donc grande d’écarter toutes aspérités, de gommer les différences, les signes distinctifs.
Pourtant, lutter contre le communautarisme, c’est d’abord accueillir la différence. Le Dr Reingewirtz a
visité en Israël, un établissement privé lucratif recevant des financements publics qui accueillent des
personnes juives, chrétiennes et musulmanes. La structure fonctionne plutôt bien depuis des années, sans
problèmes particuliers. Toutefois, la prévention de tout risque de confrontation entre ces publics, en
reléguant une partie de la vie et de la personnalité de ses résidents à leurs espaces privatifs, fait perdre un
peu de ce qui constitue la vie et la dynamique d’un groupe à travers sa diversité.

Mais que veut la personne âgée ? Et que cherchent les personnes qui font le choix d’entrer dans un
établissement ayant une forte orientation communautaire ? C’est avant tout une culture plus qu’une
religion. Pour certains, il s’agit de « Venir chez les miens ». Certaines familles annoncent à leur parent :
«Tu verras, tu seras bien. Ici, il y a des gens du quartier » : une façon de chercher à atténuer le
sentiment de culpabilité.

Mais qu’est-ce que « les miens » quand sont présents, comme à la Fondation, près de 30 nationalités
parlant une vingtaine de langues ? Qu’est-ce qui est commun ? Ce serait, pour le Dr Reingewirtz, cette
tradition juive qui respecte l’autre et porte en elle une valorisation de l’échange et du partage.

Une tradition qui serait donc loin de menacer les règles inhérentes à la laïcité, aux valeurs républicaines
puisque dans le judaïsme, « la loi est avant tout celle du pays» dès lors qu’elle ne s’attaque pas aux
croyances des individus. On pourrait même y voir une voie d’intégration.

Mais on vient y chercher aussi, comme dans tout EHPAD, la sécurité, la réassurance, une présence
tendre, chaleureuse et familière. Ceux qui ont une famille la réclament, ceux qui n’en ont pas la
recherche dans le personnel. Ce qui n’est pas simple à gérer si l’on veut respecter la nécessaire distance
que les professionnels sont tenus de maintenir dans leurs rapports avec les usagers. Quant aux familles,
leur demande serait plutôt : « Occupez-vous en bien mais ne prenez pas ma place !»

Certes, il peut arriver que la personne vienne avec son intolérance, mais elle va surtout tester le degré de
confiance qu’elle pourra avoir. Et ce test prend la forme d’un questionnement sous-jacent : « Est-ce que
tu sais quelque chose de moi ? » Le Dr Reingewirtz se souvient d’une résidente qui avait gommé toute
trace de judéité jusque dans son nom et qui refusait d’être considérée comme telle. Au bout de quelques
temps, à la faveur d’un reportage sur les victimes de la Shoa, elle choisit spontanément de témoigner, à
la grande surprise de tous. Pendant toute sa vie, le traumatisme était resté aussi vif que pendant les
années d’occupation, et c’est dans ce cadre sécurisant qu’elle avait pu reprendre confiance, car de tels
traumatismes sont certainement l’une des caractéristiques de cette communauté.

Dans une optique plus large, on peut dire que c’est un sens de la vie qui est recherché, car « quand les
gens ne trouvent plus de sens à leur vie, ils finissent par s’en aller. »

Pour qu’un établissement fonctionne harmonieusement, plusieurs points sont importants : définir le
public que l’on reçoit, avoir « un croire », savoir rappeler constamment les limites.

Les missions et les limites des EHPAD n’ont jamais étaient fixées précisément, peut-être parce que cela
impliquait de mettre en face les moyens nécessaires. A qui s’adressent les EHPAD et jusqu’où accueillir
quand 90% des établissements n’ont pas d’infirmière de nuit ? Pourtant il n’est pas possible de
construire un projet d’établissement sans définir le public que l’on accueille. La gestion du
multiculturalisme à un coût, et même un surcoût, comme on le voit dans les pays qui reconnaissent les
communautés et acceptent de prendre ces besoins en compte.

« Le croire », c’est affirmer ses valeurs, avant tout dans la République et dans le service public. Ce qui
constitue en soi une véritable religion. Quant on a peu de moyens et que l’on fait un métier peu lucratif,
il est essentiel pour l’équipe d’être sur d’autres valeurs. L’affirmation des valeurs républicaines est
souvent négligée dans les établissements publics.

Toutefois, il incombe au Directeur de percevoir rapidement les débordements et de continuellement
rappeler les limites. Il existe des juifs racistes anti-noirs, comme il existe des professionnels antisémites,
et il est même arrivé de retrouver des croix gammées sur les murs intérieurs de l’établissement.

Il ne semble pas y avoir eu d’évolution dans les demandes communautaires. La plupart des personnes
accueillies sont nées dans les années 30 et 40, donc avec des schémas mentaux sans doute différents des
générations suivantes. Les EHPAD communautaires ne sont pas non plus une nouveauté : il y en a eu
pour les artistes, les ouvriers du bâtiment, les Russes… sans parler des catholiques et des protestants. Au
départ, ce sont sans doute les promoteurs qui projettent leurs besoins.

La question qui se pose de plus en plus souvent pour les gestionnaires de telles structures, est sans
doute: « Est-ce que ça a toujours un sens de maintenir un établissement communautaire aujourd’hui ? »
Mais le débat n’est pas aisé parce que l’affichage est susceptible de remettre en cause les financements
publics. La HALDE*, elle-même, reconnaît qu’il s’agit d’un sujet « particulièrement sensible et délicat »
avec un risque de judiciarisations important.

Le Dr Reingewirtz pense que « la force d’un tel sujet, c’est la question et ce qu’elle renvoie », et
conclut :

« La vie, c’est la cohabitation de la diversité. La monotonie, c’est la mort »

« Les conceptions divisent ;
L’expérience rassemble. »

Rassemblement Inter-traditions, Savoie 1997

Mme Thérèse Clerc

Initiatrice de la Maison des Babayagas (Montreuil)

Thérèse Clerc est militante féministe, fondatrice de la Maison des femmes de Montreuil (Seine Saint-
Denis), initiatrice de la Maison des Babayagas*, un projet fondé sur 4 piliers : autogestion, solidarité,
citoyenneté, écologie et réservé exclusivement aux femmes18.

Les Babayagas, militantes actives de la cause féministe depuis de nombreuses années, revendiquent
ouvertement la parenté de leur projet avec le mouvement chrétien des Béguines fondé au 12ième siècle
qui se répandit dans le nord de la France, la Belgique, les Pays Bas et l’Allemagne et qui a compté
jusqu’à 1 million de femmes.

Ces femmes qui avaient choisi de vivre ensemble dans un habitat individuel regroupé autour d’une salle
commue et d’un jardin intérieur, revendiquaient leur statut de laïques, affranchies de toute tutelle
masculine : paroissiale aussi bien que des ordres religieux. Malgré la condamnation pour hérésie dès
1311, la dernière béguine s’est éteinte en 1930 19.

Le projet reprend le concept d’habitats individuels, d’autogestion (pas celui d’autosuffisance financière
puisque des financements publics sont sollicités, bien que les futures résidentes pourront faire valoir
leurs droits aux aides versées à domicile), cooptation, fort engagement dans la vie de la communauté:
chaque personne doit désigner, dès son arrivée, sa personne de confiance† parmi les résidentes, et cet
acte sera cosigné par la Présidente de l’association.

L’immeuble doit comprendre 25 logements de 28 à 44 m2 répartis sur 6 étages et équipés pour être
« accessibles et adaptés à des personnes âgées » (4 seront réservés à de « jeunes femmes »). Bien que le
bâtiment appartienne à l’OPH de Montreuil qui en est le bailleur, l’association gérera la vie de cette
structure, qualifiée par le promoteur lui-même, d’innovante. La solidarité entre occupantes se
manifestera soit sous la forme d’un devoir d’aide dans l’accomplissement des gestes de la vie
quotidienne en direction des moins autonomes, soit sous forme financière en cas de difficultés grâce à la
mise en place d’une tontine à laquelle contribueront mensuellement celles qui en auront la possibilité.

Pour Mme Clerc « la construction d’une institution ad hoc, genre MAPAD, non loin du projet des
Babayagas serait fort bien venu. » (Le Monde, 2003)

Simone Veil, séduite par le projet de la Maison des Babayagas, a salué cette “idée portée par des
femmes qui ont envie de vieillir ensemble, de se soutenir les unes et les autres” et qualifié cette initiative
“d’importante pour la cité”.

Imaginé en 1995 et initié en 1999, ce projet a connu de nombreux déboires notamment du fait de la
difficulté de trouver des financeurs et, pour le Conseil général, compétent en matière d’autorisation
d’établissements médico-sociaux pour personnes âgées, de qualifier un tel projet (logement social ?
Foyer logement ? EHPAD ?)

La crise sanitaire liée à la canicule de 2003, a remis ce projet sous les feux de la rampe médiatique et la
Maison des Babayagas a reçu l’appui des Maires successifs de la commune (Jean Pierre Brard,
Dominique Voynet), de 2 Vices présidentes (respectivement du Conseil Régional et du Conseil général),
du Directeur de l’OPH de Montreuil, de Marie George Buffet, Edgar Morin, Michel Rocard… C’est le
15 octobre 2011 qu’à été posée la première pierre en présence des élus de la Ville, du Conseil général et
de la Région.

Madame Clerc, refuse le qualificatif d’EHPAD, de maison de retraite et de foyer logement, il s’agit de
logements regroupés ou selon ses termes : « d’un habitat solidaire entre femmes de différentes
générations qui ont choisit librement de vivre entre elles, en dehors de toute présence masculine ».

L’EHPAD reproduirait un schéma de représentation masculin du rôle des femmes malgré la présence
d’un public majoritairement féminin, la féminisation du personnel y compris de direction : activités
occupationnelles peu gratifiantes (goûters, jeux de société…)

C’est aussi la société elle-même qui est mise en cause par « sa vision compassionnelle des vieux », sa
« marchandisation des personnes âgées », « soumises », réduites à leurs dépendances et leurs
déficiences qu’il conviendrait de prendre en «charge ». C’est cette attitude qui générerait la dépendance
qu’il serait possible d’éviter, ou plutôt de refuser comme inéluctable.

L’avancée en âge serait une façon de continuer à « restreindre insidieusement la surface sociale des
femmes », pas seulement en institution mais en cantonnant celles-ci à s’occuper de leurs parents âgés au
détriment de leur propre vie (« Ce sont rarement les fils qui s’occupent de leur mère dépendante »),
mais aussi à des emplois sous qualifiés et précaires.

Mme Clerc se revendique comme une utopiste souhaitant promouvoir une vision à long terme pour un
public qui doit être ambitieux et peut se faire entendre puisqu’il représente un poids électoral qui va
croissant avec le vieillissement démographique.

Parce que « ces vieux ne vivent plus du capitalisme sauvage, ont du temps et un peu d’argent, ce qui les
placent à l’avant-garde »

Le discours de Mme Clerc est très fortement militant et repose sur des constats ou des ressentis qui sont
largement recevables, et ont séduit à ce titre de nombreuses personnalités principalement politiques.
De fait, le principe de liberté autorise légitimement des femmes qui le souhaitent à se regrouper, dès lors
qu’elles ne constituent pas un établissement médico-social (établissement regroupant des personnes
âgées et liant le logement à la fourniture de services).

L’utopie sociale revêt un caractère sympathique, et l’on ne peut qu’abonder à la volonté de créer un
espace respectueux de l’environnement, et fonctionnant sur le principe de solidarité. D’autant que Mme
Clerc souhaitait un espace ouvert sur la ville grâce à l’organisation d’une université intra muros à
laquelle auraient pu participer des hommes.

Mais c’était sans compter sur l’extrémisme des Babayagas qui contestent cette ouverture et sur la
dissension qui allait naitre en 2011. Mme Clerc dépassée, soutient toujours le projet, tout en ne faisant
plus partie de l’association, et l’habitat sera donc la reproduction du modèle originel, celui des
béguinages. Ce qui faisait dire à la journaliste Hannelore Cayre, sur France Info, le 1er mai 2011 que le
projet serait finalement « Un serein béguinage plutôt qu’une utopie déchainée »

Preuve que, si l’expérience rassemble, les conceptions finissent par diviser. Tout projet même utopiste,
demande à être construit sur des besoins pour permettre aux projets individuels, même informels, la plus
large déclinaison possible des souhaits des futurs résidents.

C’est principalement dans l’entraide pour l’exécution des gestes de la vie quotidienne que s’exercerait la
solidarité. On peut toutefois s’interroger sur le niveau de participation qui sera demandé aux 4 jeunes
femmes qui partageront le quotidien des 21 dames âgées : à terme, ces personnes pourraient bien avoir
pour seul revenu que le reversement de l’APA à domicile, et constituer le personnel d’un établissement
de fait.

Toutefois, on peut noter que le discours cherche à légitimer le projet quitte à engendrer quelques
contradictions. Ainsi, le projet s’adresse à des femmes, uniquement veuves, divorcées ou célibataires,
« car ce sont les personnes ayant souvent le moins de ressources », mais aucune condition de ressources
n’est prévue dans les statuts. Dans sa biographie officielle, le discours de Mme Clerc est parfois plus
radical : la présence d’hommes ou de couples serait comme « un kyste dans un milieu homogène »20 La
notion même d’innovation est surprenante pour promouvoir un modèle qui a fonctionné pendant 900
ans, la dimension chrétienne en plus …

Pour autant, les 2 millions de budget ont été trouvés, en partie grâce aux financements publics. En 2009,
par exemple, le Conseil régional a voté 275 000 € au titre d’une subvention pour structure innovante en
direction des personnes âgées* et 74 144 € pour la promotion d’un bâtiment à basse consommation†. De
même le Département à versé une subvention de 88 000 €. Quant au bailleur et aux organismes
compétents pour l’attribution de logements sociaux, ils abandonneraient tout droit de regard sur les
attributions. Malgré les déclarations, l’OPH de Montreuil n’affiche pas ce projet sur la cartographie des
réalisations prévues sur son site Internet.

Communautariste la Maison des Babayagas ? A cette question Mme Clerc oppose que 80 % des femmes
qui se présentent à la Maison des femmes de Montreuil arrivent dans la douleur, voilées, excisées… Le
refus de la mixité serait une façon de les protéger de leurs familles.

S’il est du respect du droit de tous les citoyens, quelque soit leur âge, d’organiser leur vie comme ils
l’entendent, il semble que les garants des valeurs républicaines, hommes politiques en l’occurrence,
soient saisis d’un état de sidération médiatique. On ne trouve aucune critique officielle du projet, même
si certains professionnels pensent malgré tout qu’il ne se fera pas. Tout au plus, l’Observatoire du
communautarisme notait-il dans ses brèves, le 31 mars 2005, que le Maire de l’époque (Jean Pierre
Brard) venait de soutenir le projet après avoir interdit un défilé de mode musulman réservé aux femmes.

Même si le concept de foyer non mixte n’est pas nouveau, aucun habitat individuel aussi radical dans
son concept n’avait jusqu’alors été financé. Le risque est que cette ouverture soit perçue comme un
nouveau paradigme social qui autoriserait toute communauté à mettre en place un habitat
communautariste avec des fonds publics, c’est-à-dire excluant une partie de la population, refusant une
partie des valeurs républicaines, et remettant en cause le fonctionnement de la société elle-même.

Pour autant, le projet ne peut se prévaloir de discrimination positive ou de compensation en faveur d’un
public défavorisé pour lequel les solutions existantes seraient inappropriées, comme c’est le cas pour
justifier les lois sur la parité hommes-femmes ou la lutte contre la violence faite aux femmes. Pas plus
que cette expérimentation sociale ne permet d’envisager, à terme, une évolution dans le domaine de
l’accompagnement des personnes âgées dans la mesure où il ne s’avère pas transposable à d’autres
publics.

La pression médiatique, les enjeux électoralistes, la tentation de la facilité des prises de positions
extrêmes, faute de vigilance citoyenne, semblent pouvoir avoir raison des débats éthiques. Mais il serait
dommage que le concept de logements regroupés et d’habitat solidaire puissent faire les frais d’une
utopie plus revancharde que constructive.

« Il avait du bon sens, Le reste vient ensuite. »

Jean de La Fontaine, Le berger et le roi

Monsieur Gérard Zribi

Directeur général de l’AFASER

Monsieur Zribi est directeur général de l’AFASER, une association gestionnaire d’établissements et
services pour personnes handicapées en Région parisienne. Président de l’Association Nationale des
Directeurs et Cadres d’ESAT (ANDICAT), il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur les handicaps,
notamment sur le vieillissement des personnes handicapées14 parus aux Presses de l’EHESP. Docteur en
psychologie, ayant débuté sa carrière comme éducateur, il a été chargé d’enseignement dans le cadre du
CAFDES, et siège dans plusieurs instances nationales représentatives.

Son analyse porte ici, plus sur le rôle du directeur comme garant de la diversité culturelle, mais pose
aussi un constat sur la réflexion éthique qui pourrait sans doute être élargi aux positionnements
politiques et à celui des financeurs si l’on se réfère au projet cité précédemment.

Pour Monsieur Zribi, il existe des « thèmes d’intimidation », des sujets de blocages, des questions qui
n’appellent généralement qu’une réponse extrême de la part de l’interlocuteur : la tentation de la facilité
qui consiste à liquider le sujet. Il en va du communautarisme comme de la question de la réanimation
néonatale des grands prématurés et de ses conséquences en matière de handicap.

Aux questions sur le communautarisme ou la laïcité, certains proposent une réponse si égalitaire qu’elle
en gomme toutes les différences, alors que d’autres renvoient à des solutions aussi spécifiques que
ségrégatives. Dans les deux cas, il s’agit bien, par le refus des spécificités de chaque être humain, de nier
la singularité de l’individu, là où, dans un vrai collectif, la singularité devrait trouver toute sa place, et
même s’y trouver protégée. Car spontanément, nous avons tendance à fabriquer de l’exclusion. Un
psychiatre faisait un jour ce commentaire plutôt cynique : « Finalement, ils sont mieux entre eux ! »

Les formations, pourtant utiles, recréent facilement leur propre exclusion en donnant l’illusion que
désormais, la personne formée sait ce qu’est « un juif », « un catholique » ou « un musulman » : une
nouvelle catégorisation, une généralisation. Une formation ne dispense pas d’une approche empathique.
Car la réalité de chacun est différente. Monsieur Zribi cite le cas d’un père maghrébin qui ne
reconnaissait pas, devant sa famille et les professionnels, les troubles du comportement de son fils
handicapé psychique ainsi que la nécessité d’un suivi et d’un traitement. En discutant, seul à seul avec
cet homme, il s’effondra en larmes, en avouant qu’avec sa femme, ils étaient battus tous les jours :
culturellement, il ne lui était pas possible d’en parler en groupe, mais humainement, il était possible de
décoder quelques signaux. A la suite de cela, la famille donna son accord et un suivi psychiatrique pu
être mis en place.

Pourtant, les questions communautaires constituent bien un sujet de réflexion d’éthique et mérite de
repenser les pratiques professionnelles. Chaque directeur d’EHPAD (ou de toute structure médicosociale)
devrait être formé à ce type de réflexions et aborder un minimum de sciences humaines.
Malheureusement, cette dimension n’existe pas dans la formation du CAFDES qui prépare
essentiellement des gestionnaires, plus que des créatifs, en donnant la primauté aux questions de
comptabilité.

Plus valorisé par un discours de gestion financière que par celui des sciences humaines, le directeur est
désarmé, par exemple, pour affronter les questions de sexualité en établissement. Plutôt que de former à
des techniques ou à des recettes, il s’agit d’acquérir un minimum de méthodologie pour construire ses
propres références éthiques, se les approprier et savoir les remettre régulièrement en question. Car il n’y
a jamais de solution définitive. Et là, existe un vrai problème : une pénurie de bons candidats pour
prendre la direction des établissements.

Plus largement, c’est le secteur médico-social tout entier qui est entré dans la culture des référentiels, des
normes-iso, des bonnes pratiques, qui incite à cocher des items pour s’exonérer d’une démarche
personnelle et individualisée, forcément plus complexe.

Le droit de vivre ensemble ne devrait pas se voir opposer des conditions préalables à un accueil,
comme : avoir un projet d’établissement spécifique, avoir travaillé le sujet et formé ses équipes.
L’occasion d’un nouvel accueil fournit au contraire une opportunité de travailler un accompagnement
individualisé en temps réel, en situation, de manière concrète, pratique et personnalisée.
Pour Monsieur Zribi, il n’est pas non plus indispensable de se relier préalablement pour pouvoir vivre
ensemble.

Le projet d’établissement doit définir les valeurs qui fondent toute intervention et permettre la
déclinaison de projets individualisés et singuliers, tout en excluant les manifestations de racisme et de
rejet de l’autre. Car il y a le « vivre ensemble », mais aussi l’interdit, et il est de la responsabilité du
directeur d’être particulièrement vigilant et d’arrêter immédiatement tout franchissement des limites,
tout écart verbal, ou plaisanterie douteuse.

Bien sûr, la diversité, et pas seulement religieuse, peut être une occasion d’animations. Même la
différence des couleurs de peau peut-être une opportunité de festivités

Il existe des limites, mais qui viennent le plus souvent des résistances du personnel que des résidents
eux-mêmes. Dans de rares cas, ce sont des signes religieux ostentatoires. Mais inversement, une
conception trop étroite de la laïcité conduit certains professionnels à refuser d’accompagner une
personne non autonome dans sa pratique religieuse.

Monsieur Zribi cite le cas d’un éducateur qui après avoir accepté d’accompagner une personne
handicapée psychique à la messe, se trouvait extrêmement gêné de ce que le résident ait pu interrompre
l’office en levant le doigt pour poser une question sur la masturbation. Finalement, une discussion entre
la personne handicapée, l’usager et le prêtre suffisamment compréhensif, aboutit à un modus vivendi :
après chaque office, la personne handicapée avait droit à quelques minutes pour poser, en a parte, toute
les questions souhaitées.

Il convient de distinguer ce qui relève de l’accompagnement à la pratique religieuse (travail de
l’accompagnant), de ce qui est du domaine de l’éducation religieuse.

Pour mettre en oeuvre un projet qui permette à chacun de trouver sa place, il n’y a pas de solution toute
faite, mais la démarche repose sur plusieurs points :

1. Définir ses valeurs
2. Etablir des garde-fous, des limites
3. Se donner les moyens
4. Travailler les formations
5. Rappeler les questions d’éthique et rester vigilant face aux dérives possibles

Mais cela sous-entend aussi une volonté et une détermination de la part du directeur ou du porteur de
projet. A titre d’exemple, le prix des repas plus élevé, demandé par les prestataires, dans le cas d’une
alimentation cachère ou halal, serait un faux problème. Il y a toujours moyen de négocier, surtout avec
quelqu’un qui n’a pas intérêt à laisser passer un marché de 100 ou 200 couverts quotidiens. Là, tout
devient possible. C’est la détermination de celui qui conduit le projet qui fait la différence.

Quant à ceux qui ont une observance si stricte et orthodoxe qu’elle en devient impossible à respecter,
elle n’est souvent que la manifestation extérieure de la volonté de la personne de s’exclure elle-même.

Dans ce cas, on ne peut rien faire, et il n’y a pas à intervenir. C’est du domaine privé, mais pas du champ
des financements publics.

Au final, ce qui doit prévaloir, c’est le bon sens, le simple bon sens, dans le respect des choix de la
personne.

* La grille d’entretien figure en annexe 2
† Source : www.prevenance.org
* HALDE : Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité
* http://lamaisondesbabayagas.fr/
† La personne de confiance accompagne et aide la personne dans ses démarches médicales, et doit être consultée
(sauf opposition préalable du patient) en cas d’empêchement de la personne avant toute décision médicale (art. L.
1111-6 du code de Santé Publique)
* Délibération CP 09 – 893
† Délibération CP 09 – 1222

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