Gagne de la cryptomonnaie GRATUITE en 5 clics et aide institut numérique à propager la connaissance universitaire >> CLIQUEZ ICI <<

CHAPITRE VII : VERS UN NOUVEL ORDRE COLONIAL

Non classé

1. Les stratégies coloniales et les « nouveaux Polynésiens »

Nous l’avons souligné précédemment, la colonisation coupe court aux réseaux maritimes et coutumiers existants et permet le contrôle des populations autochtones. Quelles seront les conséquences de ces coupures de réseaux traditionnels ? Il est vrai que la période coloniale proprement dite, dans une moindre mesure, favorisait des déplacements organisés et planifiés. Dans quelles conditions ces « déplacements » se faisaient-elles ? Comment les Wallisiens et les Futuniens se sont-ils retrouvés en Nouvelle Calédonie ?

A. Au temps des « Traders »

Les contacts inter îliens entre Uvéa (240) ou autres îles de la Polynésie et la Nouvelle-Calédonie dans la période dite coloniale du début du XIXème siècle, à la première moitié du XXème siècle, étaient sporadiques mais effectives.

Les pouvoirs ecclésiastiques et administratifs dans l’ensemble de l’Océanie avaient entravé les échanges naturels et les réseaux traditionnels, afin de mieux contrôler les populations (241).

Auparavant, lors des premières conquêtes commerciales et d’exploitations, les Polynésiens avaient souvent été enrôlés dans les équipages anglo-saxons des « beachcombers », santaliers ou autres. Pour ravitailler les grands ports du Pacifique, Sydney, Auckland et avant de vendre leurs produits en Asie, les marchands avaient besoin de main d’œuvre à bon marché pour récolter les produits. Les Européens ont élaboré cette stratégie, dans le but de leur éviter tout contact direct avec les insulaires afin d’éviter des agressions. Ainsi, les Polynésiens, plus dociles et toujours volontaires, semblaient être à même de s’infiltrer plus facilement dans les tribus mélanésiennes. En cas de conflits, de nature imposante et guerrière, ils avaient la capacité de se défendre et même de mener l’offensive.

Dorothy SHINEBERG (242) fait allusion à ces indigènes originaires de Tonga, recrutés au sein des équipages santaliers anglais diligentés par un certain Samuel HENRY à partir de 1829 dont le navire affrété se nommait « Sophia ». L’auteur nous raconte que les rencontres de ces Polynésiens manœuvriers avec les populations autochtones mélanésiennes, en particulier du Vanuatu, avaient été plus ou moins violentes. Ainsi, naissaient les premiers conflits « organisés » interethniques entre Polynésiens et Mélanésiens, tels que nous pouvons encore observer de nos jours. En Nouvelle Calédonie, où tous les ingrédients conflictuels sont présents, avec en arrière plan la stratégie d’approche de l’Européen (243), les exemples en sont multiples.

L’auteur raconte que centre treize Tongiens étaient à bord de la « Sophia », quand le commandant envoya une équipe abattre du santal. Les premières altercations violentes se sont produites avec les habitants de l’île d’Erromango (244). Plus tard, des alliances se sont créées dans les stratégies de conflits internes tribaux. L’année suivant, la petite île a été envahie par plus de six cents travailleurs polynésiens originaires d’Hawaï, de Rotuma et de Tonga, embrigadés par les navires anglais exploiteurs de bois de Santal. Le contact avec les autochtones d’Erromango devenait de plus en plus difficile car des divergences de comportement au sein des équipes de travailleurs se faisaient sentir. Apparemment, selon les récits, les Hawaïens ont été souvent à la source de conflits, ayant la ferme intention d’occuper l’île et de tuer tous ses occupants. Mais le destin de tous ces travailleurs a s’est soldé par une épidémie de fièvre qui les a, en partie exterminés.

Si l’archipel du Vanuatu a été visité dès cette époque, l’archipel voisin néo-calédonien a notamment été accosté. A cette même époque, le capitaine Henry aurait aussi rencontré à l’île des Pins, un groupe originaire de Tonga et un autre originaire des îles Samoa, qui avaient vécus parmi les Kunié suite au naufrage d’une pirogue. Le témoignage de ce capitaine nous renvoie d’une manière évidente, à la tradition orale dont nous avons évoqué la teneur au chapitre IV concernant l’arrivée des Tongien à Mu Lifou (245). Dès le début du 19ème siècle, d’autres contacts ont sûrement eu lieux avec les traders (246), les baleiniers avaient l’habitude de créer des campements d’avant-garde, aussi, les destinations étaient, selon les dires, souvent camouflées par les capitaines, la concurrence du trafic l’oblige (247).

A Wallis et Futuna, les baleiniers, les santaliers ou autres marchands anglais ou américains qui fréquentaient ces eaux au début du XIXème siècle (248), recrutèrent des Indigènes au sein de leurs équipages lors de leurs escales de ravitaillement. Ces navires faisaient du troc avec les populations autochtones. Quand les premiers missionnaires catholiques s’installèrent pour la première fois dans ces archipels en 1837, ils constatèrent que les Indigènes possédaient non seulement des biens susceptibles d’échanges (clous, étoffes, etc.) mais aussi de nombreux outils (haches, pioches, et couteaux) avec lesquels ils cultivaient leurs champs. Les missionnaires rencontrèrent notamment dans ces îles quelques marins européens isolés vivant parmi eux, issus de mutineries ou de naufrages (249).

Par ailleurs, le chef Sam Kélétaona, ancêtre éponyme de la dynastie des Kélétaona (250) actuelle de Futuna, fît plusieurs campagnes de pêche à bord de baleiniers dans le Pacifique, en passant par Sydney. Puis il revint dans son île natale après plusieurs années d’absence en 1837. Plusieurs wallisiens ont été ramenés de Fidji par J.P Twyning en 1834, à bord d’un brick. Ce marin marchand avait fini par épouser une Futunienne en juin 1836, et à l’église en 1837. Frédérique Angleviel insiste que :

« Les cas de désertion sont très fréquents chez les matelots océaniens car leur engagement s’effectue souvent de force (251) ».

Le retour à leurs îles natales n’était pas évident. Ils attendaient le plus souvent une opportunité. A cette époque là, il n’était pas été étonnant de voir s’incruster parmi les habitants de l’île accostée ou de les voir s’embarquer un peu plus tard dans une pirogue, avec d’autres personnes dans le but de retrouver leur pays natal. Ainsi, ces échanges pouvaient créer de nouveaux réseaux ou renforcer des réseaux déjà existants entre les îles. L’arrivée des missionnaires religieux dans le Pacifique contribuera à poursuivre ces stratèges d’approche des populations à des fins d’évangélisation.

B. « Les envoyés de Dieu » : La stratégie missionnaire évangélique

L’évangélisation protestante débute dans le Pacifique dès 1797, avec la Société Missionnaire de Londres (LMS). Cette dernière, pour des raisons d’efficacité, prône une stratégie qui a déjà fait ses preuves dans d’autres continents. Ainsi, la Polynésie occidentale et orientale dès le début du XIXème siècle a contribué à former suffisamment d’indigènes qui avaient la charge de « porter la bonne parole » dans les contrées mélanésiennes les plus reculées, et les plus réticentes. A l’instar des traders anglais, les pasteurs utilisaient les indigènes polynésiens pour ouvrir la voie, et éviter d’autres martyrs Blancs tels le Révérend John Williams qui sera tué dans l’île d’Erromango le 19 novembre 1839 après avoir quitté l’île de Tanna. Trois autres teachers samoans ont été sacrifiés avec lui. La LMS envoie dès 1840, dans les archipels du Vanuatu actuel et de Nouvelle Calédonie, plusieurs dizaines catéchistes polynésiens (de Rarotonga, Samoa ou de Tonga) (252). Ces hommes fraîchement évangélisés, pas toujours formés convenablement, vont tant bien que mal, s’infiltrer au sein des populations autochtones. Les réseaux « pré-polynésiens » dont nous avons évoqué l’existence, auront servi cette fois-ci de réseaux de propagation de la foi dans ces régions (253). Ces mêmes réseaux serviront à atteindre les tribus les plus reculées notamment dans la chaîne centrale de la Grande-Ile calédonienne.

La gestion cléricale commune aux deux territoires par les missionnaires de la Société de Marie, a favorisé de manière sporadique quelques échanges. Mais ces contacts entre indigènes de l’Est et indigènes de l’Ouest vont se concrétiser non plus à la manière traditionnelle mais seront organisés et planifiés. Souvenons-nous de L’arche d’Alliance, navire commandé par Auguste Marceau, un officier militaire, fait escale à Wallis en fin 1846. Son gouvernail se détache, le jeune Wallisien Salomone UHINIMA (254) le découvre, et il obtient le passage sur le navire en récompense. C’est ainsi qu’il visite le Pacifique, le 21 janvier 1847, il découvre alors Pouébo. Au cours d’une escale en mai 1848, à Ouvéa, île Loyauté :

« Grâce à la connaissance des mentalités indigènes et à quelques mots qu’il (en parlant de Salomone) avait surpris, éventa un piège des naturels et sauva la vie de tout l’équipage . (255)»

Après les défaites missionnaires de Balade Pouébo, les responsables religieux incarnés par le père Rougeyron à ce moment là, décident de former des catéchistes indigènes kanak dans l’optique d’évangéliser de l’intérieur, les populations. Ainsi, dès mars1850 sur l’Elisabeth, 36 convives partent pour Futuna dont 23 catéchumènes de la mission de Yaté amené par le chef Michel, ainsi que 5 Wallisiens venus de Sydney que le père Rocher a embarqué avec lui, arrivent le dimanche 29 avril et sont accueillis chaleureusement par la population, formant selon Georges DELBOS une même famille. (256)

Quelques mois plus tard, la réduction de Futuna est renforcée par 43 nouvelles personnes originaires de Pouébo arrivées le 08 septembre, dont le chef Hyppolite Bonou, Saléné son frère, avec Amabili et Manuel, ainsi que Gomène, Undo et Ouabat, ceux qui avaient tué le frère Blaise et qui se sont repentit .Ainsi le groupe constituait soixante six convertis, et le séjour durera plus de deux ans dans l’île où Saint Pierre Chanel fût le premier martyr catholique de L’Océanie. Il paraît qu’au terme de ce séjour spirituel et pédagogique, certains d’entre eux sont restés à Futuna pour y fonder une famille. Il serait bien entendu intéressant de savoir de quelles familles il s’agit ? On peut aussi faire allusion à ce Wallisien qui accompagna le Père BERNARD en 1858 pour installer une mission dans l’île d’Ouvéa. Ce Wallisien aurait servi d’intermédiaire entre le père et les populations locales, ce qui facilitait bien sûr les relations, bien qu’à ce moment là les guerres sévissaient la région.

Ainsi la gestion vicariale englobait en 1836 toute l’Océanie Occidentale, la Polynésie occidentale et la Mélanésie comprise (257). Cette vaste délimitation favorisa encore des déplacements inter îliens d’Océaniens dans le cadre évangélique.

C. Le territoire des îles « Wallis et Futuna » une dépendance de la Nouvelle Calédonie

La prise de possession de la Nouvelle-Calédonie par la France en 1853 d’une part et la demande de Protectorat de Wallis et Futuna dès 1843 d’autre part, permettront aux autorités administratives, pour des raisons pratiques, de considérer Wallis et Futuna comme dépendance de la colonie calédonienne, malgré les 2000 Kilomètres qui séparent ces deux archipels.

Après que les établissements de Balade et de Nouméa eurent été rattachés aux Etablissements français de l’Océanie à Tahiti, un décret impérial du 14 janvier 1860 érigea La Nouvelle-Calédonie et ses dépendances en établissement distinct confié à un commandement auquel succéda un gouverneur assisté d’un conseil privé (décret du 12 décembre 1874). A compter de 1885, un conseil général est institué avec pour principale attribution le vote du budget préparé en conseil privé et la fixation des centimes additionnels affectés au budget de la commune de Nouméa.

En 1887, un traité de protectorat fut ratifié par la France qui rattacha administrativement Wallis et Futuna à la Nouvelle-Calédonie. Jusqu’en 1941, le gouverneur résidant à Nouméa chapotant les affaires intérieures des deux archipels, est remplacé par un Haut commissaire à l’aide d’un résident lui est rattaché à Mata Utu. Ce n’est qu’en décembre 1959 qu’un référendum bascule le protectorat en Territoire d’Outre Mer ratifié le 29 juillet 1961. Bien que l’archipel ait depuis une Assemblée Territoriale élu au suffrage universel tous les 5 ans avec 20 membres (7 élus de Futuna, et 13 élus pour Wallis), il n’est pas totalement émancipé de la tutelle de la Nouvelle-Calédonie puisque ces deux Territoire ont le même Haut commissaire de même qu’au niveau juridique le tribunal de première instance des Wallisiens et des Futuniens dépendent de la cour d’appel de Nouméa. A l’heure actuelle, la Nouvelle-Calédonie reste encore pour Wallis et Futuna un vivier d’emplois pour leurs ressortissants dans la mesure où l’archipel à lui seul n’a pas la capacité économique suffisante à répondre à la demande des jeunes déversés sur le marché du travail local.

Avant la deuxième guerre mondiale, la seule liaison maritime est le Polynésien, un navire qui relie Vila à Wallis trois fois par an pour assurer le ravitaillement et au retour l’exportation de coprah qui s’élève à 1500 tonnes environs annuellement.

D. Les « exilés » Wallisiens et Futuniens dans la période du bagne

Ainsi, d’autres contacts forcés ont été organisés par les autorités françaises des îles Wallis et Futuna en collaboration avec les autorités administratives calédoniennes, surtout à partir de 1863, quand les portes du Pénitencier de Nouville s’ouvrent. Les notables wallisiens ou futuniens qui osaient contester les pouvoirs religieux ou étatiques ont été invité à vivre l’enfer carcéral.

Dès 1910, le Lavelua Soséfo Mautamakia de 1906-1910 a été exilé en Nouvelle Calédonie par le gouverneur et remplacé par Lavélua Soane Patita Lavuia. Ce dernier est connu pour avoir cédé officiellement Wallis à la France en juin 1913, et a officiellement revendiqué la chefferie d’Ouvéa Lalo. Jean GUIART dans « la chefferie en Mélanésie (258)» nous présente un document écrit du Gouverneur BRUNET fait à Nouméa le 18 AVRIL 1914, un arrêté pris par le Résident de Wallis sous l’impulsion du roi de Wallis de cette époque. Cette lettre officialise la chefferie Nékélo, en compensation, le chef Bazit toucherait une rente de 600F ainsi qu’à ses successeurs. (259) C’est seulement à partir de cette date que NEKELO a été officiellement reconnu comme chef de Takedji par le Gouverneur des colonies.

On peut notamment parler de ce fameux Kelemete de sang royal, qui a été exilé à Nouméa en 1913 et devînt un peu plus tard un homme d’affaire de pas très bonne réputation. En 1918, cinq autres Wallisiens proches du roi complices d’un détournement de fond dans une affaire commerciale, ont été notamment incarcérés (260).

En 1926, des conflits entre l’administration et les autorités coutumières concernant les corvées obligatoires se soldent par l’envoie en exile de plusieurs Wallisiens malgré le soutien de la mission. Ainsi, Wallis et Futuna n’ayant pas de structure carcérale, ses ressortissants allaient purger leur peine à Nouméa, et cette situation perdure encore aujourd’hui confirmant encore une fois la dépendance de ces îles à la Nouvelle-Calédonie.

Par ailleurs, nous savons de source sûre, qu’un groupe de prisonniers wallisiens ont séjourné à Ouvéa durant l’entre deux guerres et qu’une danse leur a été apprise par les gens de Banutr, et elle a été présentée pour la première fois publiquement au Centre Culturel Tjibaou le 25 juillet 2009 par leurs descendants originaires de Hihifo.

Dans le cadre de formation ou de travail, d’autres Wallisiens séjournent à Nouméa, mais rarement de manière permanente. Dès le début du siècle dernier, (en 1912) un petit nombre d’engagés volontaires font leur apparition, plus tard, en 1920, d’autres travailleurs sont envoyés en Nouvelle Calédonie.

2. Les prémisses d’une installation permanente

A. Les premiers enrôlements militaires

Les Wallisiens n’ont pas participé à la première Mondiale ; exigüe, isolé, insignifiant, l’archipel a échappé à l’effervescence patriotique dont ont fait preuve les colonies françaises d’outre mer des divers continents de la planète. Quant à la deuxième guerre mondiale, il n’y aurait qu’un seul wallisien qui aurait répondu à l’appel du Général De gaulle. Sous la pression de l’évêque Poncet, partisan convaincu de Vichy, le résident Vrignauld de cette époque n’a pas senti le besoin d’envoyer les Wallisiens et les Futuniens au front.

Pa contre, pour parer à l’avancée japonaise dans le Pacifique sud, le 28 mai 1942, 6000 soldats américains de l’U.S Navy prennent position à Wallis (soit autant de soldats que d’habitants) et y résident durant 4 années. Cette présence américaine a des conséquences sans précédent dans l’archipel. Après près d’un siècle de vie en vase clos entre les traditions ancestrales et l’hégémonie ecclésiastique des missionnaires maristes, les autochtones « polynésiens » goûtent, pour la première fois à la richesse matérielle et prennent conscience de leur isolement. L’armée américaine, en octobre 1946, laisse derrière elle une population frustrée ; frustrée de ne pas connaître « le Nouveau Monde » et de ne pas pouvoir bénéficier de la richesse occidentale (261).

Pourtant, la découverte et la conquête marine depuis la nuit des temps, a été le fondement même de la survie des sociétés polynésiennes. La création d’une armée de volontaires du Pacifique en 1943 enrôlera un certain nombre de ses ressortissants, puis une convention du 31 décembre 1942 signée entre le chef des armées américaines et les autorités calédoniennes ouvrent la voie à 130 Wallisiens et Futuniens à émigrer en Nouvelle Calédonie pour répondre à la pénurie de main d’œuvre au sein des entreprises minières ou agricoles. Cette nouvelle main d’œuvre aura quelques difficultés à s’intégrer dans le rythme de travail auquel elle a été engagée. Les patrons de stations agricoles dénoncent les fugues et des abondons de ces nouveaux recrus sous contrat.

L’année 1947, marquera en fait, le début d’une « diaspora » wallisienne et futunienne en Nouvelle Calédonie puisqu’en juin une quarantaine d’engagés volontaires s’enrôleront dans l’armée française pour une durée de trois ans et la plus part finiront par y rester et trouver un emploi. En novembre de la même année, une cinquantaine de volontaires sous contrat suivront sur le Phoque. La génération de ces premiers migrants est octogénaire aujourd’hui, puisqu’elle n’était plus que 12 survivants à l’inauguration d’une stèle en leur honneur à la caserne de Plum (262) en juin 2007 pour marquer le soixantième anniversaire de leur arrivée.

Depuis, l’engagement militaire des Wallisiens est très important puisque cet engagement correspond à un emploi stable, à un niveau de vie intéressant, l’esprit aventurier et guerrier semble motiver toutes les générations à s’enrôler dans l’armée française.

B. Les travailleurs sous contrat

Dans la même année à bord du phoque une quarantaine de Wallisiens et Futuniens sont engagés par les entreprises calédoniennes et pour la première fois quelques couples se grefferont au groupe ainsi que des enfants. Cette délégation constituera la première d’une série de vagues de migrations plus ou moins importantes jusque dans les années quatre vingt. Pourtant, les premiers travailleurs sous contrat seront envoyés dans les mines et notamment dans les activités agricoles. Les premiers expériences sont un échec, la plus part fuguent et de ce fait, rompent leur contrat de travail, pas habitués au travail laborieux de la mine et d’être coupés de leur environnement :

« Quand le directeur d’une mine en 1948 dépensa 300 000 anciens francs pour faire venir quelques travailleurs de l’île de Wallis, ces hommes détestèrent le travail et partirent dans un camion de la compagnie minière pour se débrouiller seuls dans la brousse ».(263)

Force est de constater que le besoin en main d’œuvre était tel à cette période, que Wallis et Futuna constituera dorénavant un avoir de force musculaire potentiellement exploitable et à bon marché. Entre temps toutes les forces vives de différentes origines sont enrôlées dans le recrutement à divers degrés : les autorités locales avaient du faire face au rapatriement des Javanais dès l’indépendance de l’Indonésie en 1949, il ne restait plus que 2900 Javanais sur le territoire en 1955. Ces derniers choisirent de rester travailler en « colons libres ». Notons tout de même que cette immigration massive va avoir pour conséquence : la baisse démographique avec la perte de main d’œuvre pour l’exploitation vivrière de l’île.

C. Du statut de « protégés » au statut de « citoyenneté » française

Ralliée à la France Libre et ayant servi de base aux troupes américaines pendant la deuxième guerre mondiale, la Nouvelle-Calédonie accède au statut de territoire d’outre-mer en 1946. La Constitution du 27 octobre 1946 érige en effet les colonies françaises en Territoires d’Outre-mer (T.O.M) dotés de statuts particuliers tenant compte de leurs intérêts propres. Les Wallisiens et les Futuniens par contre vont devoir patienter jusqu’au 27 décembre 1959 pour apporter à leurs archipels d’origines le statut de Territoire d’Outre Mer et pour accéder à la citoyenneté française. Ainsi, 925 électeurs wallisiens et futuniens postés en Nouvelle Calédonie et 233 de Nouvelle Hébrides votèrent en même temps que 3000 « concitoyens » dans leur île d’origines. Le résultat est unanime, plus de 90% des votants approuvent cette nouvelle proposition statutaire et c’est seulement le 29 juillet 1961 que ce projet de loi est ratifié. Auparavant, ceux qui résidaient en Nouvelle Calédonie avaient un statut de « protégés » et ne pouvaient alors accéder au vote local concédé au territoire calédonien depuis 1946. Les Wallisiens n’ont pu à cette époque apportée leur soutien électoral à l’Union Calédonienne majoritaire, qui a vu la prise de pouvoir pour la première fois des Kanak avec Lenormand en 1958 sous la période que l’on a appelé « la loi cadre ».

Notons tout de même qu’en 1957, on comptait déjà 3000 Wallisiens et Futuniens et autant de Polynésiens orientaux ce qui fait des polynésiens déjà le troisième groupe culturel de part son importance numérique. Cette effervescence migratoire polynésienne comblait en fin de compte le vide de la main d’œuvre tonkinoise et japonaise dont la majeure partie quittera le pays en 1964. Avant 1961, les Wallisiens en Nouvelle Calédonie comme ils n’avaient pas la nationalité française, étaient considérés au même titres que les autres migrants, des travailleurs sous contrat. Sans doute que ce revirement de situation politique incitera Monsieur Pierre Mesmer à écrire une lettre en 1962, confirmant l’inquiétude du gouvernement français à cette époque de la possibilité d’unification indigène de l’Océanie contre toute présence française. Le contenu de cette lettre confirme les stratégies de l’Etat pour avoir la main mise sur le pays.

Dès que les Européens prirent possession les îles du Pacifique, les contacts et relations entre les indigènes sont contrôlées. Le choc microbien, les spoliations foncières sur la Grande Terre et plus tard, la mise en place d’une politique de l’indigénat, va asphyxier en quelque sorte la Société « traditionnelle ». Cette nouvelle ère va complètement bouleverser les relations claniques dans la mesure où les familles seront dispersées, éclatées voir rayées de la carte.

D’autres relations humaines par contre vont se créer avec l’aide de l’évangélisation protestante ou catholique (264), la carte des tertres claniques sera bouleversée et les repères traditionnels d’antan s’amenuiseront avec le temps pour voir apparaître d’autres.

L’utilisation des indigènes et autres ressortissants de colonies par les Européens comme force de main d’œuvre dans les grands chantiers, se traduira par l’émergence de cités dortoirs. La cohabitation forcée entre les ouvriers contractuels dans un milieu « étranger » accélérera le processus d’acculturation. Par ailleurs, l’explosion démographique, et la concentration urbaine à Nouméa et dans les environs seront marquées de manière sporadique par des conflits considérés comme « inter ethniques » se traduisant par bagarres. Alors que les rapports de force aux temps anciens se dessinaient toujours sous la forme binaire habituelle : « accueillant / accueilli » à laquelle l’autochtone jouait le premier rôle. A l’arrivée des Européens, d’autres rapports humains émergent parallèlement ou de manière superposées sous la forme « dominant/ dominé » à laquelle l’autochtone est en second plan au sein d’un nouveau système de valeurs importé par la France Métropolitaine. Peut-on dire que la « distinction ethnique » chez l’Océanien apparaît à ce moment là ?

Dessin d’un ancien bagnard 1870

Dessin d’un ancien bagnard 1870

240 Nom originel de l’île de Wallis.
241 ANGLEVIEL, Frédérique, Wallis et Futuna (1801-1888, livre deuxième, Thèse, Université de Lille, 1989, p 467, 545 p.
A Futuna dès 1852, le Mgr BATAILLON fait voter aux différentes instances coutumières locales un code de Loi dont l’article 34 et l’article 36 interdisant tout embarquement dans un navire sans le consentement du roi. Dans l’archipel vanuatais les autochtones évitaient d’aller d’île en île de peur d’être kidnappé par les écumeurs de mer.
242 SHINEBERG, Dorothy, ils étaient venus chercher du santal, Ed SEHNC, 1973.p 40-51.
243 Les Polynésiens abordaient souvent les plages armés par les recruteurs blancs qui eux les attendaient à bord des navires pour charger la cargaison.
244 On pourrait se demander si des démarches « coutumières » ont été entreprises et de quelle manière ?
245 & Annexe 2.
246 Ce mot anglais signifiant « commerçant », ou « négociant », il prend un sens particulier dans le Pacifique, car les commerçants sont aussi des marins qui pratiquaient la traite c’est-à-dire une forme élémentaire de commerce qui consistait à échanger des marchandises manufacturées de faible valeur contre des produits locaux.
247 Opt.cité.p 62
248 F. ANGLEVIEL, Les missions à Wallis et Futuna au XIXème siècle, collection Iles et Archipels-Editions CRET- Bordeaux-Talence, 1994. p 32 : « Le premier navire marchand ayant accosté ces îles serait le Kamaholelani, appartenant au gouvernement Hawaïen dont le capitaine est un dénommé Moarn ».
249 Opt.cité p.26-27. Ces Européens qui vivaient parmi les indigènes, pour être acceptés avaient sûrement épousé des femmes du milieu.
250 Plusieurs membres de cette lignée sont installés à Nouméa et au Mont-Dore depuis les années 70, un des leur, ancien mineur de Kouaoua a été promu roi de Sigavé en 2001.
251 Opt.cité p.28.
252 Mai 1840 le Révérend Thomas Health et ses compagnons par le Camden, lâche deux catéchistes Samoans à l’île Des Pins qui seront accueillis par le chef TOUAOUROU descendant de la lignée Xétiwan de la sixième génération.
253 & témoignage de Taunga catéchiste originaire de Rarotonga qui a laissé un témoignage écrit.
254 Angleviel opt.cité p 395-396 : Le commandant Marceau de l’arche d’alliance l’emmène en Europe et avec l’appuie du Mgr Enos afin qu’il poursuive une formation de prête. La correspondance des missionnaires de l’époque nous apprend que Salomone réside en France quatre ans sans avoir pu finaliser sa formation de prêtre
255 Lettre du père PADEL, à V.MARZIOU, Apia, 28 août 1847, O.P.M de Lyon, publié par le bulletin de la Société des Océanistes, N°1, p 166.
256 DELBOS, Georges, L’église catholique en Nouvelle Calédonie, Mémoires chrétienne. Edition Desclée-1993.p85-86.
257 Georges DELBOS (1993) p 24.
258 Op.cit. p 439.
259 Jacques IZOULET, histoire d’une mission catholique dans le Pacifique sud au XIXème siècle, L’Harmattan, 2005, p 141.
260 J.C ROUX, Spéciale Wallis et Futuna in un exemple d’incertitude du destin des petites îles, Editions SEHNC, N°97, p 88-93.
261 Un article d’Henri DALY assez complet peut être consulté sur cette période: Wallis durant la seconde guerre mondiale, Editions SEHNC, N°97, p103, bulletin consacré à Wallis et Futuna où l’auteur fait allusion à un mouvement indigène qui demandait le protectorat des Etats Unis pour leur île, après le départ de l’armée américaine. Selon nous le phénomène du « Cargo culte » n’a pas épargné les wallisiens, thème abordé par Tcherkezoff (1997) p 9 et 10.
262 Cf. Les Nouvelles Calédoniennes, du 22 juin 2007, puis l’article du 05 mai 2008 concernant la cérémonie commémorative des 49 premiers engagés volontaires wallisiens et futuniens dont les noms sont inscrits dans une plaque en marbre à Mata Utu, à l’initiative de l’Association des premiers Wallisiens volontaires en Nouvelle Calédonie présidée par Isitio.
263 SPENCER Michel & Alan WARD & John CONNELL, Nouvelle Calédonie, Essai sur le nationalisme et la dépendance, La Nouvelle Calédonie de 1945 à 1955 , la politique de l’emploi et l’immigration, Editions L’Harmattan, 1989, p 117.
264 La création des missions va obliger les populations dispersées à vivre dans un lieu commun de proximité à l’Eglise. La mission de Saint Louis sera un lieu de déportation de personnes venant du nord et de la côte est.

Page suivante : CHAPITRE VIII : DIASPORA, FORMATION COMMUNAUTAIRE ET RECHERCHE IDENTITAIRE

Retour au menu : Enracinements « polynésiens » d’hier et d’aujourd’hui : Le cas des Wallisiens dans l’archipel de la Nouvelle Calédonie : histoires, mythes et migrations : Entre « Uvea Mamao » et « Uvea Lalo »