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CHAPITRE PREMIER : LE REGIME PARTICULIER DES CREDITS EVALUATIFS

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Tel qu’il a été modifié par la loi n ° 70-22 du 7 mai 1970, l’article 24 de la LOB disposait : « si, en cours de gestion, les recettes d’un fonds spécial du trésor dont les dépenses ont un caractère évaluatif, apparaissent supérieures aux évaluations, les crédits de ces fonds peuvent être majorés par arrêté du ministre des finances dans la limite de l’excédent enregistré ». Contrairement à son homologue français, le texte organique tunisien ne définissait pas la notion de crédit évaluatif. Dans son alinéa 1er l’article 10 de la LOLF dispose, que « les crédits relatifs aux charges de la dette de l’État, aux remboursements, restitutions et dégrèvements et à la mise en jeu des garanties accordées par l’État ont un caractère évaluatif. Les dépenses auxquelles s’appliquent les crédits évaluatifs s’imputent, si nécessaire, au-delà des crédits ouverts » (40). En France, les crédits évaluatifs peuvent être dépassés « dans une mesure illimitée » (41), leur dépassement s’effectue sans formalité « puisqu’ils s’appliquent à des dépenses obligatoires et approuvées par le législateur (42)».

Les crédits des fonds spéciaux du trésor dont les dépenses ont un caractère évaluatif, s’appliquent à des dépenses à ressources affectées. Leur dépassement se limite à l’excédent des recettes réalisées en cours d’année et nécessite l’ouverture de crédits additionnels par voie d’arrêté du ministre des finances. Ce procédé de la majoration des prévisions initiales de ces fonds spéciaux du trésor dans la limite de l’excédant des recettes réalisées s’apparente plus, au procédé de majoration des comptes à affectation spéciale prévu par l’article 25 de l’Ordonnance française de 1959, qu’a la notion originaire des crédits évaluatifs telle que définie par l’article 9 (43). Limité au début aux dépenses de certains fonds spéciaux du trésor, ce procédé de majoration s’applique actuellement à toutes les dépenses à ressources affectées.

Outre les crédits à ressources affectées, la LOB accorde le caractère évaluatif aux dépenses de la dette publique. Depuis sa modification en 2004, l’alinéa 3 de l’article 11 de la LOB prévoit qu’« un chapitre spécifique est ouvert pour la dette publique en principal et en intérêts, les dépenses de ce chapitre ont un caractère évaluatif. Les dépenses additionnelles sont payées, le cas échant, sur les ressources du trésor public et elles sont prises en considération par la loi de règlement du budget de l’État ». Le régime des crédits évaluatifs relatifs à la dette publique, se distingue nettement de celui des dépenses à ressources affectées au moins à deux niveaux. Le dépassement des crédits évaluatifs de la dette publique n’est pas limité dans son montant. Les dépenses additionnelles sont prises en charges directement par le trésor public et s’effectuent au détriment de l’équilibre budgétaire établi par la loi de finances.

En effet, avant que la LOB ne le précise, les dépenses de la dette publique avaient déjà un caractère évaluatif en vertu de la loi n ° 85-74 du 20 juillet 1985 relative à la définition et à la sanction des fautes de gestion commises à l’égard de l’État, des établissements publics administratifs, des collectivités publiques locales et des entreprises publiques, et à la création d’une cour de discipline financière. L’alinéa 3 de son article 2 énonçait que « les crédits évaluatifs couvrent les dépenses à caractère inéluctable et servent à acquitter les dettes de l’État, des établissements publics ou des collectivités publiques locales … ils s’appliquent à la dette publique, à la dette viagère, aux remboursements et restitutions, aux traitements salaires et prestations sociales ainsi qu’aux dépenses énumérées à un état annexe à la loi de finances… ».

On distingue deux catégories de crédits évaluatifs. Il y’a ceux qui sont évaluatifs parce qu’ils s’appliquent à des crédits à ressources affectées (Section II : les crédits à ressources affectées). Parallèlement à ces derniers, il existe dans le budget de l’État des crédits qui « ont par leur nature même, un caractère évaluatif »(44) (Section II : les crédits évaluatifs par nature).

Section I : Les crédits évaluatifs par nature

Les crédits évaluatifs prévus par la loi n ° 85-74 du 20 juillet 1985 s’appliquent à des dépenses obligatoires (Paragraphe I : les dépenses obligatoires). Leur dépassement s’effectue dans une mesure illimitée (Paragraphe II : le dépassement des crédits évaluatifs par nature).

Paragraphe premier : Les dépenses obligatoires

Vis-à-vis des dépenses obligatoires, l’autorisation budgétaire vaut obligation de payer. Les dépenses de cette nature doivent être acquittées quelque soit leur montant, puisqu’elles « sont consécutives à des actes créateurs d’obligations juridiques à la charge de l’État » (45).

Selon le professeur Di Malta, les dépenses à caractère obligatoire doivent être inscrites, chaque année dans le budget. On peut distinguer trois grandes catégories de dépenses obligatoires : les dépenses d’intérêt local, les dépenses d’intérêt général et les dépenses dans l’intérêt des tiers, mais c’est surtout au niveau du droit budgétaire local qu’elles sont les plus abondantes (46). Le caractère obligatoire d’une dépense résulte des engagements antérieurs de l’État, émanant de « l’application des lois, décrets, règlements et conventions » (47). Si, elles ne sont pas votées, « les crédits correspondants peuvent être ouverts d’office par l’administration supérieur » (48).

En Tunisie, le caractère obligatoire des crédits évaluatifs prévus à l’article 2 de la loi n ° 85-74 du 20 juillet 1985, découle du terme « inéluctable » qui veut dire, contre lesquels on ne peut lutter, inévitable (49). En raison des obligations à la charge de l’État, l’exécution de ces dépenses ne saurait être mise « en échec par une insuffisante dotation initiale » (50). Du point de vue juridique, les crédits évaluatifs par nature « sont assortis d’un montant indéterminé qui peut être théoriquement dépassé par le gouvernement dans une mesure illimitée » (51).

Les dépenses obligatoires servent à acquitter les dettes de l’État. Elles résultent des textes antérieurs créant une obligation à la charge de l’État. Ce dernier ne peut se soustraire à de telles obligations, il est tenu d’acquitter ses créances même au-delà du montant des crédits ouverts par la loi de finances. Au cas où le montant initialement autorisé s’avère insuffisant, l’administration peut effectuer des dépenses supplémentaires au-delà du chiffre indiqué dans le budget. D’ailleurs, dans son deuxième alinéa, l’article 2 de la loi n ° 85-74 du 20 juillet 1985 dispose que « l’engagement de dépenses sur crédits évaluatifs, au-delà des dotations prévues par le budget, n’entraîne pas la mise en jeu de la responsabilité de l’auteur de l’engagement ». Ainsi, étant donnée que les crédits afférents aux dépenses obligatoires peuvent être dépassés à concurrence de n’importe quel montant, on craint que le gouvernement n’ait la tentation « de camoufler une partie du déficit budgétaire par une sous évaluation systématique des crédits évaluatifs » (52).

Le caractère évaluatif des dépenses obligatoires s’explique par le fait qu’au moment de l’évaluation, il est impossible de prédéterminer le montant de ces dépenses autrement « qu’à titre d’indication et d’estimation dans le budget » (53). Les dépenses à caractère inéluctable concernent, la dette publique, la dette viagère, les remboursements, les restitutions, les traitements, les salaires et les prestations sociales.

Les dépenses de la dette publique ont un caractère obligatoire tant qu’elles découlent des engagements de l’État à l’égard des bailleurs de fonds, elles sont évaluatives « dans la mesure où les fluctuations des taux de change peuvent agir sur leur montant à la hausse ou à la baisse » (54). Les dépenses de la dette viagère, des remboursements et des restitutions, découlent d’une obligation d’indemniser. Elles sont évaluatives du fait qu’elles s’appliquent à des dépenses incertaines. Enfin, en ce qui concerne les traitements et salaires, ils ont certes un caractère inéluctable puisqu’ils découlent des décisions de nomination des fonctionnaires et des agents publics entraînant obligation de rémunérer. En revanche, pour ces derniers, « il est possible non seulement de prévoir ce qu’ils coûteront, mais encore de décider qu’on entend se tenir dans les bornes de ces évaluations » (55). Le montant des crédits relatifs aux traitements et salaires peut être déterminé avec précision dès le début de l’année et même les aspects variables tels que les transformations d’emplois, les avancements, ou les modifications, sont parfaitement prévisibles (56).

D’après l’article 2 de la loi n ° 85-74, les crédits évaluatifs par nature s’appliquent également « aux dépenses énumérées dans un état annexé à la loi de finances ». Cette disposition offre au gouvernement, la possibilité d’insérer dans un état annexe à la loi de finances, des crédits évaluatifs autres que ceux déjà prévus par la loi. Afin de garder un certain sens à l’autorisation budgétaire, il est préférable d’interpréter cette disposition de façon stricte. Outre les dépenses évaluatives déjà prévues par le législateur, seules des dépenses à caractère inéluctable peuvent figurer dans ces annexes. En pratique, aucun état annexe n’a été dressé pour désigner les crédits évaluatifs par nature (57). Selon le professeur L. Mechichi, une telle disposition aurait dû trouver sa place au niveau de la LOB, car « c’est ce texte qui préside à l’élaboration du projet de loi de finances et en détermine le contenu ».

D’après l’article 10 de la LOLF, les dépenses obligatoires peuvent être effectuées « si nécessaire, au-delà des crédits ouverts. Dans cette hypothèse, le ministre chargé des finances informe les commissions de l’Assemblée nationale et du Sénat chargées des finances des motifs du dépassement et des perspectives d’exécution jusqu’à la fin de l’année ».

Paragraphe deuxième : Le dépassement des crédits évaluatifs par nature

Les crédits évaluatifs par nature, sont par définition même, susceptibles de dépassement . Les dépenses auxquels ils s’appliquent, peuvent être engagées au-delà du montant indiqué dans la loi de finances, sans qu’il y’ait faute de gestion. La loi n ° 85-74, n’indique aucune procédure particulière quant à leur dépassement, et se contente d’affirmer, que l’engagement de dépenses sur ces crédits « au-delà des dotations prévues par le budget n’entraine pas la mise en jeu de la responsabilité de l’auteur de l’engagement ». Ainsi, le dépassement des crédits évaluatifs par nature n’est pas conditionné par l’ouverture d’un nouveau crédit, il s’effectue de façon tacite et n’apparait « dans aucun acte budgétaire de nature réglementaire mais résulte d’actes administratifs généraux » (59). D’après l’article 11 de la LOB, les dépenses additionnelles relatives à la dette publique « sont payées, le cas échéant, sur les ressources du trésor public et elles sont prises en considération par la loi de règlement du budget ». Ces dépenses sont exécutées selon une procédure comptable particulière. En effet, d’après l’article 54 CCP « le paiement des dépenses de trésorerie a lieu sans ordonnancement » (60).

La dotation totale du chapitre de la dette publique initialement autorisée par la loi de finances, a été dépassée entre 2002 et 2008 à une seule reprise. En 2006, les dépenses ordonnancées au titre de la dette publique en principal et en intérêt, ont été constatées par la loi de règlement à 3983 MD, alors que la prévision initiale avait été évaluée à 3869 MD, à savoir un taux de dépassement de 2,8 % du montant initial du crédit. Les dépenses additionnelles, n’ont pas été autorisées par une loi de finances complémentaire et n’ont fait l’objet d’aucun acte réglementaire portant majoration des dotations initiales (61).

En France, les crédits évaluatifs apparaissent dans la loi de finances dans des chapitres distincts de ceux relatifs aux crédits limitatifs, ce qui n’est pas le cas en Tunisie. En fait, à part les crédits de la dette publique qui, d’après l’article 11 de la LOB, font l’objet d’un chapitre spécifique, on ne trouve dans le budget de l’État aucun chapitre, article ou partie portant la mention « dette viagère », « traitement et salaires », « remboursements et restitutions » ou « prestations sociales ».

La nomenclature budgétaire établie par la loi de finances et le décret de répartition des crédits par article, ne laisse pas apparaître toutes les dépenses à caractère inéluctable (62). L’autorisation de dépense connaît des limites quant au degré de sa précision. Il est possible que les crédits afférents à ces dépenses obligatoires découlent d’une spécialisation plus poussée, effectuée par les arrêtés, portant répartition des crédits au sein des articles par paragraphe, et par sous paragraphe. Comme il se peut que certaines dépenses inéluctables ne soient pas inscrites dans la loi de finances et ne correspondent ainsi, à aucun crédit budgétaire.

À l’occasion des débats parlementaires intervenus lors de la modification de la LOB, par la loi du 13 mai 2004, et en réponse à une question posée par la commission parlementaire, le ministre des finances a considéré que l’augmentation des crédits de la Partie I du budget des dépenses, intitulée « rémunérations publiques », peut conduire à la création d’une « dépense obligatoire et perpétuelle » (63). D’après l’article 4 du décret n ° 99-529, fixant la nomenclature des dépenses du budget de l’État, les articles de la partie rémunérations publiques, comprennent des paragraphes correspondant aux « traitements de base, aux catégories d’indemnités et aux cotisations y rattachées et ce, pour les agents de l’État et les agents des établissements publiques rémunérés par l’État ».

En pratique, les crédits de la partie rémunérations publiques, subissent chaque année, des dépassements. Sur certains chapitres budgétaires, on constate des dépassements qui se répètent chaque année, de façon systématique. Tel est le cas du chapitre relatif à la présidence de la République, et de celui qui concerne le ministère du commerce (64). Le dépassement des crédits relatifs aux traitements et salaires, s’accompagne souvent, d’ouverture de crédits additionnels, par voie réglementaire (65). Toutefois, en 2006, les prévisions initiales établies par la loi de finances de l’année, ont été estimées à titre de rémunérations au profit de la présidence de la République à 29689 MD, et les dépenses effectives constatées par la loi de règlement du budget, s’élevaient à 30046 MD, alors que ce dépassement n’était apparu dans aucun acte budgétaire de nature réglementaire ou législative (66).

L’autorisation des dépenses obligatoires n’est pas limitée dans son montant. Pour les crédits évaluatifs par nature, le montant indiqué dans les tableaux budgétaires n’a qu’une valeur indicative. Cette catégorie de crédits évaluatifs, prévue par la loi n ° 85-74, et reprise dans la LOB suite à la révision de 2004, se distingue nettement des crédits sur ressources affectées. Pour ces derniers, le dépassement de crédit, est limité à un excédent de recettes enregistré en cours d’année, et suppose l’ouverture d’un crédit additionnel par voie d’arrêté.

Section II : Les crédits sur ressources affectées

Le caractère évaluatif des crédits sur ressources affectées, ne se justifie pas par le caractère obligatoire de la dépense, mais plutôt, par la décision d’affectation. En effet, le fait de soumettre la réalisation d’une dépense, à l’encaissement d’une recette précise, conduit à ce que « les crédits autorisés par le parlement auront un caractère purement approximatif, évaluatif et non limitatif » (67). En effet, l’évaluation des recettes, est par sa nature même indicative; autoriser le gouvernement à dépenser « jusqu’à concurrence de telle recettes revient à lui donner une autorisation très floue » (68). Le système d’affectation, entre recettes et dépenses, conduit « à des autorisations de dépenses indéterminées » (69). Le montant de ces crédits, « varie en fonction de la ressources affectée » (70). Au cas où le montant des ressources réalisées, s’avère supérieur aux prévisions, il est possible d’affecter l’excédent réalisé, à de nouvelles dépenses, par voie d’arrêté.

La règle de la non-affectation, est consacrée à l’article 16 de la LOB, elle « se justifie par la volonté de ne pas soumettre la réalisation des dépenses aux aléas de l’encaissement de certaines recettes » (71), le même article ajoute que « certaines ressources peuvent être affectées à certaines dépenses sous forme de fonds de trésors et de fonds spéciaux ».

À coté des crédits des fonds spéciaux, et des fonds spéciaux du trésor ; les crédits sur ressources affectées, s’appliquent également, aux dépenses des établissements publics, dotés d’un budget rattaché pour ordre, et aux opérations sur emprunt extérieur affecté. Ces opérations sont présentées dans le budget toujours en équilibre, le montant des dépenses étant toujours égal au montant des prévisions des recettes. Elles sont aussi exécutées en équilibre, et au cas où le montant des recettes réalisées, dépasse les prévisions initiales, le gouvernement peut majorer les crédits ouverts par la loi de finances, par voie d’arrêté. Ainsi, le dépassement de cette catégorie de crédits évaluatifs, n’altère pas, l’équilibre budgétaire initial de ces comptes, il ne fait que l’ajuster.

Outre la règle de l’universalité, l’affectation entre recettes et dépenses peut altérer la règle de l’unité. Parfois les opérations sur ressources affectées, apparaissent dans la loi de finances, de manière séparée, et conduisent à des divisions dans le budget de l’État. En Tunisie, le budget des dépenses présente deux divisions. D’une part, le budget général présenté sous forme d’autorisation spécialisée par chapitres, et par parties (Paragraphe I : les crédits évaluatifs du budget général). D’autre part, on retrouve les opérations relatives aux FST et aux BRPO qui se présentent sous forme d’autorisations contractées (Paragraphe II : les autorisations contractées).

Paragraphe I : Les crédits évaluatifs du budget général

L’endettement extérieur est un mode de financement pratiqué dans la plupart des pays en voie de développement, et même dans ceux les plus développés. L’emprunt extérieur affecté, constitue un procédé spécifique d’emprunt, qui consiste à affecter, les prêts accordés, à des dépenses bien précises et connues d’avance, servant à financer directement et exclusivement, des projets pré-étudiés.

Cette technique d’emprunt, assez spécifique, s’est développée dans les années quatre-vingt, suite à la crise d’insolvabilité, provoquée par le quadruplement du prix du pétrole. Elle s’applique aussi bien, aux prêts multilatéraux accordés par les institutions financières internationales, telles que la BIRD et l’AID (72), qu’à des prêts bilatéraux.

L’emprunt extérieur affecté, est un procédé d’affectation complexe. La décision d’affectation se trouve déjà approuvée « à un échelon extrabudgétaire par la convention internationale liant la Tunisie et l’organisme international ou l’État, partie pourvoyeuse de concours » (73). Elle est par la suite transposée, au niveau de la loi de finances, qui l’intègre dans le budget de l’État.

La volonté du parlement est conditionnée par l’acte international, ce dernier n’a pas la possibilité de déjouer la destination de ces recettes. Les fonds empruntés doivent financer des dépenses bien déterminées, et prévues par la convention internationale. En concluant l’accord d’emprunt, l’État s’engage, à utiliser les fonds empruntés, uniquement, pour financer le projet en cause.

Les opérations sur emprunts extérieurs affectés furent intégrées la première fois dans le budget par la loi n ° 89-115, portant loi de finances pour l’année 1990. Son article 15, dispose que « les recettes en capital de l’État provenant des emprunts extérieurs affectés à des projets sont fixées pour l’année 1990 à 162,32 MD ». Actuellement, ces ressources s’élèvent à 742,92 MD (74). Les prévisions des recettes sur emprunts extérieurs affectés, figurent à la neuvième catégorie du budget des recettes, les crédits afférents sont inscrits à la 9ème Partie du budget des dépenses, intitulée « dépenses de développement sur ressources extérieures affectées ».

Afin de constater la juste affectation de l’emprunt, les organismes prêteurs versent les prêts « par tranches séparées dans le temps » (75). Les versements s’effectuent en fonction « de l’avancement des travaux » (76). Au cas où les versements effectifs s’avèrent supérieurs aux prévisions initialement établies par la loi de finances, il est possible d’affecter l’excédent constaté en cours d’année, à la couverture de dépenses additionnelles, par simple arrêté du ministre des finances.

Au moment du vote du budget, le Parlement « ne pouvait pas connaître la provenance de ces recettes affectées ni leur composition ni même la nature des projets auxquels elles sont destinées ». D’après le deuxième alinéa de l’article 16 de la LOB, introduit par la réforme du 26 décembre 1989, les dépenses sur emprunts extérieurs affectés « revêtent un caractère évaluatif. Toute augmentation de ces dépenses est effectuée par arrêté du ministre des finances ». L’augmentation des prévisions des dépenses sur emprunts extérieurs affectés, doit correspondre à la différence entre les prévisions initiales de ces ressources, et leurs versements effectifs. Les ressources supplémentaires employées directement, au financement des projets de développement, doivent provenir d’un supplément « du prêt affecté » (77).

Ce procédé d’affectation spécifique, s’apparente à la technique de rattachement des fonds de concours. Ces derniers, constituent « des sommes versées par des personnes morales ou physiques pour contribuer au financement de certaines dépenses d’intérêt général » (78). Tout comme les opérations sur emprunts extérieurs affectés, l’affectation des fonds de concours permet d’assigner au sein du budget de l’État, des recettes supplémentaires, et de les affecter à la couverture de nouvelles dépenses, par simple arrêté du ministre des finances.

Les crédits des fonds de concours apparaissent dans le budget de l’État pour mémoire, aucune évaluation n’est faite à leur égard. Ce caractère imprécis de l’autorisation des fonds de concours, s’explique par le fait qu’au moment de la préparation du PLF, on ne peut prévoir « jusqu’à quelles mesures des personnes morales ou physiques veulent bien nouer avec l’administration » (79). Comme les opérations sur emprunts extérieurs affectés, le rattachement des fonds de concours, constitue une procédure budgétaire d’exception, qui vise à ouvrir des crédits au delà de ce qui figure dans la LFI, et de les affecter par exception à la règle de l’universalité, au paiement de certaines dépenses, par simple arrêté du ministre des finances. En principe, les recettes des fonds de concours, sont destinées à financer des travaux publics, prévus par les contrats d’offre de concours, à l’exclusion de toute autre catégorie de dépense.

Ces crédits évaluatifs inscrits au niveau du Titre II du budget des dépenses, couvre des dépenses de développement, ils sont présentés dans le budget selon une spécialisation par chapitre et par partie. Ce, n’est pas le cas des crédits évaluatifs des FST et des BRPO, dont on ignore leur destination précise, tant qu’ils prennent la forme d’autorisation contractée.

Paragraphe II : Les autorisations contractées

L’autorisation de dépense des budgets rattachés pour ordre, et des fonds spéciaux du trésor, a un caractère contracté. En ce qui concerne ces dépenses, le Parlement ne se prononce pas sur un objet précis, il se contente d’autoriser le montant des crédits alloués à chaque fonds spécial du trésor, ou établissement public, sans se prononcer sur l’objet de la dépense à effectuer. Le gouvernement a la « latitude de disposer comme il l’entend de son affectation précise » (80).

Les fonds spéciaux du trésor sont définis par l’article 19 de la LOB, comme étant des comptes permettant « l’affectation de recettes particulières au financement d’opérations précises de certains services publics ». Ces services ne sont dotés, ni de la personnalité juridique, ni de l’autonomie financière, et leur gestion incombe aux divers ministères intéressés. Sous l’empire de l’ancienne LOB de 1960, les opérations des FST n’étaient pas inscrites au budget de l’État, elles étaient gérées directement par le Trésor public, d’où leur nom. C’est en vertu de la LOB de 1967 que les opérations des FST, furent intégrées dans le budget.

Aujourd’hui, les opérations des FST figurent dans la loi de finances à plusieurs niveaux. Les recettes de ces fonds sont inscrites dans la 5ème section du budget des recettes, elles proviennent de recettes fiscales ou non fiscales. Les prévisions de dépenses, font l’objet de la 11ème Partie du Titre II du budget des dépenses. Ces comptes sont tracés par la suite, dans des tableaux distincts, du budget général.

La loi n° 22-70, relative à l’assainissement des finances publiques, accorde un caractère évaluatif aux dépenses de certains FST. Elle accorde en fait, au gouvernement, la possibilité de majorer les dotations initiales, par voie d’arrêté, au cas où un FST, dégagerait en cours d’année, un excédent de recettes. Depuis la dernière modification de la LOB par la loi du 13 mai 2004, les dépenses de tous les FST ont acquis un caractère évaluatif. Désormais, l’article 21 alinéa 2 de l’actuelle LOB, dispose que « les recettes et les dépenses des dits fonds ont un caractère évaluatif. Néanmoins, les dépenses de ces fonds, peuvent être augmentées, au cours de l’année, par arrêté du ministre des finances, et ce dans la limite de l’augmentation enregistrée des recettes ». Ainsi, au cas où le service bénéficiaire dégage, en cours d’année, un supplément de recettes, il est possible d’affecter cet excédent, à de nouvelles dépenses, non prévues par la loi de finances initiale.

La loi du 13 mai 2004 portant modification de la LOB, accorde plus de souplesse, dans l’utilisation de ce procédé de majoration des crédits des FST. En fait, telles que prévues par la loi n ° 70-22, relative à l’assainissement des finances publiques, les recettes supplémentaires, proviennent uniquement, d’un excédent réalisé. Elles ne peuvent être, que le résultat, d’une sous-évaluation initiale. La majoration de ces comptes, ne peut intervenir que si, « les recettes apparaissent supérieures aux évaluations » (81). La formule actuelle apparait plus permissive. Elle permet d’augmenter, les dotations de ces dépenses, même par la création d’une nouvelle recette non prévue par la loi de finances initiale (82).

Ces dernières années, le gouvernement a tendance à négliger ce procédé de majoration des crédits des FST. Le dernier arrêté de majoration date de 1993, il s’agit de l’arrêté du 5 novembre 1993, portant augmentation des dépenses de certains FST, dont le fameux « fonds de solidarité nationale ». Les prévisions de ces dépenses sont passées, de 20 MD à 35 MD ; à savoir un taux de 75 % des dotations initiales. Après cette date, les dépassements des crédits des FST sont le plus souvent autorisés par voie législative, dans le cadre d’une loi de finances complémentaire.

Certains dépassements des crédits des FST, ont été financés, par des recettes reportées d’un exercice précédent. Le décret du 29 septembre 1992 a augmenté les crédits du « fonds de la coopération et de la mutualité », de 100 000 dinars à 900 000 dinars. Les dépenses additionnelles ne provenaient pas d’un excédent de recette réalisé en cours d’année, mais plutôt, d’un solde disponible, non utilisé durant l’exercice précédent. D’ailleurs, on peut lire dans l’arrêté que : « attendu que le montant prévisible des recettes du fonds de la coopération et de la mutualité pour la gestion 1992 permet le prélèvement complémentaire de 800 000 d compte tenu du solde disponible du fonds au 31 décembre 1991 ».

D’autres manifestations de la pratique de ce procédé sont illustrées par l’arrêté du 2 février 1981, portant augmentation des prévisions de la caisse générale de compensation de 104 MD à 199 MD. Dans ce cas, les dépenses additionnelles n’avaient pas pour origine un excédent de recettes réalisé en cours d’année, ni une nouvelle recette crée en cours d’année, ni même un solde reporté. Les crédits supplémentaires ont été financés par un prêt du trésor. Cette pratique, dénoncée par la doctrine (83), apparaît contraire au texte, car les prêts du trésor ne constituent pas de véritables recettes aux yeux du droit budgétaire, mais plutôt, des recettes temporaires, qui doivent être remboursées. En effet, les prêts du trésor ont un objet précis, ils ne peuvent pas être octroyés au profil des FST et concernent uniquement les dépenses des entreprises publiques. D’ailleurs, d’après l’article 62 CCP, les prêts du trésor servent au « financement d’opérations qui, en raison de leur nature, ne sont pas susceptibles d’être couvertes au moyen de dotations du budget général de l’État ».

Tout comme la technique des FST, le rattachement budgétaire pour ordre constitue une exception à tous les principes budgétaires. La distinction entre ces deux techniques tient au fait que les dépenses des BRPO peuvent être financées, outre par leurs ressources propres, par des subventions d’équilibre provenant directement du budget général.

Les budgets rattachés pour ordre sont des comptes qui retracent les opérations financières de certains établissements publics à caractère administratif soumis au code de la comptabilité publique. La technique du rattachement budgétaire pour ordre permet la préservation de l’autonomie de ces personnes publiques distinctes de l’État, tout en intégrant leurs opérations financières dans le budget de l’État. Les budgets rattachés pour ordre sont tracés dans la loi de finances dans des tableaux séparés. Les prévisions des ressources des BRPO sont représentées dans deux colonnes, une première pour les recettes propres et une deuxième pour les subventions. Les prévisions des dépenses font l’objet d’une seule colonne dont le montant totalise l’ensemble des recettes. Les budgets de ces établissements publics sont classés par chapitre en fonction du ministère de tutelle.

Depuis la révision de la LOB par la loi n ° 96-103 du 25 novembre 1996, les dépenses des établissements publics dotés d’un budget rattaché pour ordre à celui de l’État, acquièrent un caractère évaluatif. Sauf qu’en réalité, même avant cette date, le gouvernement disposait déjà de la faculté de majorer ces crédits. Autrefois, on distinguait deux techniques permettant de majorer les dépenses de ces établissements publics. D’une part, la procédure prévue par l’article 40 bis ancien ajouté par la loi n ° 74-75 qui, autorisait le gouvernement à augmenter ces crédits « dans le cas où l’établissement bénéficie d’une subvention complémentaire, ou dégage, en cours d’année, une plus-value de ressources propres ». L’autre procédure était prévue par l’article 21 bis ancien et permettait l’ouverture de crédits supplémentaires au niveau du Titre II section 2 dénommée « dépenses sur ressources reportables ou exceptionnelles », cette disposition était laconique et ne précisait pas la provenance de ces ressources, ni l’autorité compétente pour majorer les dotations.

Le régime juridique des BRPO a connu une véritable évolution, il a fait l’objet de diverses modifications tendant à simplifier l’usage de cette technique. La modification de 1996 a supprimé la distinction qui existait entre dépenses d’équipement et dépenses de développement, elle a accordé un caractère évaluatif aux dépenses de ces budgets, tout en uniformisant le procédé de leur majoration. L’article 18 de l’actuelle LOB tel que modifié en 2004, dispose que « le budget d’un établissement public a un caractère évaluatif… le budget de l’établissement public, bénéficiant d’une subvention du budget de l’État, peut être modifié à l’intérieur de chaque titre au cours de l’année en recettes et en dépenses par arrête de l’autorité de tutelle ». Le dépassement est ainsi encadré par des conditions plus strictes, il s’effectue uniquement lorsque l’établissement public bénéficie d’une subvention complémentaire, non prévue par la loi de finances. En pratique, l’utilisation de ce procédé de majoration des dépenses des BRPO, prévu par l’article 18 de la LOB, reste très limitée. Les prévisions des crédits des BRPO sont le plus souvent modifiées par voie de lois de finances complémentaires, qui constituent le précédé de droit commun en matière de dépassement de crédits.

40 La loi organique n ° 2001-692 du 1er août 2001, est le cadre actuel de la législation budgétaire française. Elle vient remplacer l’Ordonnance organique du 2 janvier 1959 qui disposait dans son article 9, que « les crédits évaluatifs servent à acquitter les dettes de l’État résultant de dispositions législatives spéciales ou de conventions permanentes approuvées par la loi, les dépenses auxquelles s’appliquent les crédits évaluatifs s’imputent, au besoin, au-delà de la dotation inscrite aux chapitres qui les concernent ».
41 (P) Amselek, supra, p 3093.
42 (P-M) Gaudemet, (J) Molinier, supra, p 321.
43 Dans son alinéa 2 l’article 25 de l’ordonnance française du 2 janvier 1959, disposait que « si, en cours d’année, les recettes d’un compte d’affectation spéciale apparaissent supérieures aux évaluations, les crédits peuvent être majorés par arrêté du ministre des finances dans la limite de cet excédent de recettes ».
44 (L) Mechichi, « Le budget de l’État en Tunisie », p 757.
45 M. Paul, cité par (L). Mechichi, supra, p 759.
46 L’auteur cite quelque exemples « dépenses d’intérêt local (personnel, entretien, défense incendie, bâtiments communaux). Dépenses d’intérêt général (aide sociale, état civil, cadastre, enseignement primaire, etc.). Les dépenses dans l’intérêt des tiers. » . (P) Di malta, (J-C) Martinez, « Droit budgétaire », Paris 1991, p 411.
47 Article 2 de la loi n ° 85-74 du 20 juillet 1985.
48 (J) Magnet, « éléments de comptabilité publique », 3ème édition L.G.D.J, p 67.
49 La version arabe de texte utilise l’expression « المصاريف ذات الصبغة الحتمية »
50 (M) Bouvier, (M-C) Esclassan, (J-P) Lassale, « Finances publiques », 5ème édition L.G.D.J, p 326.
51 (R) Jenayah, « Budget et plan », thèse pour le doctorat d’État en droit, Tunis 1982, p 341.
52 (P) Amselek, supra, p 309.
53 (E) Allix, supra, p 39.
54 (L) Chikhaoui, « Précis de finances publique », Tome I : « Droit budgétaire », Centre de Publication Universitaire, Tunis 2004, P 178.
55 (E) Allix, supra, p 40.
56 (L) Mechichi, supra, p 759.
57 En France, les crédits évaluatifs énumérés dans les annexes budgétaires concernent « les cotisations sociales, les prestations sociales, les bonifications d’intérêt, les avances aux collectivités locales sur le montant des impositions leur revenant ». (P-M) Gaudemet, (J) Molinier, supra, p 321.
58 (P) Di Malta, (J-C) Martinez, « Droit budgétaire», Litec 1989, p 456.
59 (L) Mechichi, supra, p 765.
60 L’article 40 du CCP précise : « sont payées sans ordonnancement, les pensions et allocations servies par la caisse nationale de retraite, le ministère de la défense nationale, ainsi que les rentes et majorations allouées par le fonds spécial des accidents de travail, les arrérages d’amortissements et d’intérêts de la dette publique… ces dépenses font l’objet d’un ordonnancement de régulation après paiement ».
61 Voir Tableaux (A), annexes, p 76.
62 À ce niveau, il y a lieu de distinguer entre la dépense publique et le crédit budgétaires. Le crédit budgétaire « est l’autorisation donnée dans le budget de dépenser jusqu’à concurrence d’une somme. La dépenses c’est l’emploi qu’on fait du crédit ». (E) Allix, supra, p 39. Il arrive qu’une dépense publique soit effectuée sans qu’un crédit ne soit ouvert à son égard, c’est l’hypothèse des dépenses non budgétisées. Comme il arrive qu’un crédit ne soit pas suivi par une dépense, c’est le cas de la non-utilisation du crédit.
63 (I) Bouaneni, « Le pouvoir réglementaire en matière budgétaire », mémoire en vue de l’obtention du mastère en droit public et financier, Tunis 2005, p 54.
64 Voir tableau B
65 Pour augmenter les prévisions des crédits de la Partie I « rémunérations publiques », le gouvernement a souvent recours aux décrets d’ouverture des crédits complémentaires par prélèvement sur le chapitre réservoir.
66 Voir Tableau (B), annexes, p 76.
67 (L) Mechichi, supra, p 176.
68 (L) Mechichi, supra, p 176.
69 (M) Bouvier, supra, p 249.
70 (M) Bouvier, supra, p 249.
71 (P-M) Gaudemet, (J) Molinier, « Finances publiques », Tome II : « Fiscalité », 6ème édition Montchrestien, Paris 1992, p 18.
72 « La caractéristique essentielle du financement multilatéral réside dans l’affectation systématique de chaque crédit à un projet spécifique… ». (M) Gargouri, (P) De Pastor, « Les relations de la Tunisie avec les institutions financières internationales », in servir 1984, p
73 (L) Mechichi, supra, p 228.
74 La loi n ° 2010-58 du 17 décembre 2010 portant loi de finances pour l’année 2011.
75 (L) Mechichi, supra, p 230.
76 (L) Mechichi, supra, p 230.
77 (L) Mechichi, supra, p 239.
78 Article 19 de la LOB.
79 (L) Mechichi, supra, p 232.
80 (L) Mechichi, supra, p 792.
81 (L) Mechichi, supra, p 35
82 L’affectation d’une nouvelle recette aux dépenses des FST ne peut intervenir que par voie d’une LFC puisque c’est seulement au niveau de ce texte que la décision d’affectation peut être prise.
83 Selon le professeur R. Jenayah «le prêt de 90 MD consenti par le trésor public à la caisse ne constitue pas une recette, au sens du droit budgétaire, et le droit fiscale, mais bel et bien une ressource de trésorerie de nature à porter atteinte à l’équilibre budgétaire initialement prévu par la loi de finances ». Quant à Monsieur Mechichi, il affirme que : « bien qu’ils ne rompent pas en fait l’équilibre général des finances publiques initialement prévu-les 95 MD de prêts du trésor étaient calculés et prévus, au départ, par la loi de finances- cette pratique était d’une légalité douteuse ».

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