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Chapitre 2 : Les moyens pour améliorer la réparation du préjudice corporel de toutes les victimes

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Section 1 : L’analyse des perspectives d’évolution du régime d’indemnisation des accidents de la circulation

Bien que la loi Badinter ait permis d’améliorer le sort des victimes d’accidents de la circulation, le régime discriminatoire institué ne se justifiant plus, l’heure de la réforme semble avoir sonné. Il convient d’analyser les propositions de réforme actuelle, ainsi que les systèmes d’indemnisation adoptés par les auteurs pays, dont on pourrait s’inspirer.

Paragraphe 1 : Les propositions actuelles visant à améliorer la situation des conducteurs

A- L’évolution du concept de responsabilité civile

La Loi Badinter est un compromis entre le régime de responsabilité et le régime d’indemnisation. Ce qui est regrettable, c’est que le législateur n’ait pas vraiment tranché entre l’adoption d’un système de responsabilité civile, et celle de l’indemnisation automatique. Système de responsabilité civile parce que la faute de la victime est opposable pour limiter son droit. Système d’indemnisation parce que l’auteur du dommage ne peut échapper à sa dette de responsabilité même en cas de force majeure ou fait du tiers. Or, il s’agit de deux systèmes inconciliables. Le choix pour l’un ou l’autre fait l’objet de divergences jurisprudentielles et controversent doctrinales. Certains restent attachés à la conception d’un régime de responsabilité pour faute, alors que d’autres estiment qu’il est temps de faire évoluer le système pour permettre une indemnisation automatique, sans égard à la faute. Sur ce point, Geneviève Giney souhaiterait que « la logique de la réforme soit poussée jusqu’au bout, c’est-à-dire que tous les risques de la circulation soient pris en charge par l’assurance obligatoire, sans égard ni aux fautes, ni aux responsabilités »(161).

L’assurance de responsabilité, parce qu’elle offre une véritable protection des victimes, est par conséquent un facteur de développement du droit de la responsabilité. Avec l’assurance automobile obligatoire, le juge et le législateur ont eu plus de facilité pour admettre la responsabilité, et permettre à la victime d’obtenir une compensation(162). Sur la responsabilité civile médicale, Mr Chabas a précisé que « l’assurance de responsabilité a participé à la
déformation des concepts pour relever à tout prix une responsabilité »(163). Aujourd’hui, la responsabilité est évolutive et s’adapte aux transformations de la société. Comme on l’a vu, les règles depuis 1896, date de consécration d’une responsabilité objective, ne cessent d’évoluer. Avec l’assurance responsabilité civile obligatoire, et la connaissance du risque par l’assureur, on pourrait tout à fait imaginer aligner le régime de victimes conductrices sur celui des non conducteurs. Les propositions législatives actuelles constituent une avancée vers la reconnaissance d’un système détaché de toute idée de responsabilité.

La proposition de loi Béteille

La proposition de loi Béteille (n°657) du 9 juillet 2010, portant réforme de la responsabilité, et reprenant un certain nombre de propositions de réforme du droit des obligations issues du rapport Catala(164) propose ainsi de réformer la loi Badinter.

Les articles 1386-56 à 1386-61 de ce texte, qui reprennent les règles spéciales en matière d’indemnisation du fait d’un accident de la circulation y apportent certaines modifications substantielles. Outre le fait qu’il est prévu d’étendre l’application de ce régime spécial à tout accident impliquant un véhicule terrestre à moteur, y compris les tramways ou trains (article 1386-56), il prévoit à l’article 1386-58 d’aligner la situation du conducteur du véhicule sur celle des autres victimes d’accidents de la circulation en cas de faute ayant contribué au dommage.

Par ailleurs, il propose de supprimer le régime particulier dont bénéficient les victimes jugées vulnérables, c’est-à-dire celles qui ont moins de 16 ans, plus de 70 ans, ou qui sont atteintes d’une incapacité supérieure à 80%. Ainsi, toutes les victimes seraient soumises au même régime, en ce que seule la faute inexcusable ou volontaire pourrait exclure leur droit à indemnisation. Le groupe de travail estime en effet qu’il n’y a pas lieu de maintenir le statut particulier pour les victimes vulnérables, dans la mesure où la faute inexcusable est interprétée de manière tellement restrictive qu’elle équivaut finalement à la notion de faute volontaire.

Par conséquent, si cette proposition de loi était adoptée par le parlement, le conducteur pourrait jouir d’un réel droit à indemnisation, à l’image de celui conféré aux victimes non conductrices. Seule sa faute inexcusable, cause exclusive de l’accident pourrait ainsi exclure son indemnisation. Certains sont hostiles à ce projet. Michel Ehrenfeld, coordinateur technique, direction technique sinistres IARD, AXA France indique que la définition de la faute inexcusable du conducteur, à l’image du non conducteur, pourrait susciter un contentieux long et important(165).

Le rapport annuel de la Cour de Cassation

Les juges de leur côté estiment qu’il est temps de réformer la loi du 5 juillet 1985. Malgré la résistance de la Cour de cassation à vouloir déférer la question prioritaire de constitutionnalité devant le conseil constitutionnel quant à la légalité de l’article 4 de la loi Badinter, il n’en demeure pas moins qu’elle reste consciente des insuffisances de la loi en matière d’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation. Dans son rapport annuel de 2005(166), elle suggère en effet de modifier les dispositions de l’article 3 de la loi et d’abroger l’article 4, ce qui aurait pour effet de mettre fin aux discriminations qui existent aujourd’hui entre les différentes catégories de victimes instituées par cette même loi, ce que prévoit la proposition de loi Béteille. Néanmoins, celle-ci va plus loin.

En reprenant les propos doctrinaux, elle admet que le maintien d’une faute inexcusable opposable aux victimes a eu pour effet de laisser à mi-chemin la réforme visant à mieux les protéger des accidents de la circulation. Malgré l’interprétation très restrictive de la notion de faute inexcusable par la jurisprudence, elle souligne le fait que celle-ci continue d’être régulièrement invoquée par les auteurs des accidents de la circulation et leur assureur, ce qui conduit à un ralentissement de l’indemnisation des victimes, et à une augmentation du nombre de contentieux devant les tribunaux. Elle propose donc de mettre fin à la notion de faute inexcusable et d’instaurer un régime d’indemnisation automatique des victimes.

Afin d’éviter toute fraude, en particulier à l’assurance, elle précise néanmoins qu’il convient de maintenir l’exclusion de l’indemnisation en cas de faute volontaire, ce qui est déjà le cas pour les victimes vulnérables, superprotégées par l’alinéa 3 de l’article 3. En définitive, le rapport propose de supprimer les différentes catégories de victimes et d’aligner le régime sur celui qui existe déjà pour les victimes non conductrices âgées de moins de 16 ans, plus de 70 ans, ou atteintes d’une incapacité permanente ou d’invalidité d’un taux au moins égal à 80%.

Cette proposition semble être la plus adaptée.

D’une part, elle supprime les notions qui ont été source de contentieux, qu’il s’agisse de la faute inexcusable, ou des difficultés à définir ce qu’est un conducteur. D’autre part, elle redonne à la loi Badinter toute son efficacité et sa cohérence en lui permettant de remplir pleinement son objectif initial, à savoir indemniser l’ensemble des victimes d’accidents de la circulation.

Toutefois, certains soutiendront qu’il est important de maintenir la faute inexcusable, opposable aux victimes. En effet, il peut paraitre immoral d’indemniser une victime alors que celle-ci a eu un comportement indigne, révélant un mépris délibéré à l’égard de la société. Par ailleurs, ce système conduit à déresponsabiliser les individus. Certes, on ne voit pas comment celle-ci pourrait solliciter par la suite une protection. Toutefois, ce comportement, s’il est un danger pour la société, est sanctionné par le droit pénal, dont l’objectif est justement de réprimer ce type de comportement.

Les suggestions émises dans le rapport annuel de la Cour de cassation, mais aussi celles de la proposition de loi Béteille, si elles étaient reprises, constitueraient donc une avancée considérable en matière d’indemnisation des victimes. Néanmoins, elles comportent une limite non négligeable. En effet, la loi ne protègerait les conducteurs que s’il y a un autre véhicule impliqué. Le conducteur qui se causerait un dommage à lui-même avec son seul véhicule impliqué, ce qui représente 20 à 25% resterait en dehors de ce système.

B- Vers une assurance directe légale ?

Le rejet de l’assurance responsabilité civile par les assureurs

Cette évolution des concepts de la Responsabilité civile est fortement critiquée par les professionnels de l’assurance. Selon eux, admettre plus facilement la responsabilité pour la prendre en charge par l’assurance responsabilité civile est une dérive. Ils estiment que l’existence de cette assurance ne doit pas inciter les pouvoirs publics à multiplier les hypothèses de responsabilité et élargir le domaine de garantir de l’indemnisation des victimes.

Leur critique est justifiée pour deux raisons :

D’une part, en raison de la technique d’assurance. L’opération d’assurance se caractérise par l’inversion du cycle de production, c’est-à-dire que le prix de revient du contrat est connu après le prix de vente. Il est donc nécessaire d’établir par un calcul de probabilité, la fréquence et le coût des sinistres à venir. Pour cela, le risque doit être parfaitement connu et maîtrisable par les assureurs. Or, ces derniers soutiennent que l’évolution de la jurisprudence modifierait les limites de l’assurabilité, en rendant le risque de responsabilité difficilement cernable. « L’imprévisibilité du droit de la responsabilité crée ainsi une insécurité fondamentalement antinomique à l’assurance qui est faite de prévisions »(167).

D’autre part, en raison de la dénaturation de l’assurance de responsabilité civile. En effet, avec l’évolution des concepts de la responsabilité, l’assurance de responsabilité se trouve dans le même temps dénaturée, et change de fonction. Au départ conçue comme une garantie de la dette de responsabilité de l’assuré, elle est devenue une garantie de la créance d’indemnisation de la victime. Le régime adopté par la loi Badinter est en rupture avec la logique de l’assurance de responsabilité, et s’oriente vers l’assurance directe. Cela se matérialise par la reconnaissance de l’action directe de la victime contre l’assureur de responsabilité, mais surtout par la mise en place de l’offre obligatoire d’indemnité. Grâce à la procédure transactionnelle, ce n’est pas à la victime d’exercer l’action directe mais à l’assureur du véhicule impliqué de proposer l’offre d’indemnité réglementée. On ignore totalement le conducteur, auteur du dommage. Ce qui est contraire à la logique de responsabilité. On est plus dans une logiquement d’assurance de responsabilité qui est une relation tripartite entre l’assureur, l’assuré, et la victime, mais plutôt dans une logique d’assurance directe qui est une relation bipartite.

Cette position est néanmoins critiquable. Les assureurs restent en effet fortement attachés à la faute et rejettent par conséquent le mouvement de protection de la sécurité des personnes qui s’est imposé ces dernières années dans notre Droit. Cela ne signifie par pour autant qu’ils n’aient pas conscience de la nécessité d’indemniser les victimes d’accidents. Mais ils suggèrent que l’assurance directe prenne le relais de l’assurance de responsabilité civile(168).

Instaurer une assurance directe obligatoire

Jean Péchinot(169) explique que « Pour répondre à la demande sociétale d’indemnisation de toutes les victimes d’accident de la circulation, il n’y a pas d’autre solution que de généraliser la garantie individuelle du conducteur. Et, tôt ou tard, cette généralisation devra passer par la loi ». La FFSA propose de rendre obligatoire l’assurance du conducteur.

Dans son rapport de 1997, elle suggère de reprendre le projet mis en place en 1968 par l’American Insurance Association, qui n’a jamais été adopté aux Etats Unis. Celui-ci estime que toutes les victimes d’accidents de la circulation ont droit à une indemnisation, notamment parce que la majorité des accidents est due à une simple erreur de comportement, parfois commise par de très bon conducteurs. La FFSA souhaiterait donc que tout propriétaire d’une automobile souscrive une assurance pour circuler, qui aurait pour objet de garantir les passagers, piétons, cyclistes, toutes les victimes en définitive. Cette réforme permettrait de réduire les coûts en supprimant les recours entre les assureurs. L’assurance directe a le mérite d’offrir aux victimes une garantie, indépendamment d’une dette de responsabilité. Elle permet l’indemnisation des conducteurs blessés ou tués dans un accident même en l’absence d’un tiers responsable, contrairement à la proposition de loi Béteille.

Par ailleurs, la FFSA propose que soit mise en place une garantie illimitée ou du moins plafonnée à un montant important, dans l’indemnisation du préjudice corporel, à l’instar de ce qui est prévu en matière de responsabilité civile.

Aujourd’hui, les assureurs ont fait le calcul de ce que pourrait coûter une telle assurance, En effet, avec le développement des contrats d’assurance garantie individuelle du conducteur, et garantie des accidents de la vie, ils connaissent le coût probable d’une indemnisation de toutes les victimes d’accidents de la circulation. Néanmoins, cette réforme se ferait au prix d’une hausse substantielle des primes. Selon Axa, si elle se traduirait par une surprime de 24 euros TTC pour les quatre-roues, soit une hausse de près de 4,5% rapportée à la prime moyenne de 550 euros TTC, et une surprime de 111 euros TTC pour les deux-roues, soit une hausse de plus de 35% à rapporter une prime moyenne de 300 euros TTC.

Si certains y sont hostiles, comme le GEMA, les professionnels dans l’ensemble sont favorables à une telle proposition, la préférant à la proposition de loi Béteille, qui consiste à « forcer les concepts du droit de la Responsabilité civile ».

Michel Ehrenfeld(170) explique que si la France venait à adopter la proposition de loi Béteille, le système français se situerait en marge des systèmes institués par les autres pays européens. Ce qui soulève la problématique de la nécessité d’harmoniser les régimes d’indemnisation en Europe. Mr Ehrenfeld fait remarquer qu’actuellement, le régime français applicable aux non-conducteurs est atypique par rapport aux autres Etats européens. Selon lui, dans la plupart des pays, on oppose encore une faute simple aux victimes non conductrices, comme aux victimes conductrices.

Paragraphe 2 : Les propositions alternatives issues des systèmes adoptés par les autres Etats

Les accidents qui surviennent à l’étranger sont exclus du texte de la loi Badinter. Or, Avec la construction de l’Union Européenne et la consécration du principe de libre circulation des personnes, on constate une augmentation importante du parc automobile et du trafic transfrontalier ces dernières années. Cela entraîne nécessairement une multiplication d’accidents de la circulation entre des véhicules immatriculés dans des pays différents. Dans de telles circonstances, pour être judiciairement indemnisée, la victime se trouve confrontée à un double problème : celui du tribunal compétent pour statuer, et celui de la loi applicable à la responsabilité et la l’évaluation de son dommage.

A- Le souci d’harmoniser les régimes d’indemnisation européens

Depuis quarante ans, un certain nombre de mesures ont été prises dans le but d’uniformiser les régimes de la responsabilité et d’indemnisation. Face à la diversité des systèmes juridiques et des régimes de réparation, a été ordonnée la rédaction de la convention européenne du 14/05/1973 afin d’harmoniser les régimes juridiques de responsabilité en matière de circulation automobile internationale. Elle a entre autre permis la mise en place d’une assurance responsabilité civile automobile obligatoire dans tous les pays signataires.

Par la suite, cinq directives européennes ont été adoptées afin d’apporter des améliorations. Parmi elles, la 4ème directive de 2000 a mis en place des représentants, organismes d’information et d’indemnisation, visant à faciliter l’indemnisation des victimes d’accidents survenus dans un Etat membre autre que celui du lieu de leur résidence. Elle leur permet donc d’être indemnisées à l’amiable, par l’intermédiaire d’un représentant de la compagnie étrangère de l’auteur de l’accident. L’ensemble de ces directives a été abrogé et codifié dans la directive de 2009 (2009/103/CE du 16 septembre 2009). Les Etats membres ont jusqu’au 11 juin 2012 pour atteindre ces objectifs. L’ensemble de ces directives s’inscrit dans l’objectif d’une mise en place d’un système international d’assurance dit « carte verte ».

S’agissant de la loi applicable en matière d’accident de la circulation internationale, la Convention de la Haye du 04/05/1971 a consacré le principe de la lex loci, c’est à dire, le lieu de survenance de l’accident. Lorsque tous les véhicules impliqués dans l’accident sont immatriculés dans le même pays, la loi de ce dernier s’applique. Aujourd’hui, 20 Etats ont adopté cette convention, dont 12 de l’Union Européenne.

Par ailleurs, le règlement Rome II du 11/07/2007, entré en vigueur le 11/01/2009 au sein de l’Union Européenne qui a pour objectif de régler les conflits de loi dans le domaine des obligations non contractuelles, prévoit que la loi applicable est celle du pays de survenance du dommage. Ainsi, en cas d’accident de la circulation, la loi applicable est celle où survient l’accident.

Néanmoins, ce principe est assorti de deux exceptions. En effet, lorsque le responsable et la victime ont leur résidence habituelle dans le même pays, c’est la loi de celui-ci qui s’applique. Par ailleurs, s’il existe un lien manifestement plus étroit avec un autre pays, les juges appliqueront la loi de ce dernier.
Les victimes d’accidents survenus à l’étranger peuvent donc être indemnisées selon la loi étrangère. D’où la nécessité d’harmoniser les régimes d’indemnisation en Europe. Or, si actuellement la plupart des pays ont adopté un système d’indemnisation spécial et particulièrement favorable aux victimes, les montant d’indemnisation sont très différents d’un pays à l’autre.

B- Une diversité des systèmes d’indemnisation

Le principe de base de l’assurance de la responsabilité civile est la faute prouvée. De nombreux Etats européens ne prévoient aucune responsabilité dérogatoire au droit commun. Il appartient donc à la partie lésée de démontrer la négligence du conducteur à l’origine du sinistre. C’est le cas au Royaume-Uni, Portugal, Roumanie ou aux Pays-Bas.

Ainsi, lorsque l’on étudie le système de réparation instauré aux Pays Bas, on s’aperçoit que celui-ci ne connait pas de droit à indemnisation des victimes d’accidents de la circulation. En cas de collisions entre véhicules motorisés, la responsabilité reste une condition du droit à réparation. Les accidents de la circulation sont donc régis selon le BW(171), qui est l’équivalent du code civil, et sur l’article 185 de la WVW(172)qui est une loi sur la circulation routière. Les victimes doivent rapporter la réunion des conditions de la responsabilité générale, applicables à l’acte illicite, sur le fondement de l’article 6 :162 de la BW, à savoir l’illicéité de l’acte, l’imputabilité, un préjudice, lien de causalité et la relativité, c’est-à-dire que la norme violée doit avoir pour effet de protéger contre le dommage tel qu’il est subi par la personne lésée. Par conséquent, ce régime est très sévère et ne permet pas d’offrir une indemnisation facilitée comme en France.

Toutefois, le système néerlandais a prévu une disposition favorable pour les usagers faibles de la route, qui sont les piétons ou cyclistes. Selon l’article 185 de la WVW, le possesseur ou détenteur du véhicule automoteur doit réparer le dommage causé aux usagers faibles de la route. Le conducteur peut toujours s’exonérer intégralement ou partiellement, s’il prouve que l’usager faible de la route a participé en partie ou totalement à la réalisation du dommage. Le système instauré est donc loin d’être fondé sur une responsabilité objective mais au contraire, a certaines caractéristiques d’une responsabilité stricte, comme le souligne Frits J Bless(173). Toutefois, la jurisprudence a construit un droit plus protecteur, qui consiste à opérer une distinction selon l’âge de la victime. Si cette dernière a moins de 14 ans, le conducteur est responsable et ne peut s’exonérer par le cas de force majeure. La seule possibilité serait de prouver une faute intentionnelle de la victime, un peu à l’image de ce qui est prévu en droit français. En revanche, si la victime a plus de 14 ans, le conducteur invoquer la force majeure. Il convient de noter que le passager du véhicule n’est pas considéré comme un usager faible, et par conséquent, ne bénéficie pas d’un système plus protecteur.

Malgré la sévérité du système d’indemnisation néerlandais, celui-ci tend à favoriser les victimes non conductrices, vulnérables. Le conducteur est totalement exclu.

Un certain nombre de pays ont adopté le système de responsabilité objective, fondée sur une présomption absolue de faute, comme en Allemagne, Suisse, Australie. C’est le système dit « no-fault ».

Parfois, la loi prévoit une forme d’assurance directe. C’est le cas de la Suède, Norvège ou Finlande. Pour ces deux derniers, la garantie est illimitée. Le conducteur a droit à indemnisation quel que soit l’auteur de l’accident. Le lésé doit s’adresser à l’assureur de son propre véhicule pour obtenir l’indemnisation de son préjudice corporel. Si la voiture de la partie adverse a participé totalement ou partiellement à l’accident, l’assureur direct exerce
un recours à l’encontre de la compagnie adverse. En revanche, le système de responsabilité civile est maintenu pour les dommages matériels. En Suède, concernant les dommages corporels, la seule limite est la faute lourde, telle que la négligence grossière ou l’ivresse. L’indemnisation est alors réduite de deux tiers, ou de la moitié, sauf si le conducteur démontre que le dommage subi a porté atteinte à sa capacité de produire un revenu. Dans ce cas, l’indemnisation est totale. Le point négatif est que le conducteur d’une voiture volée, ou utilisée à des fins criminelles bénéficie aussi d’une indemnisation.

Bon nombre d’Etats dans le monde ont aujourd’hui adopté un régime d’indemnisation détaché de toute faute. Les régimes québécois ou néozélandais mis en place il y a plus de 20 ans sont une illustration en ce qu’ils sont les plus aboutis des régimes sans égard à la faute du préjudice résultant des accidents automobiles(174). La méthode adoptée dans chacun de ces deux Etats est celle de la mise en place d’un organisme étatique ou semi-étatique, chargé d’indemniser les victimes. En Nouvelle Zélande, le procédé qui est instauré a pour but d’éliminer la responsabilité civile au profit d’un système de sécurité sociale, qui permet d’indemniser de manière automatique toutes les victimes d’accidents corporels, pour un certain montant.

Du côté du Québec, le législateur considère qu’il convient de privilégier « la personne avant toute chose ». Comme l’explique Jean Péchinot(175), « les Québécois ont considéré que tous les efforts devaient être engagés pour permettre à tout individu handicapé, à la suite d’un accident de la circulation de se réinsérer dans la vie socioprofessionnelle ». Pour ce faire, ils ont d’une part généralisé les bénéficiaires de l’indemnisation, et d’autre part mis en place des services de réadaptation et de réinsertion. Leur système d’indemnisation est donc fondé sur une logique de solidarité nationale collective. C’est la loi sur l’assurance automobile du 21 décembre 1977 qui régit les principes d’indemnisation des dommages corporels et matériels. Depuis le 1er mars 1978, la réparation des préjudices corporels causés par un accident d’automobile a été soustraite au droit commun de la responsabilité civile. D’après l’article 1.3 de cette loi, est un accident de la route « tout dommage causé par un automobile, par son usage ou le chargement ». Dès lors que cet évènement est constaté, le régime peut s’appliquer. A l’instar du régime français mis en place par la loi Badinter, il suffit de prouver un lien de causalité entre l’accident et le dommage ainsi que l’existence et l’étendue de celui-ci. La loi est donc détachée de toute idée de responsabilité.

La victime indemnisée est la personne qui subit un dommage corporel, dans un accident ainsi que celle qui a droit à une indemnité de décès lorsque le décès résulte d’un accident(176). Aucune catégorie de victime n’est instituée, et celles-ci jouissent d’un traitement égalitaire, indépendamment des circonstances de l’accident.

La victime doit s’adresser à la Société d’Assurance Automobile (SAAQ). L’indemnisation du dommage corporel à la suite d’un accident de la circulation n’est donc plus de la compétence des sociétés d’assurances. La SAAQ est une fiducie, qui est financée par des taxes annuelles sur les immatriculations des véhicules et sur les permis de conduire. Pour ces derniers, le montant dépend du nombre de points restants. Par exemple, en 2010, celui qui a un permis avec l’intégralité des points ne paie que 86$, alors que celui qui n’en a presque plus paie 396$.

Ce système est donc très satisfaisant pour les victimes. Il permet en effet d’indemniser l’ensemble des victimes, et garantit une réparation intégrale, en prenant en compte sa réinsertion dans la vie socioprofessionnelle, ce qui lui permet ainsi de retrouver toute sa dignité.

Cette étude des différents systèmes d’indemnisation démontre qu’il est difficile de les catégoriser en familles homogènes. Les régimes adoptés sont en effet très divers. Néanmoins, il n’est pas impossible d’adopter un régime détaché de toute responsabilité, et sans égard à la faute, à l’instar du système québécois.
Hadi Slim(177)en conclut que « l’indemnisation des victimes des accidents de la circulation continue à dépendre de l’organisation politique, économique, et sociale propre à chaque société ».

La situation du conducteur, grâce aux diverses propositions que nous avons étudiées, tend à s’améliorer. Il n’en demeure pas moins que la distinction entre conducteur et piéton, fondée sur la création du risque est encore fortement ancrée dans l’esprit du législateur.

Section 2 : Le renforcement du dispositif de sécurité routière, un moyen pour éviter les accidents de la circulation et protéger les victimes

Si l’objectif poursuivi par la loi Badinter est d’indemniser les victimes d’accidents de la circulation, et qu’elle n’y est arrivée qu’en partie, il convient en parallèle de lutter contre ce risque social. Cela passe par l’adoption de mesures de prévention et de répression, qui consistent à responsabiliser, à l’évidence, l’ensemble des acteurs de la circulation.

A- Le mauvais comportement du conducteur réprimé par la loi

La prise en considération de la faute du conducteur, s’explique par la volonté de le responsabiliser sur la route. Un rapport sur les traumatisés crâniens précise sur ce point que les tenants du maintien de l’incidence de la faute, relèvent la nécessité de sanctionner des comportements dangereux, à risque, et de ne pas sanctionner, par l’intermédiaire des augmentations de prime les bons conducteurs en raison du poids de l’indemnisation des mauvais(178).

Sur le traitement sévère fait au conducteur, il semble donc s’agir d’une confusion entre la sanction d’un comportement qui cause un accident, et la réparation d’un préjudice du fait de cet accident. L’article 3 de la loi Badinter qui exclut expressément les conducteurs du régime protecteur ne semble pas nécessaire. Un dispositif répressif est déjà en place, sur le plan pénal, dans le but de sanctionner les comportements dangereux des conducteurs. En cas de faute d’imprudence ou négligence de l’auteur de l’accident qui viole les règles du code de la route, ce dernier peut être condamné à une peine d’emprisonnement et une amende. En matière routière, ces délits de violence ou homicides involontaires sont sanctionnés par des peines qui tendent à s’alourdir. On peut recenser 5 circonstances aggravante qui permettent d’augmenter la peine encourue soit : la violation délibérée d’une obligation particulière de sécurité, la conduite sous l’emprise d’un état alcoolique, ou de stupéfiants, l’absence de permis de conduire, l’excès de vitesse supérieur de 50km à la vitesse maximale autorisée, ou encore le délit de fuite.

Par exemple, la conduite sous l’empire d’un état alcoolique, caractérisé par une certaine concentration d’alcool dans le sang est un délit, puni de deux ans d’emprisonnement et de 4500 euros d’amende. Il donne lieu de plein droit au retrait de 6 points du permis de conduire du conducteur fautif(179).

L’article 222-19-1 du Code de la route prévoit que « lorsque la maladresse, l’imprudence, l’inattention, la négligence ou le manquement à une obligation législative ou réglementaire de sécurité ou de prudence prévue par l’article 222-19 est commis par le conducteur d’un véhicule terrestre à moteur, l’atteinte involontaire à l’intégrité de la personne ayant entraîné une incapacité totale de travail pendant plus de trois mois est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45000 euros d’amende »(180).

Le code de la route prévoit ainsi tout un arsenal pour engager les poursuites à l’encontre d’un mauvais conducteur. Les sanctions vont du retrait d’un certain nombre de points, à la condamnation à d’autres sanctions pénales, en passant par le paiement d’une amende. Tout comportement dangereux, qu’il emporte un accident ou non est donc réprimé.

Par ailleurs, les juges n’hésitent pas à condamner le conducteur pour homicide involontaire. Ce fut le cas s’agissant d’un chauffeur d’un poids lourd qui en a perdu le contrôle par suite d’une vitesse inadaptée à la configuration de lieux qu’il connaissait, 90km/h sur une chaussée humide et glissante, et d’une mauvaise appréciation des conditions d’adhérence.(181) Ce fut encore le cas pour un conducteur d’une automobile qui, après avoir adressé des appels de phare à la voiture qui le précédait, a entrepris de la dépasser par la droite et a ainsi effrayé son conducteur qui en a perdu le contrôle(182).

Récemment, Le décret du 12 novembre 2010 a sur ce point mis en plus une formation obligatoire d’une durée de 7 heures pour les automobilistes titulaires du permis B, souhaitant conduire une motocyclette légère ou un véhicule à trois roues de plus de 50 cm3, s’ils n’ont pas déjà suivi une formation de trois heures, ou s’ils ne conduisent pas déjà un tel véhicule depuis plus de 5 ans au 1er janvier 2011. Cette mesure répond à un objectif de sécurité routière et est assortie de sanction en cas de non respect de cette obligation. Dans ce cas, l’usager est passible d’une amende de 135 euros. En outre, afin de responsabiliser les jeunes conducteurs, il interdit le débridage du cyclomoteur. En cas de non respect de cette mesure, le conducteur s’expose également à une amende de 135 euros. Une peine complémentaire de confiscation du véhicule pourra être prononcée(183).

Le nombre d’accidents n’ayant pas réellement baissé au cours de l’année 2010, la lutte contre l’insécurité sur la route a été d’autant plus renforcée pour 2011. Le gouvernement a relevé que la conduite en état d’ébriété ou sous l’emprise de stupéfiants et la vitesse excessive sont les deux causes principales d’accidents. Pour lutter contre elles, il a donc prévu d’augmenter les moyens. Le renforcement de ces moyens se traduit donc par la mise en place de 1000 radars supplémentaires à partir de 2012. Les nouveaux radars seront plus perfectionnés. Seront mis en place des radars tronçons, qui permettent de calculer la vitesse moyenne sur un trajet de quelques kilomètres, ainsi que des radars capables de différencier les camions des véhicules légers et de désigner la voie utilisée par le véhicule en infraction.

Le comité interministériel de la sécurité routière s’est réuni le 11 mai à l’initiative du 1er ministre, dans le but de renforcer les sanctions encourues par les automobilistes en cas d’infraction. Afin de limiter les excès de vitesse, celui-ci a évoqué l’interdiction de l’utilisation des avertisseurs de radars, la suppression des panneaux de signalisation des radars(184). Le ministre de l’Intérieur, Claude Guéant, a annoncé l’installation de radars pédagogiques sur les routes. Avec ces derniers, il ne s’agit pas de réprimer les automobilistes en faute. Dans un but préventif, ils consistent à les flasher, afficher leur vitesse sur des panneaux routiers.

Afin de lutter contre la conduite en état d’ébriété, il est prévu que l’utilisation d’un éthylotest antidémarrage sera rendue obligatoire sans délai pour l’ensemble des transports en commun.

Le CISR prévoit par ailleurs la mise en place de sanctions. En cas d’excès de vitesse de plus de 50km/h, le conducteur commettra un délit dès la première infraction(185).

En outre, suite au rapport « Téléphone et Sécurité routière », qui montre qu’un accident de la route sur dix est lié à l’utilisation du téléphone au volant, ce dernier sera désormais sanctionné par une contravention de 4ème classe, entrainant un retrait de 3 points du permis de conduire(186). Il prévoit encore que les personnes conduisant avec un appareil à écran en fonctionnement dans le champ de vision du conducteur autre qu’un GPS seront passibles d’une amende de 1500 euros, ainsi que d’un retrait de 3 points sur leur permis de conduire.

L’ensemble de ces mesures a fait l’objet de vives critiques. Ainsi, l’association 40 Millions d’automobilistes, dans son communiqué du 18 mai, a précisé que « ces mesures sont prises sans véritable analyse des causes de l’aggravation et sans concertation avec les usagers. L’automobiliste est un citoyen responsable et ne peut être privé de ses droits élémentaires qui sont la liberté de se déplacer et de communiquer ».

Ainsi condamné pour avoir commis une faute de conduite, le conducteur se voit à l’heure actuelle, doublement sanctionné s’il a subi un préjudice du fait de cette faute, puisque cette faute entraînera très certainement l’exclusion de son droit à réparation. Il convient de souligner l’absence de rapport entre la faute du conducteur par exemple, celle d’inattention, et les séquelles gravissimes qu’il subit tels qu’un traumatisme crânien, qui seront sanctionnés par l’absence d’indemnisation qui frappe autant les familles que le blessé.

En outre, si l’exclusion du conducteur du régime de protection offert par la loi est motivée par la volonté de le responsabiliser, ses effets ne se sont pas pour autant avérés. Certes, on constate depuis un certain nombre d’années un nombre décroissants d’accident de la circulation. Mais quelle part imputer à l’article 4 de la loi Badinter ? A l’inverse, quelle part imputer au système de prévention, et de répression de la route mis en place ces dernières années ? En effet il n’est pas prouvé que la sanction du conducteur qui est la réduction de l’indemnisation par la faute, ait un effet véritablement dissuasif.

B- Responsabiliser les piétons et cyclistes

Il est de coutume de dire que « le piéton est roi ». Ceci est de plus en plus vrai, notamment depuis les modifications législatives apportées ces dernières années.

Suite aux chiffres alarmant rendus en 2007 qui montraient que le nombre de piétons tués avait augmenté de 4,9% soit 591 piétons, un décret(187) du 30 juillet 2008 portant diverses dispositions de sécurité routière a été adopté. Le but était de favoriser la coexistence des différents usagers de la rue, dans une démarche de mise en place d’un code de la rue. C’est ce texte qui, afin d’améliorer la sécurité des plus vulnérables, a imposé le fameux gilet de sécurité à tout conducteur de véhicule carrossé. Il a entre autre introduit le concept de « zone de rencontre » dans la réglementation. Dans cette zone, la règle est la priorité aux piétons, qui ne sont plus obligés de circuler sur les trottoirs. Ainsi, pour éviter tout accident, la vitesse est limitée à 20km/h.

Par ailleurs, il introduit le principe de prudence de l’usager le plus fort à l’égard du plus faible, dans le but de favoriser la cohabitation entre ces différents usagers. L’usager motorisé doit donc redoubler de vigilance envers les plus vulnérables. Cette préoccupation était déjà intégrée dans la Convention de Vienne du 8 novembre 1968 sur la signalisation routière entrée en vigueur en France en 1977.

Par la suite, un décret publié le 12 novembre 2010(188), se situant dans la continuité du dispositif, a modifié sensiblement les habitudes de circulation des conducteurs. Les piétons sont au coeur de ce changement. Celui-ci étend considérablement le domaine d’application de l’article L415-11 du Code de la route, en précisant que les conducteurs sont obligés de céder le passage au piéton qui s’engage régulièrement dans la traversée d’une chaussée, ou qui circule dans une aire piétonne ou une zone de rencontre. Il suffit donc qu’un piéton s’engage, ou manifeste son intention de s’engager à traverser une rue pour que le conducteur soit obligé de le laisser passer, ceci même s’il se trouve en dehors d’un passage piéton protégé. En pratique, le piéton n’a qu’à faire un geste de la main, peu importe où il se trouve.

Ce décret a donc pour but de protéger d’avantage le piéton, conformément à l’objectif poursuivi par la loi Badinter. Toutefois, il semble excessif et a pour conséquence première de pénaliser encore une fois les automobilistes, en leur imposant des règles contraignantes.

Les notions auxquelles le texte fait référence ne sont pas définies, ce qui risque d’engendrer des difficultés d’appréciation. Il en est ainsi avec la notion « d’intention clairement manifestée ». Comment déterminer cette intention ? L’interprétation sera donc laissée au bon vouloir de l’agent de police, qui considèrera que, par exemple, en raison de la vitesse à laquelle roulait la voiture, celle-ci n’a pas pu respecter l’intention du piéton. Il en va de même en ce qui concerne le terme de « zones de rencontre », qui est assez large. Peut-on y inclure celle d’autoroute ? Dans ce cas, cela signifierait que le piéton puisse traverser l’autoroute par un simple geste de la main alors qu’il se trouve dans une zone dangereuse, et destinée exclusivement à la circulation des véhicules motorisés.

Cette obligation est assortie de sanction : le conducteur se verra retirer 4 points de son permis, et assujetti à une amende de 135 euros en cas de non respect de cette règle. Cette sanction peut paraitre totalement disproportionnée.

On peut en outre s’interroger sur les effets néfastes d’une telle disposition à l’égard des piétons. Se sentant ainsi protégés, les piétons peuvent être tentés de traverser sans être vraiment attentifs, et sans regarder. Une fois de plus, l’automobiliste se retrouve dans une situation délicate, et doit redoubler de vigilance, notamment en centre-ville. Ce texte, bien plus que la protection du piéton, a pour effet de le déresponsabiliser. A terme, elle favorisera sans doute les excès de la part des personnes jugées vulnérables par le législateur.

Le législateur parait oublier que, malgré le fait que le conducteur soit maitre de son véhicule, celui-ci ne peut pas toujours éviter les accidents, notamment dans certaines circonstances. C’est le cas, lorsqu’un enfant surgit sur la chaussée en courant après son ballon. Il est certes nécessaire de responsabiliser les conducteurs qui se doivent d’avoir une conduite respectueuse. Pour autant, la déresponsabilisation du piéton n’est pas le meilleur moyen pour y arriver. Pire, elle est source de pression pour les automobilistes qui, stressés de voir surgir un individu à tout moment, pourraient facilement perdre le contrôle de leur véhicule.

Par ailleurs, il n’était pas nécessaire d’ajouter un tel dispositif. Certes, celui-ci protège le piéton. Néanmoins, grâce à la loi Badinter, ce dernier bénéficie d’une indemnisation quasi-automatique. En revanche, elle emporte des conséquences importantes à l’égard du conducteur. Intégrée au Code de la route, elle signifie donc que lorsqu’un accident de la circulation intervient alors que le piéton traversait la chaussée, il sera facile d’opposer une faute de conduite au conducteur. En cas de dommage subi par celui-ci, son indemnisation sera certainement limitée.

« Cette disposition est donc dangereuse, y compris pour le piéton, qui traverse hors du passage clouté, et qui s’expose ainsi à un réel danger, notamment parce que les véhicules risquent de freiner brutalement, dès lors que celui-ci apparait sur la chaussée », comme le souligne à juste titre la commission chargée d’élaborer un texte de modification du décret du 12 novembre 2010.

Afin de limiter les conséquences de ce décret, une proposition de loi a ainsi été déposée à l’Assemblée Nationale(189). Elle suggère d’intégrer l’article L412-3 au Code de la route et précise que « les piétons qui empruntent ou traversent la chaussée doivent le faire avec prudence sur les passages protégés prévus à cet effet. En cas d’absence de ces derniers, ils doivent en manifester précisément l’intention en présence d’un véhicule ». Elle maintient donc la priorité conférée aux piétons dans les zones protégées, tout en leur précisant que leur responsabilité peut être engagée s’ils ne respectent pas les règles élémentaires de prudence en dehors de ces zones.

Le décret du 12 novembre 2010 renforce également la protection des cyclistes. Il offre ainsi au maire d’une commune la possibilité d’autoriser les cyclistes à franchir le feu rouge avant de tourner à droite à certains carrefours signalés par un nouveau panneau. Cette mesure n’est cependant pas automatique puisque lorsque la signalisation n’indique pas de « tourne-à-droite », les cyclistes doivent toujours s’arrêter au feu rouge. Par ailleurs, les enfants de moins de 8 ans conduisant un cycle pourront emprunter les trottoirs ou accotements tout en maintenant l’allure du pas, et en respectant les piétons.

Avec le développement des pistes cyclables, les accidents entre cycles et automobiles se sont largement multipliés. L’article R110-2 du Code de la route définit la piste cyclable comme « une chaussée exclusivement réservée aux cycles à deux ou trois roues ». Elle se distingue de la bande cyclable qui est une voie réservée aux mêmes cycles sur une chaussée à plusieurs voies. D’après l’article R415-14 du code de la route, la piste cyclable est une voie qui longe la chaussée principale. Le code de la route autorise donc les cycles et cyclomoteurs à deux roues à circuler le long des routes pavées ou en réfection, sur les trottoirs et contre-allées affectées aux piétons uniquement lorsqu’ils se trouvent hors agglomération. Il en va de même pour les rollers et patinettes qui sont également considérés comme piétons par le Code de la route(190). Les cyclistes sont donc susceptibles de circuler sur des voies ouvertes aux automobilistes, et s’exposent ainsi à un danger incontestable. Leur situation nécessite donc une protection particulière.

Néanmoins, ceux-ci bénéficient déjà des dispositions favorables de la loi Badinter, puisqu’ils sont assimilés aux piétons. Ainsi, seule une faute inexcusable, cause exclusive de l’accident pourrait leur être opposée pour exclure leur indemnisation en préjudice résultant d’accident de la circulation. La Loi du 5 juillet 1985 ne fait cependant pas obstacle au maintien du principe de la responsabilité personnelle de la victime cycliste pour les dommages qu’elle cause à autrui, sur le fondement de l’article 1382 du Code civil.

En revanche, celui-ci peut être un danger pour le piéton, au même titre que le conducteur. Or, cela n’a pas été pris en compte par le législateur. En outre, le législateur a, de manière simpliste, assimilé les cyclistes aux piétons. Cela pouvait se concevoir à l’époque où les vélos étaient encore peu répandus en ville, et donc moins impliqués dans les accidents de la circulation. Le développement du vélo s’est fait avec la Loi sur l’air de 1996, et s’accompagne de l’arrivée de nombreux nouveaux cyclistes, grâce à la mise en place des services de location de Vélos en libre service, tels que les Velib et Velo’v. Par conséquent, ces cyclistes, de plus en plus nombreux, sont des acteurs de la circulation, au même titre que les conducteurs. Pour autant, ils continuent de bénéficier du régime extrêmement protecteur conféré aux victimes non conductrices, et sont par ailleurs fréquemment à l’origine d’accidents.

Le piéton se retrouve démuni en cas d’accident avec un cycliste. Ce type de collision n’est pas rare. Il peut être regrettable qu’en cas d’accident entre un piéton et un cycliste, il y ait un partage des responsabilités en fonction des fautes respectives de chacun. En effet, la loi Badinter n’étant pas applicable, c’est le droit commun qui s’applique. Le piéton perd ainsi le statut de victime protégée dont il bénéficie en cas d’accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur. Hors, en vertu du principe d’attention particulière que doit accorder tout usager de la route à celui qui est plus vulnérable que lui, l’automobiliste doit respecter le cycliste, et le cycliste doit respecter le piéton. Ce principe s’applique, que le piéton soit en infraction ou non. Lorsqu’un piéton déambule sur une piste cyclable par imprudence, il appartient au cycliste de tout faire pour l’éviter, car c’est lui qui a la maîtrise du vélo. Hors, il est fréquent de voir des cyclistes virevolter pour les intimider. Ce comportement est dangereux, et il est condamnable au même titre que celui des automobilistes imprudents. Des sanctions sont néanmoins prévues dans le Code de la route, afin de lutter contre ce type de comportement.

Une proposition de loi, dont la porte-parole est Mme Marie-Jo Zimmerman a été déposée le 23 février 2009 et tend à la responsabilisation des cyclistes en cas d’accidents avec des piétons. Il est affirmé que « l’idée est d’offrir aux piétons par rapport aux cyclistes la même garantie que celle qui existe pour les cyclistes par rapport aux automobilistes ». Dans les motifs détaillés en exergue au texte de la loi, est invoqué le fait que, sans parler de risques mortels, beaucoup de piétons vulnérables tels que les personnes âgées ou handicapées ont peur des cyclistes, en raison notamment de leur silence, leur proximité et parfois de leur manque de civilité. Ils sont d’autant plus confrontés à la circulation des cyclistes que les pistes sur trottoirs et trottoirs mixtes se multiplient. Les hypothèses de collisions sont en effet nombreuses, lorsque par exemple se trouvent sur un même trottoir un vélo et un piéton aveugle ou en fauteuil roulant.

Le texte propose, qu’à l’instar de la loi Badinter, qui protège les piétons et cyclistes par rapport aux automobilistes, il soit mis en place un régime de protection équivalente aux piétons par rapport aux cyclistes. Même si la logique est bonne, cette proposition est largement critiquable. En effet, elle conduit à accentuer les conflits prévisibles entre deux types d’usagers vulnérables, au lieu de les atténuer. Cette catégorisation de la vulnérabilité est susceptible d’être source de contestation. Imaginons le cas d’une collision entre un piéton et un cycliste âgé de plus de 75 ans. Le piéton commet une faute, qui n’est pas exclusive car le cycliste est également fautif. Ce dernier subit de graves blessures, pas le piéton. Hors, il n’y aurait pas de partage de responsabilité, seul le cycliste serait tenu responsable et serait difficilement indemnisé.

161 G.Viney, « l’avenir des régimes d’indemnisation sans égard à la Responsabilité », Les cahiers de droit vol 39 n°2-3, 1998, p.287-301
162 G.Viney, Traité de Droit civil, Introduction à la responsabilité civile, LGDJ, 2ème édition 1995, n°60
163 F.Chabas, l’assurance de personnes au secours du Droit de la responsabilité civile, revue risque n°14, avril-juin 1993 p86.
164 Projet Catala 22 septembre 2005 Avant-projet de réforme du Droit des obligations article 1101 à 1386 – Livre III Titre 3 Des obligations
165 Jurisprudence Automobile n°825 Janvier 2011
166 RAPPORT ANNUEL 2005 1ère partie : suggestion de modifications législatives ou réglementaires modification article 3 de la loi n°85-677 du 05/07/1985 et abrogation de l’article 4 de la même loi
167 C.Russo, De l’assurance de responsabilité à l’assurance directe, contribution à l’étude d’une mutation de la couverture des risques, nouvelles Bibliothèques de thèses, D.2001 vol 9
168 C.Delpoux, Assurance Française, n°668, du 15 au 28/02/1993, p.163 « suite à cette crise existentielle de la notion même de responsabilité civile, nous assureurs ne souhaitons pas que, par le biais de la Responsabilité Civile et celui de l’assurance de la responsabilité civile, se montent des régimes d’indemnisation sans faute ».
169 Professeur à l’Université de Paris II – Panthéon- Assas, Jurisprudence Automobile, décembre 2010 n°824
170 Jurisprudence automobile, n°825, janvier 2011
171 Burgerlick Werboek Article 6 :162
172 Wegenverkeers Wet
173 Directeur du Fonds de garantie automobile et du bureau « Carte verte » néerlandais
174 J-L Baudouin : la nouvelle législation québécoise sur les accidents de la circulation : revue Internationale Droit Comparé 1979 p.381
175 Professeur à l’Université de Paris II – Panthéon- Assas, Jurisprudence Automobile, décembre 2010 n°824
176 Article 6 de la loi sur l’assurance automobile
177 Loi Badinter, le bilan de 20 ans d’application
178 Rapport sur les traumatisés crâniens juin 2002
179 Article L234-1 du Code de la route
180 Peines majorées de 5 ans d’emprisonnement et 75000 euros d’amende dans certaines circonstances
181Chambre criminelle, 9 mars 2004, la jurisprudence automobile, juin 2004
182 CA Grenoble, 26 mars 2004, La jurisprudence automobile, septembre 2004
183 Nouvel article R317-23-1 du Code de la route
184 Arrêté 12 mai 2011 portant modification de l’arrêté du 24 novembre 1967 relatif à la signalisation des routes et des autoroutes.
185 Article L413-1 du Code de la route pour le délit de grande vitesse en récidive, article R413-1 du code de la route pour l’infraction de grande vitesse ».
186 Aujourd’hui : contravention de 2ème classe, retrait de 2 points.
187 Décret n°2008-754
188 Décret n°2010-1390
189 Proposition de loi n°3343 relative à l’obligation de prudence incombant aux piétons lors de la traversée de la chaussée 13 avril 2011
190 Article R.412-34 du code de la route

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