Pour appréhender le droit tchadien d´accès à la mer par pipeline dans son expression
formelle, nous avons principalement eu recours à une approche juridique axée sur la dimension
normativiste. A travers cette approche, il nous a été donné de constater que, sans toutefois établir
la gratuité du transit des hydrocarbures tchadiens à travers le territoire camerounais, le cadre
juridique constitué autour de ce processus vers la mer était conçu d´une manière à ne pas faire du
passage du brut tchadien une source de revenus pour les différents acteurs intervenant dans ce
processus.
Mais dans la mesure où, comme nous le verrons dans les lignes qui suivent, la
construction d’un pipeline nécessite un coût d’investissement énorme, dans la mesure où
également la réalisation d’un investissement de cette nature exige d´énormes concessions et
sacrifices de la part des parties prenantes, la question du prix à gagner inéluctablement finit par se
poser.
L´approche positiviste (au sens kelsien) jusqu´ici utilisée ne permet pas de traiter de cette
question dans la mesure où, comme le souligne Charles Chaumont, l’explication qu’elle fournit
est essentiellement formaliste et tend à détacher le droit des réalités qu’il recouvre.(198) Une vision
que le professeur Bennouna épousait du reste en ces termes : « le droit, dans l’approche
positiviste, ne peut prétendre au statut scientifique puisqu’il n’apporte aucune théorie explicative
du phénomène juridique, se contentant, telle une technique, d’en décrire les mécanismes de
fonctionnement et les manifestations extérieures ».(199)
En revanche, et dans la mesure où il permet, comme nous l’avons souligné au départ,
« de rechercher les réalités concrètes derrière l’expression formelle de l’accord des volontés
étatiques »,(200) dans la mesure où il « permet de dégager les contradictions en présence et, en
conséquence, la signification profonde et la portée de leur accord »,(201) le relativisme juridique,
conseillé par le professeur Bennouna comme « méthode d’analyse adaptée aux réalités
internationales »,(202) apparaît ici indiqué.
La construction de l´oléoduc destiné à l´évacuation du pétrole tchadien à travers le territoire
camerounais a été décrit par plusieurs observateurs comme « le plus gros investissement jamais
réalisé en Afrique subsaharienne ».(203) Cette présentation de l´oléoduc met davantage l´accent sur
son critère de rentabilité que sur sa nature d´instrument de transport. La notion d´investissement
repose en effet principalement sur ce critère(204) qui est déterminant dans la décision des acteurs
économiques internationaux de s´engager dans des entreprises d’envergure telle celle de la
dimension du pipeline Tchad-Cameroun.
La logique de profit maximum qui se dégage de cette canalisation perçue par ces acteurs
comme une opportunité d´affaires (section 1) traduit mal l´objectif de désenclavement recherché
par toute politique d´accès, car elle contraste avec le caractère spécial du transit qu´elle a
tendance à restreindre (section 2).
198 C. CHAUMONT, « Cours général de Droit international public » in RCADI, 1970 – I, pp. 343-527.
199 M. BENNOUNA, op. cit., p. 26.
200 Ibid., p. 27.
201 Ibid.
202 Ibid.
203 Voir l’article de Gilles Carol : « L’économie tchadienne: un potentiel considérable dopé par l’or noir » in Diplomat
investissement, mars-avril 2006, p. 22.
204 Pour une définition sur l´investissement, voir P. VILLIEU, Macroéconomie: l´investissement, Paris, La
Découverte & Syros, 2000, p. 4.
