Le bénéfice d’une assurance-vie n’est pas assujetti aux règles du rapport et de la réduction
des articles 843 et 920 du Code civil. En effet, le bénéficiaire dispose d’un droit propre et direct à
l’encontre de l’assureur. Le bénéfice n’étant jamais entré dans le capital du souscripteur, ses
héritiers ne rentrent donc pas en concurrence avec le bénéficiaire.
Pour expliquer ce droit direct sur le bénéfice, la doctrine a utilisé tour à tour les théories de
l’offre, de la gestion d’affaire et de l’engagement unilatéral. L’explication par la théorie de l’offre,
développée par Demolombe(5) et améliorée par Thaller(6), analyse l’acceptation du bénéficiaire
comme une seconde convention constitutive d’une cession de la créance du souscripteur sur
l’assureur. Cette théorie est néanmoins insuffisante car « en présence d’un contrat souscrit par un
conjoint commun en bien au profit de l’autre, cette doctrine conduit à considérer que la créance,
constituée par des primes prélevées sur les biens communs, fait à tout moment partie de la
communauté(7) ». La théorie de la gestion d’affaire élaborée par Labbé n’est pas plus satisfaisante.
Le souscripteur serait un gérant d’affaire dont l’acte de gestion serait ratifié par l’acceptation du
bénéficiaire. Cependant, dans le cadre de ce quasi-contrat régi par l’article 1375 du Code civil, le
gérant a droit aux remboursements des sommes utiles qu’il a faites, ce qui est inconciliable avec
l’économie de l’assurance-vie. La théorie de l’engament unilatéral de Capitant et Colin(8) semble
quant à elle difficilement conciliable en assurance-vie puisque l’accord du bénéficiaire est requis
par le mécanisme de l’acceptation.
Au contraire, la Cour de cassation a utilisé en 1888 le mécanisme de la stipulation pour
autrui(9) de l’article 1121 du code civil qui dispose « qu’on peut pareillement stipuler au profit d’un
tiers lorsque telle est la condition d’une stipulation que l’on fait pour soi-même ou d’une donation
que l’on fait à un autre. Celui qui a fait cette stipulation ne peut plus la révoquer si le tiers a déclaré
vouloir en profiter ». En conséquence, la créance du bénéficiaire contre l’assureur n’a jamais fait
partie du patrimoine du souscripteur. Le bénéficiaire échappe donc aux concours des créanciers et
héritiers de celui-ci, « le capital stipulé, n’ayant jamais fait partie du patrimoine du stipulant, ne
constituant pas une valeur successorale, ne saurait, par la suite, entrer en compte pour le calcul de la
réserve(10) ».
Le législateur a repris cette solution dans l’article L. 132-12 du Code des assurances au
terme duquel « le capital ou la rente stipulés payables lors du décès de l’assuré à un bénéficiaire
déterminé ou à ses héritiers ne font pas partie de la succession de l’assuré. Le bénéficiaire, quelles que
soient la forme et la date de sa désignation, est réputé y avoir eu seul droit à partir du jour du
contrat, même si son acceptation est postérieure à la mort de l’assuré ».
La stipulation par autrui a donc pour effet de mettre à l’écart les règles du rapport et de la
réduction. Il ne faut pas en déduire un caractère absolu du caractère hors succession de
l’assurance-vie. Certains tempéraments civils rétablissent les droits des héritiers (SECTION 1) et les
prélèvements fiscaux peuvent grever les biens transmis (SECTION 2).
5 Demolombe, cours de Code Napoléon, t. XXIV, 1869, n° 248
6 Thaller, Annales de droit commercial, 1899, p. 197
7 J. Kullmann (dir.), Lamy Assurances, éd. Lamy, 2011, n° 3820, p. 1747
8 H. Capitant et A. Colin, Cours élémentaire de droit civil, t. II, Dalloz, 9e éd., 1945, n° 209
9 Entre autres ; Cass. Civ., 16 janv. 1888, D.P. 1888, I, p. 77 et 193
10 Cass. Civ., 29 juin 1896, DP 1897, I, p. 73, S. 1896, chr. p. 361
