La présence tchadienne dans les opérations d´exportation de son brut se justifie aussi par
le contrôle qu´il exerce sur les quantités exportées en fonction de la capacité maximale de
transport journalier du pipeline (500.000 barils/j). Le débit journalier actuel est de 225.000/j,
après 150.000 en 2004 et moins au début de la production en 2003.(192)
A travers cette opération de vérification, il s´agit pour les délégués tchadiens de s´assurer
que les hydrocarbures produits dans les champs de Doba ne font l´objet d´aucune limitation pour
leur transport en République du Cameroun.(193)
De fait, en matière d´accès, plus encore en matière de commerce international, les Etats
sont souvent engagés dans une logique de concurrence, notamment en ce qui concerne les mêmes
produits à exporter. Cette logique commerciale a souvent conduit les uns et les autres à adopter,
par mesure de protection nationale, des procédés visant à réduire le commerce d´autres nations.
Parmi ces mécanismes, les restrictions quantitatives constituent une arme généralement utilisée.
C´est pour se prémunir contre de tels obstacles aux produits en transit que la prohibition
de la pratique des restrictions quantitatives a été reconnue d´utilité dans le cas de l´exportation par
pipeline du pétrole tchadien à travers le territoire camerounais.
Le Chapitre 5 de l´Accord bilatéral consacré à l´utilisation du système de transport réserve
une place primordiale à cette question. Aux termes de ce Chapitre, « la République du Cameroun
s’engage […] à ne prendre aucune mesure qui puisse avoir pour effet directement ou
indirectement de restreindre l´utilisation du système de transport camerounais pour le transport
[des] hydrocarbures [tchadiens] » et à « n´imposer aucune limite à la quantité des hydrocarbures
produits en République du Tchad à transporter par le Système de transport camerounais ».(194) La
« transmigration »(195) des règles du GATT dans l´Accord trouve de ce fait tout son effet.
Loin de chercher à limiter les quantités, l´Etat camerounais reconnaît plutôt à la COTCO,
Société chargée du transport de ces hydrocarbures en territoire camerounais, le droit de modifier
librement les volumes d´hydrocarbures dans le sens de leur accroissement, sans dépasser
néanmoins la capacité maximale de l´oléoduc.(196)
Au rythme quotidien dans lequel elles se déroulent, les opérations d´évacuation du pétrole
tchadien n´ont pas (à tout le moins jusqu´à l´heure actuelle et d´une manière officielle) suscité de
N´djaména des réactions faisant cas d´obstacles au transit de ses hydrocarbures, qui plus soient le
fait de la partie camerounaise. A travers rapports issus des consultations régulières entre les deux
Etats, l´on relève plutôt une tendance constante à la « satisfaction ».
Certains auteurs s´intéressant à ce champ des relations internationales ont pour leur part
qualifié cette coopération en matière de transit par pipeline entre le Tchad et le Cameroun
d’« exemple intéressant de coopération constructive en Afrique ».(197)
Une telle opinion devrait, pour convaincre, prendre en considération la double nature du
pipeline. Moyen de transport au sens des Conventions du 8 juillet 1965 et du 10 décembre 1982
susmentionnées, l´oléoduc présente aussi la particularité d´être un investissement. Cette nature
hybride fait de lui une source d´intérêts gigantesques pour les divers acteurs en présence. La
question est alors de savoir quelle peut être la portée du droit d´accès devant la logique du profit
qui s’en dessine.
192 L´accroissement de ces volumes est fonction du nombre des puits de pétrole déjà forés. La production a démarré
avec la mise en fonction d´un seul des trois champs pétrolifères de la Zone du permis H (zone d´où sont extraits les
hydrocarbures). Le forage de 300 puits est prévu dans cette zone qui regroupe cinq bassins sédimentaires dont les
quantités sont estimées à 900 millions de barils.
193 En lieu et place de limitation, d´autres Etats sans littoral voient leurs produits simplement exclus du transit. Pour
un exemple, voir la décision des Autorités grecques en date du 16 février 1994 refusant l´accès au port de
Thessalonique à la République de Macédoine en ce qui concerne le transit du fuel et d´autres marchandises. Sur cette
question, voir Angelos M. SYRIGOS, “Landlocked States and access to the sea : the greek blockade of the former
Yugoslav Republic of Macedonia”, in Revue Hellénique de Droit international (RHDI), 49 (1996), p. 110.
194 Article 10 (1) de l´Accord bilatéral tchado-camerounais de 1996.
195 Le mot est utilisé par le Professeur Jean-Pierre QUENEUDEC dans son article « Le “nouveau” droit de la me est
arrivé! » in R.G.D.I.P., 1994/4, p. 867 pour désigner la mutabilité ou l´intégration d´un corps conventionnel dans un
autre instrument juridique.
196 Article 10 de la Convention d´établissement du 20 mars 1998.
197 Voir dans ce sens Kishor UPRETY, op. cit., p. 122, note 502. La traduction est de nous.
