En Haïti, on entend parler de corruption à longueur de journée presque dans tous les
secteurs d’activité de la société. Ce qui revient à dire qu’une Administration publique saine
serait surprenante et tiendrait même à la limite du défi dans un environnement global pareil.
Ajouter à cela, la conception assez partagée de l’Etat comme une vache à lait où l’on peut
rapidement s’enrichir, moyennant certaines acrobaties et la résolution de se débarrasser de
toute éthique.
A titre indicatif, Amary Joseph Noël, professeur d’Université en Haïti, a commencé une
lettre ouverte au Président de la République d’Haïti élu, Michel Joseph Martelly, dont l’objet
est : « Conseil au nouveau Chef d’Etat d’Haïti », par la phrase que voici : « L’un des efforts à
réaliser par le nouveau gouvernement, c’est de mettre un frein au sport le plus en vogue dans
l’Administration publique haïtienne: LA CORRUPTION(16).»
Dans la même veine, on a entendu plus d’une fois des autorités politiques haïtiennes
dénoncer publiquement la corruption qui gangrène le secteur public, particulièrement
l’Administration publique. Ainsi, pouvait-on entendre, dans un discours public du Président
de la République René Préval, la phrase suivante : «Des efforts ont été consentis dans la lutte
contre la corruption ; je peux vous dire que la lutte contre la corruption est la plus difficile,
parce que la corruption est forte, ses racines sont profondes… »(17)
De son côté, l’ONG, Transparency International, dans le cadre de sa publication
annuelle, depuis 1995, de l’indice de perception de la corruption dans le secteur public de la
majeure partie des pays de la planète, classe Haïti 146ème/ 178 pays avec un indice de 2.2 sur
10 en 2010(18), après l’avoir classé 168ème/ 180 pays avec un indice de 1.8 sur 10 en 2009(19) et
177ème/180 pays juste après l’Afghanistan et juste avant l’Irak avec un indice 1.4 sur 10 en
2008.(20)
Autant dire que la preuve de la corruption au niveau de l’Administration publique
haïtienne n’est plus à établir. Néanmoins, cette dernière est loin d’être un phénomène isolé.
En plus de l’indépendance fictive du Pouvoir judiciaire vis-à-vis du pouvoir politique et son
délaissement, expliquant la perpétuation de la corruption restant fort souvent impunie, les
conditions réelles d’accès à l’emploi public, en général, expliquent aussi en grande partie le
phénomène.
En fait, la Constitution et les lois de la République définissent assez clairement les
conditions d’accès aux emplois publics, mais dans la pratique de tous les jours, le favoritisme
et le népotisme paraissent valoir encore leur pesant d’or aux yeux de plus d’un. Comment
alors demander à un agent public de se penser en serviteur de l’Etat ou de l’usager quand il ne
doit pas sa fonction au mérite, mais plutôt à une faveur, ou à ses accointances, ou à son zèle
de militant politique, ou encore à ses liaisons amoureuses ou son lien de parenté avec une
personnalité bien placée ? Le problème réel tient du fait que la plupart des agents appelés à
travailler dans l’Administration publique, n’y rentrent pas par conviction, et encore moins en
fonction de leur mérite ; ils sont généralement casés dans l’Administration pour « gagner leur
pain quotidien », pour « brasser » ou « défendre leur vie », comme on se complait à les
répéter dans les milieux du secteur public en Haïti. En un mot, la mission première de cette
catégorie d’agents publics c’est de se servir eux-mêmes au détriment du Trésor public et aux
dépens de l’usager du service public.
En revanche, si ces vieilles pratiques du secteur public haïtien continuent encore de
rythmer le quotidien de l’Administration publique, le citoyen a toutefois de bonnes raisons de
se croire en droit de réclamer des services publics de qualité. De plus, les bailleurs de fonds
internationaux, de leur côté, ne sont pas moins légitimes à exiger une Administration publique
saine et efficace, vu que le pays arrive à un carrefour dans sa descente où il ne peut plus,
semble-t-il, sortir de l’assistanat dans lequel il s’enlise de plus en plus.
16 Document posté le 11 mars 2011 sur le blog de Jean Sénat Fleury, ancien Juge et directeur des études à l’Ecole
de la Magistrature. Il est disponible sur lien suivant:
http://www.jsf-post.com/2011/03/01/conseils-au-nouveau-chef-d%E2%80%99etat-d%E2%80%99haiti/
La page est consultée le 23 juillet 2011.
17 Posté sur la toile de Alter Presse, le jeudi 03 janvier 2008 sur le lien suivant :
http://www.alterpresse.org/spip.php?article6809 La page est consultée le 23 juillet 2011.
18 Données disponibles sur le site web de transparency International, sur le lien :
http://www.transparency.org/policy_research/surveys_indices/cpi/2010/results La page est consultée le 23 juillet
2011.
19 Données statistiques disponibles sur le site web de Transparency International sur le lien suivant :
http://www.transparency.org/policy_research/surveys_indices/cpi/2009/cpi_2009_table La page est consultée le
23 juillet 2011.
20 Données statistiques disponibles sur le site web de Transparency International à partir du lien suivant :
http://www.transparency.org/news_room/in_focus/2008/cpi2008/cpi_2008_table La page est consultée le 23
juillet 2011.