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Annexe 4 : Entretien avec Manuel Armand, Journaliste à La Montagne

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Propos recueillis le 2 octobre 2010 par téléphone.

Dans quelle mesure l’identité auvergnate est-elle présente dans la culture propre à Michelin ?

Si on voulait reformuler la question, cela pourrait être : Michelin est-elle une entreprise auvergnate ? Non. La difficulté persistante des clermontois est d’avoir une mauvaise perception de Michelin : ce n’est pas une entreprise locale ayant une très belle réussite internationale. Michelin se comporte depuis les années 60 comme une grande entreprise multinationale et c’est devenu une réalité encore plus prégnante dans les années 80 avec le rachat d’Uniroyal et la place de leader mondial du pneu acquise. Il faut bien voir que le potentiel de Michelin n’est pas en Auvergne, mais bien en Chine, en Inde et au Brésil. Notez par exemple qu’il y a plus d’employés aux USA qu’en Auvergne… Aujourd’hui Michelin emploie 110 000 personnes dans le monde entier, dont la moitié en Europe. Sur ces 55 000 personnes, la moitié est employée en France et enfin sur ces 23 500 personnes environ, un peu plus de la moitié est employée en Auvergne : cela représente donc un huitième de la masse salariale totale de Michelin. Cela signifie que Clermont Ferrand est un site très important, mais cela ne représente somme toute qu’un huitième. Par contre, il faut bien voir qu’à Clermont-Ferrand se trouve le siège de Michelin France, le siège Europe mais aussi le siège Monde ! D’autre part, le principal centre de recherche et développement est à proximité de Clermont : Ladoux. Et sur les 11 000 à 12 000 employés Michelin à Clermont-Ferrand, plus de la moitié sont dans les fonctions support et la recherche.
Edouard Michelin disait qu’il y aurait toujours de la production aux Carmes ne serait-ce que pour que les fonctions supports sentent le caoutchouc lorsqu’ils entrent et sortent de leurs bureau !
Cette idée de l’identité auvergnate, ou tout au moins provinciale, est en lien direct avec le discours de Michelin mais je pense qu’une page s’est tournée. Michelin reste une boite d’ingénieur et non une boite de financier. Il n’y a pas de raisonnement court-termiste. Il y a eu deux ruptures fortes dans l’histoire de Michelin : d’abord lorsqu’Edouard Michelin remplace son père François à la tête de Michelin, on passe d’une organisation tayloriste classique (système pyramidal) à une organisation plus moderne de type matricielle avec des couples produit/marché. La deuxième rupture est la fameuse annonce des 7500 emplois supprimés : alors que l’objectif de François Michelin était la maximisation du chiffre d’affaires, celui d’Edouard était la maximisation du profit. A l’occasion de cette deuxième rupture, l’attachement à la région s’est effacé un peu et Michelin est peu à peu rentré un peu plus « dans le rang ».
Pour répondre finalement à votre question, je ne crois pas personnellement à la thèse régionale de l’identité de Michelin. Il s’agit à mon sens d’avantage d’un imaginaire populaire, quelque chose qui vient très rapidement sous la plume des journalistes et dans la bouche des gens. Mais concernant l’identité de cette entreprise, entre « est ce propre à Michelin ? », « est-ce propre à son enracinement auvergnat ? » et « est-ce propre au récit de communication construit par Michelin ? », je pense que finalement c’est un peu des trois !

Au-delà des 13 000 personnes qu’emploi aujourd’hui Michelin en Auvergne, combien de personnes sont indirectement impactées par l’activité de Michelin ?

Entre n’importe quelle personne en Auvergne et quelqu’un qui travaille ou a travaillé chez Michelin, il n’y a bien souvent qu’une seule main ! Je ne connais pas ce chiffre, mais rendre ce chiffre public, ce serait montrer le poids absolument énorme de Michelin dans la région !

Pourquoi Michelin rechigne encore à faire savoir le rôle très important que l’entreprise joue en Auvergne ?

Tout simplement parce que ce rôle est trop important : ce serait manquer de modestie, faire du clinquant, montrer qu’on a réussi, ce qui n’est pas dans l’esprit Michelin. Michelin ne cherche pas à rouler des mécaniques.

Pouvez-vous expliquer l’ambiguïté qui existe entre fierté et réticence à dire cet attachement à l’Auvergne pour Michelin ?

Au bout d’un moment, ça pèse un petit peu d’être de supporter l’image d’une ville usinière, manufacturière, grise. Il existe une véritable réflexion de Michelin sur l’image de marque : comment faire venir à Clermont-Ferrand des cadres de très haut-niveau ? Cela passe notamment par l’image que véhicule Michelin en-dehors de l’Auvergne. Il faut comprendre que Clermont-Ferrand garde son image de ville grise, noire, manufacturière. En termes de communication territoriale, il faut que l’Auvergne communique sur Michelin à condition que Michelin ait une image rénovée. Mais on est sur la bonne voix car Michelin a de plus en plus une image très bonne. Il y a eu une grande révolution en termes d’image à Clermont-Ferrand : par exemple les grands murs haut des Carmes sont tombés [la Place des Carmes est le lieu où se situe le siège de Michelin à Clermont-Ferrand]. C’est très révélateur et surtout très symbolique par rapport à ce qu’on a longtemps appelé la culture du secret chez Michelin. Maintenant, on peut même traverser un parking Michelin aux Carmes pour faire office de raccourci, même si on n’est pas employé Michelin ! Il y a eu un grand débat autour de la conservation de la grande cheminée en brique des anciennes chaufferies qui n’a techniquement n’a plus lieu d’être : en termes d’image, « on la garde ou on la détruit » ? Michelin a décidé de la garder, c’est une façon de ne pas faire table rase du passé. Il y a aussi un débat similaire avec ce qu’on appelait les « écuries » chez Michelin, et il s’agit d’un véritable débat d’image et de rapport à la culture et à l’identité de l’entreprise. Et ils sont embarrassés avec ça car ils n’ont pas pris de décision ! Le débat existe entre image très innovante de l’entreprise Michelin et l’image ternie, « grise », de Clermont-Ferrand, même si c’est l’histoire d’une très belle aventure industrielle avec l’Auvergne.

Quelle serait selon vous l’intérêt pour Michelin de communiquer sur ses origines et son ancrage en Auvergne en dépit de son aspect multinational ?

Il faut bien voir que la communication moderne, c’est Michelin qui l’a inventé. Même aujourd’hui, Michelin est la meilleure en communication ! Ce qu’il y a, c’est qu’ils font vraiment vivre leur communication : Bibendum évolue avec son temps, l’entreprise arrive régulièrement parmi les premières en termes de notoriété, d’image positive, d’opinion favorable, etc… Prenez le Guide rouge, c’est un vecteur d’image énorme, alors que cela ne représente quasiment rien en termes de chiffre d’affaires. Contrairement à ce que l’on peut croire, Michelin communique beaucoup et avec un incroyable succès. Ce qui ne les empêche pas d’avoir des problèmes de communication, des débats d’image comme nous l’avons vu.
Il y a deux niveaux de communication chez Michelin : en-dehors de l’Auvergne et en Auvergne. En Auvergne, Michelin ne veut pas se dévoiler comme entreprise qui veut tout « écraser » –du fait de son poids énorme sur la région, donc elle a du mal à trouver la bonne distance entre ce qu’ils sont et ce qu’ils veulent montrer, ce qui donne lieu à cette relative discrétion pour ne pas « écraser » la région. Mais pourquoi y a-t-il l’une des plus grosses implantations d’IBM à Clermont-Ferrand ? Parce qu’il y a Michelin ! Pourquoi y a-t-il autant d’activités à valeur ajoutée à Clermont-Ferrand ? Parce qu’il y a Michelin ! Idem pour ce qui est de la présence de gros cabinets de conseil à Clermont-Ferrand. Idem encore pour ce qui est de l’aéroport. C’est parce qu’il y a Michelin qu’il y a un aéroport à Clermont-Ferrand ! Ils sont donc un petit peu « embêtés » chez Michelin et c’est pourquoi on peut se demander si la « modestie Michelin » est-elle issue de cette identité auvergnate dont elle peine à se réclamer ou un embarras de trop communiquer ? A mon avis, un peu des deux.

Quelle image de l’Auvergne et de ses habitants exporte Michelin selon vous ?

Les auvergnats sont très content, très fiers d’avoir Michelin. D’ailleurs, la situation de Michelin ne peut que tirer vers le haut la région en termes d’image. Surtout que Michelin communique de plus en plus sur l’aspect « innovation » de son activité, laquelle se situe en Auvergne, à Ladoux.
Par ailleurs, tout le monde dit que Michelin fait les meilleurs pneus du monde ! Tout le monde reconnait derrière Michelin son sérieux, la qualité des produits, certaines « vérités », … Mais il faut bien voir que c’est aussi un récit d’entreprise, même si évidemment cela existe ! Ce qui est intéressant de conserver en tête tout de même, c’est la grande fierté que représente Michelin pour les auvergnats, et en particulier les clermontois.

Michelin toujours à Clermont-Ferrand : avantage ou contrainte selon vous ?

Pour la région, c’est essentiel ! Michelin est ce qui permet à Clermont-Ferrand d’être une grande ville et surtout une grande ville moderne qui rayonne sur toute une région. Il y a beaucoup d’entreprises et de formations de prestige, comme l’IFMA par exemple, qui sont à Clermont-Ferrand par rapport à la présence de Michelin.
Pour Michelin, ça permet à l’entreprise d’être en lien avec « le vrai », le terrain, la production.
Mais le problème de fond reste : comment recruter des cadres de haut niveau à Clermont-Ferrand ? Michelin a besoin que la région fasse des efforts pour mieux communiquer à l’extérieur, que Clermont-Ferrand apparaisse comme une grande métropole de province, jeune, dynamique, etc… ce qui vrai, en plus !
Et est-ce que la victoire de l’ASM en mai dernier pourrait être un vrai déclencheur ? Ce n’est pas impossible du tout ! Dans l’imaginaire collectif français, le rugby, c’est plutôt une culture propre au sud-ouest qui incluse les principes de fête, de bon-vivre, de soleil. Peut-être que grâce à la victoire de l’ASM, on va commencer à voir enfin l’Auvergne comme une vraie terre de rugby et donc une région où on a le soleil, où on sait faire la fête et où il fait bon vivre !

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