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Annexe 16 : Entretien avec Mr O.

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De manière générale comment vois-tu la situation actuelle de l’éducation en Argentine ?

Je trouve que la situation actuelle de l’école primaire comme du secondaire en Argentine est très pauvre, et elle se détériore encore plus jour après jour. Le problème fait partie de la détérioration sociale que souffre la société, bien qu’aujourd’hui on soutienne que nous sommes un pays en croissance. Cette détérioration est due au fait qu’il est chaque fois plus difficile d’obtenir les possibilités pour développer une forme de vie digne…, ça serait pouvoir compter sur des nécessités basiques satisfaites : alimentation, logement, santé, éducation. Cependant, les bas salaires de beaucoup de secteurs de la société comme l’inflation croissante, qui détériore le pouvoir d’achat de ceux qui doivent envoyer leurs enfants à l’école, ça se manifeste jour à après jour tant au point de vue de la société qu’à l’école qui en fait partie. Ces questions portent avec elles les problèmes de violence, de toxicomanie qui se manifestent dans le milieu éducatif. D’un autre côté, ils ne sont pas peu nombreux, tant en primaire qu’en secondaire, ceux qui doivent abandonner l’école pour travailler et ainsi donner un coup de main à leur famille…, comme la quantité d’enfants et de jeunes qui habitent dans les rues, lesquels non plus n’ont pas accès à l’éducation.

Les budgets peu élevés destinés à l’éducation ne contribuent pas non plus à améliorer la situation. De là résulte les bas salaires des enseignants comme la détérioration des édifices éducatifs. L’humeur de celui qui doit travailler sans qu’on lui donne quelque chose de suffisant pour vivre dignement, elle n’est pas la même face aux élèves que si il avait été bien payé. Ça, je le dis principalement comme enseignant…ce n’est pas sain de penser à devoir prendre une mesure, par exemple une grève, pour demander un salaire plus élevé. Ça se reflète dans la salle de cours parce que, si d’un côté on doit s’adresser aux élèves et leur dispenser un enseignement, de l’autre côté, on vit la torture de penser qu’on ne va pas arriver à la fin du mois avec son salaire…et qu’il faut faire quelque chose parce qu’il n’y a aucun intérêt de la part de la classe gouvernante de rétribuer les travailleurs dans l’ensemble, le salaire qu’ils méritent et devraient recevoir.

Le fait de devoir faire grève entrave la poursuite des cours, en les interrompant une, deux ou trois fois par semaine…d’autres fois pendant une durée indéterminée et jusqu’à ce qu’il y ait une réponse ou jusqu’à la fatigue ou l’usure…comme ça a été le cas des enseignants de Santa Cruz pendant ces derniers mois de mai-juin…

A ça il faut rajouter la préoccupation de donner cours dans des espaces qui peuvent s’effondrer, où le froid est extrême en hiver et la chaleur étouffante au printemps et en été. Où les toits tombent, les sanitaires ne sont pas dans de bonnes conditions…

Ce n’est pas facile non plus de donner cours à 40-50 élèves comme c’est le cas dans beaucoup d’écoles. La situation se complique encore plus quand tous les problèmes sociaux : violence, agressivité, faim, marginalisation, se voient jour après jours à l’école sur le visage des jeunes, leur peu d’envie d’apprendre ou de prêter attention ou leurs faibles capacités dues à une alimentation incorrecte durant leur enfance précoce et leur développement à l’adolescence.
D’un autre côté, aujourd’hui l’école primaire et secondaire n’ont pas pour ambition de former des professionnels ni des travailleurs qualifiés mais une main d’oeuvre bon-marché.

A l’école primaire, on enseigne seulement les contenus nécessaires pour avoir accès au secondaire, en sciences sociales, naturelles, mathématiques et langues (castellan et anglais)… et en secondaire-même, qui déjà rencontre des problèmes pour adapter ses enseignements à des enfants quasi adolescents qui viennent mal préparés de la primaire…on ne leur donne pas les connaissances nécessaires pour accéder à des études universitaires mais on les prépare- avant indirectement, maintenant directement- pour sortir sur le marché du travail. L’éducation ne vise pas la formation de personnes et de citoyens critiques et participatifs mais, la création de main d’oeuvre pour les entreprises.

Par rapport à ton expérience, quand tu étais en primaire et secondaire, tu notes des changements aujourd’hui ?

Selon mon expérience, j’ai vu que tant l’école primaire que secondaire se sont détériorées. Quand je suis sorti de l’école primaire, elle m’a offert un degré de connaissance qui m’a permis d’enter dans mon école secondaire, l’Ecole Supérieure de Commerce Manuel Belgrano. C’est très subjectif parce que pour entrer en secondaire, j’ai dû passer un examen où on était 800 candidats et il y avait seulement de la place pour 256 personnes. Cet examen comptait deux parties : une de mathématiques et l’autre de castellan ou langue maternelle. Pour réussir, nous devions obtenir plus de 70 % dans les deux matières. Cependant, et pour ça je te dis que c’est très subjectif considérer que j’ai eu une bonne préparation primaire, on était seulement 30 à avoir passé cette limite, c’est pourquoi, pour remplir les places disponibles, il a fallu baisser la limite à 40 %. Ca, ça continue à se passer aujourd’hui, et pour moi ça constitue un indicateur de la mauvaise préparation que donnent les écoles primaires et de l’abîme qu’il y a entre le primaire et les écoles secondaires.

En tenant compte que ces écoles préuniversitaires ou dépendantes de l’Etat national, sont celles qui sont considérées dans tout le pays comme celles ayant le niveau éducatif le plus élevé, la crise de l’école primaire s’accentue encore plus, parce qu’elle ne peut pas répondre aux exigences des examens d’entrée pour ces mêmes écoles…et la majorité des élèves se préparent dans des instituts privés pour pouvoir y entrer.

Un autre indicateur de la précarité de l’éducation argentine, c’est que dans les dernières années, la quantité d’élèves qui ont eu des matières à repasser pendant la période de récupération de décembre-mars, tourne autour de 60 et 80 % du total des étudiants de l’école secondaire.

Même dans ces établissements, considérés de niveau académique plus élevé, comme l’Ecole Supérieure de Commerce Manuel Belgrano, au jour d’aujourd’hui j’ai vu à travers mon travail de précepteur, la quantité d’élèves qui ont des matières à repasser pendant les périodes de récupération, et l’importante quantité de ceux qui redoublent l’année ou abandonnent l’école.

Ce sont des cas qui avant…comme repasser plus de 50 % des matières ou redoubler l’année…quand j’étais à l’école, entre les années 1998-2005, ça se passait à partir de la 5e année et principalement pendant cette année…maintenant ça arrive dès les premières années, ce qui engendre beaucoup d’abandons en 5e et des redoublements les années antérieures.

Par rapport à mon expérience, j’ai été à l’école primaire dans une institution privée et la secondaire dans une école publique. La différence a été marquée dans les deux, c’était l’école publique qui avait un niveau académique plus élevé.

Et aujourd’hui ?

Aujourd’hui, il n’y a presque pas de différences entre ces deux institutions…même si les écoles privées n’affrontent pas visiblement la détérioration sociale qu’on voit autour de nous…des enfants qui ont faim, qui travaillent…elles sont tout de même affectées, du fait qu’elles font partie du même système éducatif. Peut-être que les élèves ne sont pas affamés et ne doivent pas travailler, mais les niveaux d’agressivité et la violence sociale se manifestent aussi. En plus, le niveau d’éducation est pratiquement le même, sûrement qu’il est pire dans les écoles publiques vu les conditions dans lesquelles ont doit enseigner et apprendre…des édifices détruits, mal conditionnés…et le peu de ressources que compte l’école pour développer le déroulement des cours. Mais la problématique des salaires des enseignants, par exemple, est présente dans les deux institutions, vu qu’à part les écoles privées qui sont des fondations ou des entreprises, dans le reste, le gouvernement national prend en charge les salaires. Même dans celles qui ne reçoivent pas les subsides de l’Etat, les salaires sont bas.

Mais elles courent moins le risque d’interruption des cours par des grèves, vu que l’agent privé, au moyen du contrat, maintient une certaine menace implicite face à ceux qui voudraient réclamer pour de meilleures conditions. L’avantage qu’ont les établissement privés, c’est qu’en général, leur conditions municipales et leurs ressources éducatives sont bien meilleures vu l’apport que chaque famille fait à l’école, mais en parlant simplement de l’éducatif- et ça se voit quand ils essayent ou entrent dans des écoles pré-universitaires ou universitaires- elles sont au même niveau que le reste des établissement qui dépendent de l’Etat. A part la question matérielle, le problème de l’éducation traverse tout le système de la même manière.

Et par rapport aux abandons scolaires, tu sais s’il y en a peu ou beaucoup à Cordoba et en Argentine en général ?

Même si je ne gère pas les indicateurs statistiques des niveaux d’abandons scolaires qu’il y a dans mon pays et ma province, je sais qu’ils sont élevés. J’ai entendu, principalement à l’école secondaire, que ça correspond à plus ou moins 30 % des élèves. Par rapport à l’école primaire, je sais que ça existe mais pas dans quelles proportions. Plus grave encore est la situation de ceux qui ne peuvent même pas accéder à l’éducation primaire ou secondaire pour des questions matérielles- conditions de vie, logement, alimentation, santé- vu qu’ils doivent travailler pour aider leur famille.

Le fait que dans les dernières années, les gouvernements nationaux comme provinciaux aient déclaré l’éducation secondaire obligatoire et aient mis en oeuvre différents programmes de subsides pour ceux qui étudient- une certaine quantité d’argent par mois ou année- indique que les abandons scolaires constituent une réalité importante dans notre pays. A cela il faut rajouter les systèmes de bourses de ceux qui se trouvent déjà dans les établissements scolaires pour éviter que les abandons scolaires soient encore plus nombreux.

Selon toi quels sont les facteurs qui peuvent expliquer ces abandons scolaires ?

Il y a des abandons de toute sorte, de ceux qui quittent l’école parce qu’ils n’aiment pas, parce qu’ils n’y trouvent pas un espace de socialisation…de ceux qui abandonnent parce qu’ils doivent aider leur famille en travaillant et doivent le faire toute la journée ou bien ils ne supportent pas travailler et étudier en même temps, vu la charge physique et psychologique que ça implique.

Il y a beaucoup de cas de ceux qui s’en vont de l’école définitivement, principalement en secondaire, et ils ne retournent jamais plus. Et ça c’est un phénomène historique que j’ai connu à travers de ma famille. Par exemple, mon grand-père, a suivi des études primaires dans les années 1920 et il y resté seulement jusqu’en troisième année, parce qu’il a dû aller travailler, aider sa famille et s’occuper de ses frères. Mon père, a fait toutes les années primaire entre fin des années 50 et début des années 60 et il a abandonné l’école secondaire à 15 ans, autour de 1967 pour aller travailler et aider sa famille même en étant fils unique.

Aujourd’hui, presque 100 ans après le premier cas et près de 50 ans dans le cas de mon père, ça continue à se passer, si bien que même s’il y a eu de grandes avancées principalement entre les années 40 et 80, après le retour à la démocratie en 1983 et la décennie ultra-néolibérale de 1990-2001, l’éducation a perdu son rôle formatif dans la société et les grandes crises économiques ont fait que de nombreux secteurs de la population se retrouvent à l’écart de l’éducation ou bien doivent l’abandonner pour aller travailler.

Dans beaucoup de cas, les élèves abandonnent l’école secondaire et retournent au moyen des programmes mis en oeuvre par le gouvernement, ou bien ils s’insèrent dans des établissements d’éducation accélérée.

Personnellement, je crois que le principal facteur qui produit les abandons scolaires, ce sont les lacunes socio-économiques de la société en général. Devant le dilemme d’aller travailler pour aider sa famille ou d’aller à l’école, beaucoup choisissent la première option. La vie prime sur l’éducation. D’un autre côté, ceux qui vont à l’école et qui appartiennent aux plus basses strates de la société, qui souffrent de la faim, du froid…n’arrêtent pas d’y penser. Un enfant qui a au plus un ou deux repas par jour, va à l’école en pensant qu’il a faim et non à ce qu’il doit apprendre…un enfant qui voit les énormes difficultés qu’a sa famille pour vivre jour après jour, pense à ça à l’école et non à devoir apprendre…celui qui travaille en plus d’aller à l’école pense à ça, en plus se rajoute l’épuisement physique et mental…et même il pense à la manière de pouvoir travailler plus et mieux aider sa famille et ne pas voir comment ses parents se privent de choses ou ses frères et soeurs meurent…et donc le travail devient prioritaire face à l’école. Qui souffre de situations de violence familiale, qui souvent sont les causes des difficultés économiques mais aussi qui les dépassent souvent, transmettent ça à l’école qui souvent se convertit en une manière d’échapper à de telles situations.

Il y a des questions qui n’échappent pas à la société dans son ensemble. Par exemple, ceux qui ayant une bonne position économique, souffrent l’absence de leurs parents toute la journée parce qu’ils doivent se charger de maintenir leur statut socio-économique à travers le travail…et ceux qui apprennent à se prendre en main seuls et généralement sans limites, transmettent cette arrogance aux lieux dans lesquels ils se développent socialement, comme l’école ou d’autres activités. Mais ça c’est la réalité d’une minorité.

Je considère que les principaux problèmes de l’éducation se trouvent dans la dure réalité socio-économique qui traverse le pays et le monde entier.

Quel devrait être le rôle de l’Etat selon toi par rapport à tout ça ?

L’éducation et la santé doivent être des responsabilités directes de l’Etat et il ne doit pas déléguer des responsabilités d’aucun type ni permettre que quelqu’un reste en dehors de ces responsabilités.

Je crois personnellement que, pendant qu’existera le système que nous connaissons aujourd’hui, c’est-à-dire un capitalisme sauvage et compétitif, il n’y a pas de possibilités de grands changements en matière d’éducation, elle n’est pas considérée comme une priorité. Vu que l’éducation produit des sujets pensants, critiques et participatifs qui peuvent menacer les principes-mêmes de l’Etat et du système. L’éducation sert au système tant qu’elle reproduit ses propres logiques, c’est pour ça qu’il y a une intention marquée de ce que l’éducation passe au domaine privé. L’éducation le sert tant qu’elle produit de la main-d’oeuvre bon marché et soumise. Ca se note au fait que l’école secondaire ne prépare pas pour l’éducation supérieure ou universitaire, ce qui fait qu’en Argentine seulement 30 % de ceux qui terminent l’école secondaire continuent des études supérieures ou universitaires, non sans difficultés…et seulement 4 % parvient à les terminer. En définitive la plus grande partie de la population se retrouve hors du système éducatif dans ses différentes étapes.
Seulement avec l’expropriation du capital, la fin de la propriété privée, on peut penser à un système éducatif global, nationalisé ou internationalisé, et de qualité. Qui permette la formation des citoyens et des personnes à tous leurs stades.

L’Etat doit prendre en charge la création et la reproduction du travail dans toute la société, en ne permettant à personne de rester en marge et que tous produisent pour la société dans son ensemble, que chacun reçoive ce qui lui est nécessaire. Ca en combinaison avec des politiques correctes d’éducation permettrait que les enfants, les adolescents mènent à bien leur rôle d’étudiants dans la société sans avoir à abandonner l’école pour aller travailler mais en passant par elle pour pouvoir développer pleinement leurs capacités.

Le socialisme est la solution, vue dans l’ensemble, étant donné que l’éducation fait partie de la société et donc il ne peut pas y avoir de changement profond sans lien avec celui des différentes structures de la société.

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