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Annexe 1. Entretien avec Hamza Mahfoud

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Entretien N°1 : Hamza Mahfoud, 27 ans, journaliste et blogueur. Provenant de Casablanca, la capitale économique du Maroc et ville la plus peuplée (5 millions Hab). Durée de l’entrtien 3h

– Pourquoi avoir répondu favorablement à l’appel de manifester le 20 février 2011 et comment tu t’es organisé au sein du mouvement ?
Tout d’abord je suis venu du monde de la blogosphère et d’internet. J’avais un blog qui s’appelle « Gandhi le fils » et j’étais membre d’une académie virtuelle s’intitulant « l’académie de la science et de la paix ». Dans mon blog, j’expliquais aux gens des livres, notamment ceux de Gandhi, Ché Guevara… et surtout les expériences du militantisme non-violent. En même temps, je produisais des articles satiriques sur la situation au Maroc, des articles politiques et d’autres sur la non-violence.

J’étais, pendant mon enfance, membre du Mouvement Islamiste. Ensuite, est né le monde de la blogosphère et je m’y suis engagé à travers la lecture et les débats. Par la suite, la question de la relation entre le monde réel et le monde virtuel a commencé à se poser. Les valeurs nobles que nous défendons, les droits de l’Homme, le militantisme non-violent, le respect des minorités, etc. n’étaient pas palpables dans le monde réel. Ceux qui débattent sur internet ne se connaissaient même pas entre eux. Quand est venu le printemps arabe et le printemps démocratique dans la région, il a constitué une force et une poussée pour nous afin de participer en premier lieu dans le débat. Mon blog était assez connu chez plusieurs militants et blogueurs en Egypte. Et donc je suivais, réagissais et appelais à se mobiliser et manifester. Cela est relatif, puisque je suis au Maroc et non pas en Egypte.

Je ne prétends pas avoir fais une grande contribution, mais c’était une contribution en suivant les interactions et évolutions produites en Egypte et en Tunisie. Cela est pour dire que nous étions préparés sur le point de vue théorique pour sortir dans les rues au Maroc aussi. Vient s’ajouter à cela le fait que nous avons constitué un Book club sur internet intitulé « pour la lecture et le débat » précédé par l’organisation d’un café philosophique à Casablanca pour débattre autour de textes de philosophie. Cela a duré quatre ans pendant lesquelles nous avons lu et débattu autours d’ouvrages différents, notamment des livres de Platon, Gandhi, K. Marx, etc.

Quand l’occasion s’est offerte au Maroc, nous avons participé sans hésiter. Tout d’abord la participation était à travers les réseaux sociaux. Nous avons participé à la mobilisation par facebook pour convaincre les gens, communiquer avec eux et exploiter leur présence et mobilisation sur internet pour diffuser nos articles qui étaient sur des blogs. Et nous sommes sortis le 20 février.

Le 19 février, j’ai pris entre mes mains un papier et un stylo, et j’ai commencé à réfléchir comment est-ce que je pourrai participer dans la rue par un travail concret. C’était le début d’un projet de conception du slogan principal des premières manifestations. C’est le slogan qui a parcouru tout le Maroc. J’ai essayé de concentrer dans ce slogan la plateforme des revendications du Mouvement :

Le peuple dit :

L’unique solution, entre toutes les solutions,
La chute du gouvernement,
La dissolution du parlement,
Le changement de la constitution,
La libération des détenus [politiques],
La libération du secteur de l’information,

Ecoute la voix du peuple :

Le Makhzen dégage,
19, dégage ! (83)
Le Maroc est une terre libre,
Le 20 février est une révolution libre,

Dès le début, nous avons intégré la dimension pacifique dans les manifestations ainsi que la dimension civile. Quand on cite l’article 19 dans ce slogan, nous ne voulions pas dire 19 [le roi] en soi, mais nous dénoncions l’intervention du religieux dans la politique et l’exploitation de la religion par le Makhzen pour des fins liées à la lutte politique.

A ce moment là j’étais membre de la commission de communication du M20 section Casablanca et je n’ai pas réussi au premier abord à faire passer ce slogan à la commission des slogans.

Le jour du 20 février, notre manifestation s’est bien déroulée dans un climat pacifique et nous avons réussi nos objectifs. Nous avons décidé unanimement avec les jeunes à terminer la manifestation à « la place des colombes » à Casablanca. Or, un membre de la coordination de Casablanca a pris en aparté la décision de prolonger la manifestation. Comme il a une association locale, il est parti rassembler des gens de l’ancienne médina (quartier populaire) et revenu exploiter l’enthousiasme des gens qui étaient inspirés des autres places de révolutions dans le monde arabe comme Place Tahrir au Caire, l’Avenue Bourguiba à Tunis, etc. ainsi, certains ont décidé de rester dans la rue. Et nous, nous avons décidé d’interagir avec cet incident avec rationalité tout en prenant en compte le fait que ce membre exploite et surfe sur l’enthousiasme des gens, chose qui pouvait dégénérer en une confrontation.

Donc, ils voulaient que nos mobilisations virent à la violence. Ils ont réussi dans quelques localités isolées cet objectif, mais à Casablanca, nous nous sommes mobilisés contre ce scénario. Donc, nous nous sommes séparés : un groupe qui rassemble l’ensemble des militants ayant appelé et mobilisé pour la manifestation. Et un deuxième groupe qui a tenté de transformer le sit-in à une marche de violence. C’est à ce moment que j’ai saisi l’opportunité pour jouer mon rôle et donc lancer mon slogan qui définit les objectifs du 20 février. Ensuite nous nous sommes organisés pour protéger les biens contre le vandalisme. C’est ainsi que le premier jour des manifestations s’est terminé à Casablanca.

Dans les jours qui vont suivre, mon rôle va se concentrer sur la commission des slogans. J’ai réussi à produire plusieurs slogans qui ont été repris dans l’ensemble du Maroc. Et comme j’étais membre de la coordination de Casablanca du M20, indépendant vis-à-vis des partis politiques, mon rôle était aussi de rassembler les militants appartenant aux différents groupes politiques et je me suis dressé contre le groupe appelé « les indépendants du 20 février » car c’est un groupe qui avait des orientations policières. Et j’avais déclaré publiquement que ces gens étaient des flics. Donc j’avais ce rôle de rassembleur. L’autre rôle était celui de stimulateur de débat. Nous avons tâché, avec une grande énergie physique, car nous avons dépensez trop d’effort en croyant que la rupture et le changement viendra très vite, nous avons rassemblé et organisé des rencontres-débat et cercles de débats au sein des universités. Nous sommes partis répondre aux questionnements des élèves et étudiants qui se sont posés la question à propos du M20.

– Tu fais la liaison entre la genèse du M20 et le contexte régional caractérisé par les révolutions arabes de 2011. Est-ce que ce mouvement, comme tu l’as vécu, était intrinsèquement lié à ce contexte ? ou bien y-a-t’il d’autres éléments ayant contribué au déclenchement des manifestations ?

Sans le contexte régional, le mouvement n’allait pas naitre comme il était né. Il pouvait être sous d’autres formes. Théoriquement, plusieurs jeunes étaient décidés : ils réfutaient la violence, croyaient en la démocratie, respectaient la femme, étaient militants et avaient déjà un esprit militant. Mais les foules, les gens qui n’étaient pas formés politiquement, ne pouvaient pas répondre favorablement à l’appel du M20 sans que les révolutions ne soient déclenchées en Egypte et en Tunisie. Ils nous ont rejoint facilement grâce à l’Egypte, la Tunisie et ces révolutions nous ont épargné un grand effort, de prendre par exemple chacun des manifestants et lui expliquer qu’on n’est pas en guerre contre la police. Les gens étaient conscients dès le début de ce qu’il faut faire car ils ont déjà vu d’autres exemples. Ces révolutions nous ont facilité la tâche pour éviter la violence et éviter les cloisonnements gauche/droite par exemple. Si la révolution égyptienne a réussi à rassembler les différents groupes politiques en Egypte, elle a réussi également à nous faciliter la tâche de les rassembler au Maroc également. Et à chaque fois que nous nous éloignons de ce temps, la capacité d’accepter les différences au sein du mouvement devient fragile, et c’est ce que nous sommes en train de vivre actuellement.

Donc, le Mouvement n’allait être comme il est aujourd’hui, mais il allait se déclencher à cause des problèmes et du despotisme que connait le Maroc sous d’autres formes, notamment des formes violentes que les révolutions arabes nous ont épargnées.

– Quelle est ta propre évaluation du processus du M20 et qu’est-ce qui explique son apogée à certains moments et son essoufflement aujourd’hui ?

Pour moi, il faut distinguer entre deux choses : 20 février comme objet et 20 février comme dynamique. La dynamique a permis aux gens qui ne parlaient pas auparavant ou parlaient dans des endroits fermés sur le régime autoritaire, sur les trésors du roi, les amis du roi, sur les mafias politiques et économiques au Maroc, etc. de s’exprimer. Aujourd’hui, dans la dynamique du 20 février, le débat est ouvert publiquement, et des gens peuvent s’exprimer. Je donne l’exemple du roi, mais la démocratie est plus grande que la personne du roi et toute autre personne. Par exemple, les gens peuvent demander aujourd’hui dans le débat : pourquoi le roi du Maroc gagne 6 fois plus que le budget du roi d’Espagne ? Pourquoi le palais royal fonctionne avec un budget énorme en comparaison avec le palais présidentiel français ? Ces questions ne pouvaient être traitées dans les cafés et dans les rassemblements publics sans la dynamique du 20 février qui a ouvert le débat au Maroc.

Je donne l’exemple des groupes de musique du RAP. Dans le monde, le RAP est destiné à être en matière de revendication en avance par rapport à la Rue. Quand le 20 février est sorti dire au roi « sois droit ou dégage »(84), les groupes de rappeurs sont maintenant contraints d’aller plus loin.
Autre exemple, un rapport sorti après le 20 février déclare que le Maroc connait plus de 800 manifestations mensuelles. Les gens commencent à réagir quant à leurs droits violés. Ils ne peuvent plus cautionner l’humiliation et se taire face à la fraude qui gangrène les institutions publiques et privées, etc. Tout cela, c’est la dynamique 20 février.

Quant au 20 février l’objet, il est naturel que chaque mouvement protestataire connaisse des temps de force et des temps de déclin. Le M20 était solide lorsque nous étions capables d’accepter nos différences et nous unifier autours de slogans assez clairs. La crise du M20 est déclenchée quand nous avons commencé à nous éloigner de ces belles choses. Après le 24 avril 2011, les hauts et les bas ont commencé et notre capacité à accepter les différences commence à s’épuiser. Les conflits internes ont commencé, et je crois que les groupes de flics à l’intérieur avaient un rôle déterminant dans ce processus. Ils ont commencé à faire « exploser » les débats lors des assemblées générales du M20, à attaquer les sièges des partis politiques : (l’affaire connu sous le nom du Samorai par exemple)… sont toutes des choses qui ont contribué à l’affaiblissement des manifestations.

Mais je crois que le M20 a encore des choses à donner car nous avons réussi à accumuler une recharge symbolique et une recharge de confiance auprès des gens. Et plus que ça, il y a l’incapacité de l’Etat à … j’ai parlé tout à l’heure de l’ouverture du débat, certains ouvrent aujourd’hui leurs bouches pour dire que nous somme des traitres, que nous voulons que le roi tombe, que nous sommes des pro-polisario (85), etc. Rien que le fait que ces gens parlent, c’est une étape nécessaire pour qu’ils puissent s’approcher de la vérité et commencer à comprendre les choses. Devant l’incapacité de l’Etat, devant les promesses mensongères de cet Etat, devant le prolongement du despotisme de l’Etat, et il y avait des gens qui nous disaient qu’il faut patienter et donner du temps à l’Etat pour effectuer les réformes, etc. nous avons patienté, et les gens sont en train de voir que le palais rejoint maintenant sa position naturelle après un bref retrait causé par la peur, il revient pour investir les surfaces du despotisme, du vol et de l’autoritarisme politique et économique. Ainsi, les gens commencent à nous avouer que nous avions raison. A chaque fois, dans les quartiers, les trains et les places publiques, je rencontre des gens qui me disent : « Merci beaucoup, que dieu vous assiste… le jour où ça va se déclencher nous seront à vos côtés ».

– Est-ce que tu penses que l’organisation du mouvement, à travers les coordinations locales et les assemblées générales, les campagnes de mobilisation et les appels à manifestations, jouait un rôle déterminant quant à la mobilisation et le maintien du M20 ? (question sur les rôles des acteurs)
Je crois que le M20 n’est pas du tout les assemblées générales. Ces dernières, dans une phase donnée, étaient un canal de communication et de coordination. Le 20 février c’est tout d’abord la Rue. Et c’est aussi… Le printemps arabe est déclenché principalement à travers internet et les moyens de communication moderne et non pas les moyens classiques. Les assemblées générales ont, peut être, jouer dans le passé lors des années 1960 et 1970 des rôles dans les mobilisations.

La phase de la coordination s’est faite démontée par la police et par la naïveté de plusieurs militants. Le débat est devenu impossible et chacun est revenu à ses anciens mythes, son ancienne maladie et ses anciennes idéologies pour s’y identifier et se replier… à ce moment là, les assemblées générales ne sont plus efficaces. Et là nous revenons au départ, c’est-à-dire les nouveaux médias. Dans ce sens, je donne l’exemple d’une des dernières manifestations « contre l’acte de l’allégeance(86) et pour la liberté » qui a eu lieu grâce à la mobilisation à travers les réseaux sociaux. Il y a une charge de respect et il y a une charge de bonnes relations que nous avons tissées avec des gens de l’information, des militants, des gens qui luttent dans les associations pour les droits, etc. sont tous des gens qui ont commencé à te connaitre, connaître tes idées et savent que tu n’appelles pas au chaos et au vandalisme.

Donc une année et demi de manifestation nous a donné une charge, et à chaque fois que nous lançons une initiative sur nos « murs » de facebook, les gens commencent à commenter… quelqu’un à Tanger conçoit la banderole, un autre l’imprime à Rabat, un autre mobilise les journalistes et les agences de presse et l’action peut marcher. Nous descendons dans la rue, la police commence à tabasser mais le monde entier est au courant et le débat se déclenche et s’ouvre dans les cafés, les salons et les rassemblements. Cela est la meilleure chose que pourrait réaliser le 20 Février. Bien que les participants au sit-in soient minoritaires, mais nous avons réussi à briser les tabous et l’obstacle de la peur. La peur des gens et la peur de la classe politique qui commence à discuter aujourd’hui dans le parlement de ces sujets. Nous avons organisé un sit-in dernièrement contre le budget alloué au palais royal, et donc nous avons motivé des journalistes à traiter de ce sujet dans leurs journaux, etc. nous gagnons donc des surface de lumière en les sortant de la nuit.

– Quel avenir pour le mouvement aujourd’hui ? N’est il pas entrain de se transformer en un mythe ?

Comme je te l’ai dit, nous avons démarré avec une grande vitesse et dépensé tout au long d’une année et demie beaucoup d’énergie. Nous avons dépensez sur tout les niveaux. Ceux qui avaient mis de côté un peu d’argent, ils l’ont dépensé ; ceux qui faisaient leurs études se sont arrêtés ; ceux qui travaillaient ont quitté leur travail ; ceux qui voulaient monter un projet ont dépensé leur argent, etc. nous marchions à une grande vitesse et nous avons cru pouvoir réaliser de bonnes choses sur un laps de temps très court. Depuis le premier anniversaire du 20 février, les jeunes engagés, pas nécessairement ceux qui apparaissent devant les médias, ont compris que cette vitesse maximale va les bruler. Je peux donner l’exemple des jeunes qui ont perdu les liens avec leurs familles. Leurs familles leur demandent de choisir entre elles ou le M20. Il y a ceux qui ont eu des problèmes avec leurs mères, leurs copines… donc, cette vitesse est à remettre en cause.

Maintenant, il y a le défit du moyen terme. C’est-à-dire que chacun doit revenir à ses bases. Ceux qui ont leurs études doivent les poursuivre sans croire que la révolution aura lieu dans le court terme et rejoindre plus tard sa classe. Ceux qui ont leurs familles doivent y revenir… Mais, il faut rester vigilent par rapport à deux choses : il faut investir dans les frappes qui va au coeur des problèmes sans que cela nécessite beaucoup d’effort, comme l’exemple des sit-in et du débat déclenché sur les questions du budget royal et de la fête de l’allégeance. Je pense que l’avenir à moyen terme du 20 février sera sous cette forme.

83 19 : l’article 19 de l’ancienne constitution. Il considérait le roi comme « commandeur des croyants » qui concentre tous les pouvoirs exécutif et législatifs entre ses mains.
84 Un slogan répété lors des manifestations depuis Mai 2011. Il est considéré par certains militants comme une tentative de radicalisation du M20.
85 Front revendiquant l’indépendance du Sahara Occidental.
86 Cérémonie traditionnelle dans laquelle les élus, dirigeants politiques et représentants des populations présentent leur allégeance au roi.

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