Gagne de la cryptomonnaie GRATUITE en 5 clics et aide institut numérique à propager la connaissance universitaire >> CLIQUEZ ICI <<

Annexe 1 : Article PERREAU-SAUSSINE Louis relatif aux lois de police

ADIAL

Conflits de lois. – Contrat de sous-traitance. – Détermination de la loi applicable. – Loi de police. – Loi d’autonomie. – Loi du 31 décembre 1975 sur la sous-traitance. – Article 3 et 7 de la convention de Rome du 19 juin 1980. – Sous-traitant d’une société allemande. – Travaux confiés par une société de droit français. – Chantier situé en France. – Action du sous-traitant à l’encontre du maître de l’ouvrage.

Commentaire par Louis PERREAU-SAUSSINE

Sommaire

La loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, en ses dispositions protectrices du sous-traitant, est une loi de police au sens des dispositions combinées de l’article 3 du Code civil et des articles 3 et 7 de la convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles.

Cass. ch. mixte. – 30 nov. 2007. – n° 06-14.006, FS-P+B+R+I. – SA Agintis et a. c/ SAS Basell Production France. – M. Lamanda, Premier président. – Mme Monéger, rapporteur. – M. Guérin, avocat général. – SCP Baraduc et Duhamel, SCP Thomas-Raquin et Bénabent, avocats. – JurisData n° 2007-041758 (1re espèce).

Cass. 3e civ. – 30 janv. 2008. – n° 06-14.641, FS-P+B. – Sté DiwInstandhaltungGmbH c/ SA Unilin et. a. – M. Weber, président. – M. Paloque, conseiller rapporteur. – M. Gariazzo, premier avocat général. – SCP Thomas-Raquin et Bénabent, SCP Bouzidi et Bouhanna, avocats. – JurisData n° 2008-042520 (2e espèce).

Cass. 3e civ. – 8 avr. 2008. – n° 07-10.763, F-D. – Sté Campenon Bernard Méditérranée c/ Sté Basell Production France. – M. Weber, président. – Mme Lardet, conseiller rapporteur. – M. Guérin, avocat général. – SCP Thomas-Raquin et Bénabent, SCP Bouzidi et Bouhanna, avocats. – JurisData n° 2008-043553 (3e espèce).

1re espèce

LA COUR (…)

Par arrêt du 31 mai 2007, la troisième chambre civile a renvoyé le pourvoi devant une chambre mixte. Le premier président a, par ordonnance du 14 novembre 2007, indiqué que cette chambre mixte serait composée des première et troisième chambres civiles, de la chambre commerciale, financière et économique et de la chambre sociale ;

Les demandeurs invoquent, devant la chambre mixte, les moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

(…)

Attendu que, selon l’arrêt attaqué, la société de droit français Basell production France (société Basell), maître de l’ouvrage, a confié à la société de droit allemand Salzgitter AnlagenbauGmbH (société SAB) la réalisation d’un immeuble à usage industriel en France ; que cette dernière a sous-traité le lot « tuyauterie » à la société française Agintis par deux contrats des 22 mars 1999 et 14 mars 2000 ; que les parties avaient convenu que les contrats étaient soumis à la loi allemande ; qu’après achèvement du chantier en septembre 2002, une sentence, rendue le 23 mars 2003 par la Cour internationale d’arbitrage, a condamné la société SAB à payer à la société Agintis diverses sommes dont le solde des prestations sous-traitées avec intérêts au taux légal allemand ; que la société SAB ayant, le 1er septembre 2002, fait l’objet d’une procédure collective régie par le droit allemand, à laquelle la société Agentis a produit sa créance et le maître de l’ouvrage ayant, par lettre du 18 juin 2003, refusé tout paiement à cette société aux motifs que le marché principal et les sous-traités étaient régis par la loi allemande et qu’elle ne l’avait pas accepté en qualité de sous-traitant, cette société, a, le 16 juillet 2003, assigné le maître de l’ouvrage en indemnisation sur le fondement des articles 12 et 14-1 de la loi du 31 décembre 1975, et a recherché sa responsabilité quasi délictuelle pour l’avoir privée de la possibilité de sauvegarder ses droits par voie de saisie conservatoire avant règlement intégral intervenu en mai 2002 de la société SAB ; que, dans le cours de la procédure, la société Agintis, mise en redressement judiciaire, a bénéficié d’un plan de cession, M. B., étant désigné en qualité d’administrateur judiciaire et de commissaire à l’exécution de ce plan ;

Sur la loi applicable :

Attendu que l’arrêt a décidé à bon droit que, s’agissant de la construction d’un immeuble en France, la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, en ses dispositions protectrices du sous-traitant, est une loi de police au sens des dispositions combinées de l’article 3 du Code civil et des articles 3 et 7 de la convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles ;

Sur le premier moyen :

Vu les articles 12, alinéa 1, et 13, alinéa 2, de la loi du 31 décembre 1975 ;

Attendu que, selon le premier texte, le sous-traitant a une action directe contre le maître de l’ouvrage si l’entrepreneur principal ne paie pas, un mois après en avoir été mis en demeure, les sommes qui sont dues en vertu du contrat de sous-traitance et que copie de cette mise en demeure est adressée au maître de l’ouvrage ; que, selon le second, les obligations du maître de l’ouvrage sont limitées à ce qu’il doit encore à l’entrepreneur principal à la date de la réception de la copie de la mise en demeure prévue à l’article précédant ;

Attendu que pour débouter la société Agintis de ses demandes, l’arrêt retient qu’en l’absence d’engagement de toute procédure à l’encontre de la société Basell avant l’assignation introductive de la présente instance le 16 juillet 2003, la société Agintis ne peut sérieusement prétendre avoir antérieurement exercé l’action directe prévue par la loi du 31 décembre 1975 et qu’elle ne peut dès lors lui imputer à faute le règlement intervenu en mai 2002 ;

Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle constatait que la notification au maître de l’ouvrage par lettre recommandée avec demande d’avis de réception des mises en demeure adressées à l’entrepreneur principal était intervenue les 27 mars et 3 mai 2001 et que la société Basell n’avait réglé qu’en mai 2002 la somme qu’elle restait devoir à la société SAB, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, (…) CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu (…)

2e espèce

LA COUR (…)

Constate la déchéance du pourvoi à l’égard des sociétés KR services et Sarens de Coster ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Reims, 9 août 2005), que la société Unilin décor de droit belge, maître de l’ouvrage, a confié à la société SiempelkampMaschinenundAnlagenbeuGmbH et Co de droit allemand (société Siempelkamp), la conception, la livraison, le montage et la mise en service de machines et d’équipements pour une unité de fabrication de panneaux de fibres, située en France, le contrat stipulant qu’il est régi par le droit suisse des obligations ; que la société Siempelkamp a sous-traité à la société Hima de droit allemand le montage des machines, étant précisé dans le contrat que le droit allemand est applicable ; que cette société a sous-traité, à son tour, divers travaux à trois sociétés différentes dont le montage de certaines machines, à la société Diw de droit allemand, précision faite dans le contrat que c’est le droit allemand qui s’applique ; que par ailleurs, la société Unilin de droit français est intervenue en qualité de maître d’ouvrage délégué de la société Unilin décor ; que la société Hima ayant fait l’objet, en Allemagne, d’une procédure de faillite, ses trois sous-traitants, dont la société Diw, ont engagé à l’encontre de la société Unilin, maître d’ouvrage délégué, une action en paiement direct des sommes qui leur restaient dues ;

Sur le moyen unique :

Vu l’article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 ;

Attendu que le maître de l’ouvrage doit, s’il a connaissance de la présence sur le chantier d’un sous-traitant n’ayant pas fait l’objet des obligations définies à l’article 3 ou à l’article 6, ainsi que celles définies à l’article 5, mettre l’entrepreneur principal ou le sous-traitant en demeure de s’acquitter de ces obligations ;

Attendu que pour débouter la société Diw de sa demande en paiement formée contre la société Unilin, maître d’ouvrage délégué, l’arrêt retient que le marché principal liant deux sociétés de droit étranger était soumis, conventionnellement, à la loi suisse et que les contrats de sous-traitance passés, d’une part, avec la société Hima, de droit allemand, puis, entre cette dernière et la société DIW, également de droit allemand, étaient soumis à l’application de la loi allemande, choisie par les parties, aucune de ces lois, suisse ou allemande, ne conférant au sous-traitant une action directe lui permettant d’obtenir, auprès du maître de l’ouvrage, le paiement de tout ou partie des créances qu’il détenait à l’encontre de l’entreprise principale, et alors que ces lois ne sont pas contraires à l’ordre public international français et que l’article 12 de la loi du 31 décembre 1975 sur la sous-traitance n’est pas une loi de police régissant impérativement la situation au sens de l’article 7-2 de la Convention de Rome du 16 juin 1980 ;

Qu’en statuant ainsi, alors que, s’agissant de la construction d’un immeuble en France, la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, en ses dispositions protectrices du sous-traitant, est une loi de police au sens des dispositions combinées de l’article 3 du code civil et des articles 3 et 7 de la convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, la cour d’appel a violé le texte susvisé :

PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu (…)

3e espèce

LA COUR (…)

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Versailles, 11 décembre 2006), que la société Basell Production France (société Basell), maître de l’ouvrage, a confié à la société de droit allemand Salzgitter AnlagenbauGmbH (société SAB) la réalisation d’un immeuble à usage industriel en France ; que cette dernière a sous-traité le lot « génie civil » à la société française Campenon Bernard Méditerranée (société CBM) par deux contrats des 31 octobre 1998 et 27 avril 1999 ; que les parties avaient convenu que les contrats étaient soumis à la loi allemande ; que mise en demeure, par lettre recommandée avec accusé de réception du 16 janvier 2001, d’avoir à régler à la société CBM une certaine somme sur le fondement des articles 12 et 13 de la loi du 31 décembre 1975, la société Basell lui a, par lettre du 20 mars 2001, refusé tout paiement au motif que les sommes dues par elle à la société SAB étaient insuffisantes pour satisfaire l’ensemble des actions directes qui lui avaient été adressées ; qu’un « protocole d’accord » a été conclu les 4 et 9 avril 2002 entre la société SAB et la société CBM pour mettre fin aux différends les opposants prévoyant le règlement, au profit du sous-traitant, à titre forfaitaire et définitif, de la somme de 1 000 000 € hors taxes en cinq mensualités de 200 000 € hors taxes, soit 239 200 € toutes taxes comprises, à compter du 30 avril 2002 ; que seules les deux premières mensualités ont été réglées ; que les sociétés Basell et SAB ont conclu les 16 et 25 avril 2002 une transaction contenant des stipulations relatives aux actions directes des sous-traitants ; que la société SAB a, le 1er septembre 2002, fait l’objet d’une procédure collective régie selon le droit allemand, à laquelle la société CBM a produit sa créance s’élevant à 717 600 € toutes taxes comprises ; qu’après avoir infructueusement mis en demeure la société Basell de lui régler cette somme par lettre recommandée avec avis de réception du 14 novembre 2002, la société CBM l’a assignée en paiement ;

Sur la loi applicable :

Attendu que l’arrêt décide à bon droit que, s’agissant de la construction d’un immeuble en France, la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, en ses dispositions protectrices du sous-traitant, est une loi de police au sens des dispositions combinées de l’article 3 du Code civil et des articles 3 et 7 de la convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles ;

Sur le moyen unique :

Vu l’article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 ;

Attendu que pour rejeter la demande de la société CBM, l’arrêt retient qu’aucune précision ne figure dans le « protocole d’accord » intervenu entre les sociétés SAB et CBM les 4 et 9 avril 2002 sur le coût convenu des travaux ainsi que sur leur état d’avancement et les sommes antérieurement versées par la société SAB, que cette convention n’établit pas les comptes entre les parties et ne saurait, dès lors, se substituer au décompte général définitif de la société CBM, que cette société, qui s’est refusée à le verser aux débats en dépit de la demande de la société Basell, ne démontre pas que l’accord en question concerne exclusivement le paiement des travaux sous-traités exécutés au bénéfice du maître de l’ouvrage et que la société Basell est, en conséquence, fondée à soutenir que les sommes dont la société CBM sollicite le paiement ne constituent pas le solde du prix du sous-traité mais une indemnité transactionnelle exclue du champ d’application de la loi du 31 décembre 1975, puisque procédant exclusivement du « protocole d’accord » des 4 et 9 avril 2002 ;

Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que le « protocole d’accord », conclu entre la société CBM et la société SAB les 4 et 19 avril 2002, se référait aux commandes de travaux des 31 octobre 1998 et 27 avril 1999, à savoir « installation provisoire de chantier, travaux de terrassement, canalisations souterraines, construction de routes et aménagement des espaces libres, béton et béton armé, travaux de maçonnerie et travaux de finition pour le bâtiment, électricité et contrôle », que la société CBM se déclarait remplie de ses droits par le paiement de la somme de 1 000 000 € hors taxes, les parties mettant fin définitivement à leurs rapports « pour la construction de l’usine d’Aubette », sans rechercher, comme il le lui était demandé, s’il ne résultait pas de la transaction conclue entre la société Basell et la société SAB les 16 et 25 avril 2002, qui stipulait, à propos de l’action directe dont disposait la société CBM à l’encontre de la société Basell relativement aux travaux sous-traités, le versement antérieur par la société SAB à la société CBM d’une somme de 1 804 000 € Deutschemarks et l’accord intervenu, que la créance de cette société au titre du solde de ces travaux était celle définie dans ce « protocole d’accord » qui visait les seuls travaux sous-traités, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu (…)

Note :

Les vieux réflexes ont la vie dure ! Tout laissait penser que la Cour de cassation était de plus en plus insensible aux sirènes du « pouvoir d’attraction de l’immeuble », ce « land taboo » (selon l’expression de Moflatt Hancock ; « ConceptualDevices for Avoiding the Land Taboo in Conflict of Laws : the Disadvantages of Disingenousness » : (1967) Stanford L. Rev. 1-40) qui conduit à l’application quasi systématique de la loi de situation de l’immeuble toutes les fois qu’une situation internationale affecte ce type de bien. N’en cantonnait-t-elle pas en effet coûte que coûte (comme en atteste la fameuse affaire Bendeddouche : Cass. 1re civ., 3 janv. 1980 : GAJFDIP, 4e éd. 2001, n° 61 et les réf. et, plus récemment, Cass. 1re civ., 19 avr. 1999 : Defrénois 1999, n° 36976, note M. Révillard ; D. 1999, somm. com. p. 292, obs. B. Audit ; D. Affaires, 1999, p. 371, obs. X. D. ; JCP G 2000, II, 256, note Th. Vignal) et au rebours de certains juges du fond (V. par ex. TI Niort, 1er juill. 1998 : RJDA 5/99, p. 564), les effets depuis de nombreuses années par une politique jurisprudentielle énergique, qui rejoint les orientations générales du droit conventionnel et européen ?

En vain. Par une série de trois arrêts intéressant des contrats de sous-traitance internationale de construction immobilière en France, la Cour de cassation semble revenir sur ses orientations passées.

Dans la première et la troisième affaires – qui portent sur le même chantier de construction – (Cass. ch. mixte, 30 nov. 2007, n° 06-14.006, SA Agintis et a. c/ SAS Basell Production France : JurisData n° 2007-041758 ; JCP G 2008, II, 10000, note L. d’Avout ; D. 2008, jurispr. p. 5, obs. X. Delpech ; D. 2008, jurispr. p. 753, note S. Lemaire et W. Boyault ; Gaz. Pal. 22 mars 2008, 1, n° 82 p. 34, note M.-L. Niboyet ; RDC 2008, p. 508, note P. Deumier. – Cass. 3e civ., 8 avr. 2008, n° 07-10.763, Sté Campenon Bernard Méditerranée c/ Sté Basell Production France : JurisData n° 2008-043553) l’élément d’extranéité résultait de l’établissement outre-Rhin de l’entrepreneur principal. Les sous-traitants, auxquels il était confié le soin de réaliser la tuyauterie dans le premier cas, et le lot « génie civil » dans le second cas, étaient français, de même que le maître de l’ouvrage.

Dans la seconde espèce (Cass. 3e civ., 30 janv. 2008, n° 06-14-641, Sté DiwInstandhaltungGmbH c/ SA Unilin et a. : JurisData n° 2008-042520 ; Gaz. Pal. 22 mars 2008, 1, n° 82, p. 34, note M.-L. Niboyet), le maître de l’ouvrage belge, secondé de sa filiale française, s’était adressé à une société allemande pour « la conception, la livraison et le montage et la mise en service de machines et d’équipements pour une unité de fabrication de panneaux de fibres située en France ». Celle-ci a sous-traité le montage des machines à une société allemande, qui a elle-même eu recours à des sous-traitants allemands.

Dans la première et la troisième affaire, l’ensemble des contrats – entreprise et sous-traitance – était soumis à la loi allemande. Dans la seconde affaire, le contrat d’entreprise était soumis à la loi suisse, tandis que tous les contrats de sous-traitance relevaient du droit allemand.

Le choix d’une loi étrangère pour régir les contrats litigieux est au coeur des décisions rendues par la Cour de cassation. Il a pour effet de soustraire le sous-traitant à la protection que lui offre la loi française du 31 janvier 1975 sur la sous-traitance, en le privant notamment de la possibilité d’invoquer l’action directe dont il dispose à l’égard du maître de l’ouvrage (art. 12), action directe ignorée semble-t-il des droits allemand et suisse applicables.

Le sous-traitant désireux de bénéficier de cette action n’avait guère d’autres solutions, pour parvenir à ses fins, que d’invoquer le caractère de loi de police de la loi du 31 décembre 1975. D’abord refusée par la première chambre civile de la Cour de cassation (Cass. 1re civ., 23 janv. 2007, n° 04-10.897 : JurisData n° 2007-037027 ; D. 2007, obs. S. Bollée ; D. 2007, jurispr. p. 2008, note É. Borysewicz et J.-M. Loncle ; RTD com. 2007, p. 631, obs. Ph. Delbecque – et, implicitement, Cass. com., 19 déc. 2006, n° 04-18.888 : JurisData n° 2006-036662 ; Bull. civ. 2006, IV, n° 251), cette voie est aujourd’hui consacrée solennellement par une chambre mixte (1re esp.), dont les deux arrêts suivants ne font que reprendre à la lettre l’attendu de principe aux termes duquel : « S’agissant de la construction d’un immeuble en France, la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, en ses dispositions protectrices du sous-traitant, est une loi de police au sens des dispositions combinées de l’article 3 du Code civil et des articles 3 et 7 de la convention de Rome du 19 juin 1980 ».

On notera, au passage, que d’un arrêt à l’autre, la Cour de cassation s’est enhardie. Que la loi française soit applicable à l’arrêt du 30 novembre 2007 pouvait se comprendre. Ne s’agissait-il pas de l’action directe de droit français intentée par un sous-traitant français à l’égard d’un maître de l’ouvrage français pour un chantier immobilier français ? Il eut été tentant de soulever le caractère purement de droit interne de cette situation, solution que l’état de la jurisprudence antérieure autorisait (sur le fondement du critère « économique » de l’internationalité, V. par ex. Cass. 1re civ., 15 juin 1983 : Bull. civ. 1983, I, n° 175, p. 153), si la convention de Rome, adoptant une conception extensive de l’internationalité, ne fermait pas inexorablement la voie à cette allégation. Mais que penser de l’arrêt du 30 janvier 2008 ? Non seulement, à l’exception du maître de l’ouvrage délégué, aucune partie n’était française, mais surtout, on le verra, aucune « construction d’un immeuble en France » n’était manifestement en cause, sans compter qu’il n’était pas non plus impossible de considérer les contrats de sous-traitance comme des contrats purement internes à l’ordre juridique allemand…

Qui plus est, cette solution parait à contre-courant : contre-courant de la jurisprudence de la Cour de cassation, contre-courant des principes régissant la Convention de Rome, contre-courant encore des exigences du droit communautaire. Pourquoi en effet recourir au critère de compétence de la lexreisitae dans un domaine où elle ne s’imposait pas ? Comment justifier la qualification abusive de loi de police qui malmène l’architecture de la Convention de Rome ? Comment expliquer enfin l’absence de tout test de compatibilité de la qualification de loi de police aux exigences du droit communautaire ? Autant de questions qui permettent de douter de la pertinence tant de la qualification de loi de police ici retenue (II) que du critère d’application territorial consacré (I).

1. Le rattachement contestable à la loi de situation de l’immeuble

Imperturbablement, la Haute juridiction affirme que les dispositions de la loi du 31 décembre 1975 protectrices du sous-traitant sont d’application impérative à la condition que l’immeuble litigieux soit situé en France (A) et qu’il fasse l’objet d’une « construction » (B) – autant d’affirmations qui, on va le voir, n’emportent pas la conviction.

A. – L’application de la loi du 31 décembre 1975 à raison de la situation en France de l’immeuble

À supposer même que le sous-traitant intervenant sur un chantier de construction en France doive être protégé dans un contexte international, il suffit, pour mesurer l’incongruité d’appliquer ici la loi du 31 décembre 1975 sur la simple constatation de la situation de l’immeuble litigieux en France (2°), de passer en revue les différents critères d’application de dispositions protectrices d’une partie faible à un contrat portant sur un immeuble (1°).

1° Les critères d’application des dispositions protectrices d’une partie faible à un contrat portant sur un immeuble

Nombreuses sont aujourd’hui en droit français les dispositions protectrices d’une partie faible à un contrat portant sur un immeuble. L’archétype de la partie faible, celle qui fait l’objet des sollicitudes du législateur, en France comme à l’étranger, est en général l’occupant d’un immeuble à usage d’habitation, propriétaire ou preneur. Il faut y voir l’expression d’une préoccupation première des pouvoirs publics, objet de déclarations d’intention répétées, et élevée au rang d’objectif à valeur constitutionnelle : le droit au logement. Mais plus généralement encore, de telles parties sont protégées toutes les fois qu’elles se trouvent, au moment de la signature du contrat, dans une situation d’infériorité, qu’il s’agisse du consommateur immobilier ou encore, comme ici, du professionnel dans une situation de dépendance économique.

Quelle que soit la situation litigieuse, et à défaut de dispositions de protection spécifiques (que l’on songe par exemple aux articles L. 121-74 et L. 121-75 du Code de la consommationassurant la protection de l’accédant à la propriété ou la jouissance d’un immeuble en timesharing), c’est par le biais de la méthode des lois de police qu’il incombe d’assurer la protection de ces parties faibles. À cet égard, la spécification immobilière de l’opération conduit à distinguer trois rattachements possibles des lois de police.

a) L’observation a été maintes fois faite qu’au titre d’une loi de police, protection d’une partie faible rime avec application de la loi de sa résidence habituelle. Cette loi satisfait d’abord un objectif immédiat de protection en favorisant l’application de la loi que la partie faible est supposée connaître. Elle réalise ensuite un objectif plus médiat de satisfaction de l’intérêt général ou collectif de l’ordre juridique dans lequel s’insert la partie faible en contribuant indirectement à la régulation du marché immobilier.

Ainsi, l’application de la loi de la résidence habituelle du consommateur satisfait au premier chef l’objectif de protection de cette partie réputée faible, mais contribue aussi, en arrière-fond, à la régulation du marché au profit de la collectivité tant il est vrai que l’un des objectifs du droit de la consommation est de mettre en confiance les consommateurs pour les inciter à consommer. Mme Judith Rochfeld (RTD civ. 2005, p. 478 à 483) affirme ainsi, à propos de la loi du 28 janvier 2005 tendant à renforcer la confiance et la protection du consommateur, que cette loi est une traduction de la « tension persistante qui existe en droit français entre deux conceptions de la protection du consommateur, protection de cet acteur (…), mais qui intègre celle-ci à un objectif macro-économique de protection du marché » (V. également B. Rémy, Exception d’ordre public et mécanisme des lois de police en droit international privé : Nouvelle bibliothèque des thèses, vol. 79 ; Dalloz, 2008, n° 363 et s.). La loi de la résidence habituelle de la partie faible constitue donc le premier rattachement possible des lois de policeprotectrices d’une partie faible.

b) La situation se complique lorsque, pour une même disposition, les ordres juridiques intéressés l’un à la protection de la partie faible et l’autre à la régulation du marché ne sont pas les mêmes. Or, tel est précisément le cas de certaines dispositions protectrices d’une partie faible à un contrat portant sur un immeuble où, la plupart du temps, un partage de compétence doit être organisé entre l’ordre juridique de la résidence habituelle de la partie faible – en charge des intérêts particuliers à satisfaire – et l’ordre juridique de situation de l’immeuble – en charge de l’intérêt général (sur cette réalité, V. notre thèse, L’immeuble et le droit international privé. Étude des méthodes : Defrénois, 2006, Coll. Doctorat et notariat, t. 20, n° 421 et s., p. 238 à 245).

Par exemple, la n° 79-596 du 13 juillet 1979 dite Scrivener II (Journal Officiel 14 Juillet 1979) remplit la fonction principale de protection de l’emprunteur immobilier, mais elle est aussi destinée à « permettre le contrôle du crédit et à éviter l’endettement excessif de la population » (F. Leclerc, La protection de la partie faible dans les contrats internationaux, Étude de conflit de lois : Bruxelles, Bruylant, 1995, n° 291, p. 285). C’est la raison pour laquelle la doctrine propose de n’admettre l’application de la loi Scrivener II qu’à la double condition que soient situés en France, d’une part, l’immeuble objet de l’opération d’emprunt et, d’autre part, soit l’établissement prêteur en raison de sa soumission de son activité aux règles territoriales régissant sa profession, soit la résidence de l’acquéreur à protéger.

De même, la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 dite loi Hoguet (Journal Officiel 4 Janvier 1970) réglementant l’activité d’entremise immobilière remplit le double objectif immédiat et premier de protection du mandant et médiat de régulation du marché immobilier français et vise, à ce titre, « à ne pas fausser la concurrence entre agents menant leurs opérations sur des biens situés en France, selon qu’ils recherchent une clientèle en France ou à l’étranger » (P. Lagarde, note ss CA Paris, 21 janv. 1994 : Rev. crit. DIP 1995, p. 535). Ce double objectif conduit à considérer que la seule présence en France de la résidence habituelle du mandant à protéger est une condition nécessaire, mais guère suffisante d’application de cette loi. La résidence habituelle du mandataire et/ou la situation de l’immeuble en France sont également requis.

c) Reste la troisième hypothèse. Ce n’est qu’à titre exceptionnel, lorsque les considérations de protection de l’intérêt général de l’ordre juridique de situation de l’immeuble l’emportent sur des considérations de protection de la partie faible que le situs reçoit une compétence protectrice exclusive. Il en va ainsi dans le cas particulier des dispositions impératives qui régissent les baux d’habitation, commerciaux ou ruraux, où il n’est guère contesté que la compétence de la loi de situation de l’immeuble ne subit pas la concurrence de la loi de la résidence habituelle de la partie faible. La proximité de cette réglementation avec celle de la propriété immobilière, l’interpénétration des objectifs de protection avec les impératifs d’intérêt général que sont la stabilité du logement ou de l’exploitation et le contrôle des loyers commandent en effet leur application territoriale. Il en va très probablement de même pour l’ensemble des dispositions protectrices du secteur protégé du logement régies par le Code de la construction et de l’habitation (V., sur la notion de secteur protégé, Ph. Malinvaud, Ph. Jestaz, P. Jourdain et O. Tournafond, Droit de la promotion immobilière, 7e éd. : Précis Dalloz, n° 347 et s. – Adde Y. Strickler, La protection de la partie faible dans la vente en l’état futur d’achèvement in Le rôle de la volonté dans les actes juridiques, Études à la mémoire du professeur Alfred Rieg : Bruxelles, Bruylant, 2000, p. 915 à 930).

2° L’application des critères à la loi française du 31 décembre 1975

Les trois arrêts rapportés élèvent les « dispositions protectrices de la loi du 31 décembre 1975 » au rang de lois de police. L’exégèse de cette formule a déjà été entreprise, on n’y reviendra pas (L. d’Avout, note préc. p. 2 et 3. – P. Deumier, note préc., p. 510. – et surtout S. Lemaire et W. Boyault, note préc., p. 755). Elle recouvre au premier chef les dispositions litigieuses, à savoir les articles 12 et 14-1. Elle vise également l’obligation de faire accepter le sous-traitant et de faire agréer ses conditions de paiement, de constituer une garantie de paiement du sous-traitant, l’obligation d’assurer la « police » de la chaîne de contrats et l’interdiction de céder les créances non garanties relatives aux prestations sous-traitées.

Ces précisions apportées, il reste à s’interroger sur le champ d’application spatial de ces dispositions protectrices de la loi du 31 décembre 1975. La loi de 1975 reçoit une double mission qui est de protéger une catégorie de professionnels : les sous-traitants, et de protéger l’ordre juridique français contre les risques de faillites en cascade des différents entrepreneurs ayant participé au même chantier. C’est la prise en compte combinée de ces deux considérations qui dicte le champ d’application dans l’espace des dispositions litigieuses.

L’objectif de protection conduit d’abord à considérer que la résidence habituelle du sous-traitant doit être localisée en France pour que la loi française s’applique. Mais d’emblée, cette conclusion se heurte à une objection : l’application de la loi de 1975 à ce titre, loin de protéger le sous-traitant, risquerait de se retourner contre lui, en rompant à son détriment les rapports de concurrence entre opérateurs résidant dans différents pays et agissant sur le territoire français et en encourageant la délocalisation des marchés au profit des sous-traitants résidant hors de France. Au surplus, le rattachement à la loi de la résidence habituelle du sous-traitant ne suffit pas, à elle seule, à remplir l’autre objectif de la loi de 1975, à savoir la protection de l’ordre économique français : il faut donc ajouter au critère tiré de la résidence habituelle du sous-traitant un autre critère d’application de la loi de 1975.

Quel critère de rattachement permettrait de satisfaire la protection de l’ordre économique français contre de tels risques de faillites en cascade ? Ce qui est sûr, c’est que le critère de la situation de l’immeuble n’est pas pertinent. Il suffit pour s’en convaincre d’observer ce qu’il advient lorsque, comme dans l’arrêt du 30 janvier 2008, l’ensemble des entrepreneurs est étranger. En cas de faillite en cascade, il ne fait guère de doute que l’ordre économique français ne sera pas, du seul fait que l’immeuble est situé en France, concerné par la faillite des opérateurs étrangers.

Sans doute, cette considération conduit-elle à exiger qu’entrepreneur et sous-traitant soient établis en France. Mais on a fait observer que « la loi française place le maître de l’ouvrage au coeur du dispositif de protection des sous-traitants » (S. Lemaire et W. Boyault, note préc., p. 755. – Adde L. d’Avout, note préc., p. 3) de sorte qu’il faudrait aussi tenir compte de l’établissement du maître de l’ouvrage en France. On le voit, rien n’est plus difficile que de dégager un critère d’impérativité internationale de la loi de 1975. Outre l’établissement en France du sous-traitant et du ou des entrepreneurs concernés, il est probable que l’établissement en France du maître de l’ouvrage soit également requis. Si tel devait être le cas, la situation en France ou à l’étranger de l’immeuble objet du marché ne serait pas sans incidence, mais conduirait à la conclusion inverse à celle consacrée par la Cour de cassation.

De fait, la situation en France de l’immeuble objet du marché de travaux conduirait à refouler la qualification de loi de police. Il est en effet fort probable que l’ensemble de la situation juridique serait alors interne à l’ordre juridique français, et le choix d’une loi étrangère pour régir certains ou la totalité des contrats en cause ne pourrait pas faire obstacle à l’application de la loi de 1975 sur le fondement de l’article 3-3 de la convention de Rome (devenu l’article 3-4 du règlement « Rome I ») qui réserve l’application des dispositions impératives de l’ordre juridique au regard duquel la situation apparaît comme purement interne.

Ce ne serait donc que dans l’hypothèse où l’immeuble est situé hors de France et que l’ensemble des parties – qui sont domiciliées en France par hypothèse – décident de soumettre leur contrat à une loi autre que la loi française que la question de l’applicabilité de la loi de 1975 pourrait encore se poser. Autant dire que, sans être impossible, l’hypothèse sera statistiquement faible.

B. – L’application de la loi du 31 décembre 1975 à raison de « la construction d’un immeuble en France »

Ce n’est pas seulement le critère de la situation de l’immeuble en France, mais également la référence maladroite à la « construction d’un immeuble en France » qui appellent ici la circonspection, et ce pour deux raisons :

— d’une part, la notion même de « construction d’un immeuble » est ambiguë (1°) ;
— d’autre part, la loi de 1975 n’est pas une disposition spécifique au droit de la construction justifiant le recours à un tel critère (2°).

1° Un critère flou

Que faut-il entendre par « construction d’un immeuble en France » ? Convient-il de s’en tenir à la construction d’un bâtiment qualifié d’immeuble par nature ou d’autres hypothèses sont-elles envisageables ? Si l’on s’en tient aux arrêts du 30 novembre 2007 et 8 avril 2008, qui concernent la réalisation en France d’un immeuble à usage industriel, la question peut paraître étrange. Mais elle s’éclaire à la lecture de l’arrêt du 30 janvier 2008.

En quoi « la conception, la livraison, le montage et la mise en service de machines et d’équipements pour une unité de fabrication de panneaux de fibres » peut-elle être qualifiée de « construction d’un immeuble » ? Manifestement, l’unité de fabrication de panneaux de fibres – l’immeuble stricto sensu – est déjà construite et il s’agit, semble-t-il, de la garnir pour la rendre opérationnelle… Sans doute observera-t-on qu’il s’agit ici d’immeubles, soit par incorporation, soit par destination, de sorte qu’il est encore question d’un immeuble. Certes, mais s’agit-il encore vraiment de la « construction d’un immeuble » ?

Qui ne constaterait qu’insensiblement, on glisse de l’application territoriale de la loi de 1975 à la construction d’un immeuble… à son simple aménagement, et qu’une telle analyse autorise une application extensive de la loi territoriale française ? Au surplus, il faudra encore se demander s’il s’agit simplement de la présence en France du chantier de construction ou s’il faut au surplus que le sous-traitant exécute sa tâche sur le territoire français (sur l’hypothèse, V. S. Lemaire et W. Boyault, note préc., p. 754)… On le voit, le critère tiré de la « construction d’un immeuble en France » n’est pas pleinement satisfaisant.

2° Un critère inadapté

Le critère d’application spatial d’une loi de police se déduit de sa propre volonté d’application – soit, à défaut de précisions expresses dans la loi, de son contenu, de son objet ou de son but. Les dispositions litigieuses de la loi de 1975 ne distinguant pas entre les différents types de sous-traitance, « industrielle » et « immobilière » notamment, de deux choses l’une : ou bien, le critère tiré de « la construction d’un immeuble en France » s’applique à l’ensemble des hypothèses de sous-traitance, ou bien il est implicitement réservé aux sous-traitances immobilières. Or, aucune des deux branches de l’alternative ne paraît empruntable.

Dans le premier cas, le critère d’application est inadapté à la sous-traitance industrielle, tandis que dans le second cas, il crée une discrimination entre les différents types de sous-traitance qui n’est pas conforme à la ratio legis de la loi de 1975. Au surplus, faut-il considérer, dans ce dernier cas, que la loi de 1975 n’est pas une loi de police, ou les arrêts suggèrent-t-il qu’elle demeure une loi de police mais qu’il faut alors dégager d’autres critères d’application spatiale de cette loi ? Nul ne le sait… En bonne logique, ce n’est que dans l’hypothèse où la loi de 1975 comporterait des dispositions spécifiques à « la sous-traitance immobilière » et qu’au surplus, celles-ci aient été applicables au litige, qu’il eut été possible d’envisager le recours au critère tiré de la « construction d’un immeuble »…

On le voit, tout concourt à écarter l’emprise de la lexreisitaeimmobilis sur le contentieux international suscité par l’application de la loi du 31 décembre 1975, et ce d’autant que le canal des lois de police ici emprunté ne parait pas adapté.

2. La qualification contestable de loi de police

Rien n’est plus difficile que de déterminer si une disposition de droit interne doit être qualifiée de loi de police (pour une illustration de ces difficultés d’identification, cf. D. Bureau et H. Muir Watt, Droit international privé : PUF, 2007, t. II, n° 910-913). On ne saurait donc faire grief à la Cour de cassation de s’être engagée dans cette voie, même si, à l’évidence, de sérieux arguments viennent fragiliser cette qualification au regard des principes du droit international privé (A).

Plus surprenant est le silence des trois arrêts rapportés sur les incidences du droit communautaire. La CJCE a clairement indiqué que, sauf à relever d’un motif impérieux d’intérêt général, une disposition de droit interne ne pouvait être appliquée au titre des lois de police qu’à la condition de ne pas entraver l’exercice des libertés communautaires. Or, ce contrôle de conformité au droit communautaire permettait également de douter de la pertinence d’appliquer systématiquement la loi du 31 décembre 1975 en lieu et place des dispositions du droit étranger applicables aux différents contrats litigieux (B).

A. – Au regard du droit international privé

Pas plus la notion même de loi de police (1°) que son application en droit international de la construction (2°) ne justifient l’élévation de la loi de 1975 au rang de disposition internationalement impérative.

1° Considérations générales sur les lois de police

Selon une classification habituelle, les lois de police ont vocation à assurer, par dérogation à l’application de la règle de conflit, la protection de deux types d’intérêts : d’une part, l’intérêt général de l’ordre juridique dont elle émane, et d’autre part, certaines parties faibles à des contrats internationaux, comme le consommateur ou le salarié. En invoquant la protection du sous-traitant, c’est précisément dans cette seconde catégorie de lois de police que les arrêts rapportés entendent inscrire la loi de 1975. Or, plusieurs raisons permettent de douter de la pertinence de cette qualification.

D’abord, on peut se demander si la définition communautaire des lois de police s’accorde encore avec un objectif exclusif de protection d’une partie faible assigné aux dispositions qualifiées d’internationalement impératives.

Selon les termes de la CJCE reprenant et précisant la célèbre formule de Phocion Francescakis, les lois de police se définissent comme « la disposition nationale dont l’observation est jugée cruciale pour la sauvegarde de l’organisation politique, économique et sociale de l’État, au point d’en imposer le respect à toute personne se trouvant sur son territoire ou à tout rapport juridique localisé dans celui-ci » (CJCE, 23 nov. 1999, aff. C-369/96, Arblade : Rec. CJCE 1996, I, p. 8453).

Appliquant cette formule à la lettre, la CJCE ne semble pas vouloir l’appliquer à une disposition de droit national exclusivement tournée vers la protection d’une partie faible. À preuve, dans son arrêt Ingmar (CJCE, 9 nov. 2000, aff. C-381/98 : Rev. crit. DIP 2001, note L. Idot, p. 112 et s.), elle n’a concédé la qualification de loi de police aux dispositions protectrices de l’agent commercial qu’après avoir dûment observé qu’outre leur finalité protectrice, celles-ci avaient également pour objet « de protéger à travers la catégorie des agents commerciaux la liberté d’établissement et le jeu d’une concurrence non faussée dans le marché intérieur » (pt 24), faisant ainsi basculer les dispositions litigieuses d’un ordre public de protection à un ordre public de direction.

Passons sur la référence à la libre concurrence : déjà très critiquée à juste titre dans le cadre du secteur harmonisé par une directive communautaire de l’agence commerciale (Note L. Idot, ss CJCE, 9 nov. 2000, préc.), elle devient impossible à invoquer dans le cadre de la sous-traitance, domaine non harmonisé (pour une critique de la référence à la libre concurrence pour justifier la qualification de lois de police dans les arrêts rapportés, V. P. Deumier, note préc., p. 511 et 512). Observons simplement ici que, semble-t-il, dans l’esprit de la CJCE, la simple référence à un objectif de protection d’une partie faible ne suffit pas à emporter la qualification de loi de police.

Ce recentrage des lois de police autour de l’ordre public de direction est d’ailleurs confirmé par les orientations retenues par le règlement « Rome I ». Les lois de police voient leur champ d’intervention limité dorénavant « aux dispositions impératives dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics ». Autant de précisions qui semblent difficilement compatibles avec un objectif exclusif de protection d’une catégorie déterminée de parties, fussent-elles considérées comme faibles, ce qui laisse à penser que l’article 8 du règlement ne reçoit peut-être plus pour mission de protéger une partie faible, laissant d’autres dispositions spéciales du règlement assurer la protection de parties faibles limitativement énumérées, à savoir le consommateur, le salarié et l’assuré.

Qui plus est, il n’est pas davantage certain qu’il soit judicieux d’utiliser la théorie des lois de police pour protéger un professionnel en situation de déséquilibre économique dans ses rapports avec un autre professionnel. Les lois de police ont bien plutôt vocation à assurer la protection d’un non-professionnel, ou à tout le moins, un individu qui, tel le consommateur ou le salarié, se trouve dans une situation de déséquilibre au moment même de la formation du contrat (P. Mayer, La protection de la partie faible en droit international privé in La protection de la partie faible dans les rapports contractuels : LGDJ 1996, p. 513).

On ajoutera enfin qu’il ne semble pas que les dispositions protectrices de la loi de 1975 aient fait l’objet d’une application au titre des lois de police devant les arbitres du commerce international (en ce sens, V. F.-X. Train, Les contrats liés devant l’arbitre du commerce international : LGDJ 2003, Bibliothèque de droit privé, t. 395, n° 422 et s. citant la sentence CCI n° 7528 (1993) ayant discuté et rejeté la qualification de loi de police appliquée à la loi du 31 décembre 1975).

2° Considérations propres au droit de la construction

De prime abord, la qualification de la loi de 1975 en loi de police ne paraît pas dépourvue de raisons d’être. Dans certains cas, nul doute que des dispositions du droit français de la construction « veulent » s’appliquer, le plus souvent sur la constatation de la situation en France de l’immeuble construit ou à construire. Par exemple, la construction d’un immeuble en France devrait commander l’application de tout ou partie des dispositions impératives relatives à l’assurance construction obligatoire, aux normes d’hygiène et de sécurité requises sur le chantier, ou au secteur protégé du logement.

Mais peut-on aller plus loin sans faire perdre à la qualification de loi de police des dispositions impératives du droit français de la construction son caractère nécessairement exceptionnel ? Au fond, ce grief repose sur un argument a fortiori très simple : quelles sont donc les dispositions impératives du droit français de la construction de nature à échapper à la lexsitus – ce qui est la situation de droit commun – si la loi de 1975 reçoit une application territoriale ?

Certes, la solution commentée confortera les partisans d’une territorialité assumée du droit de la construction au nom de l’idée qu’elle est de son essence même (P. Glavinis, Le contrat international de construction : GLN-Joly 1993, spéc. n° 658 et s.), pour des raisons relevant de considérations certes de commodité et de proximité (P. Glavinis, op. cit. n° 658 et s. –Adde P. Rémy-Corlay, Étude critique de la clause d’exception dans les conflits de lois (application en droit des délits et des contrats) : Thèse Poitiers 1997, spéc. n° 200 et s.), mais surtout d’impérativité, au point de réduire la part de l’autonomie de la volonté en la matière à la portion congrue.

Mais à suivre cette présentation, la théorie des lois de police serait alors instrumentalisée au service d’une reterritorialisation complète du droit de la construction ! Plusieurs voix se sont déjà élevées pour critiquer cette approche, en des termes quelquefois très vifs (Ph. Fouchard, La responsabilité des constructeurs, Rapport français : Travaux de l’association Henri Capitant, Journées du Caire, 1991 ; Litec, 1993, p. 293 et s., spéc. n° 31 et s.), en faisant remarquer notamment qu’elle conduisait à une confusion entre disposition interne impérative et disposition internationalement impérative – confusion toujours latente en droit immobilier pour des raisons tenant à l’histoire – et ce alors même que la Cour de cassation prend bien soin de les distinguer (pour une illustration, V. Cass. 1re civ., 6 juin 1990 : D. som. com. 265, obs. B. Audit ; Rev. crit. 1991, p. 354, note P. Bourel ; D. 1993, p. 13, note G. Légier).

B. – Au regard du droit communautaire

Le contrôle de la qualification de loi de police au regard des exigences du droit communautaire ressort aujourd’hui d’une série d’arrêts de la CJCE inaugurée avec l’arrêt Arblade (CJCE, 23 nov. 1999, aff. C-369/96 : Rev. crit. 2000, p. 710, note M. Fallon). Rompant avec le régime d’applicabilité immédiate traditionnellement attaché aux lois de police, celles-ci reçoivent désormais leur application « à géométrie variable » (L. Idot, note préc., p. 115) en fonction des circonstances, situation à laquelle n’échappe pas la loi du 31 décembre 1975 en l’espèce.

Deux possibilités s’offrent ainsi au juge : ou bien refuser d’appliquer la loi de police litigieuse sur la constatation qu’elle constitue une entrave injustifiée à la liberté de circulation ; ou bien appliquer la loi de police litigieuse, soit parce qu’il n’existe pas d’entrave constatée à la liberté de circulation d’un des opérateurs économiques concernés, soit parce que l’entrave est justifiée par un motif impérieux d’intérêt général.

Pour que le contrôle de compatibilité des lois de police nationales au droit communautaire soit mis en oeuvre, il faut d’abord qu’une entrave soit constituée. Il faudra par exemple démontrer à cet effet que l’application de la loi de police envisagée rend moins attrayante l’activité du prestataire de service que l’application de la loi à laquelle il est originairement soumis, ce qui sera souvent le cas compte tenu des critères retenus par la CJCE (en ce sens, V. E. Pataut, Lois de police et ordre juridique communautaire in Les conflits de lois et le système communautaire : Dalloz, 2004, Coll. Thèmes et commentaires, p. 117, spéc. p. 126).

Si l’entrave est constituée, il appartient au juge de se prononcer sur la possibilité de justifier cette entrave au nom d’un motif impérieux d’intérêt général. À cette occasion, le juge doit vérifier que l’application de la loi de police en cause n’est ni discriminatoire, ni disproportionnée. Celle-ci doit pouvoir s’appliquer indifféremment aux opérateurs locaux et étrangers. Il importe en outre que seule l’application de cette loi de police de l’État d’accueil – et non la loi de l’État d’origine de l’opérateur – permette de garantir la réalisation de l’objectif poursuivi par ladite loi de police. C’est donc à une comparaison concrète de la loi d’origine de l’opérateur économique et de la loi de police à laquelle le juge doit s’astreindre.

À supposer un instant de raison que la loi de 1975 soit une loi de police, son application effective est désormais subordonnée à la vérification qu’elle ne constitue pas une entrave prohibée au commerce intracommunautaire, vérification on ne peut plus délicate en l’espèce, compte tenu de la diversité des acteurs intervenant, de leurs lieux d’établissement respectifs, et de l’appréciation in concreto à laquelle procède la CJCE. Aussi nous contenterons-nous d’ouvrir quelques pistes de réflexion.

Dans les trois affaires rapportées, il ne semble pas que la libre circulation de l’entrepreneur soit en cause, quel que soit par ailleurs son État d’établissement, dès lors que l’application de la loi de 1975 a pour effet d’alléger ses obligations. La compatibilité de la loi de 1975 au droit communautaire doit donc être évaluée essentiellement à l’aune de l’entrave que cette loi constitue pour la liberté de circulation du maître de l’ouvrage et du ou des sous-traitants. Par exemple, dans la seconde espèce, il n’est pas exclu que le maître de l’ouvrage étranger puisse faire valoir que l’application de la loi de 1975 représente un surcoût pour lui par rapport à la loi étrangère du contrat qui est celle à laquelle il s’est originairement soumis. Quant au sous-traitant, l’atteinte aux règles communautaires résultera pour lui très probablement de la discrimination entre sous-traitant français et étranger intervenant sur un chantier en France.

Encore faut-il que la matière visée n’échappe pas à l’emprise des libertés communautaires. Le doute provient des termes de l’article 295 CE (ancien article 222 du traité de Rome) aux termes duquel « le présent Traité ne préjuge en rien du régime de la propriété dans les États membres ». Mais cet article se limite au statut réel, et n’englobe pas les autres aspects du droit immobilier qui demeurent donc soumis au respect des libertés communautaires. Ce constat vaut en particulier pour le droit de la construction, domaine dans lequel « dans tous les cas, l’objectif de libre circulation prime » (en ce sens, V. L. Idot, Immeubles et droit communautaire in Mélanges à la mémoire du professeur Roger Saint-Alary : PUSST 2006, p. 283 et s.,spéc. p. 295 et s.).

En conclusion, on redira combien la jurisprudence ici commentée, que la Cour de cassation voudrait constante, pèche tant parce qu’elle dit – la loi de 1975 est une loi de police – que parce qu’elle omet – le contrôle de conformité au droit communautaire – au point qu’au fur et à mesure que de nouvelles espèces se profilent, la solution ainsi dégagée perd en légitimité, et que l’on conviendra avec d’autres qu’« en dépit des apparences, la question du mode d’application internationale de la loi de 1975 n’est pas définitivement résolue » (L. d’Avout, note préc., p. 2).

Conflits de lois. – Contrats. – Sous-traitance. – Loi de police

© LexisNexis SA

Retour au menu : Harmonisation Européenne et Assurance Décennale Obligatoire