Par fondements, nous rappelons ici qu´il s´agit de sources ou mieux de l’ensemble des
dispositions qui consacrent aussi bien le droit pour le Tchad d´accéder à la mer que le pipeline
comme moyen de transport dans les relations entre les deux Etats dans ce domaine de
coopération.
L´examen de l´Accord du 08 février 1996 entre le Tchad et le Cameroun dégage une
double consécration (1) avec des implications analogues (2).
1 – Une double consécration
L´accès du Tchad à la mer trouve une assise implicite dans le préambule de l´Accord et
fait l´objet d´une reconnaissance explicite dans son dispositif.
Sur le premier point, le droit d´accès tchadien est indirectement visé à travers la
reconnaissance par les deux Etats d´instruments juridiques internationaux consacrant un accès à
la mer en faveur des Etats sans littoral, à savoir la Convention de New York du 08 juillet 1965
relative au commerce de transit des Etats sans littoral et la Convention des Nations Unies du 10
décembre 1982 sur le droit de la mer (Partie X). La reconnaissance de ces textes est un procédé
positif qui concourt à l´affirmation au profit du Tchad d´un droit d´accès à la mer.(140) Néanmoins,
la question des effets juridiques de cet acte de reconnaissance comme celle de la force juridique
du préambule dans lequel il est exprimé mérite d´être précisée.
A travers l´acte de reconnaissance posé par les deux Etats, il s´agit pour eux d´admettre
comme règle que les instruments visés constituent désormais dans leurs relations « des éléments
sur lesquels seront établis leurs rapports juridiques ».(141) Autrement dit, les parties concernées
acceptent que ces instruments leur soient opposables et que les conséquences juridiques qui en
découlent s’imposent à eux.(142) La reconnaissance aurait donc de ce fait un « effet constitutif »,(143)
similaire à celui inhérent aux modalités d´expression du consentement définitif à être lié connues
en droit international (ratification, approbation, adhésion, acceptation). Les Conventions du 8
juillet 1965 et du 10 décembre 1982 susmentionnées trouvent ainsi dans les relations entre les
deux Etats un champ d´application matériel. Il importe toutefois de préciser qu´elles ne
produisent leurs effets que dans un contexte bien particulier de relations, à savoir les relations
d´accès et essentiellement celles par voie d´oléoduc. Ainsi entendues, elles ne peuvent avoir
d´effets contraignants entre les deux Etats en dehors de ce champ matériel.
Quant à la valeur du préambule dans lequel est contenu cet acte de reconnaissance, il nous
parait indiqué d’emprunter la même démarche utilisée dans la première partie de cette étude pour
en débattre.
L´on sait volontiers que l´unanimité ne s´est jamais faite aussi bien en doctrine que dans la
jurisprudence(144) en matière de préambule des accords internationaux. Pour certains auteurs, le
préambule n´énonce que des dispositions à caractère politique et moral et comme tel, il a une
valeur plus politique que juridique.(145) Pour d´autres, il faut distinguer lorsque le préambule
énonce des normes suffisamment précises pouvant s´appliquer ipso facto (dans ce cas, il a une
valeur juridique indéniable) et lorsqu´il n´énonce que des dispositions servant de base morale et
politique aux normes contenues dans le dispositif (dans ce cas, il a une valeur idéologique).(146)
Le préambule de l´Accord bilatéral de 1996, à notre avis, mérite la même attention
juridique accordée au dispositif. Cette opinion tient à la symétrie entre les énonciations du
préambule et les règles contenues dans le texte principal. A titre illustratif, une considération telle
celle relative à la « décision commune […] d´intégrer le pipeline comme moyen de transport »
prise par les deux parties dans le préambule trouve un lien d´attache étroit et une matérialisation
formelle dans une disposition tel l´Article 3 octroyant au Tchad le droit d´accéder à la mer à
travers ce conduit. Les deux vont de pair et sont symétriquement liées. L´on ne saurait en effet
affirmer l´existence d´un droit d´accès si le moyen de transport sur lequel ce droit doit s´exercer
n´est pas précisé. Cette corrélation traduit bien l´interdépendance entre le préambule et le
dispositif.
C´est dans le Chapitre 3 de l´Accord qu´est expressément affirmé le droit d´accès tchadien
par oléoduc à la mer. Ce Chapitre ainsi titré « Du droit d´accès à la mer et de la liberté de transit »
dispose in extenso que « la République du Cameroun reconnaît et octroie à la République du
Tchad, Etat sans littoral, un droit d´accès à la mer et une liberté de transit pour l’exportation par
pipeline des hydrocarbures produits sur son territoire ».
Cette disposition témoigne du caractère conventionnel de ce droit dont les fondements
divisent non seulement la doctrine, mais également les Etats qui y voient un principe fondamental
du droit international(147) ou encore un droit naturel.(148)
Par ailleurs, l´on note dans cette disposition une nette évolution à travers le volontarisme
affiché dans la recherche d´un régime unique applicable dans cette matière puisque l´Article 3 de
l’Accord précise que cette reconnaissance s´inscrit en étroite conformité avec les dispositions de
la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982.
La reconnaissance au profit du Tchad d´un droit d´accès à la mer justifie par ailleurs
l’implication d´autres acteurs dans ce processus vers l´Atlantique.
2 – Les implications inhérentes au droit d´accès reconnu au Tchad
Deux implications découlent du droit tchadien, à savoir l´attribution aux shippers du
même droit d´accès à la mer et la consécration de l´oléoduc comme moyen de transport.
Par shippers encore appelés Expéditeurs, il faut entendre « toute entité qui fait transporter
des hydrocarbures dans tout ou partie du Système de Transport par Pipeline Camerounais et/ou
Tchadien ».(149) Il s´agit ici de la Cameroon Oil Transportation Company (COTCO), de la Tchad
Oil Transportation Company (TOTCO), leurs successeurs et ayants droit respectifs et par ricochet
leurs sous-traitants. Etant donné les carences du Tchad en matière technologique, c´est
concrètement à ces compagnies que reviendra la tâche matérielle de réalisation de cette
canalisation et des opérations de transport. Dans cette optique, l´Accord dispose que, dans le
cadre de leurs activités, « les Expéditeurs des hydrocarbures produits en République du Tchad
bénéficient également du droit d´accès à la mer de la République du Tchad ».(150)
La seconde conséquence, à savoir la consécration du pipeline comme moyen de transport
dans les relations d´accès entre les deux Etats, a déjà été évoquée dans les lignes précédentes.
Loin d´apporter simplement une innovation dans ces relations, l´Accord marque aussi une
évolution nette par rapport à la liste des moyens établis dans les Conventions de 1965 et de 1982
précitées. En effet, ces deux textes n´intègrent pas clairement les pipelines comme moyens de
transport. Les formulations employées par ces instruments ne doivent pas tromper : les Etats sans
littoral « jouissent de la liberté de transit par tous moyens de transport ».(151) Les « moyens de
transport » dont il est question ici sont strictement définis. Ils comprennent :
➢ le matériel ferroviaire roulant, les navires servant à la navigation maritime, lacustre ou
fluviale et les véhicules routiers et,
➢ lorsque les conditions locales l´exigent, les porteurs et les bêtes de charge.(152)
La liste limitative ainsi établie n´inclut pas les pipelines, les deux textes ayant laissé à
l’appréciation souveraine et à la convenance des Etats le choix de ce mode de transport.(153) La
« décision commune de la République du Tchad et de la République du Cameroun d´intégrer le
pipeline comme moyen de transport »154 marque sur ce point une évolution positive dans la
volonté de donner une réponse concrète au problème de l´enclavement.
Au-delà de sa consécration, ce moyen de transport, comme aussi bien que le droit à y
exercer, ne peut être profitable à l´Etat tchadien, Etat enclavé, que s´il est assorti de garanties
permettant de faire face, le cas échéant, à tout aléa de transit. Il s´agit là d´une question vitale.
140 Précisons cependant que l´un et l´autre Etat les ont, soit simplement signées (cas du Cameroun par rapport à la
Convention du 8 juillet 1965 ratifiée en revanche par le Tchad), soit ratifiées (Cameroun par rapport à la Convention
du 10 décembre 1982 simplement signée par le Tchad).
141 J. BASDEVANT, Dictionnaire de la terminologie du droit international public, Paris, Sirey, 1960, p. 508.
142 Voir dans ce sens la définition de la reconnaissance proposée par N. Q. DINH, A. PELLET et P. DAILLIER,
Droit international public, 7ème éd., Paris, L.G.D.J., 2002, p. 556.
143 Sur l´effet constitutif de la reconnaissance, voir J. SALMON, Dictionnaire de Droit international public,
Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 938.
144 Pour un exemple, voir l´Arrêt rendu par la CIJ le 18 juil. 1966 lors de la 2ème phase sur l´affaire du Sud-Ouest
africain où la Cour nie aux dispositions du préambule de la Charte des Nations Unies leur caractère juridique et
reconnaît tout simplement en elles la base morale et politique des dispositions juridiques énoncées dans le corps de la
Charte. Rec. des Arrêts de la CIJ., 1966, p. 34.
145 Dans ce sens, voir Charles de VISSCHER, Problèmes d´interprétation judiciaire en droit international public,
Paris, Pedone, 1963, p. 141.
146 Sur ce point de vue nuancé, voir Charles ROUSSEAU, Droit international, t.1, paris, Sirey, 1970, p. 87.
147 Sur le fondement du droit d´accès comme principe général de droit international, voir les déclarations de la
Bolivie et de l´Afghanistan dans l´ouvrage publié par les Nations Unies : Droit d´accès des Etats sans littoral à la mer
et depuis la mer et liberté de transit. Historique de la partie X, articles 124 à 132 de la Convention des Nations Unies
sur le droit de la mer, New York, 1988, pp. 20 et 23.
148 Sur la thèse du droit d´accès comme droit naturel, voir Charles de VISSCHER, Le droit international des
communications, Paris, Gand, 1923, p. 6. Ce point de vue est réfuté par le prof. Hubert THIERRY dans son article :
« Les Etats privés de littoral maritime », in R.G.D.I.P., 1958, pp. 616-617.
149 Article 1 (1) (b) de l´Accord bilatéral du 8 Février 1996.
150 Article 3 (2) de l´Accord bilatéral susmentionné. Le libre accès concerne non seulement les Transporteurs, mais
aussi leurs employés et sous-traitants. Cf. Article 16 du même Accord.
151 Article 125 (1) in fine de la Convention du 10 décembre 1982 sur le droit de la mer.
152 Article 124 (1) (d) de la Convention du 10 décembre 1982 susmentionnée. Dans le même sens, voir l´Article 1 (d)
de la Convention du 8 juillet 1965.
153 Voir l’Article 124 (2) de la Convention des Nations Unies du 10 décembre 1982 et l’Article 1 (d) (3) de la
Convention du 8 juillet 1965. Comme le relève Dietrich KAPPELER, « au sein de la Conférence plénière, la
tendance à restreindre le nombre des moyens de transport auxquels la Convention devait s´appliquer était très forte.
De nombreuses délégations s’opposèrent à ce que les avions et les pipe-lines soient compris » in ”La Convention
relative au commerce de transit des Etats sans littoral du 08 juillet 1965”, A.F.D.I., 1967, p. 679. Voir aussi P.
TAVERNIER, op. cit., p. 741.
