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9.4. Raphael

Non classé

Comme mentionné plus haut Raphaël a vécu trois détentions et elles ont toutes été vécues différemment.
Il détaille clairement ce qu’il a vécu en utilisant parfois les mêmes termes que nous et de temps en temps, il suggère certains phénomènes. Cependant, tous les phénomènes (solitude, souffrance, frustration, colère, violence, et solidarité) apparaissent à chaque fois de façon différente mais sont présents au cours des trois incarcérations.

Durant sa première expérience de privation de liberté, il raconte qu’il n’est pas rentré seul mais avec des « copains » qui ont eu, eux aussi, une peine privative de liberté. Raphael dit que c’était un groupe soudé. Cette solidarité lui a permis de vivre son arrivée plus sereinement.
Puis une fois ses copains partis, la solitude l’a gagné.

Durant sa deuxième incarcération, il dit qu’il n’était pas bien et que par sa maladie, il s’est isolé car il croyait qu’il y avait un complot contre lui, qu’il ne devait pas parler, il ne fallait rien dire.

De plus, Raphaël raconte qu’il était en isolement total qu’il n’avait pas de contact avec sa famille et qu’il ne recevait quasiment pas de visite. Raphael ne parle pas de souffrance mais avec le récit de son vécu, nous pouvons supposer qu’il a existé à ce moment-là, une vie quotidienne très pénible à vivre.
Durant la troisième détention, ils étaient cinq dans la même cellule, il dit : « (…) Mais là c’était très dur à vivre, très, très dur, et au bas mot, il n’y avait pas une cellule seule. Toutes les cellules minimum deux, des fois ils mettaient deux lits superposés et un matelas par terre (…) ». Raphael utilise le terme « dur à vivre » ce qui peut avoir plusieurs significations dont peut-être le fait d’éprouver de la souffrance.

Raphaël ajoute que lors de sa première incarcération, il n’y avait pas de surpopulation et il lui a semblé qu’il y avait moins de tensions.

Pendant l’entretien, Raphaël nous a raconté des bons moments, où il lui était possible de rire. Il a précisé que les moments de souffrance, s’exprimaient quand il était seul dans la cellule. Il dit : « (…) Les larmes, je pense qu’elles restent quand on est seul dans la cellule, quoi…le chagrin, le, le, le reste dans la cellule mais quand on sort il y a toujours quelqu’un qui est là pour vous raconter une histoire pour…(…) » et « (…) Moi j’ai pleuré, je sais que j’ai pleuré, mais pas devant les autres…Mais on se cache. ».

Puis il parle de moments qui nous apparaissent comme violents, quant à Raphael, il se réfère à des actes comme « des petites bagarres, des cris ».
Par contre, en parlant d’émotions éprouvées en prison, Raphael pense que la violence peut aller jusqu’à la haine, nous citons : « (…) Il y a eu beaucoup d’émotions, la violence, mais aussi la haine parce qu’à certains égards il y aura toujours un mouton noir (…) donc il y a des gens qui ne sont pas bien, qui sont hargneux et il faut faire avec. (…) c’est comme une meute de loup, ou je ne sais quoi, les animaux, on veut savoir qui est-ce qui est plus ou moins le boss ».

Il raconte qu’il y a une certaine solidarité, comme par exemple, lorsque les détenus se partagent le goûter à l’atelier où chacun, à leur tour, apporte des biscuits.

Il narre également que dans les moments difficiles et dans une certaine maison d’arrêt, il y avait plus de solidarité et d’entraide. Pour reprendre ses mots : « Voilà par la force des choses, on est dans la même galère et on sait ce que tu souffres, ce qui te manque. (…) on est dans la même galère, dans le même bateau c’est…Je crois, non, je pense qu’il y a plus de solidarité, je peux dire ça avec assurance, ouais. ».

Comme nous l’avons mentionné plus haut, Raphael révèle que pour lui le côté séduction n’existe pas en prison. Il a eu de la peine à vivre sans compliment. Il dit : « Moi, je trouve que le côté séduction, l’affection, la tendresse, les câlins, ça c’était hard, dur ouais. ».

Comme Raphael emploie le mot « hard », il dit avec un certain humour : « Embrasser le coussin le soir…ouais, ouais. Ça c’était très, très dur, très, très dur. », nous pouvons quand-même peut-être observer une certaine frustration voire de la colère de ne pas pouvoir exprimer des expériences affectives en prison.

Ensuite, quand nous abordons le sujet des parloirs intimes, nous pouvons remarquer qu’il manifeste de la colère. Pour lui, la privation de liberté n’est pas vécue que par le détenu mais aussi par les conjoints. Il dit : « (…) le problème c’est que vous faites souffrir…moi je dis on est en prison, il y a le côté dur, la peine c’est la privation de liberté d’accord, le problème c’est quand vous mettez votre partenaire dans la même privation de liberté que vous et je trouve que c’est dégueulasse (…) ».

Nous pouvons également constater que Raphael tout au long de l’entretien utilise souvent les mots « dur » et « même galère » pour différentes situations vécues pendant ses incarcérations.

Ce qui est intéressant avec le témoignage de Raphael, c’est d’avoir pu écouter les indices du comment, du style des choses durant ses différentes incarcérations et de ne pas regarder le contenu, le quoi des choses (chapitre 4.6, page 37).

Nous avons eu la chance avec Raphael de pouvoir voir que ses expériences sensibles varient, selon l’importance qu’il accordait aux lieux de détention où il se trouvait, avec qui il était incarcéré et qu’il met en évidence de lui-même, comme il la nomme, sa « pathologie ».

En écrivant ce sous-chapitre, nous pouvons remarquer que ces phénomènes apparaissent difficilement inextricables. Ils se mélangent, s’imbriquent les uns dans les autres.

Ce que nous pouvons rajouter, c’est que la plupart des personnes ont souvent utilisés le « on » pour décrire leur vécu personnel.

En effet, pour reprendre notre corpus théorique (chapitre 4.2, page 28) « lorsque nous parlons de l’autre, on n’est pas soi-même, on n’est pas l’un d’eux, on n’est pas celui-là, mais on est neutre, on fait partie du monde » il apparaît que les détenus ont fait partie de la prison.

Ainsi, il semble qu’avec Heidegger, la prison fait apparaître le phénomène de conformité du « on » et peut-être même la dictature du « on ».

Pour conclure ce chapitre, nous nous sommes aperçues que les détenus se sont permis de décrire et d’exprimer certaines de leurs expériences et émotions. Pas toujours au moment souhaité par notre grille d’entretien ce qui était bien le but des entretiens semi-directifs. C’est pourquoi, en créant un tableau récapitulatif, nous avons voulu faire apparaitre leur vécu au plus près de leur réalité, afin de ne pas déformer leurs expériences sensibles ou affectives.

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