Gagne de la cryptomonnaie GRATUITE en 5 clics et aide institut numérique à propager la connaissance universitaire >> CLIQUEZ ICI <<

5.4.7 De la sensibilité monarchique à la sensibilité républicaine

Non classé

Sur le dos de la démocratie professée à tout va, se joue donc une sorte de monarchie qui tire ses racines sans doute des profondeurs de nos régimes de chefferies et royaumes traditionnels africains où il apparaissait déviant de contredire en public le roi, le mâle et l‘ainé. Il y a moins d‘un siècle seulement, les sensibilités nationales étaient essentiellement tribales ou claniques, jusqu‘à ce que la colonisation en décide arbitrairement autrement. Impossible d‘affirmer que le corps social ait réellement souhaité sortir des modes ancestraux de gouvernance.

On comprend dès lors cette permanence de l‘identification d‘un ministre à sa tribu ou à son clan d‘origine. On comprend aussi pourquoi plus nos dirigeants viennent des profondeurs des âges, plus ils résistent aux principes démocratiques. Comment répondre aux traditions séculaires résonnant du bruit du sang qui coule dans les veines, et en même temps s‘accommoder des séduisantes invitations de la modernité que la jeunesse épouse avec d‘ailleurs parfois peu de discernement ? Aujourd‘hui déchiré entre, d‘une part, l‘attirance presque irrésistible de la démocratie, véritable crédo de la modernité et de la communauté internationale, et d‘autre part, des préférences culturelles séculaires encore relativement prégnantes, le corps social est régulièrement poussé à revendiquer une certaine authenticité, mais sans être en mesure d‘en déterminer la nature.

Avec la génération de dirigeants qui alignent déjà plusieurs décennies de règne, l‘alternance ne se fera en fait autrement que par éviction plus ou moins sèche car ils ne seront jamais sûrs de la fidélité absolue de leurs successeurs même dûment choisis, une telle longévité au pouvoir en l‘absence de contre-pouvoirs crédibles étant en effet toujours jonchée d‘inavouables scandales humains et financiers. Faire succéder le fils à la tête de l‘Etat par mil et une astuces, achève alors parfois de compléter le dispositif monarchique, et leur apparait comme le moindre mal pour assurer la continuité dans une relative quiétude. Ces tentatives ont peu de chances de trouver résistance dans des paysages politiques qui manquent cruellement d‘entraînement : le corps social sait à peine défendre ses droits et la rareté des débats politiques de fond a maintenu le personnel politique dans des réflexes politiques élémentaires et alimentaires.

Cinquante ans après les indépendances, plusieurs pays africains se trouvent ainsi entre deux eaux : monarchies ou républiques. Dans les royaumes traditionnels, le monarque était loin d‘être un dictateur car ses notables, véritables faiseurs de lois ne tenait pas ce dernier leurs redoutables contre-pouvoirs mais de leurs lignées. Dans une république, ce qui joue ce rôle de contre-pouvoirs est son arsenal d‘institutions indépendantes avec, selon Montesquieu, séparation des trois pouvoirs exécutif, judiciaire et législatif. Sans Etat de droit, c‘est-à-dire comptable de lui-même en droit, la république n‘est qu‘une superposition de carcasses institutionnelles inutilement budgétivores.

Dans les systèmes actuels décrits ici, le regroupement de fait de micro-monarchies dans une république a fait disparaître le conseil de notables et ses prérogatives héréditaires, et installé des institutions dont les titulaires tiennent de fait leurs pouvoirs de la volonté du Président, sans que le jeu de la démocratie, encore embryonnaire, ne permette une redistribution périodique des cartes politiques. Les dysfonctionnements institutionnels et les inerties administratives observées tiennent là une abondante source, qui ne tarira qu‘à la maturité des institutions républicaines.

En attendant, on a des républiques sans contre-pouvoirs institutionnels dirigées par des monarques sans conseils de notables. A l‘extérieur, la légitimité est maintenue par des hommages à l‘ancienne puissance coloniale et à la communauté internationale, à l‘intérieur la longévité est assurée grâce à un enchevêtrement de réseaux privés plus ou moins mafieux, ainsi qu‘avec l‘appui des services secrets, de services spéciaux, de milices, de la police et de l‘armée, grassement rémunérés de la corruption et de l‘impunité. On retrouve ici ce que, dans l‘ouvrage « Violences et ordres sociaux » (2010), John Wallis, Barry Weingast et le prix Nobel d‘économie Douglas North(240) appellent Etat Naturel (à distinguer de l‘Etat de nature de Hobbes) ou ordre naturel d‘accès limité c‘est-à-dire un ordre social dans lequel la stabilité politique est obtenue en formant une coalition dominante au sein de laquelle des privilèges sont distribués par manipulation de l‘économie pour rendre incitative la coopération des élites.

Ici, il y a une forte identification du dirigeant à l‘institution qu‘il dirige. L‘Etat naturel s‘oppose ainsi à l‘ordre social à accès ouvert qui caractériserait les Etats modernes et dont la logique de fonctionnement serait l‘ouverture de l‘espace politique et de l‘espace économique à la compétition. Et à une compétition qui doit être régulée, notamment sur le plan éthique. C‘est ainsi que, dans quelques pays africains qui expérimentent depuis quelques années une alternance politique régulière à la tête de l‘Etat, on observe que les institutions républicaines se structurent, qu‘elles prennent de l‘autonomie indépendamment de la personne du Président et s‘en trouvent d‘autant plus crédibles.

240 Voir tous les détails sur le lien http://scid.stanford.edu/system/files/shared/people/BWeingast_11-10.pdf

Page suivante : 5.4.8 L’ouverture des espaces politiques : un mouvement irréversible

Retour au menu : Les enjeux de la transition politique et humanitaire : le cas de la crise politico-militaire et postélectorale en Côte d’Ivoire