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5.1.8 Les élections « made in Africa » ou la démocratie « façon-façon »(230)

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C’est donc au moment où les élections deviennent une norme en Afrique que les démocrates du continent doivent subir un véritable supplice. La saison 2010-2011 des élections présidentielles au Sud du Sahara avait été lancée, et elle se déroulera à grand fracas. Elle avait démarré avec la Guinée le 28 juin 2010 et se clôturera en novembre 2011 en RD Congo. Entre-temps, la caravane électorale se sera arrêtée en Côte d’Ivoire, au Niger et en Centrafrique et à Madagascar.

La tournure ubuesque des événements en Côte d’Ivoire est regrettable à plus d’un titre et nous fait craindre le pire. Au-delà de son pays, le maintien de Gbagbo au pouvoir créerait un dangereux précédent. Il ne saurait et ne devrait rester en place. Gbagbo Laurent n’est-il pas un nouveau Mohamed Bakar que l’Union africaine avait finalement chassé de l’île d’Anjouan en mars 2008?

Souhaiterait-on donner raison à ceux qui prétendent que les Africains ne sont pas mûrs pour la démocratie, que l’on ne s’y prendrait pas autrement. Pourtant, l’Afrique est on ne peut plus prête. Les électeurs se mobilisent avec des taux de participation exceptionnels pour choisir leurs dirigeants. En Guinée, 68 % des électeurs ont participé au vote tandis qu’en Côte d’Ivoire, ils ont été plus de 80 % à placer leur bulletin dans les urnes au premier tour.

Alors oui, les électeurs africains jouent parfaitement leur partition dans le jeu de la démocratie électorale. Non, nos dirigeants qui, pour certains, ont réclamé à cor et à cri la transparence démocratique lorsqu’ils étaient dans l’opposition, ne veulent pas s’y résoudre.

Pour répondre aux exigences et pressions de la communauté internationale, de nombreux pays d’Afrique ont adopté le système de la démocratie représentative, mais en le privant de tous ses attributs. Ils disent oui à la démocratie formelle (existence des trois pouvoirs, institutions et mécanismes de contrôle, organisation régulière d‘élections) et non à la démocratie réelle (les pouvoirs et institutions précités réellement indépendants et effectifs, bonne gouvernance, liberté de presse et d’opinion, organisation régulière – et dans le respect du calendrier – d’élections libres et transparentes et surtout acceptation du verdict sorti des urnes).

Malheureusement, depuis l’instauration du multipartisme dans plusieurs pays africains au début des années 90, toutes les formes d’entraves au processus démocratique ont été observées : refus pur et simple d’organiser des élections (Côte d’Ivoire, Madagascar),traquer l‘opposition ,manipulation du droit électorale et refus de candidats sérieux à se faire inscrire sur la liste électorale, interdiction des débats de campagne de l’opposition (Gambie, Togo), disqualification arbitraire de concurrents sérieux (Côte d’Ivoire, Togo,), tripatouillage grossier des listes électorales (Gabon, Gambie, Togo, Mauritanie), bourrage d’urnes (RDC, Togo, Nigeria, Gambie, Guinée), manipulation, voire violation des dispositions de la Constitution pour se maintenir au pouvoir (Algérie, Cameroun, Niger, Togo) et enfin déni des choix exprimés par les électeurs (Kenya, Zimbabwe et la Côte d’Ivoire).

Le spectacle donné par la Côte d’Ivoire ces derniers jours est consternant. Gbagbo Laurent s’accrochait au pouvoir et, en réaction aux pressions de la communauté internationale, mettait en avant une fierté nationale bien mal placée. C’est en effet précisément cette communauté internationale, notamment les Nations Unies désignées par ailleurs comme certificateurs du scrutin par la Côte d’Ivoire elle-même, tant décriée et diabolisée par le camp de Gbagbo, qui a financé 80 % du coût de cette élection, la plus coûteuse de l’histoire (300 millions d’euros).

Cependant, au-delà de l’indignation et du dégoût qu’il peut légitimement susciter, ce coup d’Etat prémédité et froidement mis en oeuvre, doit nous servir de leçon. Comme en Côte d’Ivoire, la manière dont la démocratie se pratique ailleurs dans certains autres pays Africains comporte, par certains aspects, les germes pouvant nous conduire à un scénario similaire.

• La candidature de certains présidents, constitutionnellement très contestable.

• L’enrichissement qui va de pair avec la prise de pouvoir ou la proximité avec celui-ci et qui radicalise la position de l’entourage d’un président, là où il devrait le préparer à céder éventuellement sa place en cas d’alternance.

• La nomination d’un président du Conseil constitutionnel contesté par l’opposition qui lui reproche une partialité dans des décisions antérieures. L’histoire récente dans la sous-région nous enseigne à ce propos que le choix du président et des membres de cette juridiction suprême, dont les décisions ne souffrent aucun recours, est d’une importance capitale, pour le meilleur comme pour le pire : Mme Salifou Fatimata Bazeye et les autres sages de la Cour constitutionnelle du Niger ont empêché Mahamadou Tandja de briguer un troisième mandat tandis que Paul Yao N’Dré et les siens viennent de donner le sceau de la « légalité »au coup de force de Laurent Gbagbo.

• Enfin l’attitude irresponsable de certains opposants devant l’imposture de Gbagbo. Comment Ousmane Tanor Dieng peut-il décemment trouver des circonstances atténuantes à son camarade de l’International socialiste et dans le même temps venir pinailler sur le fichier électoral sénégalais ? La solidarité mécanique est de très mauvais aloi dans le cas d’espèce et pourrait même avoir des effets incommensurables sur ceux qui tergiversent à dénoncer l’ignominie qui vient de se passer Abidjan. L’idéal républicain ne peut s’accommoder de querelles de chapelles.

Il est bon de rappeler une évidence : la démocratie n’est pas un acquis immuable, c’est un processus continu que les gouvernants tentent encore trop souvent de vider de son contenu. Elle est aussi l’acceptation du principe d’alternance : les dirigeants doivent être prêts à lâcher le pouvoir plutôt que de s’enfermer dans un autisme dangereux qui frise la folie.

Enfin, il ne suffit pas d’organiser des élections pour être une nation démocratique. L’ensemble des garde-fous permettant d’éviter la confiscation de l’expression du peuple doit être en place.

230 Wal Fadjri – 07/12/10

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