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5.13.5 L’occident face aux intérêts spécifiques en Afrique et ailleurs

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En toute logique, on est également fondé de penser que le soutien dont a pu bénéficier Alassane Ouattara puisse être mis sur le compte de son habileté à nouer des alliances, et pas sur celui de sa faiblesse supposée sur laquelle ses puissants alliés auraient misé. Si tel est le cas, il est parfaitement envisageable de payer sa dette vis-à-vis du soutien de puissants alliés sans aliéner intégralement ses propres intérêts. L’exemple de la Corée du sud est là pour montrer que malgré la nécessité d’une grande gratitude à l’égard de l’Amérique et de sa protection, le pays a su préserver et conforter ses intérêts aux côtés de ceux de ses protecteurs, au point de devenir aujourd’hui un concurrent de ces derniers dans de nombreux domaines.

Que le soutien de l’occident à Alassane Ouattara fut calculé, quoi de plus normal, c’est le contraire qui aurait été surprenant ! L‘occident à des intérêts spécifiques à défendre, cela est dans l‘ordre normal des choses, l‘Afrique également doit défendre ses propres intérêts : c’est la configuration où les différentes parties fonctionnent en ayant chacun à l’esprit ses intérêts bien compris qui est la bonne martingale pour l’Afrique (gagnant / gagnant). La compétition est permanente et perpétuelle, il faut donc s’y faire et apprendre à défendre ses intérêts au milieu d’autres intérêts en concurrence, et dont on ne doit pas attendre qu‘ils soient nécessairement amicaux.

Laurent Gbagbo, à l‘instar de quelques autres leaders politiques d‘Afrique que le hasard des alternances politiques ayant suivi la fin de guerre froide et l‘effondrement du bloc de l‘Est a porté à la tête d‘Etats – les mettant ainsi en situation de passer à la postérité en transformant radicalement les pays qu‘ils étaient appelés à diriger (Pascal Lissouba au Congo, Nicéphore Soglo au Bénin, Samuel Doe au Libéria, …) – n‘a pas su saisir l‘opportunité d‘inscrire son nom dans un chapitre honorable de l‘histoire africaine.

La méfiance légitime que les Africains peuvent/doivent avoir vis-à-vis des ingérences étrangères en général, occidentales en particulier, ne doit pas les empêcher de voir un danger encore plus pernicieux, qui aurait résulté du maintien indu de Laurent Gbagbo au pouvoir. L’anti occidentalisme (justifié lorsqu‘il dénonce les abus des multinationales dont les pouvoirs politiques occidentaux se sont parfois fait les complices) et l‘anticolonialisme (justifié dans tous les cas) ne doit pas conduire à rejeter par principe tout ce qui est soutenu par l’occident, au risque de jeter le bébé avec l’eau du bain. Si on est si méfiant à l’égard de Ouattara, et les raisons ne manquent pas, au lieu de chercher à contester sa victoire acquise dans les urnes, au risque d‘établir un précédent fâcheux, il faut plutôt réfléchir aux moyens de le mettre sous surveillance, afin qu’il soit comptable de ses actions, et qu’il se soumette à son tour au prochain verdict des urnes, et donc de la voix du peuple, le moment venu. Un autre argument qui a été souvent avancé pour disqualifier Ouattara est lié au fait que la violence/la guerre ait été nécessaire pour qu‘il se hisse au pouvoir. La guerre n‘est jamais souhaitable car ses conséquences sont toujours très lourdes en pertes humaines, en souffrances de civils innocents, en dégâts matériels. Mais est-ce sa seule faute? Est-ce même seulement sa faute? Il n’est pour rien dans le fait que ses concurrents politiques aient cherché à l‘éliminer de la course à la présidence de son pays en mettant en doute sa nationalité. Il n’est pour rien dans l’entêtement déraisonnable de Laurent Gbagbo à se maintenir au pouvoir malgré sa défaite électorale, au point d’aller s’enterrer piteusement dans un bunker dérisoire, abandonné par son armée en déroute et condamné à une défaite certaine à plus ou moins brève échéance. Il n‘est pas absurde de supposer que Alassane Ouattara avait quelque chose à voir avec la rébellion du nord, s’il n’en était pas l’instigateur, il en était de fait le “père spirituel”. Mais il faut se souvenir que cette rébellion a éclaté à la suite de la tentative bien inconsciente d’une certaine élite politique corrompue d’exclure une partie des ivoiriens de la jouissance de leur citoyenneté sur une base ethnique et arbitraire (le funeste concept de l‘ivoirité).

L‘argument du bourrage des urnes dans la partie nord du pays sous contrôle de la dissidence tombe également, car si bourrage il y a eu dans le nord malgré le nombre important d‘observateurs, Laurent Gbagbo pouvait en faire autant dans la partie sud. Rien ne permet de démontrer qu‘Alassane Ouattara ait forcément eu besoin de tricher massivement pour gagner ces élections, son alliance avec Bédié étant objectivement de nature à lui assurer la victoire. L‘argument du mauvais fonctionnement du report des voix en Afrique n‘a pas plus de fondement. Si on n‘imagine pas que tous les électeurs de Bédié se soient automatiquement levés comme un seul homme pour aller voter pour Alassane Ouattara au 2nd tour en suivant la consigne donnée par leur champion éliminé au 1er tour, on imagine encore moins un report massif des électeurs de Bédié sur Laurent Gbagbo, en contradiction ouverte avec la position officielle de leur candidat. Si on peut imaginer un nombre plus élevé d‘abstentions parmi ces électeurs du camp Bédié au 2nd tour, leur champion n‘étant plus dans la course, il est plus que probable que parmi ceux de ces électeurs qui se sont déplacés pour aller voter, une majorité s‘est portée sur Alassane Ouattara.

Un motif souvent évoqué pour dénoncer l‘intervention de la communauté internationale dans ce conflit ivoirien est qu‘il existe ailleurs dans le monde d‘autres conflits qu‘elle n‘a pas pu régler. On reprocherait pèle mêle, à juste titre, à la communauté internationale : • Difficultés à prendre des actions consensuelles et urgentes pendant les massacres au Rwanda en 1994 et en République Démocratique du Congo depuis 1996, • la victoire électorale volée du Hamas en Palestine en 2006 (le Hamas, parti islamiste palestinien, a en effet obtenu la majorité absolue aux élections législatives du 25 janvier 2006, devançant largement le Fatah, le parti fondé par Yasser Arafat, et provoquant l‘embarras des pays occidentaux), • la victoire électorale usurpée d‘Ali Bongo à la dernière élection présidentielle au Gabon en 2009, aux dépens de Mba Obame le vrai vainqueur de cette élection, • son incapacité à trouver une solution au problème du proche orient, etc.… Oui, tout ça serait vrai, mais cela ne justifierait en rien qu‘il faille d‘abord résoudre tous les problèmes dans l‘ordre où ils se sont produits avant de s‘attaquer à d‘autres défis. Tous les problèmes ne sont pas du même niveau de difficulté, les leviers de solution ne sont pas toujours disponibles au moment souhaité sur commande.

L‘argument d‘un Laurent Gbagbo mis dans l‘incapacité de gouverner depuis 2002 du fait du conflit, non plus, ne tient pas à la lumière d‘un examen critique. Si Laurent Gbagbo n‘a pu trouver une issue à ce conflit, s‘il n‘a pu négocier un accord pour ramener la paix et restaurer l‘unité du pays, c‘est qu‘il n‘a pas l‘étoffe de sa fonction, et n‘a par conséquent rien à faire dans ce fauteuil présidentiel. La dimension de l‘homme d‘état se mesure aussi à son aptitude à franchir les obstacles même les plus difficiles. Enfin, les exactions diverses et l‘insécurité observées en Côte d‘Ivoire ne sauraient être une preuve à charge pour le gouvernement en place. Ce sont les conséquences prévisibles du violent conflit qui a secoué le pays, au cours duquel des armes se sont éparpillées massivement et de manière totalement incontrôlée dans le pays. Il faut sans doute un peu de temps et une action énergique du pouvoir en place, avant qu‘une situation normale soit rétablie. La crédibilité de ce gouvernement sera également jugée à sa capacité à rétablir dans un délai acceptable la paix et la sécurité dans le pays.

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