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5-2 Une perte de reconnaissance sur le terrain comme acteurs de la prévention de la récidive

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La création d’une hiérarchie avec deux niveaux de responsabilité au sein des SPIP, couplée avec le déménagement hors des TGI, a introduit une contrainte là où les rapports étaient autrefois directs avec les acteurs de la Politique de la Ville, les Juges de l’Application des Peines et les partenaires du SPIP en milieu ouvert :

H, 53 ans, CPIP, 27 ans d’ancienneté

: « Il y avait des injonctions paradoxales ; on me disait : « il faut trouver des postes de travail d’intérêt général parce qu’on en manque, mais vous n’avez pas le droit de discuter directement avec des Adjoints au Maire des chefs de ceci cela », parce que là, ce sont que des chefs qui rencontrent des chefs ; il y avait pas une pratique libérale de cette administration mais, au contraire, une pratique, comment dirais-je, administrative, bureaucratique. »

De fait, la volonté initiale de rapprocher le service des partenaires par une sectorisation géographique a été contrariée par cette hiérarchisation, selon les CPIP ayant connu les CPAL :

H, 51 ans, CPIP, 25 ans d’ancienneté

: « Je l’ai vécu comme un appauvrissement du métier, parce qu’avant, on faisait sans ; par exemple les JAP, s’ils avaient une réunion où ils ne pouvaient pas aller, ils nous disaient d’y aller, on était délégués du JAP, on se retrouvait avec des élus et tout ça, et c’était très intéressant.

Aujourd’hui, c’est tout un aspect du travail qu’on ne fait plus, que la hiérarchie s’est approprié, pour nous, c’est un appauvrissement des tâches, et la hiérarchie ne souhaite pas non plus qu’on rencontre les élus ; si tu travailles sur une ville, le DIP, il va rencontrer le maire : tu vas pas avec lui, donc, c’est un vrai appauvrissement, même les comités locaux de prévention de la délinquance, on sait même pas ce qui s’y est dit. Parfois, on a un compte rendu, mais pratiquement, on est privé de dessert. Donc, on est écartés de toutes ces tâches qui étaient très intéressantes et faisaient de nous des acteurs de la vie des Communes très impliqués ; donc du coup, on est plus en retrait, on est moins impliqués dans la vie d’une Commune ».

Cette coupure d’avec le terrain est plus vivement ressentie par les personnels ayant connu un mode d’organisation précédent l’arrivée de cette hiérarchie. Les arguments invoqués couvrent autant l’organisation pratique et quotidienne du service qu’un problème de reconnaissance d’ordre social :

F, 46 ans, Assistante sociale, 22 ans d’ancienneté

: « J’ai trouvé dommage qu’on soit obligé de quitter le tribunal ; je pensais qu’on aurait maintenu les contacts avec les magistrats, parce que ça facilitait vraiment le travail d’être sur place, j’en parle avec nostalgie ; mais on a beaucoup perdu, c’était vraiment autre chose ; pour moi, on travaillait dans de meilleures conditions, c’est plus facile d’être sur place pour aller chercher un jugement sur intérêt civil ; c’est quand même avant la juridictionnalisation, on allait voir les juges, c’est sûr, ils révoquaient moins, pour certains pas du tout ; on faisait pas les rapports tout le temps,

On parlait des situations avec les gars, je me souviens d’avoir accompagné des gars qui avait des problèmes avec les droits de visite et d’hébergement avec leurs gamins qu’ils ne voyaient pas au tribunal des affaires familiales, on connaissait les parquetiers, on connaissait les greffiers, on était connus et identifiés alors effectivement, à une époque, on était aussi taillable et corvéables à merci ».

La reconnaissance sociale des CPIP, en tant qu’acteurs de la lutte contre la délinquance au niveau départemental, est ainsi obérée. C’est le SPIP en tant que service qui est représenté par l’intermédiaire de l’échelon hiérarchique sans que le contenu précis des missions des agents au quotidien soit forcément connu par les partenaires. Cela est potentiellement vecteur de tensions entre agents ayant connus les CPAL et les CSIP ou les DPIP :

H, 53 ans, CPIP, 27 ans d’ancienneté

: « Ça faisait plutôt penser à une organisation, une odeur de type soviétique, sans connotation personnelle sur ; mais ce qu’on a reproché aux systèmes centralisés, c’est-à-dire tout passe par la hiérarchie mais, c’est tellement lourd, rien ne fonctionne, ça manque de souplesse et tout ; et en même temps qu’on fait du management, on fait le contraire du management, parce que le management c’est quand même, avoir, mettre les subalternes sous son aile, en disant : « on fait partie du même bateau » ; on donne l’illusion que, et pour faire illusion, il faut bien donner quelques petits bouts d’os à ronger et donc on leur donne des miettes de pouvoirs, des illusions d’autonomie et de maîtrise. Pour nous, c’est un management centralisé, c’est-à-dire le contraire du management parce que le management c’est quand même horizontal ».

Ainsi, la hiérarchie est perçue comme un outil de contrôle de l’activité des SPIP et non pas comme un appui technique auprès des partenaires.
C’est l’Administration Pénitentiaire qui viendrait étendre son action au-delà des établissements pénitentiaires jusqu’aux CPAL, autrefois sous l’autorité des Juges d’Application des Peines :

F, 49 ans, Assistante sociale, 28 ans d’ancienneté

: « C’est que le fonctionnement du service s’est hiérarchisé, organisé ; c’est la prise en main par l’Administration pénitentiaire des comités de probation, puisque comme, je te le disais à l’instant, l’Administration pénitentiaire était éloignée de mon lieu de travail ; nous on travaillait dans un environnement judiciaire, on se voyait très peu avec le milieu fermé ; historiquement, il y avait la prison et le tribunal, 1999, c’était renforcer l’identité administrative des services d’ailleurs ;

On a vu l’AP remettre la main sur ses personnels, en nous demandant de quitter les tribunaux, ce qui a été un grand choc, d’ailleurs, les magistrats s’y étaient opposés et on y a probablement beaucoup perdu, parce que donc, on a vu se figer au fil des années une hiérarchie, autant de corps qui nous ont éloigné des tribunaux, qui nous ont privé du contact avec les magistrats, et donc, évidemment on y a beaucoup perdu, parce qu’on a vite compris que ces corps voulaient nous priver des contacts avec les magistrats. »

La place de la hiérarchie dans les SPIP n’a donc pas été complètement intégrée par les CPIP. Cette difficulté de reconnaissance est déjà ancienne « Enfin, il faut relever la faiblesse de la fonction d’encadrement au sein des SPIP : Au-delà du problème des effectifs, la difficulté tient à l’absence de perspective réelle d’évolution pour ceux des travailleurs sociaux qui ont accepté de devenir directeur départemental ou adjoint. La faible attractivité du statut des chefs de services d’insertion et de probation (CSIP) au regard des responsabilités qui leur incombent a été à l’origine d’importantes difficultés de recrutement. » [COUR DES COMPTES, 2006, p 96].

Des difficulté similaires sont rencontrées au sein de la Protection Judiciaire de la Jeunesse pour des raisons différentes : « nous soulignerons que ce sont la rationalisation de l’Action Publique et la montée des politiques de répression de la délinquance qui font de la fonction de direction le point de cristallisation des tensions internes à la PJJ [DUGUÉ, MALOCHET in LE BIANIC, VION, 2008, p51].

Le caractère récent de la création des DPIP ne permet pas encore d’effectuer un lien certain entre les difficultés rencontrées par les DPIP et celles rencontrées par les Directeurs PJJ et mériteraient d’être analysées en propre dans une étude ultérieure concernant les fonctions d’encadrement dans les services du Ministère de la Justice.

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