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4.3.15 Compter ses amis, diviser ses adversaires(205)

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Compter ses amis, diviser ses adversaires… L’heure était au calcul pour le président ivoirien sortant Laurent Gbagbo, qui n’envisageait pas de céder sa place. Autour du « camarade Laurent », les rangs s’éclaircissaient.

Le 21 décembre 2010, dans un discours à la télévision ivoirienne, Laurent Gbagbo avait proposé un « comité d‟évaluation » international pour régler la crise. Mais avait posé un postulat : « Je suis le président de la République de Côte d‟Ivoire. » En d‟autres termes : « Tout est négociable, sauf mon statut de président. » Première réaction d‘un diplomate européen : « C‟est un faux message d‟apaisement pour diviser le camp africain et gagner du temps. » Du côté d‘Alassane Ouattara, son Premier ministre, Guillaume Soro, avait fustige: « Il ne reste qu‟une seule solution, la force. »

Laurent Gbagbo avait donc une priorité stratégique : éviter toute opération militaire de la Communauté économique des États de l‘Afrique de l‘Ouest (CEDEAO). Pour cela, il devait diviser ses adversaires. Et activer ses réseaux. C‘est dans l‘épreuve que l‘on reconnaît ses amis, dit l‘adage. Qui sont-ils ?

. L’Angola, l’allié indéfectible : Depuis que Laurent Gbagbo avait fermé le bureau de l‘UNITA à Abidjan, en 2000, José Eduardo dos Santos lui vouait une reconnaissance éternelle. Principal argument pro-Gbagbo : la lutte anti-impérialiste. En public, Jorge Chicote, le ministre angolais des Affaires étrangères, mettait des gants: « Notre position, c‟est la non-ingérence. » Mais en privé, Afonso Van-Dúnem Mbinda, le Monsieur Affaires étrangères du Mouvement Populaire de Libération de l‘Angola (MPLA), était beaucoup plus clair. Le 21 décembre 2010 à Conakry, dans les coulisses du Palais du peuple, où Alpha Condé prêtait serment, il avait lancé : « Les déclarations de l‟UA et de la CEDEAO, tout cela est orchestré par les Occidentaux. »
Selon Van-Dúnem, deux chefs d‘État d‘Afrique de l‘Ouest ne seraient pas d‘accord avec les résolutions pro-Ouattara de la CEDEAO. Lesquels ? Sans doute pense-t-il au Gambien Yahya Jammeh. Mais l‘autre ? Mystère. Le 5 décembre 2010, Bertin Kadet, le conseiller militaire de Laurent Gbagbo, s‘était rendu en Angola. Au menu : livraison d‘armes et de munitions.

. La Gambie, l’ami déclaré : Yahya Jammeh a au moins une qualité : la franchise. Le 11 décembre 2010, il avait appelé « les puissances occidentales à cesser leurs ingérences ». Aujourd‘hui, les étrangers s‘intéressent à la Côte d‘Ivoire ; demain, il ne faudrait pas qu‘ils se penchent sur l‘un des régimes les plus répressifs du continent… Pour Gbagbo, c‘était une bonne affaire. Jammeh ouvrait une brèche dans le front pro-Ouattara. Le problème, c‘était la taille du pays. « La Gambie, ça ne compte pas », souffle un diplomate ouest africain.

. La Cap-Vert et le Bénin, l’art de l’esquive : « Surtout pas un mot sur cette affaire. » Tel est le mot d‘ordre, à Praia comme à Cotonou. Financièrement, Pedro Pires était l‘obligé à la fois des Angolais et des Occidentaux.

Boni Yayi avait d‘excellentes relations avec Gbagbo mais, à quelques mois de la présidentielle béninoise, il ne pouvait pas se couper des « grands » de ce monde.

. Le Gabon et la Libye, le changement de pied : Après le second tour, Ali Bongo Ondimba avait d‘abord penché pour son ami Gbagbo. Mais la Radiotélévision ivoirienne (RTI) s‘était mis à poser une question dérangeante : « Pourquoi la France a-t-elle validé un hold-up électoral au Gabon en 2009, et pourquoi fait-elle tant d‟histoires chez nous ? » Réplique sèche du président gabonais: « Toute comparaison avec d‟autres pays me paraît complètement superflue. Je me suis vu reconnaître par toute la communauté internationale. » Selon nos informations, l‘ambassadeur de Côte d‘Ivoire à Libreville aurait été convoqué, le 20 Décembre 2010, par Paul Toungui, le ministre gabonais des Affaires étrangères.

Mouammar Kadhafi, lui aussi, avait d‘abord cru à la victoire de Laurent Gbagbo. Mais dès le lendemain du premier tour, il était entré en contact avec Alassane Ouattara. Comme à son habitude, il gardait deux fers au feu. À chaque camp son interlocuteur. Côté Gbagbo, c‘était Mohamed al-Madani, le secrétaire général de la Cen-Sad. Côté Ouattara, c‘était Ali Triki, le vétéran de la diplomatie libyenne. Le 10 Décembre 2010, le « Guide » avait reçu Bertin Kadet et Alcide Djédjé, le ministre des Affaires étrangères de Gbagbo. Dans le même temps, il était resté en relation suivie avec le camp Ouattara. Le 15 Décembre 2010, depuis Dakar, où il assistait au Festival mondial des arts nègres (FESMAN), Kadhafi aurait eu une longue conversation téléphonique avec le Français Nicolas Sarkozy au Sujet de la Côte d‘Ivoire.

. L’Internationale Socialiste (IS), la déchirure :Les fidèles étaient toujours là : le Sénégalais Ousmane Tanor Dieng, président du comité Afrique de l‘IS, qui avait félicité le camarade Gbagbo; les Français Henri Emmanuelli, François Loncle et Guy Labertit, ce dernier avait même assisté à l‘investiture du 4 décembre 2010. Roland Dumas, lui, s’était rendu à Abidjan en compagnie de jacques Vergès, à l‘invitation de son vieil ami Laurent Gbagbo « pour essayer de mettre un peu de lumière dans son tunnel ». Mais les rangs s‘éclaircissaient.

À Dakar, le message de Tanor passait mal chez ses collègues socialistes. À Paris, la direction du PS (Aubry, Fabius, les strauss-kahniens…) avait demandé au camarade ivoirien de reconnaître sa défaite. Jean-Marc Ayrault avait même propose que le parti de Gbagbo soit exclu de l‘IS. À Yaoundé, l‘Union des populations du Cameroun (UPC) n‘avait pas ces états d‘âme. Le parti de Moukoko Priso était sur la même ligne que l‘Angola : « Halte à l‟infamie contre la souveraineté de la Côte d‟Ivoire. »

. La droite et l’extrême droite françaises, tous contre Sarkozy : Jean-François Probst, Philippe Evanno, Yannick Urrien… Gbagbo savait qu‘il avait quelques amis chez les vieux compagnons de Jacques Chirac. Il avait dû boire du petit-lait en entendant la charge de Dominique de Villepin contre Sarkozy. « Je ne crois pas à la logique de l‟ultimatum », avait lâché l‘ancien Premier ministre. Mais il avait dû être plus étonné en entendant les Le Pen-père et fille, prendre sa défense. « Je juge avec assez de sévérité la précipitation avec laquelle le président français a pris position pour Ouattara », avait lancé Marine Le Pen, le 19 décembre 2010. Bien entendu, la Côte d‘Ivoire n‘était qu‘un prétexte. La cible était Nicolas Sarkozy. Mais Gbagbo, le socialiste, se serait sans doute bien passé d‘un tel soutien ?

. Le jeu de Paris : « On essaie de ne pas se mettre en avant », avait confié un décideur à Paris. « En termes de légitimité, il est toujours préférable que les africains soient devant. En plus, on a la chance que la CEDEAO et l’UA soient relativement germes ». Bref, après l’ultimatum adressé le 17 décembre 2010 à Laurent Gbagbo, « une maladresse », avait concédé un diplomate français, Nicolas Sarkozy était le moins visible possible. De bonne source, le président français suivait le dossier « de très près ». Selon les sources proches du président français, il aurait téléphoné régulièrement à son homologue nigérian Goodluck Jonathan. L‘objet serait d‘encourager l’option militaire de la CEDEAO, mais surtout ne pas y participer. Seule exception, un appui pour le renseignement. Si cette option était écartée, Paris compterait alors sur l’asphyxie économique et financière. Commentaire d’un proche du dossier : « Gbagbo joue la montre. Il va falloir la jouer avec lui ».

A l’Elysée, la question était gérée au quotidien par le sherpa Jean-David Levitre, le responsable Afrique André Parant et toute la cellule diplomatique. Au Quai, elle était suivie personnellement par la ministre, Michèle Alliot-Marie. « Elle s’intéresse énormément aux questions africaines « , avait témoigné l’un de ses collaborateurs « Quand on lui envoie une note sur la Côte d’Ivoire, elle nous la retourne avec des annotations du genre : Précisez, qu’est-ce que vous voulez dire par là ? ». A ses côtés, les hommes de son cabinet – Hervé Ladsons, Jérôme Bresson, etc. – et le directeur Afrique, Stéphane Gompertz, donné partant depuis neuf mois, mais toujours là !

. Laurent Gbagbo perd le soutien américain, l’Israël prend le profil bas : « Les mensonges et les fausses promesses de Gbagbo ont fini par exaspérer Obama », avait dit un proche du département d’Etat à Washington. « Et comme Obama est un homme de principes, qui plus est avec une fibre africaine… ». Le droit, rien que le droit. Dix-huit mois après le discours d’Accra, le président américain faisait ce qu’il avait dit… au détriment de Gbagbo.

Côté israélien, on faisait profil bas. Fini le temps où l’ambassadeur à Abidjan soutenait ouvertement Laurent Gbagbo. Pendant ce temps, son successeur prenait bien soin de se démarquer des sociétés privées israéliennes qui travaillaient pour le régime (sécurité, écoutes téléphoniques, etc.). Et à Tel-Aviv, le gouvernement de Benyamin Netanyahou ne faisait aucune déclaration.
. La prudence du président burkinabé, Blaise Compaoré : Prudence, prudence,… le président burkinabé ne pouvait rien dire qui devait mettre en danger ses deux à trois millions de compatriotes installés en Côte d’Ivoire. Si la CEDEAO allait choisir l’option militaire, son pays serait l’un des contributeurs de troupes. Loin derrière le Nigéria, qui assurerait notamment l’appui aérien, mais à la hauteur du Sénégal, du Mali et de quelques autres, qui pourraient accepter d’envoyer chacun plusieurs centaines d’hommes.

Dans ses voeux de nouvelle année, Blaise Compaoré avait lâché ces petites phrases : « Je voudrais rassurer nos compatriotes qui vivent dans des pays à transition dite difficile. Le gouvernement restera de concert avec la communauté internationale et interafricaine pour garantir leur sécurité ». On ne saurait être plus clair.

. Le rôle de l’Afrique du Sud et du Président Jacob Zuma : Celui de Jacob Zuma, non. En revanche, celui de l’ex-président Thabo M’Beki, oui. Le 5 janvier 2011, le médiateur Sud-africain avait lancé sur la chaîne SABC : « Il ne faut surtout pas une intervention militaire en Côte d’Ivoire, car cela va déclencher une guerre civile ».

En pratique, Zuma soutenait la ligne pro-Ouattara de l’UA, mais sans enthousiasme. En décembre 2010, il avait hésité plusieurs jours avant de se ranger derrière l’organisation. Commentaire d’une experte de Johannesburg : « Que ce soit au Soudan ou en Côte d’Ivoire, quand M’Béki prend un dossier, Zuma se décharge sur lui, à la façon de Ponce Pilate. Zuma est ravi, le temps de la crise, il est sûr que M’Beki ne s’occupera plus de l’Afrique du Sud ».

. Le cas du gouverneur de la BCEAO : Philippe Henri Dacoury-Tabley, le gouverneur de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), était dans une situation très inconfortable. Imposé par Gbagbo, il devait prouver sa loyauté envers ses mandants, qui reconnaissaient Ouattara. Son kit de survie ? Les règles de fonctionnement de la banque, très précises. Ainsi, s’il avait montré des réticences à assumer l’opération de retrait des signatures de l’administration Gbagbo avant la réunion du Conseil des ministres de l’Union monétaire, le 23 décembre 2010, et indiqué les risques qu’il y avait à « suspendre » les comptes d’un Etat membre, il s’était, semble-t-il, exécuté.

En effet, « toutes les opérations entre la BCEAO et le trésor public ivoirien sont suspendues », avait assuré un économiste proche du conseil d’administration de la banque. Les avoirs ivoiriens s’élevaient en décembre 2009 à 1479 milliards de FCFA (2,2 milliards d’euros). Gbagbo ne pouvait plus légalement compter sur ce trésor de guerre.

Le comité de direction de la BCEAO continuait toutefois d’émettre des réserves sur un « bannissement » de la Côte d’Ivoire, jugé plus complexe à mettre en oeuvre qu’il n’en avait l’air. Petit cas pratique : « Le siège national de la banque à Abidjan est gardé par les Forces de défense et de sécurité (Fds), loyales à Gbagbo. Si elles viennent ouvrir les coffres pour récupérer les avoirs, qu’est-ce qu’on fait » ? S’était interrogé un cadre en service à Dakar.
En cas de non-coopération, Dacoury Tabley pouvait-il être remercié par sa tutelle ? Il avait un mandat « irrévocable », précise l’article 56 des statuts de la BCEAO. L’ami de Gbagbo n’avait pas le choix et aurait opté de faire allégeance à Ouattara. Le 31 décembre 2010, il avait reçu à Dakar Charles Koffi Diby, le Ministre de l’Economie et des Finances du Gouvernement Ouattara.

205 JeuneAfrique.com – 03/01/11

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