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4. L’ISR élargi (ou de performance ou utilitariste)

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. Description

« L’ISR » élargi résulte de la vision « utilitariste » de l’ISR. Nous avons vu que cet objectif ressemblait beaucoup à l’ISR « responsabilité » en apparence. La différence est dans l’équilibre entre critères « financiers » et critères « extra-financiers ». Cet ISR est appelé ISR de performance par ses défenseurs(59) car il s’agit de trouver des formules permettant de calculer une rentabilité « éconosociétale » et donc en se référant au prisme de la performance financière.

Enfin, l’ISR élargi est une autre appellation possible car la soumission de la RSE aux problématiques financières rend possible l’élargissement, voire la dilution de l’ISR dans la gestion financière.

Dans ce cadre, la politique sociétale des entreprises se traduit en termes de risques ou d’opportunités financières. Cette évaluation est donc un prolongement de la finance vers la sphère extra-financière.

Les partisans de cette nouvelle technique prônent son intégration dans la gestion traditionnelle.

Penalva Icher, dans son étude sur le rôle de l’amitié dans la régulation de l’ISR, montre que les relations amicales informelles au sein de certains groupes prépondérants ont participé à la victoire de la vision élargie de l’ISR.

Une autre preuve du lien entre la vision « utilitariste » ou financière de l’intégration de critères ESG est le motif invoqué par les investisseurs quant à cette intégration. Une série d’interviews réalisées par Novethic a permis de comprendre les principaux axes de cet élargissement :

– « La gestion du risque de réputation »
– « La prise en compte des critères ESG comme complément à l’analyse financière traditionnelle »

Novethic note à la fin de son étude, bien que ne donnant pas de chiffres précis sur sa pratique, que « l’idée que les démarches d’intégration ESG montaient en puissance, qui a conduit le centre de recherche ISR de Novethic à initier cette étude, s’est confirmée au gré des rencontres et des interviews.»(60)

L’ISR élargi utilise des méthodes proches de l’ISR responsabilité, la sélection ESG et l’exclusion. Ces pratiques sont appliquées à un degré moindre à des fonds « traditionnels ».

L’exclusion

Certaines sociétés de gestion pratiquent des exclusions sous-sectorielles contrairement à l’ISR qui exclut des secteurs entiers. BNP Paribas et Crédit Agricole se sont par exemple engagés à éliminer de leurs fonds les entreprises fabriquant des bombes à sous munition mais ne renoncent pas au secteur de l’armement dans son intégralité. Ces exclusions visent davantage à sanctionner des pratiques controversées que des secteurs entiers (ex : OGM pour la financière de Champlain, spéculation alimentaire pour CNP assurances).

L’intégration ESG

Celle-ci s’appuie sur les mêmes techniques que l’ISR « Responsabilité » : la sélection best in class et l’exclusion. Les différences entre les deux types d’ISR se situent à trois niveaux :

– Les champs d’analyse concernés : seuls les enjeux à risque financier sont concernés « l’intégration ESG porte sur des enjeux extra-financiers dont l’impact économique ou financier est avéré ».
– La mise en oeuvre de la sélection n’est pas forcément documentée et se base davantage sur des échanges avec les analystes extra-financiers que sur une utilisation systématique des ressources émanant de ceux-ci.
– L’obligation de transparence : les fonds intégrant des critères ESG n’ont aucune obligation en termes de communication contrairement aux fonds ISR traditionnels.

En réalité, il s’agit souvent de traiter des problèmes d’actualité comme pour CNP Assurances qui exclut les produits agricoles de ses fonds alternatifs. Le risque de réputation joue un rôle fondamental dans la pratique d’intégration.

. Les failles de l’ISR élargi

L’intégration ESG

Elle diffère de la sélection Best-in-class, puisqu’elle n’analyse pas la démarche RSE d’une entreprise dans son ensemble mais certains enjeux clés liés à l’entreprise. Le coeur de ce dispositif est d’ailleurs la communication des informations ESG provenant des analystes ISR vers les gérants de fonds mainstream. Selon Novethic(61), 76% des acteurs ont un système de transmission d’informations ESG vers les gérants.

Les faiblesses de cette intégration résultent principalement de l’optique financière associée. Les données ESG ont été, au cours du processus de transmission, « financiarisées » : « l’intégration de données ESG clés (notamment les ratings) directement dans les tableaux de bord financiers des gérants ».

Novethic donne d’ailleurs un exemple concret de l’information utilisée par le groupe de prévoyance Aprionis.

Tableau 11 : Matrice analyse financière/ISR du groupe de prévoyance Aprionis(62)

Matrice analyse financière ISR du groupe de prévoyance Aprionis

Ce tableau démontre une simplification poussée de la comparaison des impacts sociétaux des entreprises qui se résument de 3 manières : positif, neutre, négatif. L’autre biais d’un tel système est celui de la personne chargée de l’intégration des entreprises dans le fonds : le gérant. L’évaluation des entreprises requiert des compétences spécifiques, une expérience et une vision d’ensemble des problématiques sectorielles qui sont l’apanage des investisseurs SR (socialement responsables).

Pour résumer, le gérant qui a des compétences généralement limitées à la finance est chargé d’évaluer les démarches RSE des entreprises sur la base d’informations partielles. Pour effacer ce biais, certaines entreprises ont mis en place des comités de gestion réunissant les analystes ISR et les gérants (ex : Agicam et Dexia AM).

Novethic décrit plus exhaustivement les approches coexistantes concernant les approches ESG :

– la détection des entreprises ou des États considérés comme particulièrement exposés à un risque ESG identifié par l’analyse extra-financière, le plus souvent sur la gouvernance, avec l’objectif de les écarter de l’univers investissable. On parle ainsi de minesweeping chez HSBC Global Asset Management, de liste noire à la Financière de Champlain, ou de recherche des risques extrêmes chez Agicam ;
– la recherche des entreprises les mieux positionnées face à un enjeu sectoriel clé. L’idée sous-jacente à cette analyse est d’identifier les acteurs qui sont suffisamment proactifs vis-à-vis d’un enjeu ESG donné pour le transformer en un avantage concurrentiel ;
– la recherche d’entreprises présentant une dynamique d’amélioration significative, approche qualifiée de best effort qui consiste à déceler des évolutions porteuses de valeur à moyen-long terme, cette dernière approche pouvant aussi être combinée à l’identification de potentiels de détérioration entrainant un risque de dévalorisation (double approche mise en avant par Axa IM).

Novethic indique enfin que les approches les plus utilisées consistent « à intégrer les enjeux extra-financiers spécifiques dont la matérialité est avérée »

Il est intéressant de noter que le mot matérialité n’a pas d’acception financière reconnue dans la langue française mais résulte davantage d’un consensus au sein de la communauté ISR. Ethos, une société de gestion, décrit le concept comme tel : « Pour les tenants de l’approche de la matérialité, la préoccupation porte essentiellement, sinon intégralement, sur la détermination des enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) qui sont actuellement «matériels» pour la performance boursière des entreprises. »(63)

La matérialité corrobore donc l’existence sous-jacente de l’objectif final utilitariste de l’ISR élargi, à savoir augmenter la performance financière des fonds par la prise en compte des enjeux ESG.

Les approches décrites par Novethic répondent justement à cet objectif car il s’agit soit de sélectionner des entreprises présentant un faible niveau de risque aux enjeux ESG « matériels », soit un haut niveau d’opportunités face à ces mêmes enjeux.

Ceci constitue une limite intrinsèque à l’objectif de cet ISR, la sélection des enjeux matériels. Le risque est qu’une société de gestion écarte des enjeux non matériels fondamentaux. Parmi ces enjeux, il paraît difficile de prouver la matérialité de la construction d’un partenariat à long terme avec les fournisseurs. Dans ce cas, l’entreprise aurait plutôt intérêt à mettre en concurrence des fournisseurs au niveau mondial afin de diminuer les coûts de production.

A l’inverse, la construction d’un partenariat stable respectant les droits fondamentaux des salariés présente le risque de voir les salariés libérés de l’incertitude liée à la concurrence perpétuelle avoir de nouvelles revendications (respect du temps de travail, augmentation des salaires…). L’amélioration de la politique environnementale des fournisseurs exige quant à elle des investissements conséquents dont les coûts seront nécessairement répercutés sur le prix de revient du produit.

Ces enjeux peuvent donc être tout aussi importants selon la cible concernée (générations futures et pollution, droits de l’homme et sous-traitants) que les enjeux privilégiés sur la base de leur rendement potentiel. Nous reviendrons en détail sur le problème de la matérialité dans le chapitre V.

La deuxième critique de cet ISR porte sur la transparence des processus. L’intégration ESG résulte d’une démarche volontaire, ce que relève Novethic lors de la conclusion de son étude en séparant clairement l’ISR et l’ISR élargi : « Il est important de souligner ce qui distingue l’intégration ESG de l’ISR : un niveau de contrainte non systématique et par voie de conséquence un manque de traçabilité sur les arbitrages entre considérations financières et extra-financières. »(64)

La transparence est une condition importante de la qualité d’une démarche de ce type. A contrario, l’opacité des pratiques tend à discréditer l’approche envisagée et prête le front aux attaques des acteurs de la société civile.

En conclusion, l’intégration ESG permet d’intégrer de nouvelles problématiques sociétales dans les fonds et constitue une évolution plutôt positive des fonds mainstream. Toutefois, les nombreuses faiblesses de l’intégration ESG ne permettent pas de la qualifier de socialement responsable, d’ailleurs elle ne se réclame pas de l’ISR. Cependant, comme le montre Penalva Icher, l’objectif sous-tendant ces pratiques s’est imposé parmi les acteurs de l’ISR, entraînant la construction d’une nouvelle technique financière adaptée à l’ensemble de la finance. Le modèle de cette nouvelle technique reste à construire.

59 Capelle-Blancard, Gunther et Monjon, Stéphanie. L’investissement socialement responsable. article universitaire, p11
60 Novethic. Intégration des enjeux ESG : quelles pratiques pour quels objectifs. [pdf] 2010. p25
61 Novethic. op.cit 2010. p62
62 Novethic. Op.cit [pdf] 2010. P14
63 Christoph Butz, Jean Laville. Investissement socialement responsable : éviter le piège de la matérialité financière. [Ethos discussion paper] 2007. p1
64 Novethic. Ibid [pdf] 2010.

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