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4. Analyse thématique du journal de bord

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Tout d’abord, une description de la salle de classe nous parait importante afin de poser le contexte de notre observation :

Nous entrons. A droite, un grand tableau en ardoise noir, sur lequel sont fixés des petits aimants colorés. A droite du tableau, sur le mur, une grande horloge avec une flèche en carton rouge qui permet aux élèves de se fixer un temps précis pour finir leur exercice. Encore à droite, un tableau en liège avec les emplois du temps de chaque élève, ainsi que celui de l’enseignante et des deux AVS. Sur le mur en face de la porte, de grandes fenêtres donnant sur la cour de récréation. A gauche, le petit bureau de l’enseignante, sur lequel sont posés plusieurs pots à crayons, de grands classeurs et un calepin. A droite des classeurs, sous la fenêtre, une petite table sur laquelle sont rangés un tas de pochettes de 6 surligneurs : rouge, vert, jaune, orange, rose, bleu.

Au fond de la salle, des ordinateurs fixes avec une imprimante. Devant le tableau, les tables sont disposées en « U », chaque élève est à sa place. Un autre groupe de 4 tables est situé un peu plus au fond. En face des fenêtres, une étagère à 12 casiers. Chaque casier possède une étiquette avec le prénom d’un élève. A l’intérieur de chacun, de grands classeurs rouges et bleus, des livres et autres objets. A droite de l’étagère, un présentoir à 4 étages : en haut, les « beaux livres » sur les animaux, en dessous, les magazines « Le quotidien », à l’étage inférieur, des romans, et tout en bas des petits livres sur le chat et autres sujets.

Le premier élément caractéristique de cette ULIS est l’ambiance. Cette ULIS, sans cette ambiance si particulière, n’aurait pu poser ce cadre favorable à l’instauration de relations de confiance. L’humour est également apparu comme un allié précieux à la dédramatisation des situations délicates que vivent les élèves. Lorsque nous observons ce lieu, nous voyons un groupe solidaire, enthousiaste et qui se respecte :

JASON – « Madame, j’ai un cadeau pour vous ! Ca vient de la police. » En effet, Jason et Antoine sont allés visiter une gendarmerie cette semaine.
ANTOINE – « Madame, moi j’ai eu ça ! » Il montre une bd.
LA COORDONNATRICE – « Pas tous en même teeemmmmpppssss ! »
JASON – « En plus, c’est la journée des femmes. »
LA COORDONNATRICE – « Oui, c’est vrai, il faut être gentil avec nous aujourd’hui ! Normalement c’est toute l’année, mais bon … » Tout le monde rit. Jason lui donne un petit porte-clef.
JASON – « En plus, j’ai faillis mourir pour l’avoir ! »
LA COORDONNATRICE – « Vous vous êtes tous jeté dessus, c’est ça ? (rires communs) Merci Jason. C’est gentil. » Sur le tableau, il est écrit : « Jeudi 08 Mars : Anniversaire de Paul ! »
JASON – « Hey, mais c’est aujourd’hui ! »
LA COORDONNATRICE – « Ouiii biiieeennnnnnn !! » (sur un air ironique)
ALICE – « Mais il est pas là. »
LA COORDONNATRICE – « Il va arriver tout à l’heure. »

Comme évoqué précédemment, l’ambiance a son importance d’après Maria MONTESSORI, car « c’est elle qui offre les moyens nécessaires au développement des activités. L’adulte en fait partie, lui aussi ; il faut donc qu’il s’adapte : il faut, d’une part, qu’il ne soit pas un obstacle pour l’enfant ; d’autre part, qu’il ne se substitue pas à lui dans les différentes activités que celui-ci aura à satisfaire avant d’atteindre à la maturité. » [49]

Le deuxième élément se retrouve dans le mouvement créateur, notamment par l’adaptation individuelle des apprentissages. Au sein de l’ULIS, le passage du concret à l’abstrait fait partie des principales difficultés rencontrées par les élèves. Les consignes écrites et orales ne suffisent pas ; beaucoup d’élèves ont besoin de manipuler, de toucher pour conceptualiser une situation. Nous l’avons vu, Maria Montessori parle d’un « mouvement créateur » essentiel dans les apprentissages, s’adressant à des enfants/adolescents en situation de handicap ou non.

Comme disait E.M. STANDING, « « voir » les choses qu’on lui enseigne n’est pas suffisant pour l’enfant. Son geste doit être sollicité. « Entendre » n’est pas suffisant non plus. Ce qu’on lui dit n’est guère important si ce n’est pas accompagné d’un mouvement créateur. « Ne donnons pas plus à l’œil ou à l’oreille qu’à la main. » » [50]

La coordinatrice utilise ainsi des situations de la vie de tous les jours, pour confronter ses élèves à un environnement social élargi ou au milieu socioprofessionnel qui les attend :

« … tu vas mesurer l’aire de la salle. » Elle s’éloigne de Jason tout en continuant de parler. « Je vais te donner une règle de 1 mètre et une craie rouge et tu vas tracer des repères à la craie tous les 1 mètres, ok ? »
Jason acquiesce.
LA COORDONNATRICE – « De quoi as-tu besoin pour calculer l’aire et le périmètre de la salle ? »
JASON – « Euh … »
LA COORDONNATRICE – « Bon, imagine que tu aies acheté une maison, et que tu aies besoin de plinthes pour ton salon. Lorsque tu vas aller au magasin, IKEA, Brico dépôt, je ne sais pas, peu importe, le vendeur, qu’est-ce qu’il va te demander ? » (…)
JASON – « Ben …. La mesure. »
LA COORDONNATRICE – « Voilà, donc il faut mesurer la larg….. »
JASON – « …eur »
LA COORDONNATRICE – « et la longu…. »
JASON – « …eur »
LA COORDONNATRICE – « Bon, allez go ! Tu peux commencer par là bas. »

Il se dirige vers le coin gauche de la salle, près du tableau, s’accroupit et place l’extrémité de sa règle contre le mur, parallèlement au tableau. Il bouge sa règle de manière à la placer le long d’une ligne formée par les carreaux du sol de la pièce. Il trace un petit trait avec la craie rouge, se relève, et place le zéro de sa règle sur son trait, toujours en suivant la ligne au sol. Il reproduit la même manipulation 6 fois, jusqu’à atteindre le mur opposé. Lorsqu’il a fini, il s’adresse à la coordonnatrice en la regardant.

JASON – « La pièce fait 6 mètres carré ! »
La coordonnatrice ne réagit pas tout de suite, elle ne regarde pas Jason (elle s’occupe de Samy).
LA COORDONNATRICE – « Tu es sûre qu’elle fait 6 mètres carré ? Là tu n’as mesuré que la largeur, Jason … il te manque la … » Elle regarde Jason.
JASON – « Longueur »

La coordonnatrice acquiesce et reprend avec Samy. Jason récupère la règle au sol et effectue les mêmes manipulations sur la longueur de la salle, en partant du mur du tableau et en arrivant au fond de la salle, sous une table.

L’enseignante présente les choses de manière ludique et attractive pour ne pas enfermer les élèves dans un cadre trop scolaire et abstrait, ce qui pourrait les bloquer. Elle les aide à conforter leur approche. Chaque élève suit un rythme propre au sein de l’ULIS, ce qui nécessite une pédagogie différenciée. Le respect du rythme des apprentissages de chacun demeure essentiel. L’enseignante a appris à laisser une marge d’autonomie aux élèves et à éviter de les stimuler davantage ; d’après nos observations, elle a su prendre le recul nécessaire, leur permettant de ne pas culpabiliser lorsqu’ils sont en situation d’échec. En effet, la réussite de l’élève ne dépend pas uniquement de la mise en œuvre pédagogique de l’enseignant, elle est aussi liée à la propre motivation de l’élève, à ses capacités et ses limites, reliées ou non à sa déficience.

Le troisième élément remarquable se définit à travers le renversement du rapport entre l’enseignante et les élèves, notamment la co-construction et l’affectif. L’ULIS est le cadre de relations privilégiées (confiance, complicité, respect, …) ; une grande part d’affectif transparait chaque jour au travers de la construction du travail entre la coordonnatrice et ses élèves. Un climat de confiance s’est installé entre l’enseignante et les adolescents ou pré-adolescents, confiance que l’on ne retrouve pas ou peu chez les autres élèves dans la même période de développement (adolescence).

Une situation nous a particulièrement marqué dès le premier jour de notre enquête de terrain : celle d’un petit garçon, Samy, timide et angoissé lorsqu’il s’agit de résoudre un problème de mathématiques et l’enseignante, remarquable pédagogue qui a du trouver une stratégie pour mettre en confiance Samy. Elle a ainsi choisit un moment du quotidien de Samy, le foot, pour lui prouver qu’un problème de mathématiques et les règles d’un sport demandaient chacune un certain nombre de compétences. « Les problèmes, c’est dur ! dit Samy.

Pour faire comprendre à Samy qu’effectivement résoudre un problème est une opération complexe qui demande de maîtriser différentes procédures, elle prend un exemple. Elle lui propose une situation où il est l’expert, l’entraîneur et elle la débutante : jouer au foot. Elle demande à Samy de lui expliquer comment apprendre à jouer. Samy lui répond : il faut s’entraîner. Il faut apprendre à taper dans le ballon avec le pied, à l’envoyer dans la bonne direction.

Il faut être capable de faire une passe à un joueur de son équipe, s’entraîner à courir, apprendre les règles du sport, apprendre à tirer pour marquer un but. Il faut savoir protéger son équipe, ce qui fait 7 compétences à maîtriser ! Elle demande à Samy si elle va réussir à jouer. Samy lui répond : « C’est possible, mais il faudra beaucoup de temps » Elle lui demande si elle va réussir tout de suite à jouer. Samy répond : « Non, vous allez vous tromper. » Elle lui demande un conseil si elle n’y arrive pas. Samy répond : « Allez Madame, il faut recommencer jusqu’à ce que vous y arriviez ! » Elle explique alors à Samy que pour réussir à résoudre un problème de maths, c’est pareil ! Sauf que dans cette situation, c’est elle l’expert, l’entraîneur et lui le débutant. Samy dit : « Madame, les problèmes c’est difficile ! Mais j’ai envie de savoir faire. »

Elle lui répond : « Alors il faut s’entraîner ! » Pour apprendre à résoudre un problème, il faut bien savoir lire et comprendre l’énoncé du problème (il faut comprendre le vocabulaire et la situation proposée, repérer la question et savoir ce que tu dois chercher. Il faut se faire une représentation des informations fournies dans l’énoncé : une image dans sa tête, un schéma au crayon… Il faut trier et sélectionner les données utiles pour répondre à la question (ne pas utiliser forcément tous les nombres proposés dans l’énoncé).

Il faut choisir et effectuer le ou les calculs à faire pour pouvoir répondre à la question, cela signifie qu’il faut bien connaître le sens de chaque opération : l’addition, la multiplication, la soustraction et la division. Enfin, il faut répondre à la question du problème à l’aide d’une phrase, c’est-à-dire rédiger la solution, ce qui fait 7 compétences à acquérir (comme au foot) !!!

Grâce à ce climat privilégié, un travail de co construction a pu se mettre en place. La coordonnatrice a réussi, selon nous, à instaurer une pédagogie proche de celle de Maria Montessori ; face à une difficulté de l’élève, la nécessité d’inverser les rôles adulte/enfant (ou adolescent) l’oblige à se séparer de ses connaissances pour se projeter dans l’univers de ses élèves. Nous l’avons vu, Maria MONTESSORI définissait le nouveau rôle du maître comme l’« une des innovations qui ont suscité le plus d’intérêt et le plus de discussions : de ce maître passif, qui fait tomber devant l’enfant l’obstacle de sa propre activité, de sa propre autorité, qui se satisfait de le voir agir et progresser tout seul, sans s’en attribuer le mérite. » [51]

L’enseignante spécialisée s’est attachée à trouver des stratégies pour mettre en confiance l’élève en difficulté, d’où la forte présence de l’affectif et de la complicité en ULIS et la nécessité d’une certaine souplesse de sa part.

Néanmoins, quelles sont les limites observables à cette pédagogie dans le cadre de l’ULIS ?

Plusieurs échanges avec l’enseignante spécialisée et l’AVS collective nous a permis de faire ressortir certaines limites : une sorte d’autocensure vis-à-vis de la grande part d’affectif et le manque de distance avec les élèves. Parfois, elles ont tendance à remettre en question leur méthode ; « on est trop dans l’affectif … on les aide beaucoup trop en indiçant ! » Le handicap semble influencer, de manière compassionnelle ou empathique. « Tu sais, ils sont beaucoup dans l’affectif ses enfants, ils s’attachent vite … (…) Pour Paul, s’il te fait la bise, c’est que ça a touché son cœur. » Cette remise en question s’avère culpabilisante pour l’enseignante spécialisée ; elle affirme ainsi que le handicap ne peut être un prétexte pour qu’on s’occupe constamment d’eux, travailler à leur place, se substituer à eux, à laisser passer toute forme de déviance : « ce sont des enfants malades (en parlant d’Alexandre et de Paul, qui ont tous les deux une maladie invalidante) alors ils se croient tout permis, « Je suis malade donc je fais ce que je veux ». Il y a aussi les parents qui ne leur disent rien … ça n’arrange pas les choses. »

Comme évoqué précédemment, Maria MONTESSORI nous explique que « certains enfants (…) s’attachent à l’adulte, qui substitue son activité à la leur ; ils vivent ainsi dans son entière dépendance. Le manque d’activité est cause qu’ils se plaignent toujours de quelque chose ; ils ont l’air de petits souffreteux, et sont considérés comme des êtres délicats dans leurs sentiments, et sensibles dans leurs affections. (…) Ils semblent se comprendre et s’aimer, mais une obscure dépendance les enchaîne tous deux. De continuels « pourquoi » se suivent, comme poussés par une angoisse de connaître ; mais, en observant bien, on s’aperçoit que les questions se succèdent avant même d’avoir reçu leur réponse. » [52]

Cette forme d’autocensure, selon nous, est liée à l’âge des élèves accueillis au collège. Les relations affectives entre enseignant et enfants sont facilement observables et font partie du quotidien en maternelle, se poursuivant en début de primaire : il s’agit d’une période de développement, de socialisation, de l’enfant qui a besoin de ce lien étroit pour s’épanouir, se sentir protégé et s’ouvrir au monde. A l’inverse, le collégien “ordinaire” adopte un statut de préadolescent. Pour continuer à grandir, il va devoir se démarquer, s’opposer à l’adulte. Le collège impose des règles beaucoup moins souples (le vouvoiement, le respect de l’autorité de l’adulte) mais aussi, volontairement ou non, un rapport dominant/dominé que l’enseignant instaure entre ses élèves et lui-même. Les élèves d’ULIS, parce qu’ils présentent une ou plusieurs déficiences, prédisposent l’adulte à une attitude compatissante. Le rappel à l’ordre peut s’avérer délicat mais nécessaire afin de prendre de la distance. Là où Maria MONTESSORI jugeait ce renversement nécessaire et bénéfique pour l’enfant et le maître, le cas de l’ULIS au collège s’avère plus compliqué en matière de relations.

Ainsi, à travers cette analyse thématique du journal de bord, nous pouvons établir des liens, des ressemblances avec la pédagogie Montessori : l’ambiance fait toute la différence, l’adaptation individuelle des apprentissages rejoint l’idée d’un matériel adapté aux besoins de chacun et permet ce « mouvement créateur » dont parlait Maria Montessori : apprendre en manipulant. Enfin, les élèves se sentent en confiance lorsque le contexte de travail ne présente pas d’obstacles ; la co-construction et l’affectif nous rappellent ce renversement du rapport entre l’adulte et l’enfant.

Cependant, l’enseignante spécialisée semble ne pas en être totalement consciente, malgré ses connaissances sur le travail de la pédagogue Maria MONTESSORI … A nos yeux, cette ressemblance provient tout simplement de la personnalité, des valeurs de l’enseignante, de l’importance qu’elle attribue à l’autonomie de ses élèves malgré leur déficience. La pédagogie différenciée en fait partie intégrante : l’adaptation individuelle favorise ces relations privilégiées que nous avons pu observer. L’enseignante croit au potentiel de chaque élève et laisse place à sa créativité pour les placer dans les meilleures conditions possibles de réussite : une ambiance chaleureuse, un environnement ordonné où chaque chose est à sa place, une pédagogie adaptée individuellement, qui permet une progression et un épanouissement personnels.

[49] MONTESSORI, Maria. 1992. L’enfant. Paris, Desclée de Brouwer, p.94
[50] STANDING, E.Mortimer. 1995. Maria MONTESSORI, Sa vie, son œuvre. Paris, Desclée de Brouwer, p.184
[51] MONTESSORI, Maria. 1992. L’enfant. Paris, Desclée de Brouwer, p.94
[52] MONTESSORI, Maria. 1992. L’enfant. Paris, Desclée de Brouwer, p.161

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