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3.4 Les exportations

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Alassane Ouattara tentait d’asphyxier financièrement Laurent Gbagbo qui s’accrochait au pouvoir(154). La rumeur d’une décision imminente circulait déjà dans les couloirs de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays de l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine) qui s’était achevée le 22 janvier 2011 à Bamako, au Mali. Conforté par le soutien politique apporté par ces derniers, qui ont réaffirmé qu’ils le reconnaissaient «comme le président légitimement élu de la Côte d’Ivoire», et par la démission forcée du gouverneur de la Banque centrale, accusé d’aider en sous-main Laurent Gbagbo, Alassane Ouattara, avait annoncé «l’arrêt immédiat de toute exportation de café et de cacao», jusqu’au 23 février.

En frappant les deux matières premières qui font vivre le pays, le président, isolé dans son hôtel et soumis au blocus des partisans de Laurent Gbagbo, espérait réussir à asphyxier l’ancien chef de l’État qui s’accrochait au pouvoir. Libre de ses mouvements, ce dernier contrôlait toujours la douane, la police, la gendarmerie et l’administration fiscale. Autant de sources de revenus qui, avec les redevances sur le port d’Abidjan et les régularisations d’impôts plus ou moins légales prélevées sur les grandes entreprises, lui permettaient de payer les salaires des fonctionnaires.

Les conseillers de l‘UEMOA avaient assurés que les salaires évalués entre 70 milliards et 100 milliards de francs CFA par mois étaient réglés rubis sur l’ongle en décembre 2010 et le devaient encore pour le mois de janvier. Le café, dont la Côte d’Ivoire est le douzième producteur mondial, le troisième en Afrique, et le cacao représentent à eux seuls 40% des exportations du pays et assurent pas moins de 20% de son PIB (produit intérieur brut).

Le gouvernement Ouattara avait annoncé que tous les opérateurs qui pourraient être tentés de passer outre «seront considérés comme finançant les activités de l’administration illégitime de M. Laurent Gbagbo et s’exposent à des sanctions internationales, sans préjudice des poursuites pénales des juridictions nationales».

Seulement, comme l’avait aussitôt fait remarquer un porte-parole de l’ancien président, de nombreux acheteurs avaient déjà passé leurs commandes et ils devaient être livrés. Les prix du cacao, qui avaient déjà bondi de 14 % depuis les élections ivoiriennes de décembre 2010, pourraient encore flamber de 10 %, selon Hackett, conseiller financier de l‘UEMOA, alimentant un peu plus la spéculation sur la hausse des prix des matières premières alimentaires qui pénalise lourdement l’Afrique.

Au port d‘Abidjan, juste a la fin de la crise postélectorale, le flux de marchandises s‘était quelque peu déprécié(155). Les plus pessimistes n‘hésitaient pas à qualifier la situation d‘inquiétante pour ne pas dire alarmante. Au niveau du cacao, les camions arrivaient au compte-goutte. Pour Fulbert Lachkar, un négociant, il ne faudrait surtout pas que les sociétés exportatrices de fèves s‘attendaient à des jours de grâce. En effet, à chaque fois que des étincelles éclataient dans le ciel politique, les acteurs changeaient les méthodes de travail. Conséquence, le trafic de cacao enregistrait un recul. En principe, dans la période d‘octobre-novembre-décembre, les exportations de fèves portaient sur 300 000 tonnes.

Mais ce niveau pouvait être compromis si la crise perdurait. «Il n‟y a pas de grande incidence pour le moment. Toutefois, on peut craindre si les perturbations perdurent », analyse Alexis Nezy, un administratif de la filière. En effet, les acheteurs avaient pris un peu de distance au bord champ et les camions arrivaient à la sauvette sur les lieux de la collecte. Ainsi, plus de 25 000 tonnes de cacao étaient stockées dans les plantations et attendaient d‘être acheminées vers les ports d‘Abidjan et de San Pedro. Presque une fatalité pour les exportateurs qui craignaient un accroissement de leurs difficultés.
En fait, les frais de magasinage et autres acconages alourdissaient les charges. Mais il y avait aussi le problème des délais qui impactaient la qualité. «La situation sociale est confuse. Il peut s‟avérer que le contrôle qualité introduit le 1er novembre 2010 par le comité de gestion devienne difficile à respecter», s‘inquiétait Francis Lemon, un chocolatier. Ce contrôle était défini comme la capacité de retracer, à travers toutes les étapes de la production, du conditionnement, de la transformation et de la distribution, le cheminement du cacao destiné à être incorporé dans une denrée alimentaire.

Concrètement, il s‘agissait de collecter l‘information et de la consigner sur un support exploitable «on line», et de la rendre accessible à tous les acteurs concernés. «La traçabilité doit être continue et couvrir l‟amont (d‟où vient le produit) et l‟aval (à qui il a été vendu) et ce, à toutes les étapes », avait expliqué M. Francis Lemon. Elle devrait, par conséquent, permettre aux opérateurs de retirer du marché les produits jugés non conformes à la législation européenne. Cette procédure de rappel suppose de connaître à tout moment l‘emplacement des différents lots et produits. De toute façon, certains opérateurs économiques étaient déjà préparés aux perturbations postélectorales.

154 lefigaro.fr.- La Cote d‘Ivoire bloque les exportations.-http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2011/01/24/04016-20110124ARTFIG00746-la-cote-d-ivoire-bloque-les-exportations.php
155 Nord-Sud – 02/12/10 : « A cause de la psychose née des élections présidentielles, les exportations commencent à battre de l‘aile et le poids des importations devient de plus en plus léger ».

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