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3.3. Les conflits armés internes, expression de la «faillite démocratique»

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« Seule une conjoncture de facteurs peut entrainer une population sans grand moyen à se soulever contre une puissance coloniale. Même si elle avait autant de raisons à se soulever avant…. » (100).

A l’issue des conférences nationales souveraines et l’ouverture de la voie au jeu démocratique, les populations sont dans l’attente de voir s’exécuter les recommandations et feuilles de route que leurs représentants ont fait adopter. Comme dans les années 60, les dirigeants africains se trouvent seuls face au destin de leur pays, et ne s’aperçoivent pas du danger qu’ils pourraient faire encourir à leurs peuples s’ils manquaient à leur devoir, celui d’être garant de la conduite du processus démocratique dans un climat de confiance et de paix sociales. La plupart de ces dirigeants n’ont pas tiré les leçons de lourd tribut payé à la nature par les populations du Congo Belge, du Nigéria, confrontés aux tristes sorts qu’elles ont subis successivement : famine, maladies, décès par milliers….. Les mémoires courtes des gouvernants et leur manque de capacité à assumer les hautes fonctions de l’Etat, vont contribuer au réveil des sentiments de révolte, de rancunes, d’animosité ou encore de frustration, lesquelles donnent naissance à une nouvelle forme de revendications violentes : les rébellions.

Selon le dictionnaire Larousse, la rébellion se définit comme une « infraction contre l’autorité publique et consistant en une attaque ou en une résistance avec violence ou voies de fait envers certains fonctionnaires ou officiers publics, agissant pour l’exécution des lois, des ordres ou ordonnances de l’autorité publique, des mandats de justice ou pour l’exécution d’une décision de justice. Elle peut être commise en réunion ou avec arme.».

Pour renchérir cette assertion, Jean Nicolas, historien des rébellions françaises, déclare que « la rébellion n’est pas contre le pouvoir, elle est une protestation contre un pouvoir qui franchit ses limites. Ensuite, elle peut changer de nature, d’affectivité et déboucher vers une remise en cause radicale de pouvoir, c’est à dire la révolution». De ces deux réflexions, peut- on dire que les rébellions qui jalonnent l’histoire de l’Afrique sont elles violentes car, l’arme étant l’élément essentiel de l’action.

A l’instar des rébellions des patriotes(101) du Canada, décrites par David Milot, les rébellions armées en Afrique sont exacerbées par des raisons politique, économique et sociale. Pour Milot, le gouvernement est à même de défendre le malheur et le bonheur d’un pays et « …l’extension du principe électif est le seul refuge dans lequel cette chambre puisse entrevoir un avenir de protection égale… ».

« Dans Prélude aux rebellions en Afrique du Nord : Les mutineries de soldats maghrébins, décembre 1944 – mai 1945 », Thierry Godechet qui présente les carnets de Jacques Godechet(102), met en lumière une mutinerie qui éclate vers la fin de la seconde guerre mondiale et qui intéresse plusieurs corps de troupe nord –africains installés en métropole.

En parcourant ce récit, les sujets nord africains dénoncent premièrement le manque de reconnaissance de la part des autorités métropolitaines qui, en les mettant dans des Centres de Regroupement des Indigènes Nord-Africains (CRINA) (103), non seulement les privent de leur liberté mais ne leur octroient pas les mêmes privilèges comme leurs collègues européens ou américains. Cette logique de réclamer son droit par la force, ancrée dans la culture africaine, a fait son chemin chez des leaders de communautés qui n’hésitent pas à brandir bâton, armes blanches de différentes natures pour exprimer leur colère et leur ras le bol une fois que l’occasion se présente. Et, dans le contexte où les guerres sont modernes, favorisées par des moyens sophistiqués, l’occasion s’avère propice à des luttes fratricides, dans le but de faire « instaurer » la démocratie à en croire le discours des chefs rebelles. Le dialogue fait place aux crépitements d’armes, la machine démocratique en Afrique est grippée par des rébellions armées qui se manifestent tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des territoires.

3.3.1. Les rebellions armées internes

Les rébellions armées en Afrique subsaharienne, qu’elles soient internes ou externes trouvent leur fondement au lendemain de l’indépendance. Les guerres de sécession du Biafra, du Katanga, les affrontements interethniques du Rwanda, du Tchad ou du Soudan pour ne citer que ceux là, témoignent d’un parcours de guerres historiques et fratricides que le continent ait vécues durant le XXème siècle. Ce phénomène qui a baissé d’intensité dans les années 70, vont ressurgir avec l’avènement de la démocratie. A ce stade, il n’est plus question de pointer du doigt la guerre froide qui s’éteint, mais de mettre en exergue les conséquences d’une telle période qui a jalonné l’histoire du peuple africain.

Néanmoins, c’est en cette période que des centaines de rébellions vont naître de part et d’autre avec pour but, la « revendication sociale ». Cette option plonge l’opinion publique dans une incompréhension et, révèle de profonds malaises qui sévissent sur ce continent. Le foisonnement de ces groupes armés qui se disent défenseurs de la paix et de l’égalité sociale, participe à la tribalisation des pays, suivant les idéaux des chefs rebelles, lesquels ont obligation de drainer avec eux un maximum de combattants et se faire de la popularité par des ruses et, s’assurer la survie de leurs actions.

Théâtres d’affrontements armés impliquant plusieurs acteurs(104), les pays africains sont aujourd’hui victimes de faillite ou de l’échec du processus démocratique. De nombreux groupes armés sont fragmentés en divers mouvements et changent de relations et de stratégies d’action au fur et à mesure.

Cette « forme de criminalité organisée » (105), prenant naissance sur les cendres de la guerre froide, constituent des groupes de guérillas avec objectif, la prise de pouvoir par la lutte armée afin d’y instituer l’Etat de droit et une réelle démocratie.

Aujourd’hui en Afrique, faut-il le rappeler, plus d’une dizaine de pays vit dans un conflit armé ou traverse des moments d’une sécurité précaire, liés soit à des conflits dans les pays voisins, soit à un contexte favorable au déclenchement d’un conflit armé. Cette forme de syndrome de déficience sécuritaire qui sévit en Afrique centrale et dans la région de Grand Lac, en Afrique de l’Est et en Afrique de l’Ouest, mobilise une catégorie de la couche sociale qui en espère trouver une issue à ses problèmes sociaux.

3.3.1.1. Les acteurs des rebellions internes

En observant les catégories des combattants engagés dans les rébellions africaines, on se rend compte d’un groupe complexe, pas facile à stratifier avec des caractéristiques plausibles. Pour comprendre avec objectivité le comportement des rebelles et l’évolution de leur mouvement, il est judicieux de s’intéresser à leur environnement psycho social et environnemental. Une lecture des témoignages et vécus de la vie des rébellions africaines, expriment les éléments qui déterminent leur dynamique. Les conflits armés internes, qualifiés par certains spécialistes de guerre civile, sont menés par des rébellions armées, formées sur le même territoire. Ces rébellions sont composées des ressortissants du pays même, des filles et garçons souvent en déperdition scolaire, vivant majoritairement dans les zones rurales, en proie à la pauvreté et à l’accès difficile aux structures socio-économiques de base. Il s’agit des catégories de population active, sans emploi, qui se lancent dans une course pour leur survie.

La lutte armée qui se dirige contre les autorités politiques et militaires, accusées d’être responsables de tous les maux de leur pays, est considérée comme source d’espoir pour les combattants qui voient en cela une opportunité d’améliorer leurs conditions de vie.

Des investigations menées et rapports parcourus, les rébellions se constituent par différents acteurs. Les combattants sont d’abord des ex militaires, ensuite les désœuvrés, puis les apprentis locaux et enfin les alliés politiques que sont les élites intermédiaires. Au départ, l’effectif des rebelles varie de quelques dizaines puis évolue à quelques centaines pour atteindre 1000 à 3000 hommes etc.…, avec une structuration aux niveaux politique et militaire ; elles deviennent des politico miliaires.

3.3.1.2. Les combattants

Les désœuvrés, considérés comme détractés sociaux, forment le lot de l’effectif ; ce qui écarte l’esprit de la manipulation car ici, les raisons sociales occupent la première place pour que quelqu’un s’adhère à un groupe armé. En s’engageant, les désœuvrés s’attendent à un gain pour améliorer leur condition de vie. Les informations se passent de bouche à oreille, ceux qui tiennent de petits commerces les abandonnent pour rejoindre le point de ralliement, évoquant des problèmes d’ordre économique ; les jeunes des localités voisines ou éloignées, mutent pour se rapprocher de là où se déroulent les opérations clandestines de recrutement. Notons par ailleurs que les premiers adhérents sont des autochtones qui restent les pivots des groupes car souvent, ils ont un lien familial avec le leader rebelle.

Les ex militaires, qu’ils s’agissent des retraités valides, des radiés de l’armée pour cas d’indiscipline n’ayant pas été reconvertis, constituent un réservoir de main d’œuvre militaire à laquelle les leaders des rébellions y font recours pour la constitution de leur mouvement. Ces anciens militaires, nantis d’expérience et d’expertise, forment le cercle d’encadrement pour les combattants. Dès les premières heures de la formation du mouvement, ils participent à toutes les chaines qui vont du recrutement à la formation aux premiers assauts, dont ils assurent le commandement tactique à différents niveaux.

Les apprentis locaux, constitués de plus en plus des jeunes éleveurs et agriculteurs, résident dans les localités où prennent forme les rébellions. Ces jeunes dont la moyenne d’âge est de 23 ans, abandonnent troupeaux et plantations pour se faire enrôler car ayant été promis à une activité moderne et une vie meilleure. Pour ceux qui ne veulent pas s’engager, ils sont harcelés par leurs pairs ; leurs parents sont soumis à des menaces jusqu’à ce qu’ils cèdent sinon, ils fuient le village. La plupart des cas, ils consentent par obligation pour préserver leur vie et celle de leurs parents non pas seulement, des attaques des forces gouvernementales mais des représailles de leurs pairs. « Moi au début je ne pensais pas à la rébellion. Mais les militaires sont venus et ont brûlé les tentes et tués les animaux. Ils ont égorgé les chèvres et les ont brûlées aussi. Ils ont même tué un vieux qui ne savait rien. J’ai pu me cacher et je suis parti à pied. J’ai trouvé des gens avec un chameau qui m’ont amené vers Tamgak. Là il y avait des fronts et j’ai commencé avec eux. Au début je n’avais pas d’armes, ils ne voulaient pas m’en donner. »(106)

3.3.1.3. Les élites intermédiaires

Les élites intermédiaires sont composées des agents des services public et privé, cadres de l’administration centrale ou régionale qui apportent leur soutien à la rébellion de manière multiforme. Ils sont la tête pensante et la plume de la rébellion ; ils profitent au maximum de leurs relations pour galvaniser l’opinion publique nationale et internationale au profit de la rébellion qu’ils soutiennent et ce, contre le pouvoir en place.

Officiellement agents au service de l’Etat mais en réalité, ils déstabilisent le pouvoir en faisant campagne de désinformation au profit des rébellions, fournissent et divulguent les informations classées confidentielles ; c’est le canal de la mobilisation de ressources et de logistiques pour la rébellion. Ils coopèrent avec l’administration de l’armée gouvernementale et communique les plans des opérations en cours ou en vue à la rébellion. Avec toutes ces contributions, la capacité d’une rébellion à déstabiliser le gouvernement de son propre pays s’affirme. Les rebelles disposent de moyens à tenir en échec l’armée régulière, vu l’environnement sociologique dans lequel elle s’est constituée.

3.3.2. Les Pistes pour entrer dans la rébellion

Faire partie d’une rébellion passe par des voies sinueuses. Certains sujets ne sont pas d’emblée informés de ce qu’ils doivent faire ni de ce qui les attend. Tout repose sur la question de travail, car le travail libère l’homme de la pauvreté, de la mendicité et lui confère un statut social. Donc beaucoup qui s’engagent, avancent vers une trappe et se voient obligés de s’exécuter. « On m’a dit : « Voilà, tu as laissé ta sœur, tu as laissé tes parents, tu es venu pourquoi ? ». J’ai dit : « Pour travailler. En fait, moi, je suis parti pour travailler, pour acheter un chameau, pour faire un tam tam, je ne suis pas parti pour faire la rébellion. »

« Et c’est eux qui m’ont dit : Voilà, au Niger on a des problèmes. On a l’uranium, on a des biens chez nous….. j’ai fait un an entier, on m’explique ce que c’est la rébellion. C’était comme à l’école, on m’explique ce que ça veut dire. Après, j’étais dans le problème des armes.» 107 Une fois la cause de l’emploi gagnée auprès des premiers combattants, les rébellions organisent le recrutement par idéologie, ainsi, le passage du nécessiteux économique au statut du combattant se fait progressivement. Les responsables des rébellions se relayent dans les zones de combat pour faire passer le message politique et les directives aux combattants. Pour la plupart, l’idée rebelle ne les pénètre qu’après une cure d’esprit.

3.3.3. L’organisation des rébellions

Une fois la rébellion constituée, l’autre défi est son organisation. L’organe administratif, baptisé par moment organe politique se détache de l’organe militaire qui est lui-même réparti en ordre opérationnel. Les responsables militaires et politiques sont nommés et résident sur différents sites à l’intérieur ou à l’extérieur du territoire de conflit. Chacun dans sa sphère de compétence met en œuvre les actions qu’il se doit pour réussir la mission. Avec le développement des moyens de communication, par canal des téléphones satellitaires, ils coordonnent et suivent le déroulement des opérations, échangent avec l’extérieur et mènent le combat médiatique et psychologique.

3.3.4. Les moyens logistiques

Les moyens militaires que les rebelles utilisent vont des armes de fabrication artisanale aux armes automatiques, modernes, individuelles ou collectives. D’abord pour financer leurs actions, les rébellions comptent sur des appuis extérieurs(108). Certains Etats voisins soutiennent des rébellions internes en leur accordant des moyens financiers conséquents mais aussi, en faisant participer leurs armées dans ces conflits, non comme pays satellite de l’époque de la guerre froide, mais comme instigateurs ou financeurs des rebellions internes. Tout d’abord, les armes viennent de l’extérieur, en transitant par les pays voisins, vu la porosité des frontières mais aussi avec la complexité des éléments des forces de sécurité qui se trouvent aux frontières ; soit elles sont de connivence avec la rébellion, soit elles sont sujettes à la corruption et favorisent l’entrée des armes au profit de la rébellion. Le but recherché par des pays voisins, est de mettre main sur les ressources naturelles du pays en conflit ou d’écarter le régime en place pour des raisons politiques ou pour des conflits d’intérêt.

De leur côté, les acteurs privés qui visent un intérêt à exploiter les ressources naturelles, contribuent au financement de ces rébellions en fournissant armes et moyens financiers voire des encadrements et des informations(109). A l’interne, ces rébellions, une fois la main mise sur une riche partie du territoire, entretiennent des trafics illicites de matières précieuses et de la drogue, importantes sources de devises. Une fois un terrain conquis, elles instaurent des impôts de passage sur les personnes et des biens ; ces impôts sont payés en nature par les agriculteurs et les éleveurs ou en espèce par tout autre citoyen résident dans leur « zone de juridiction ». Les attaques des véhicules pour faire des frais, en dépossédant les occupants de tous leurs biens sont des moyens mis en œuvre, sans compter les enlèvements.

En tout état de cause, pour les acteurs extérieurs, plus les affrontements perdurent, plus le pays s’enlise dans le désordre, et perd son autorité sur le territoire, le plaçant sous le contrôle des forces extérieures par groupes armés locaux interposés.

100- David MILOT- Les causes des rébellions des patriotes de 1837-1838- EDU-7492, Oct.2001
101- Deux rébellions éclatent dans le Haut et le Bas Canada en 1837-1839. Elles traduisent l’expression du nationalisme canadien-français.
102- Jacques Godechet, Historien français, 1907-1989, mobilisé comme Lieutenant de réserve à l’Etat major de la subdivision de Versailles (1944-1945)
103- A la fin de la guerre de 39-45, les CRINA sont créés dans huit régions militaires : Bédarieux, Sète, Rennes, Vernon, Marseille, Mayenne, Belfort, Caen, destinés à regrouper des soldats maghrébins de différentes origines, anciens prisonniers de guerre employés par les Allemands comme travailleurs en France et libérés par l’avance alliée, militaires maghrébins encadrés dans des bataillons de travailleurs après la dissolution de l’armée d’armistice, en novembre 1942, membres des Force Française de l’Intérieur (F.F.I) ou des Francs Tireurs et Partisans (F.T.P.) d’origine nord africaine, déserteurs, isolés. Cf. www.memoire-africaine.com
104- Dominique BANGOURA, Etat et sécurité en Afrique In : Politique africaine, n°61, mars 1996, pp ; 39 à 53
105- Paul Collier, economic causes of civil conflict and their implications for Policy, Banque Mondiale, juin 2000.
106- Frédéric DEYCARD, les rébellions touarègues du Niger : Combattants, mobilisation et culture politique, thèse pour le doctorat en Science politique, Université de Bordeaux, Institut d’Etudes Politiques, janvier 2011.
107- Ahamada, jeune rebelle touareg. Cf. Frédéric DEYCARD, les rébellions touarègues du Niger : Combattants, mobilisation et culture politique, thèse pour le doctorat en Science politique, Université de Bordeaux, Institut d’Etudes politiques, janvier 2011.
108– Mussu P. FARAJA MWILHARE Z., l’ONU et le démantèlement des groupes armés dans la sous région de grands lacs, mémoire de licence en relations internationales, Université officielle de Bukavu (RD Congo), 2009
109- Anne Christine RENAUD, diamants et conflits armés, mémoire de DEA en droit international public et privé, université de Nice Antipolis, 2002, p.41-49

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