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3. Représentations et rapports aux déchets des guides composteurs

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Pour justifier leur passage à l’action, les guides composteurs font appel à leurs
représentations qui donnent à voir une certaine conception de la société, un jugement sur le monde.

3.A. Une vision globale et politisée de la question du compostage ?

3.A.a. Convictions écologiques

Parmi les guides composteurs nombreux sont ceux qui affichent des convictions écologiques
et ont conscience de l’importance du cycle des matières ainsi que du caractère limité de l’énergie.
Émeline : « J’ai fait des études en énergie et environnement, donc tout ce qui est traitement des déchets je l’ai
abordé. Dont le compostage et toutes les filières de traitement des déchets. Ça fait un moment que je saisis ce
que c’est que trier… Enfin tout ce qui est… Le cycle des matériaux quoi. Ça ne s’arrête pas à quand je le mets dans
la poubelle [rire]. Donc ouais, je sais pas, c’est une affinité, une sensibilité environnementale que j’ai depuis un
moment puisque j’ai choisi ce type d’étude là. »

Vincent : « Ouais, c’est une sensibilité environnementale en fait, que ce soit sur les déchets ou sur autre chose.
C’est une démarche globale. Les déchets en font partie mais c’est pas spécifique aux déchets on va dire. »
(Entretien avec Vincent et Émeline, guides composteurs, le 6 mars 2012.)

Cette sensibilité écologique ne se limite pas à la question des déchets et s’ancre dans une vision
globale qu’il s’agit de transcrire à travers chaque geste du quotidien. Le passage du discours aux
pratiques éco-citoyennes n’est jamais immédiat, ni systématique mais est crucial dans la
construction identitaire de l’individu car il permet d’éviter une dissonance compromettante. Dans
cette perspective, Émeline et Vincent ont progressivement adopté un mode de vie et de
consommation qui intègre l’impératif écologique : déplacements en vélo, maîtrise de la
consommation d’énergie, couches lavables pour leur jeune fille, consommation bio et locale (rejet
de la grande distribution). L’adoption de ces pratiques permet donc de concrétiser et conforter ses
convictions environnementales.

Émeline : « On sait que, quand on branche un appareil, derrière la prise il y a… Enfin voilà qu’il y a un réseau,
des centrales de production et des déchets. Donc en fait dans toutes nos actions on est conscients que derrière on
génère des déchets. C’est pareil on essaye de limiter les veilles, de consommer pas trop d’électricité. On fait
attention un peu à tout ça. On essaye de choisir des circuits courts quand on fait les courses. Voilà, après c’est
dans tous les domaines de la vie, c’est vraiment au quotidien. » (Entretien avec Vincent et Émeline, guides
composteurs, le 6 mars 2012.)

Cette sensibilité environnementale s’accompagne d’une condamnation d’un positivisme qui
érige les avancées technologiques en solution miracle et d’une prise de distance vis-à-vis d’une
conception du développement durable fondée sur un productivisme acharné.
Vincent : « Ouais parce qu’après, bon, il y a l’écolo et l’écolo, et puis le bio et le bio. On essaye de faire la
différence entre tout ça parce qu’il y a du business là-derrière. » (Entretien avec Vincent et Émeline, guides
composteurs, le 6 mars 2012.)

3.A.b. Convictions sociales

Christian partage ces convictions écologiques mais va plus loin en rapprochant la question
environnementale de la question sociale.

Christian : « Finalement, ça fait comme le chômage : on préfère que les entreprises licencient, que les gens soient
au chômage plutôt que de dire aux entreprises ”nous, par l’intermédiaire des caisses des chômages, on peut vous
indemniser un petit peu sur un certain nombre de gens que vous allez licencier à condition que vous les gardiez
et puis qu’ils restent dans la vie active.”. Ces gens-là auront un autre ressentiment dans leur tête, ils seront
consommateurs, etc. » (Entretien avec Christian, guide composteur, le 8 mars 2012.)

Assurément, il existe une analogie entre les rebuts matériels et les exclus sociaux : les SDF, les
chômeurs de longue durée, etc., sont parfois considérés comme des « déchets sociaux » dans le sens
où leur intégration au fonctionnement de la société n’est pas considéré comme étant nécessaire ou
souhaitable(20).

Notre rapport social à la matière influencerait, dans une certaine mesure, notre opinion sur la
société. Loin d’idéaliser la situation sociale du XIXe siècle, notons que les indigents trouvaient
auparavant une place, une utilité dans le corps social (comme le prouve l’exemple des chiffonniers)
jusqu’à la systématisation du salariat et la naissance du chômage(21). A l’époque, rappelons le, la
notion de déchet n’est pas caractérisée par l’abandon mais plutôt par son état de résidu valorisable
du processus de production. L’ère du « prêt-à-jeter » vaut aujourd’hui autant pour les objets que pour
les travailleurs avec le développement des contrats précaires(22). Ainsi, Christian fustige le sort
réservé aux personnes mises en marge de la société : plutôt que de les rejeter et de vouloir les faire
disparaître, pourquoi ne pas porter un autre regard sur eux et les considérer comme des ressources à
utiliser, à intégrer dans le corps social ? Il s’indigne face à une société qui détruit plus qu’elle ne
construit et la thématique des déchets constitue le paroxysme de cette logique destructrice.

3.B. Le maintien de l’ordre social ?

« Comme l’explique Mary Douglas (1967), les notions de pollution s’insèrent dans la vie
sociale car elles ont une utilité « fonctionnelle » : les croyances contre le sale renforcent les
contraintes sociales en définissant un ordre qui les corrobore. L’ordre social est maintenu par la
menace d’un péril. »(23). Cette conception de la souillure est très présente chez Gérard pour lequel la
notion de déchet semble évoquer des images de désastre, d’envahissement, de désordre et
provoquent une mobilisation émotionnelle de sa part. Pour lui, il faut s’assurer que les conventions
sociales sur la propreté soient respectées par chacun, sans quoi nous courrons à la catastrophe.

Gérard : « Quand je me déplace dans les rues je me dis ”c’est pas possible !”. C’est de pire en pire. C’est sale
partout. Il y en a partout : sorties d’autoroutes, sorties de bretelles. Quand on arrive, quand on sort de la quatre
voies en voiture mais c’est… Il y a des déchets partout ! »

Gérard : « Ça m’était arrivé un coup à Paris. Je sortais du boulot un soir. Je m’arrête à un feu rouge, j’étais
derrière une bagnole. Devant moi le mec il baisse sa fenêtre et il jette un papier par terre par sa fenêtre. Je sais
pas ce qu’il ma pris, j’ai klaxonné, fait des appels de phare et tout. Puis je l’ai suivi comme ça. Et il y avait ma
femme à côté de moi qui me disait ”arrête, laisse-le tranquille !”. Je lui ai dit ”non il n’y a pas de raison, fait chier
merde !”. Il s’arrête à un feu rouge, je m’arrête à côté et je lui dit ”ça va pas non !?…”. Tu sais ce qu’il fait le mec ?

Il sort sa carte de flic. J’étais prêt à descendre hein ! Ma femme me dit ”non, non, laisse le tranquille”. Je lui dis
”c’est pas parce qu’il a une carte de flic qu’il a le droit de tout jeter. C’est à lui de donner l’exemple.”. Et ben non…
Tu vois ? C’est dégueulasse quoi. » (Entretien avec Gérard, guide composteur, le 6 mars 2012.)

Son engagement émotionnel implique une incompréhension, une impossibilité de
rationaliser les actes inciviques. Son investissement dans la gestion des déchets est destiné à
combattre le désordre, le chaos, la menace que ces derniers font peser sur la société si aucune
convention sociale ne régit les comportements à leur égard. La problématique des déchets reflète
des valeurs qui lui tiennent à coeur : l’ordre, le civisme, le respect.

Gérard : « Si tout le monde respecte un peu le truc ça se passe bien. C’est ça le problème. » (Entretien avec
Gérard, guide composteur, le 6 mars 2012.)

3.C. Des représentations qui prédisposent à l’action

Ces différentes représentations véhiculées par l’objet déchet expliquent en partie
l’implication des guides composteurs mais ne sont pas exhaustives. Néanmoins, elles sont
essentielles car elles préfigurent le potentiel d’action de chaque individu. C’est par un processus
d’interaction entre la prise d’information sur la gestion des déchets ménagers et la mise en pratique
que ces représentations peuvent se modifier, se concrétiser et s’inscrire dans le temps. Ainsi, nous
pouvons dégager un schéma d’investissement progressif dans le compostage collectif à partir de nos
entretiens :

– Dans un premier temps, les représentations de l’individu, acquises par le biais de la
socialisation, le prédisposent plus ou moins à accorder de l’importance à la thématique des
déchets ménagers ;
– Ensuite, l’accès à des informations sur le sujet entraine une prise de conscience, voire une
indignation, qui pousse à passer à l’action pour éviter une dissonance compromettante entre
discours et pratique ;
– Puis, ce passage à l’action implique un besoin de valorisation du comportement adopté
selon des critères objectifs (reconnus et défendus par les institutionnels : la réduction des
déchets, le civisme, la protection de l’environnement, etc.) et subjectifs (reconnus et
défendus par Trivial Compost : l’échange, la convivialité, le lien social, le ludique,
l’investissement au service du collectif) afin que celui-ci puisse se maintenir dans le temps.

Bien que la justification du passage à l’action s’appuie souvent sur des critères objectifs qui
provoquent l’indignation, ce sont les critères subjectifs qui donnent un sens plus palpable à l’action
et permettent sa répétition dans le temps sans que ce geste soit vécu sur le mode de la contrainte.

Chez les guides composteurs, la pratique du compostage est naturalisée, vécue sur le mode de
l’évidence, ce qui les pousse à minimiser l’effort consenti pour gérer leur site de compostage.

Christian : « Là je viens un peu plus souvent parce que le composteur est bientôt plein, donc j’essaye de
prolonger le plus possible le moment où on va le transférer en maturation. Mais quand je viens un peu plus
souvent ça représente trois fois par semaine au lieu de deux. Et puis ça représente quoi, ça représente… Entre le
moment où je pars de chez moi et que je ferme la porte, et puis le moment où je reviens et j’ouvre la porte, je
dirais une demi heure. C’est pas énorme… C’est insignifiant quoi… C’est insignifiant ! » (Entretien avec Christian,
guide composteur, le 8 mars 2012.)

Gérard : « C’est pas le temps que ça prend… » (Entretien avec Gérard, guide composteur, le 6 mars 2012.)
Émeline : « Enfin, là de toute façon on a bien vu que c’était pas un gros investissement quoi. Il suffit juste d’aller
retourner une fois par semaine. Et encore ouais, on gratte un coup quand on va mettre notre seau quoi. »
(Entretien avec Vincent et Émeline, guides composteurs, le 6 mars 2012.)

20 « Le parallélisme entre le monde du déchet et celui de ceux ”qui se sont fait jeter’ offre des perspectives
troublantes : chômeurs, retraités, délinquants, détenus, vieillards, jusqu’à ceux qui, ”tombés dans la dèche” et après
des déchéances successives, font figure d’épaves humaines et sont autant de rebuts d’un système social ordonnancé
sous le primat du calcul économique. […] Déchu de tout office, le rebut est en rupture de filiation : son appartenance
se dissout dans la déliaison et l’errance. Le marginal, le ”désaffilié” (Castel R., 1996) a rompu ses attaches avec sa
communauté d’origine, comme les détritus dont l’inconsistance et le déclassement s’originent dans leur indétectable
provenance. » LHUILIER Dominique, COCHIN Yann, op. cit., p. 144.
21 TOPALOV Christian, Naissance du chômeur, 1880-1910, Paris : Albin Michel, 1994, 626 p.
22 CASTEL Robert, Les métamorphoses de la question sociale, Paris : Fayard, 2002.
23 PIERRE Magali [dir.], Les déchets ménagers, entre privé et public. Approches sociologiques., Paris : L’Harmattan,
2002, p. 94.

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