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3. Les limites de la redevance incitative

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Cependant, le mode de financement du SPED par la redevance incitative reste largement
minoritaire en France (puisqu’à peine 1 % de la population y est assujettie(28)) bien qu’un nombre
croissant de collectivités s’y intéresse. Ceci s’explique par les nombreux freins que peuvent
rencontrer les communes ou les Établissements Publics de Coopération Intercommunale (EPCI)
dans l’adoption de ce système et qui relèvent tant de l’organisation interne des services compétents
que des doutes concernant les réactions de la population.

3.A. La nécessité du volontarisme des élus et de la réorganisation du SPED

3.A.a. Une vision sur le long terme nécessitant un portage politique conséquent

L’adoption de la redevance incitative nécessite une vision sur le long terme de la part des
élus locaux. En effet, le transfert de tonnages des ordures ménagères résiduelles vers la collecte
sélective permet de contenir (et non réduire) les coûts de collecte et de traitement en déplaçant les
charges croissantes liées au recours à l’incinération et à la mise en décharge (solutions obsolètes
confrontées à des mises au normes prohibitives et ne bénéficiant pas d’aides financières) vers la
valorisation matière (solution, couteuse certes, mais promise à un bel avenir avec l’explosion du
coût des matières premières et les aides financières allouées), comme en témoigne le graphique 3
(page suivante) qui modélise ce phénomène. Or cette nécessité d’appréhension sur le long terme
entre en contradiction avec la logique électoraliste(29) puisque les économies réalisées grâce à
l’adoption de la redevance incitative ne pourront pas être directement mobilisées dans le bilan
politique de l’élu : « La REOM est parfois apparue à certains élus comme difficile à faire
comprendre. En effet, elle implique un effort supplémentaire de la part des usagers, sans qu’ils
paient systématiquement moins cher au total. Le message selon lequel « la REOM permet non pas
de diminuer les coûts, mais de contenir leur prochaine augmentation » peut s’avérer politiquement
difficile à assumer. »(30).

Graphique La gestion des déchets ménagers en milieu urbain  les atouts de la redevance incitative et du compostage collectif à Besançon 3

Graphique 3 : La redevance incitative : l’effet ciseau garant de la maîtrise des coûts du SPED.

Source : COURBET Sylvie, « Les effets observés sur les quantités de déchets et sur les coûts », in ADEME, Avec la
redevance incitative, les usagers paient en fonction de ce qu’ils jettent, Recueil des interventions de la Journée
technique nationale du mercredi 14 juin 2006, Angers : ADEME Éditions, 2006.

Ce constat, partagé par tous les analystes, a pour corollaire que la mise en place de la
redevance incitative nécessite un portage politique conséquent qui passe par une communication
soutenue et pédagogique auprès des ménages, déterminante dans l’acceptation sociale du nouveau
mode de financement : « Un projet mal présenté ou mal défendu est peu susceptible d’emporter
l’adhésion des usagers, alors même que ceux-ci sont placés au coeur du dispositif. La
communication (sous différentes formes non exclusives : réunions publiques, lettres d’information,
articles dans la presse locale, création d’un magazine spécifique, etc.) doit donc refléter
l’engagement politique des élus. »(31).

3.A.b. Réorganisation du SPED et lourdeur de gestion

Sur le plan pratique, l’instauration de la redevance incitative nécessite une réorganisation du
SPED, tant au niveau de l’administration qu’au niveau du service de collecte, qui peut constituer un
facteur de découragement pour les élus locaux.

Au niveau administratif, la redevance incitative génère des lourdeurs de gestion puisque le
recouvrement du coût du SPED est désormais dissocié de la taxe foncière et nécessite, par
conséquent, la réalisation d’opérations nouvelles : constitution et mise à jour régulière d’un fichier
des redevables ; édition, mise sous pli, affranchissement et envoi des factures aux redevables ;
gestion des réclamations et des impayés ; ajustement de la grille tarifaire (part fixe/part variable)
pour ne pas subir de déséquilibre budgétaire. Ces lourdeurs de gestion nécessitent une
réorganisation du travail au sein du service communal ou intercommunal en charge de la gestion des
déchets ménagers, ainsi que des investissements en moyens humains et matériels(32).

La redevance incitative implique également une « réorganisation du service de collecte »(33),
aussi bien au niveau du rythme que des circuits de collectes. Ceci est dû, d’une part, à l’évolution
des propriétés du gisement caractérisée par une quantité croissante de matières recyclables et une
quantité décroissante de matières résiduelles (effet ciseau) et, d’autre part, au fait que les usagers ne
sortent désormais leurs poubelles que lorsqu’elles sont remplies (gain de temps sur le circuit de
collecte). La redevance incitative suppose aussi de donner à l’usager les moyens de trier et de
réduire ses déchets : mode de collecte approprié (porte-à-porte, points d’apports volontaires),
politique de compostage en habitat individuel comme en habitat collectif, bonne couverture du
territoire par les déchèteries, informations intelligibles et faciles d’accès.

Bref, à la nécessité de portage politique en externe répond le besoin d’un volontarisme
politique en interne pour adapter le SPED au système de la redevance incitative.

3.B. Des doutes face aux réactions de la population

De surcroît, les élus sont nombreux à exprimer leur scepticisme quant aux réactions de la
population face à l’instauration de ce nouveau mode de financement du SPED. Une série de
critiques concernant l’approbation et l’investissement de la population est régulièrement formulée.

3.B.a. Une recrudescence des comportements inciviques ?

En instaurant une facturation liée à la quantité d’ordures produites par unité domestique, ne
risque-t-on pas d’encourager les comportements inciviques tels que les rejets en pleine nature
(décharges sauvages), des erreurs de tri volontaires pour réduire la quantité d’ordures ménagères
résiduelles facturée (augmentation du taux de refus) ou le détournement d’ordures vers des
territoires voisins non assujettis à la redevance incitative (transfert des charges vers la collectivité
voisine) ? « Brûlages dans les jardins, dépôts discrets chez le voisin, sur le lieu de travail, dans les
corbeilles de la commune limitrophe ou en pleine nature, les modalités imaginables du
détournement sont nombreuses. »(34). Cet argumentaire est central dans le discours des opposants à la
redevance incitative. Or, bien que les comportements inciviques soient difficiles à mesurer, aucune
des collectivités ayant adopté la redevance incitative n’a noté de réelle recrudescence d’actes
illicites. En ce qui concerne le taux de refus de la collecte sélective – seul indicateur dont nous
disposons pour mesurer les comportements inciviques – ceux-ci restent stables même si une
augmentation est parfois constatée la première année de mise en place de la redevance incitative
(phase d’adaptation).

3.B.b. Une application limitée en habitat collectif

Si l’application de la redevance incitative en milieu rural est relativement aisée (habitat
pavillonnaire), elle pose de nombreux problèmes en milieu urbain du fait de l’impossible
individualisation des charges en habitat collectif (conteneurs communs). Ce problème peut être
contourné, comme nous le verrons avec le cas de Besançon, par la désignation du gestionnaire de la
copropriété comme « usager du service public redevable de l’acquittement de la redevance »(35).
Cependant, cette forme de délégation atténue largement la portée incitative du nouveau dispositif
puisque la facture est divisée par le gestionnaire entre l’ensemble des copropriétaires. Ainsi, les
performances de tri de chaque copropriétaire ne sont pas forcément récompensées ou pénalisées par
une baisse ou une hausse de la facture, ce qui remet en cause la possibilité d’atteindre des effets
incitatifs en termes de tri dans l’habitat collectif.

3.B.c. Un principe d’équité qui pénalise les ménages les plus fragiles

En transférant les charges des contribuables vers les usagers, « la redevance modifie le
paradigme financier du service en le faisant passer d’un principe d’égalité de la contribution vers un
principe d’équité »(36). Assurément, la TEOM comportait une dimension d’action sociale : puisque
celle-ci était calculée en fonction de la valeur du logement occupé, une famille nombreuse résidant
dans un appartement exigu d’un logement HLM s’acquittait d’une taxe d’un montant moins onéreux
qu’une personne seule résidant dans une grande maison. A priori, la responsabilisation de l’usager
s’oppose au principe d’égalité. A titre illustratif, « le SMC du Haut Val-de-Sèvres et Sud Gâtine avait
réalisé des simulations à partir de cas réels »(37) avant d’instaurer la redevance incitative (tableau 1 ciaprès).

Tableau La gestion des déchets ménagers en milieu urbain  les atouts de la redevance incitative et du compostage collectif à Besançon 1'

Tableau 1 : Simulation du changement de tarification avec le passage de la TEOM à la REOM dans le Syndicat Mixte à
la Carte du Haut Val-de-Sèvres et Sud Gâtine

Source : DIRECTION DES ETUDES ECONOMIQUES ET DE L’EVALUATION ENVIRONNEMENTALE DU
MINISTERE DE L’ECOLOGIE ET DU DEVELOPPEMENT DURABLE, op. cit., p. 44.

Cet exemple prouve que la nouvelle grille tarifaire attachée à la redevance incitative risque de
pénaliser « les familles nombreuses socialement souvent plus défavorisées »(38) et d’alléger
principalement les charges des « couples ou personnes seules occupant des logements de grande
superficie »(39).

Cependant, comme le cas de Besançon nous le démontrera, diverses variables peuvent être
ajustées pour concilier le principe d’égalité à la responsabilisation de l’usager.

28 Ibid., p. 31.
29 Assurément, « cette diversité des cadres temporels de l’application du DD urbain ne coïncide guère avec les périodes
rapprochées qui gouvernent la gestion publique, qu’il s’agisse du temps politique – la durée d’un mandat, les
campagnes électorales – ou de la comptabilité publique, suivant un principe d’amortissements des
investissements. ». HAMMAN Philippe, BLANC Christine, Sociologie du développement durable urbain. Projets et
stratégies métropolitaines françaises, Bruxelles : Peter Lang, 2009, p. 145.
30 DIRECTION DES ETUDES ECONOMIQUES ET DE L’EVALUATION ENVIRONNEMENTALE DU
MINISTERE DE L’ECOLOGIE ET DU DEVELOPPEMENT DURABLE, Causes et effets du passage de la TEOM
à la REOM, Août 2005, p. 50.
31 BÉNARD François, op. cit., p. 39-40.
32 Ibid., p. 31-32.
33 DIRECTION DES ETUDES ECONOMIQUES ET DE L’EVALUATION ENVIRONNEMENTALE DU
MINISTERE DE L’ECOLOGIE ET DU DEVELOPPEMENT DURABLE, op. cit., p. 46.
34 Ibid., BÉNARD François, op. cit., p. 31-32.
35 Ibid., p. 42.
36 Ibid., p. 32.
37 DIRECTION DES ETUDES ECONOMIQUES ET DE L’EVALUATION ENVIRONNEMENTALE DU
MINISTERE DE L’ECOLOGIE ET DU DEVELOPPEMENT DURABLE, op. cit., p. 44.
38 Ibid., p. 45.
39 Ibid.

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