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3. Les entretiens : entre usage exploratoire et usage principal

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Notre démarche d’enquête consistant à saisir les pratiques et les représentations du déchet
par le bas, l’outil d’investigation qu’est l’entretien semi-directif s’est imposé comme une évidence.
Comme le rappellent Blanchet et Gotman, au niveau historique, la mise en place de la technique de
l’entretien en sciences sociales « constitue une étape charnière dans le mode d’interrogation, dans la
mesure où on passe progressivement de la recherche des réponses aux questions d’un savoir
scientifiquement constitué, à la recherche des questions élaborées par les acteurs sociaux euxmêmes.
»(13).

Ainsi, à travers l’entretien le chercheur s’efforce d’interroger les représentations, les
croyances, les opinions, les attitudes et les valeurs qui s’ancrent la plupart du temps dans des
« micro-phénomènes sociaux »(14) : « C’est un savoir que les individus d’une société donnée ou d’un
groupe social élaborent au sujet d’un segment de leur existence ou de toute leur existence. C’est une
interprétation qui s’organise en relation étroite au social et qui devient, pour ceux qui y adhèrent, la
vérité elle-même ; une vérité en acte. […] L’activité idéologique, qui sert toujours à justifier ce qui
est, et convertit ce qui est en devoir-être, consiste ainsi non seulement à ordonner le monde et à
conforter sa structure, mais à le rendre propre à vivre. […] L’enquête par entretien est ainsi
particulièrement pertinente lorsque l’on veut analyser le sens que les acteurs donnent à leurs
pratiques, aux évènements dont ils ont pu être les témoins actifs ; lorsque l’on veut mettre en
évidence les systèmes de valeurs et les repères normatifs à partir desquels ils s’orientent et se
déterminent. […] La valeur heuristique de l’entretien tient donc à ce qu’il saisit la représentation
articulée à son contexte expérienciel et l’inscrit dans un réseau de signification. »(15).

Concernant l’utilisation et la structuration des entretiens, nous avons adopté une démarche
hybride entre usage exploratoire et usage principal. Étant donné le cadre général de ce travail où
l’investigation empirique est limitée, notre travail d’enquête, en sus des observations, est constitué
de quatre entretiens semi-directifs. Il s’agissait de commencer à « débroussailler » le terrain en vue
d’un second mémoire de Master 2, tout en tentant de dégager quelques résultats des matériaux
recueillis.

3.A. Définition de la population enquêtée et taille du corpus

Dans cette perspective, nous nous sommes attelés à réaliser des entretiens approfondis avec
les guides composteurs qui avaient exposés un point de vue « construit » lors de la réunion du
réseau des guides composteurs. Le choix de la population enquêtée est toujours arbitraire, ce qui ne
constitue pas pour autant un biais puisque « les entretiens approfondis ne visent pas à produire des
données quantifiées et n’ont donc pas besoin d’être nombreux. Ils n’ont pas vocation d’être
”représentatifs”. […] La logique de l’enquête ethnographique vous conduit à faire des choix, à nouer
des alliances qui vous rapprocheront de certains et vous couperont d’autres. »(16).

En même temps, nous avons également cherché à varier les caractéristiques sociales de la
populations enquêtée selon plusieurs variables : l’âge (actifs/retraités), le type d’habitat (logement
social/résidence), la date de lancement du site de compostage (médiation de l’ancien
prestataire/médiation de Trivial Compost). De plus, une variable plus subjective est également à
prendre en compte dans le choix de la population enquêtée : l’affinité intellectuelle entretenue avec
certains guides composteurs. En effet, certains interviewés (Christian(17), Vincent et Émeline)
partageant les conceptions de Trivial Compost m’avaient été recommandés par Jean ou Florian et,
lors de la réunion du réseau des guides composteurs, soutenaient un discours confortant la
problématique de mon enquête. Enfin, le critère de disponibilité a eu une légère influence sur le
corpus sélectionné car nous nous sommes vu refuser un entretien par un guide composteur faute de
disponibilité.

Par crainte de nous enfermer dans un cadre analytique restreint à cause d’une population
enquêtée trop homogène, nous avons contacté des guides composteurs ayant démarré leur projet
avant que Trivial Compost ne soit le prestataire du SYBERT et qui n’ont donc jamais travaillé avec
cette association. « La constitution du corpus diversifié subit une double contrainte et résulte, en
règle générale, du compromis entre la nécessité de contraster au maximum les individus et les
situations et, simultanément, d’obtenir des unités d’analyse suffisantes pour être significatives.

Diversifier mais non disperser. Et dans cette diversification, maximiser les chances d’apparition
”d’au moins quelques cas capables de perturber notre système et de nous pousser à remettre en
question ce que nous croyons savoir” (Becker, 2002, p. 31) »(18).

Tableau La gestion des déchets ménagers en milieu urbain  les atouts de la redevance incitative et du compostage collectif à Besançon 1

Enfin, il nous semblait essentiel de mener un entretien avec un des fondateurs de Trivial
Compost afin de pouvoir mieux contextualiser et analyser les fondements des pratiques, des
représentations et des valeurs que véhicule l’association, et ainsi rendre plus intelligible les relations
qu’elle entretient avec le SYBERT et les guides composteurs. Nous avons donc décidé de nous
entretenir avec Jean, le fer de lance de l’association, qui s’est très bien prêté à cet exercice auquel il
est habitué. Capter le point de vue des guides composteurs est sans intérêt si nous n’essayons pas de
le mettre en rapport avec celui des acteurs de terrain responsables de la mise en place des projets de
compostage en habitat collectif. A ce titre, nous envisagions également de mener un entretien avec
Louise Rouget qui est en charge de la valorisation organique au SYBERT mais cela n’a pas été
nécessaire car son point de vue était plus officiel, moins personnel(19). Elle a plutôt pris un rôle
d’informateur à travers nos échanges de mails, la documentation de terrain qu’elle nous a fournie et
la rencontre qu’elle a bien voulu nous accorder.

3.B. Passation : structure des entretiens et position des enquêtés

Concernant la structure des entretiens, nous avons réalisé un guide thématique comprenant
une consigne initiale, puis nous avons transformé les différents aspects que nous voulions aborder
en questions. Cette formalisation du guide d’entretien était plus destinée à nous rassurer, à nous
donner une certaine contenance face à nos interviewés. Nous ne l’avons jamais suivi à la lettre,
l’important étant que tous les thèmes consignés soient abordés de façon ouverte.

Ainsi, les entretiens ont été plus ou moins structurés selon le profil des enquêtés : seul
l’entretien avec Gérard a pris une tournure relativement formelle car il attendait nos consignes et nos
questions même si un rapport de confiance propice à la confidence s’est très vite installé. Avec
Vincent, Emeline et Christian, la majorité des thématiques ont pu être balayées grâce à de simples
relances (écho, interprétation, questions pour que l’enquêté précise son point de vue) et parfois des
contradictions. Ceci peut s’expliquer par la proximité sociale et les affinités intellectuelles qui ont
caractérisé nos relations enquêteur-enquêtés(20). Pour finir, nous avons seulement noté les grandes
thématiques que nous voulions aborder pour l’entretien avec Jean car ce dernier connait déjà tous les
dessous de l’entretien en sociologie. Il n’y avait donc pas besoin de tant de formalisme pour susciter
et capter son discours sur ce thème, d’autant plus que nous maitrisions davantage le guide
d’entretien.

Au niveau de la position interlocutoire des interviewés, ceux-ci se sont posés en quasiexperts
du compostage et nous ont offerts un discours personnel pré-construit(21). Ces entretiens
approfondis constituent en quelques sortes des auto-analyses, ce qui facilite la tâche de l’enquêteur :
« Le cas idéal (et limite) est celui où l’enquêté, pour différentes raisons que vous aurez à analyser,
met à profit l’entretien avec vous pour se faire sociologue de lui-même et de son milieu. C’est ce
type d’entretien qui peut donner lieu à publication : l’entretien transcrit se transforme en récit. »(22).
C’est aussi ce type d’entretien qu’il est nécessaire de transcrire intégralement afin de pouvoir « les
interpréter, les analyser, réfléchir à la « dynamique » de l’entretien, etc. »(23).

Avant d’établir des pistes d’analyse sociologique concernant le système de compostage
collectif bisontin à partir des matériaux recueillis, nous tenterons de comprendre en quoi la
redevance incitative introduit une modification profonde dans le mode de financement du SPED et
nous détaillerons dans quel cadre particulier cette modification intervient à Besançon.

13 BLANCHET Alain, GOTMAN Anne, op. cit., p. 8.
14 Ibid., p. 27.
15 Ibid., p. 23-25.
16 BEAUD Stéphane, WEBER Florence, op. cit., p. 156.
17 Bien que les enquêtés nous aient donné leur accord pour que leur identité apparaisse dans ce travail, nous avons tout
de même décidé d’anonymer leurs noms de famille. Au vu du rapport de confiance qui s’est instauré avec ces
derniers, nous nous autorisons à les appeler par leurs prénoms.
18 BLANCHET Alain, GOTMAN Anne, op. cit., p. 50-51.
19 « Ainsi, lorsqu’on souhaite s’entretenir avec un responsable administratif, est-il souvent difficile de le convaincre
”que ce que l’on souhaite, c’est recueillir son point de vue, et non le point de vue officiel de l’administration en
charge du problème” que l’enquêteur a toutes les chances de déjà connaître (Muller, 1999, p. 70). ». Ibid., p. 49.
20 « Les configurations a priori les plus favorables à la production de discours sont celles qui se rapprochent le plus
des situations courantes de forte proximité (rapport de séduction conversation entre amis, demande d’aide à un
conseiller…). […] De manière générale, la proximité sociale, et non plus interpersonnelle, rend l’entretien plus aisé
dans la mesure où interviewer et interviewé se situent dans un univers de références partagé. ». Ibid., p. 71.
21 « Lorsque le thème est familier à l’interviewé, celui-ci tend à se poser comme expert et à diminuer sa dépendance
thématique à l’égard de l’interviewer : les représentations et raisonnements qu’il communique à l’interviewer font
appel à une pensée déjà élaborée et à une mémorisation active. Le discours pré-construit est alors peu sensible aux
mécanismes de l’interlocution. ». Ibid., p. 74.
22 BEAUD Stéphane, WEBER Florence, op. cit., p. 208.
23 Ibid.

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