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3. Le lien entre l’impératif de sécurité et la construction d’une ambiance

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L’ambiance actuelle au Parc des Princes

A présent, étudions de plus près les conséquences du plan « Tous PSG » sur l’ambiance, sur l’atmosphère dans les tribunes du Parc des princes. Sur ce point, tout le monde dresse plus ou moins le même constat. « Il y a moins d’ambiance, moins d’animations créées par les associations », reconnaît Stéphanie Bourhis. Antoine Lech, sociologue, explique : « le nouveau public n’a pas la culture tribune, c’est une ambiance spontanée mais il n’y a pas de culture spontanée du chant en France comme en Angleterre donc l’ambiance est moins pérenne ». Et nous avons pu confirmer ses dires durant notre observation, il y avait des chants repris par les deux kops environ toutes les deux minutes, mais ceux-ci ne duraient jamais plus de vingt secondes. Nous avons également remarqué que les encouragements se faisaient surtout par rapport au jeu (augmentation de la fréquence des chants après un but du PSG, et effet inverse après un but de l’équipe adverse). De plus une grande majorité des supporters restaient assis durant tout le match. Selon Loïc, « c’est un public de “footix” » [en général une personne fan de football mais qui n’a aucune culture footballistique même s’il en est généralement persuadé], d’invités. Au final les vrais amoureux du PSG ne sont plus là ».

Avant d’ajouter : « Oui, les virages sont plein sur les grands matchs, mais la moyenne de remplissage est de 28000 spectateurs sur 45 000 places, ça en fait le 13e stade au niveau du taux de remplissage, c’est une honte pour le club de la capitale. Avec en plus des campagnes d’invitations à gogo, une place achetée une place offerte, ça ne s’est jamais vu ! Donc quelque part le boycott fonctionne. » Le taux de remplissage depuis le début de la saison n’atteint que 60 % selon la Ligue professionnelle de football (LFP). Il était de 86 %, il y a deux ans. Membre de la direction du club, Stéphane livre également son avis sur cette nouvelle ambiance : « Il y a moins de chants, il manque des gens qui s’en occupent, c’est trop individuel, le rapport au spectacle a changé. Les gens viennent avec leurs enfants, leurs femmes, vont voir un spectacle, et les femmes quand elles vont voir un match de foot, elles y vont comme si elles allaient voir une pièce de théâtre ».

Dès lors comment le PSG peut-il retrouver une ambiance tout en maintenant son plan sécuritaire ? Avant de poser cette question, peut-être faudrait-il se demander si oui ou non le PSG souhaite retrouver une « véritable » ambiance dans le stade. Sur ce point, les réponses divergent. En effet Stéphanie Bourhis déclare : « L’ambiance n’est pas l’objectif principal du club actuellement, le principal c’est la sécurité ». Pourtant, Robin Leproux avance l’inverse dans une interview accordée à « PsgMag » : « La priorité, aujourd’hui, c’est que le public historique revienne. C’est celui qui fait la ferveur, et nous avons besoin de lui. Mais il faut que chacun mette de la bonne volonté »(51). On peut donc se demander si le président du PSG ne tient pas ce discours parce qu’il sait qu’il s’adresse aux anciens abonnés directement. Mais quoique qu’il arrive, le PSG ne pourra faire sans ses supporters historiques, ou du moins pas éternellement, car « l’ambiance est devenue fondamentale pour les joueurs et dirigeants, parce qu’elle aide l’équipe, parce qu’elle attire en elle-même une partie du public et aussi parce qu’elle prouve que ce spectacle est tellement passionnant qu’il mérite d’être vendu cher aux sponsors et télévisions »(52). Et c’est là toute la problématique du PSG à l’heure actuelle, car « ceux qui mettent le plus d’ambiance font aussi preuve parfois d’agressivité et d’esprit contestataire »(53).

Concernant les tentatives du club pour orchestrer l’ambiance dans le stade, Stéphanie Bourhis explique que le club a toujours organisé des animations avant le match et à la mitemps, et quelques fois des tifos à l’entrée des joueurs. Elle reconnaît toutefois : « l’animation dans les tribunes étaient faites par les associations ». Stéphane dresse quant à lui ce constat : « Le club ne fait rien de plus pour l’ambiance pendant le match, il ne s’occupe pas de l’ambiance, et je ne pense pas que ça marcherait, je ne vois pas le club s’occuper de faire chanter les gens ». Selon Loïc, on ne peut pas recréer une ambiance aussi rapidement, « une ambiance qui s’est construite d’année en année, qui a grossi, avec des virages massifs, deux kops bien identifiés. L’ambiance était même en train de se décaler dans les virages, c’était une façon de vivre le football. Le pire dans tout ça c’est qu’on met une croix dessus, et plein de gens ne se rendent pas compte que c’était un mode de vie pour certains ».

La conflictualité générée par le plan « Tous PSG »

On en vient donc aux tensions entre supporters et dirigeants du PSG qu’a généré le plan Leproux. « L’ambiance [s’étant] transformée en ressource pour les supporters qui peuvent décréter une “grève” des encouragements pour défendre leurs revendications »(54), c’est tout logiquement que les fans parisiens ont choisi boycotter le Parc des princes.

Empruntant des modes d’action au répertoire militant, ils ont également mis en place différentes démarches pour contester le plan Leproux. Plusieurs collectifs se sont créé et organisé : l’association « Socio PSG » a été fondée fin 2009 par deux anciens supporters du PSG, ils souhaitent voir les supporters intégrer le capital du club(55) (s’inspirant d’initiatives similaires menées en Angleterre notamment) ; le site Internet « PSG Mag Net » a monté un dossier très complet sur le conflit qui oppose le président Leproux aux supporters ; le site « Tous Abonnés », crée en 2010 par un jeune supporter du PSG (25 ans), relaye les appels au boycott et les différentes actions menées contre le plan Leproux ; enfin l’association « Liberté pour les abonnés(56) (LPA) », créée à la suite de l’annonce du plan, est sans doute celle qui a rencontré le plus de résonnance médiatique . Les deux fondateurs de cette dernière associations, Jérémy Laroche et Albin Queru explique en ces termes leurs principaux objectifs : « Nous sommes là pour permettre d’anticiper le retour des abonnements dans les meilleures conditions possibles. En attendant de trouver un accord avec la direction du club, nous appelons au boycott du Parc des Princes et des déplacements officiels, mais aussi de tout le merchandising autour du club »(57). Voilà le mot d’ordre général de cette association.

Mais que dénonce exactement LPA ? Tout d’abord ses membres souhaitent « parvenir à exister dans la sphère médiatique pour contrecarrer les raisonnements simplistes qui dominent actuellement, selon lesquels le plan permet de résoudre la violence et que quiconque s’y oppose est un irresponsable »(58). L’ex porte-parole des Supras Auteuil, Christophe Uldry, explique que « les mesures prises par le club et les dirigeants politiques vont trop loin. Aujourd’hui, exprimer son mécontentement pacifiquement entraine une IDS (interdiction de stade) administrative »(59). Ce supporter (une figure des tribunes parisiennes qui apparaît en ce sens particulièrement légitime dans les rangs des anciens abonnés au stade) fait là référence à la manifestation du 7 août 2010 autour du Parc des Princes, avant le match PSG-Saint-Etienne (le premier de la saison), à l’issue de laquelle 246 supporters ont été interpellés et interdits de stade pour six mois alors que la manifestation s’était déroulée sans le moindre débordement(60).

Simon, ex-président des Lutece Falco, pointe lui aussi les incohérences du plan Tous PSG : « Le plan Leproux a été créé sous prétexte de mettre fin à la guerre Auteuil – Boulogne.

Ces tensions existent, on ne peut pas le nier et elles sont regrettables. Mais ce plan, en matière de sécurité, c’est du pipeau. Comment voulez-vous justifier un plan qui écarte plus de 20 000 personnes, juste pour un problème qui en concerne 300 ? Ca ne tient pas debout ».

Les discussions avec les dirigeants n’ayant rien données, le fondateur de LPA confie dans une interview plus récente accordé à Psg Mag qu’ils ont changé leurs objectifs : « Nous n’avons clairement plus aucune confiance en Robin Leproux. Aujourd’hui nous demandons son départ, au même titre que Colony Capital, parce qu’il n’y a aucune évolution dans leurs discours, et qu’ils continuent leurs amalgames. Il n’y a aucun geste de la part du club »(61).

Le plan tel qu’il est vécu par les supporters

L’expérience des supporters vis-à-vis du plan Leproux est variable. Essayons de brosser à grands traits quelques attitudes typiques. Stéphane, 40 ans, ancien abonné Auteuil et réabonné depuis janvier 2011, nous livre son ressenti : « Moi je m’en fous parce qu’à la base je viens voir un match de football. Bon c’est plus marrant quand ils chantent et qu’il y a une bonne ambiance mais ce n’est pas l’ambiance qui me fait aller au stade, c’est le foot. Le plan Leproux n’a rien changé pour moi, je fais juste cinq minutes de queue en plus ». Un supporter avec qui nous avons pu discuter durant notre observation au Parc des princes pensait la même chose. « Personnellement moi je m’en fous, j’ai payé ma place 12 €, je suis content car ce n’est pas cher, ce que je veux c’est du beau jeu », explique-il. On pourrait qualifier ces deux supporters comme adoptant le style « classique » (que nous avons défini dans le chapitre précédent). Le plan ne change que peu de choses pour eux car ils vont au stade généralement par groupe de 3 à 4 personnes maximum, et ne portent que peu d’importance à l’ambiance. En attente de « beau jeu », l’essentiel pour ces supporters est d’assister à un match de qualité. On peut toutefois se demander si la loyauté qui caractérise ces partisans du club résistera à une période sportive plus difficile (une succession de mauvais matchs et un mauvais classement, par exemple). À l’inverse, Loïc voit le supporter comme quelqu’un qui va rester debout et chanter durant tout le match. Voilà pourquoi, comme beaucoup d’autres, il a décidé de boycotter le Parc des Princes : demeurant attaché au club, il a néanmoins choisi de faire défection. Il exprime volontiers les raisons de son mécontentement et de sa décision : « je vois le supportérisme d’une certaine façon, et si je ne le vis plus de cette façon-là ça ne m’intéresse pas ».

En résumé, les seuls supporters qui sont à l’heure actuelle revenus au Parc, sont ceux pour qui l’ambiance n’est pas nécessaire à un match de football, et veulent surtout voir du beau jeu. Cependant ces supporters ne cautionnent pas pour autant le plan « Tous PSG ».

Stéphane par exemple, ne s’est pas réabonné tout de suite, mais seulement depuis janvier, « un peu par solidarité » nous explique-il. Pour les anciens abonnés, on a pu le voir précédemment, ce plan est un plan marketing, qui de plus favorise la politique de Colony Capital et fait une croix sur l’ambiance dans le stade. Il n’est donc pas question pour eux de revenir au Parc dans l’état actuel des choses. Selon Loïc, « tant qu’il y aura Colony Capital, je ne pense pas qu’on reviendra à ce qu’on a connu, parce que je ne les vois pas faire le premier pas, et inversement ».

Comme le rappelle Patrick Mignon, « le football offre toute une gamme de possibilités identificatoires qui peuvent rendre compte du développement des groupes de supporters […] Le football et le supportérisme permettent d’acquérir un statut, une réputation : ils donnent les moyens de faire carrière »(62). Les supporters parisiens organisés, présents depuis plusieurs années au stade, se sont fortement identifiés au PSG et sont très attachés au Parc des Princes.

Le club est une passion mais aussi une « cause » à défendre. Bien plus qu’une forme de consommation d’un spectacle (dont ils sont certes passionnés), le supportérisme représente avant tout pour eux un engagement : supporter est synonyme de participer. Les transformations opérées par la direction du club depuis l’été 2010 sont donc vécues douloureusement : elles apparaissent comme une triple dépossession : dépossession d’un espace, la tribune, le stade, au sein duquel ils étaient des acteurs ; dépossession d’une autonomie (d’actes, de paroles) vis-à-vis de l’autorité du club désormais impossible à exercer ; dépossession, enfin, d’une identité individuelle et collective : manière de « faire carrière » pour reprendre l’expression employée par Patrick Mignon, le supportérisme est aussi un moyen de se construire une personnalité, une visibilité mais aussi de créer du lien et un sentiment d’appartenance collective.

51 Voir, pour plus de détails : http://www.psgmag.net/2653-Interview-Robin-Leproux-repond-a.html
52 N. Hourcade, L. Lestrelin, P. Mignon, op. cit., p. 37.
53 Ibidem, p. 39.
54 Ibidem, p. 37.
55 Voir, pour plus de détails : http://www.sociospsg.org/presentation-du-projet.html
56 Voir, pour plus de détails : http://www.liberte-abonnes.com/notre_projet.php
57 Sébastien M., Vivien Brunel, « PSG : reportage à l’AG de Liberté pour les abonnés », PSGMAG, 28 septembre 2010.
58 Ibidem.
59 Arno P-E, op. cit.
60 Voir, pour plus de détails : http://www.psgmag.net/940-PSG-des-scenes-de-guerre-civile.html
61 Vivien Brunel, « Interview du président de Liberté pour les abonnés », PSGMAG, 15 avril 2011.
62 P. Mignon, op. cit, p.233.

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