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2.5.3 L’instrumentalisation dangereuse du conseil constitutionnel

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Les Ivoiriens avaient massivement voté le 28 novembre 2010 malgré l‘atmosphère tendue des derniers jours de la campagne, malgré les incidents mortels à la veille du scrutin et en dépit de la décision présidentielle soudaine du couvre-feu nocturne. Ils l‘avaient généralement fait sans entraves et sans pressions. Généralement mais pas partout. Il y avait eu volonté d‘empêcher des électeurs de voter par des pressions et des violences physiques dans plusieurs localités du pays, que ce soit dans certains quartiers d‘Abidjan, dans l‘ouest ou dans le nord. Ces différentes manoeuvres antidémocratiques avaient-elles altéré les résultats consignés dans les procès-verbaux qui avaient permis à la CEI de publier les résultats provisoires, certes hors délai ? Si oui, quel est le nombre de bureaux de vote et le nombre de suffrages concernés dans chacun des départements évoqués dans les requêtes déposées par le candidat Gbagbo ?

Le Conseil constitutionnel ne s‘était pas embarrassé de ce genre de détails. Il avait tout simplement annulé les résultats du scrutin dans tous les bureaux de vote des départements de Bouaké, Korhogo, Ferkessédougou, Katiola, Boundiali, Dabakala et Séguéla. Soit 597 010 suffrages exprimés correspondant à 13 % des votants au second tour. Juste ce qu‘il fallait pour inverser le résultat global et déclarer Laurent Gbagbo président.

L‘instrumentalisation du Conseil constitutionnel, composé du président Paul Yao N‘Dré, de trois conseillers désignés par le président Gbagbo et de trois autres conseillers désignés par le président de l‘Assemblée nationale également issu du parti présidentiel et le retour de la rhétorique de dénonciation d‘un « coup d‟État de l‟étranger » visant à installer envers et contre tout Gbagbo à la présidence ne faisaient que divertir l‘opinion ivoirienne de la seule question qui vaille. La majorité des électeurs qui s‘étaient rendus aux urnes le 28 novembre 2010 avaient-ils choisi de reconduire Laurent Gbagbo ou de confier la direction du pays à Alassane Ouattara ? La réponse fournie par les 20 073 procès-verbaux de dépouillement collectés par la CEI et également vérifiés par la mission de l‘ONU dans le pays était claire.

Le seul moyen d‘annuler la victoire d‘Ouattara était d‘invalider massivement les suffrages exprimés dans les départements du nord et du centre. Au premier tour, Gbagbo n‘avait pas contesté le résultat dérisoire de 6,5 % des voix qu‘il avait obtenu dans la région des Savanes (Boundiali, Ferkessédougou et Korhogo en font partie), ni celui de 9,4 % réalisé dans la région de la Vallée du Bandama (comprenant notamment Bouaké, Dabakala, Katiola). Dans la région du Worodougou qui inclut Séguéla, Gbagbo n‘avait également obtenu que 6,94 %. Annuler tous les suffrages dans les départements où on il était écrasé par l‘adversaire était un moyen sûr de gagner. « On gagne ou on gagne. » Ils avaient prévenu.

Au moment de prendre leur décision, les membres du Conseil constitutionnel s‘étaient-ils souvenus de la soirée du 6 octobre 2000, déjà sous couvre-feu, lorsque le président de la Cour suprême d‘alors Tia Koné fit la longue lecture de l‘arrêt de la chambre constitutionnelle invalidant sept candidatures à l‘élection présidentielle émanant de deux des trois grands partis du pays, le RDR et le PDCI ? Cette décision avait permis au chef de la junte militaire Robert Gueï d‘affronter dans les urnes le 22 octobre 2000 un seul rival sérieux, Laurent Gbagbo.

L‘argumentaire juridique fallacieux servi par la Cour suprême avait beaucoup de mal à cacher la volonté du général Gueï d‘exclure tout simplement de la course les adversaires politiques qu‘il redoutait le plus. On sait dans quelles conditions s‘était déroulée l‘élection présidentielle d‘octobre 2000 qui avait permis à Laurent Gbagbo d‘accéder au pouvoir et ce qu‘il était advenu de la Côte d‘Ivoire pendant la décennie qui avait suivi. Paul Yao N‘Dré et ses pairs, supposés hommes de droit ou sages compétents et d‘excellente moralité, avaient choisi dix ans plus tard de suivre les pas de Tia Koné en se servant d‘une institution dont le rôle est sacré dans une démocratie pour satisfaire un camp politique au mépris du droit et de l‘intérêt général.

L‘enchaînement des causes et des conséquences est une certitude. On peut affirmer aujourd‘hui sans le moindre doute que l‘élection présidentielle censée sortir le pays de la crise et organisée à coups de plusieurs dizaines de milliards de francs CFA n‘avait fait que relancer la tragédie ivoirienne.

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