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2.1.3-Enonciation éditoriale dans le web doc : quel rôle est amené à jouer l’internaute ?

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Lorsque l’internaute s’est approprié véritablement le web-documentaire, une relation à trois s’instaure ou s’est déjà instauré. C’est alors que l’internaute s’inscrit dans une situation énonciatrice complexe. Cette complexité nait de cet effacement de la figure du journaliste et de celle de l’historien dans de nombreux web-documentaires historiques. L’internaute est plongé au cœur d’une triple relation composée de l’entité énonciatrice (le ou les auteurs du web-documentaire qui se manifeste(nt) de différentes manières), le contenu (photographies, cartes, témoignages, textes, rapports, bandes audio etc) et l’internaute unique. Nous précisons le terme ”unique” car il est rare, contrairement à la télévision) que plusieurs individus visionnent le même webdoc sur le même écran. Le web-documentaire implique une lecture très individualisée. Dès lors, quelle relation s’établit entre ces trois entités ? Comment l’histoire se raconte et se donne à raconter?

Tout d’abord, nous tenons à souligner que deux figures essentielles du documentaire historique tendent à disparaître avec le web-documentaire historique. D’une part la figure du journaliste s’est métamorphosée en une sorte de dispositif intelligent qui parle à travers des symboles, des injonctions, des liens. La figure du guide apparaît au détriment de celle du journaliste. D’autre part, celle de l’historien tend à disparaître. Quelques webdocs tels que celui sur François Duprat ou 17.10.61 mettent encore en scène la figure de l’historien. Toutefois ils se font rares. La figure du témoin a pris largement le dessus sur cette figure qui incarne l’autorité du spécialiste. La situation d’énonciation (si on prend pour repère le documentaire télévisé) en est profondément modifiée. C’est notamment le rôle du récepteur qui est est modifié. Il est désormais celui qui choisi la situation d’énonciation. Dominique Maingueneau, pour éclaircir la distinction pensée par Benveniste(90), différencie « embrayage » et « désembrayage ». « On appelle embrayage l’ensemble des opérations par lesquelles un énoncé s’ancre dans sa situation d’énonciation, et embrayeurs les éléments qui dans l’énoncé marquent cet embrayage »(91). Parmi ces embrayeurs figurent notamment les déictiques temporels et spatiaux. Dans le webdocs historique, ces déictiques sont autant de possibilités accordées à l’internaute de choisir une situation d’énonciation particulière. C’est en cela qu’il existe une mutation profonde de la situation d’énonciation. Les éléments de celle-ci, avec le webdoc, participent de l’élaboration d’autres situations d’énonciation.

L’autre modification réside dans les différentes formes de discours qui cohabitent dans le webdocumentaire historique. Les témoignages, les rapports (archive), les vidéos d’archive (actualité de l’époque), les injonctions, les témoignages de spécialistes etc constituent autant de types de discours qui engagent une situation d’énonciation différente. Au cours d’un documentaire historique, ces types de discours s’inscrivent dans une logique conduite par un énonciateur matérialisée souvent par une voix off. Le principe de délinéarisation propre au web-documentaire mène à un éparpillement de ces formes de discours. Ainsi la position de l’internaute est modifiée en permanence. Afin d’illustrer cette idée par un exemple, nous utiliserons la distinction, énoncée par Oswald Ducrot, entre allocutaire et auditeur. Le premier désigne celui à qui est destiné un énoncé alors que le second désigne simplement la ou les personnes ayant pu entendre le discours. Néanmoins, dans ce dernier cas, le locuteur peut ou ne peut pas savoir que l’auditeur peut entendre.

Le web-documentaire complexifie encore cette distinction . Certaines archives (tels que les rapports) sont des documents dont les auteurs n’ont pas eu l’intention qu’il y ait d’auditeurs alors que les témoignages vidéo sont des contenus qui impliquent la présence d’auditeurs. Le cas du webdoc Adieu Camarades est à ce titre très intéressant. Les cartes postales (qui n’impliquent pas d’auditeurs) sont pensées dans une situation énonciative nouvelle puisque ce sont les témoins qui les lisent et les commentent. L’imbrication des discours est extrêmement riche et contraint l’internaute à repenser continuellement sa position dans le schéma énonciatif.

Enfin, l’internaute est soumis à une autre nécessité d’adaptation. Le web-documentaire est un dispositif médiatique qui vise à plonger l’internaute dans un monde, un univers particulier. De ce point de vue là, il aspire aux mêmes effets qu’un jeu vidéo. Cette volonté d’immerger l’internaute au sein d’une ou plusieurs histoires est toutefois entravée par certains éléments qui rompent la relation entre l’internaute et la diégèse.

Il suffit d’une adresse au spectateur (première relation) pour que la position de celui-ci soit modifiée. De spectateur, il passe énonciateur en relation avec une instance d’énonciation qui s’adresse directement à lui. Dès lors il y a rupture de la diégèse. Tant qu’il n’y a pas d’adresse au spectateur, ce dernier reste immergé au sein du monde de la diégèse. Il s’agit d’un fragile équilibre que le webdocumentaire historique ne peut réellement dominer. D’autant plus que l’action même de l’internaute risque de le faire sortir de la diégèse. Il faut alors intégrer cette action au monde du webdocumentaire même. C’est sur le modèle des jeux vidéos qu’il est nécessaire de s’aligner. Le webdoc Voyage au bout du charbon a appliqué cette démarche qu’aucune production historique n’a encore suivi.

Le webdoc historique est donc riche d’une grande diversité de situations d’énonciation. Dès lors, nous pouvons interroger les stratégies de lecture des internautes.

Schéma de la rupture diégétique

Schéma de la rupture diégétique

90 Distinction entre systèmes d’énonciation distincts mais complémentaires : celui du discours et celui de l’histoire.
91 MEUNIER, Jean-Pierre et PERAYA, Daniel, Introduction aux théories de la communication, Boeck Supérieur, 2004

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