A l’âge de la société de consommation, c’est un autre pouvoir qui s’exprime, et par d’autres moyens. Visages retouchés, slogans et logos nous parlent, nous crient d’acheter, de nous conformer. Ces images sont celles des « marques » : des marques déposées, identifiables par un nom, un logo, une identité visuelle, qui les distinguent les unes des autres, même si leurs produits sont identiques.
Le sociologue Adam Arvidsson, dans un entretien publié dans Les Grands Cahiers des Sciences Humaines, attribue aux marques la fonction de « reliques modernes », révélant par leur usage même la part de croyance nécessaire au bon fonctionnement du capitalisme (25). Il propose l’analyse suivante des marques dans leur contexte de réception : « Il n’existe plus réellement de différence entre un Mars et un fruit : vous pouvez tout aussi bien trouver une glace à la fraise qu’une glace au Mars. Un Mars appartient désormais à la nature qui nous environne. » Pour Arvidsson encore, les marques « n’ont pas beaucoup de contenu » ; elles ne transmettent pas une idéologie construite, un modèle de comportement, mais s’immiscent dans le tissu du réel, forment une constellation de signes, qui sont aussi repères.
Ces images du capitalisme s’affichent en ville, sur le mobilier urbain, les bâtiments – même « historiques », comme à Venise – et circulent sur des bus ou des camions de livraison. Krzysztof Wodiczko soulève la problématique posée par cette montée en puissance de la parole publicitaire : Dans la pratique, l’espace […] public, censé être vide et n’appartenir à personne, si bien que tout le monde pourrait l’utiliser […] pour interpeller les autorités par exemple, c’est-à-dire pour former la sphère publique, en faire partie – cet espace n’existe plus. Comme Habermas l’a fait remarquer, il a été envahi progressivement par la publicité et par ceux qui accaparent la parole, qui l’ont complètement saturé par la puissance de leurs discours destinés à servir les intérêts de groupes et de formations sociales bien précis contre ceux d’autres groupes. C’est pourquoi la sphère publique est en danger, ainsi que le vide, la disponibilité de l’espace qui est un aspect important de cette sphère, de son développement .(26)
25 Adam Arvidsson, entretien publié dans Les Grands Cahiers des Sciences Humaines, n° 22, mars-avril-mai 2011, p. 56-58
26 Krzysztof Wodiczko, Art public, art critique, p. 314-315
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