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2.1 La publication en langue bretonne

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L’affichage administratif

La municipalité de Brest a communiqué en langue bretonne. C’est ce qu’atteste un document daté de 1793, intitulé Proclamacion eus a goumunen Brest, de goncitoyanet(76) (Proclamation de la commune de Brest à ses concitoyens) qui est une affiche traitant de l’application de la loi du Maximum(77). Ce document est une traduction en langue bretonne d’un texte initialement rédigé en français, dont je n’ai trouvé aucun exemplaire. Il existait donc vraisemblablement un public bretonnant à Brest après la Révolution, la municipalité ayant fait le choix de ce langage.

Toutefois, celle-ci a-t-elle fait le choix de la langue bretonne par nécessité linguistique ou existe-t-il une dimension symbolique à communiquer les valeurs révolutionnaires en breton ? Nous allons voir, avec l’analyse de ce document, à qui était adressée cette proclamation, qu’ils soient récepteurs directs ou implicites, puis analyser la traduction d’un point de vue sémantique et réfléchir sur le choix de la langue utilisée.

Ce document émane de la commune de Brest par le biais de son Conseil Général. La loi du Maximum était détournée, il fut donc nécessaire de faire un rappel à la loi. Il est demandé aux commerçants et aux négociants d’afficher clairement les prix des marchandises, prix fixés par le pouvoir exécutif de l’Assemblée Nationale (traduction des extraits en français par mes soins en note de bas de page) :

« Bez int ar reglennou divaryant eus an obligacionou essenciel eus ar preneuryen(78) guerzeurien. Na ancounac’hao quet ar re-mâ penaus an discleracion eus o marc’hadourezou a dle beza nevezet pep mis ; penaus an stad etat eus ar marc’hadourezou-se a dle beza placardet ouz an doryou diaveas eus o magagennou ; penaus ar municipalite fidel d’e deveryou a gontribuo gant prountidigez da boursu ha da bunissa an dud coupabl.(79) »

Non seulement la Municipalité rappelle les termes de la loi et indique que ceux qui ne la suivront pas s’exposent à des représailles et des sanctions et elle donne, dans un second temps, des consignes claires concernant l’affichage des prix :

« Citoyaned, negocianted, marc’hadouryen ha laboureryen a bep micher, bezit en o leac’hyou ar muya gaelet eus o magagennou, hac eus o stalyou, an taxou eus o
marc’hadourezou ; na vui ho guenaou da brononç pris ebet nemet ar re a lavaront.(80) »

L’application de ces règles, selon l’auteur de ces lignes, ferait disparaître la « misère publique » et ferait de ces commerçants et négociants des « honnêtes citoyens » :

« Neuze e velimp disparissa an dienez forget, frouez eus an disparaich eus ar priçziou neuze an eünder a galoun a digaçzo adarre an abondanç hac ar ficzyanç publiq ; neuze o pezo en em disquezet ding da veza francisyon ha rebublicanet ; neuze o pezo militet da jouissa eus an effejou mad eus ar revolucion, pehini a raï da virviquen ar gloar eus hor c’hantved, pe eus hon amser, hac an eür-vad eus al lignez da zont.(81) »

Toutefois, les commerçants et négociants ne sont pas les seuls visés par la proclamation. En effet, ce message est tout d’abord adressé à toute personne embrassant les idées révolutionnaires. Les premières lignes du document nous l’indiquent en ces termes : « En em lavaret a reomp oll patriotet, en em enori a reomp oll eus an hano a republicanet, hac e souffromp an drouc-c’hoant hac an avariç da gleusa hep trouz ar fondamenchou eus ar republic […](82) » Ces « amis de la République » sont alors incités à la délation. Il leur est demandé de poursuivre les contrevenants et de les dénoncer à l’administration publique.

« Citoyanet, c’hui evit piou al liberte, an ingalite hac ar vam-bro ne d’int quet hanoyou vean, deoc’h eo da biou en em adressomp : poursuit, roït ar chasse en o lec’hyou cuzet d’an dud controll d’al lesenn saluter eus ar maximum ; sklaeraït var o interest guiryon ar citoyanet pe re dallet dre ar jouissançou pe an izomou eus ar moumend, en em breparont evel d’o c’honcitoyanet privacionou hep fin da difin en eur baea dreist an tax, dinoncit d’an autoriteou constituet an dud alfanet-se pe re, en dispris d’al lesenn, a savont o fortuniou diwar goust ar miser publiq.(83) »

Ainsi, cette proclamation n’est pas uniquement un rappel à la loi pour les commerçants et négociants. C’est aussi un outil pour garder vivant l’espritrépublicain suite à la révolution de 1789, en s’adressant à tous les habitants et en leur rappelant ce qu’est – selon le point de vue de l’auteur – un bon citoyen dans cette période révolutionnaire.

Voyons maintenant la traduction. Ce qui frappe à la première lecture de ce document, c’est l’emploi de nombreux termes français « bretonnisés ». En effet, beaucoup de noms, notamment techniques, ressemblent beaucoup à leurs équivalents français. Nous trouvons, par exemple, an avariç, executet, fraud, abyl, autoriteou constituet, miser publiq, etc. Intéressons-nous donc au traducteur.

Le 14 janvier 1790, l’Assemblé Nationale décrète que « le pouvoir exécutif sera chargé de faire traduire les décrets […] dans les différents idiomes et de les faire parvenir ainsi traduits aux différentes provinces du Royaume.(84) » Suite à cette demande, le Directoire(85) du Finistère adresse une circulaire le 2 mai 1791 aux différents districts du département, les priant de bien vouloir leur indiquer quelques personnes « assez instruites pour s’en occuper.(86) » Le district de Brest répondit le 10 mai 1791 en proposant M. Salaün, commis des bureaux de la Marine. Celui-ci est vraisemblablement léonard, comme l’indique les métathèses utilisées dans diaveas et great, ainsi que la prononciation du -on en -oun dans c’haloun. Il fit aussi quelques traductions pour le compte du district lui-même. Ainsi, le 5 floréal an III(87), il fut payé 12 livres pour diverses traductions, 10 livres le 9 brumaire pour avoir traduit Pour faire renaître l’abondance des denrées sur les marchés ainsi que 20 livres pour la traduction de L’adresse de la Convention au Peuple Français du 18 vendémiaire an III(88). Cet employé des bureaux de la Marine possédait donc la double compétence linguistique français-breton et les termes utilisés ressemblent beaucoup à du français, comme nous avons pu le voir. Daniel Bernard, auteur de La Révolution Française et la langue bretonne, a inventorié les documents de cette période traduits en langue bretonne et a élaboré une théorie sur l’emploi de ces termes « bretonnisés » :

« La plupart des documents sont imprimés sur deux colonnes et la langue en est uniformément détestable et incorrecte : le traducteur s’est tout simplement contenté de mettre une tournure ou une terminaison bretonne au mot français, sans se donner la peine de chercher s’il pouvait exister un équivalent en breton. Il ne faisait d’ailleurs que suivre la manière d’écrire en breton de son époque. Au point de vue de la langue, il est le digne continuateur des Père Maunoir, des Marigo, des Le Bris, etc. et de tous les écrivains bretons du XVIIIe siècle. Le dialecte employé est généralement le léonard mitigé, tel qu’on le parlait dans les villes.(89) »

Donc, selon Daniel Bernard, le langage utilisé est plus ou moins créé à partir du français car le traducteur ne cherchait pas à savoir s’il existait un équivalent en breton. Toutefois, cette proclamation tend à prouver le contraire. En effet, Salaün, notre traducteur, a fait quelques ratures sur le document. Celles-ci sont les clés de la compréhension globale de ce texte. La phrase suivante, retranscrite avec les ratures, en est un parfait exemple :

« na ancounac’hao quet ar re-mâ penaus an disclération eus o marc’hadourezou a dle beza nevezet pep miz ; penaus an stad etat eus ar marc’hadourezou-se a dle beza placardet ouz an doryou diaveas eus o magagennou.(90) »

Salaün, après avoir écrit stad, décide d’employer le terme etat, qui – vraisemblablement – est un nom plus français que breton. Par chance, ceci a pu être mis en évidence car le mot barré est encore lisible. Il faut toutefois se pencher sur le terme lui-même. En breton, le mot stad a plusieurs significations. Il peut définir l’état physique ou intellectuel de quelqu’un ou de quelque chose(91). On l’utilise aussi pour parler de la condition (sociale), la position ou la qualité de quelqu’un ou de quelque chose(92). Par conséquent, dans l’esprit du traducteur, les termes stad et etat n’ont pas le même sens : parlant de l’État français en tant qu’institution, le traducteur a donc volontairement utilisé le terme etat car il était plus clair pour lui. Dans cet exemple, ce n’est donc pas une ignorance des équivalents bretons des termes français mais une volonté de « franciser » les termes bretons afin que le message devienne plus clair.

Nous verrons toutefois que si le message paraît plus net pour le traducteur, il n’en est rien pour le lecteur. Aussi, la phrase suivante nous donne un renseignement sur la façon de traduire le texte :

« […] dinoncit d’an autoriteou constituet an dud alfanet-se pe re, en dispris d’al lesenn, a savont o fortuniou diwar goust ar miser publiq.(93) »

Ici, le traducteur à commis une erreur avec l’accord du verbe sevel. En breton, lorsque le sujet est placé devant le verbe, ce dernier ne s’accorde ni en nombre ni en genre. Ainsi, le sujet étant an dud alfanet-se, il aurait dû écrire a sav et non a savont.

Cette erreur tend à démontrer une influence du français dans sa traduction, voire même une connaissance peu confiante du breton. Pour bien comprendre ce document, il faut s’intéresser aux écrits publics et officiels parus en langue bretonne pendant cette période post-révolutionnaire.

Sous l’ancien régime, le peuple breton du Tiers-Etat utilisait la langue bretonne de manière exclusive et ne connaissait pas le français tandis que les élites nationales, elles, parlaient le français mais ne comprenaient pas le breton. Il fallait malgré-tout que les deux groupes se comprennent. Nous trouvons donc entre ces deux couches, dans cette société bretonne d’avant la Révolution, une couche intermédiaire composée de la haute bourgeoisie, de la noblesse – notamment la noblesse paysanne – et du clergé, possédant une double compétence linguistique français-breton. Ceux-ci faisaient le lien entre les élites et la paysannerie. Lors de la révolution de 1789, une grande partie des nobles ont fuit la Bretagne ou ont été décapités. Toutefois, certains d’entre eux se sont rangés du côté des Républicains, tel François Nicolas Pascal de Keranveyer, élu vice-président du Directoire du Finistère le 6 août 1790 après le nouveau découpage du territoire en départements. Aussi, avec la révolution, une partie du peuple peut maintenant avoir son mot à dire sur la politique. Toutefois, ce mot qu’il exprime l’est bien souvent en breton, puisque nos aînés n’ont pas vécu une rupture linguistique violente et radicale en cette fin de XVIIIe siècle.

Ainsi, suite à la demande de l’Assemblée Nationale, et vraisemblablement suite à un besoin de véhiculer les décisions de cette dernière en langue bretonne, plusieurs citoyens de tout niveaux sociaux (employés, avocats, nobles(94)…) vont s’atteler à cet ouvrage. Mais la qualité linguistique des textes peut laisser le lecteur contemporain perplexe. Ce que Daniel Bernard qualifie de langue « uniformément détestable et incorrecte », Yves Le Berre l’explique ainsi :

« Quelques-uns [des auteurs] sont certes bien plus doués que d’autres, mais dans l’ensemble leur breton me paraît trahir, plutôt qu’une quelconque incompétence, leurs efforts appliqués pour adapter cette langue à sa nouvelle fonction. Si elle nous semble bien étrange, bien maladroite, c’est qu’il s’agit d’une langue expérimentale, celle du discours politique, pour laquelle aucune culture de quelque ancienneté n’était directement réutilisable en breton.(95) »

Le discours politique et administratif en langue bretonne n’existait pas. Les élites ont dû créer un nouveau registre linguistique, car elles ne pouvaient pas communiquer en breton comme un parent avec son enfant. Ce registre était nécessaire pour montrer l’existence de deux sphères sociales distinctes. Malgré tout, des traces de « purisme » apparaissent, c’est-à-dire des formes bretonnes dans la traduction, dans le corpus étudié par Yves le Berre. Ce dernier en tire une conclusion :

« Nous les interprétons [les traces de purisme] comme les effets d’une tendance naissance à réduire la distance culturelle qui séparait le français = langue haute du breton = langue basse et, dans un même mouvement, à accuser entre eux la distance linguistique, pour instaurer un niveau local de débat politique et briser du même coup le monopole des idées générales. Ainsi serait maintenu un espace régional de réflexion et de communication dans une certaine mesure autonome, similaire à celui qui existait depuis longtemps dans le domaine religieux.(96) »

Toutefois, on peut se poser la question de la valeur symbolique de ces traductions. Yves Le Berre souligne que « quand ils abandonnent le style administratifs, ils transmettent sans peine la rhétorique et l’émotion sacrées du discours révolutionnaire(97) ». En outre, les événements de 1789 n’ont pas soudainement appris à lire à la population. Les proclamation devaient être lues à haute voix mais, étant donné le vocabulaire politique et administratif qu’elles contenaient, le message transmit était certainement très mal compris. Certes, il existait une nécessité linguistique, ce qui prouve que la ville de Brest possédait une population bretonnante mais quelles sont les personnes capables de lire et comprendre ce langage ? L’utilisation des termes français, même « bretonnisés », entraîne une forte difficulté, voire même une incapacité de compréhension pour les bretonnants ne possédant pas la double compétence linguistique. S’il faut donc connaître le français pour comprendre de tels documents, quelle est l’utilité, si ce n’est la valeur symbolique, de telles traductions(98) ?

Le matériel électoral peut aussi nous renseigner sur des faits linguistiques. Il est possible que certains documents soient rédigés en breton pour être compris par le plus grand nombre de personnes. Souhaitant trouver d’éventuelles professions de fois en langue bretonne aux archives municipales et communautaires de Brest, j’ai découvert une affiche de 1869(99). Elle est adressée par le préfet à l’ensemble des hommes du Finistère. Rédigée en breton, elle appelle clairement à voter pour le député sortant. Toutefois, la langue utilisée n’est en rien comparable avec la traduction de la proclamation abordée précédemment, ce document étant édité bien plus tard et le contexte étant différent. Le breton utilisé est largement compréhensible par une population exclusivement bretonnante. Les formes et la grammaire de la langue bretonne sont respectées, comme dans la phrase « Biscoas enn hon touez na oe bet gwelloc’h an traoù eget na d’int bremañ(100) », littéralement « Jamais parmi nous il n’avait été mieux les choses qu’elle ne le sont maintenant », ou encore dans « ma e fell deoc’h lesel gant ho bugale an eurusted e pehini en em gavet hirio(101) » que l’on traduit littéralement par « s’il veut à vous laisser avec vos enfant le bonheur dans celui qu’ils se trouvent aujourd’hui ». Nous ne trouvons pas non plus de termes français « bretonnisés ». Ceci s’explique par le fait que le message doit frapper électeurs en plein cœur. Il est question ici de la famille et des enfants du cultivateur, du pêcheur, de l’ouvrier, redevables au Gouvernement de l’Empereur pour les progrès techniques et l’amélioration des conditions de vie : nous sommes ici dans le domaine sentimental, le registre de langue est celui de l’émotion, de l’intuition, de la perception et sert à éveiller la conscience politique – tout au moins une conscience politique suffisante pour voter pour qui le préfet le souhaite.

La ville de Brest, dans le matériel électoral fourni par la préfecture a reçu, elle aussi, un lot d’affiches. Ainsi, il existait vraisemblablement à Brest en 1869 une population capable de lire cette communication. Si, comme l’atteste Yves Le Gallo, Recouvrance était un quartier quasi exclusivement bretonnant, cette affiche aurait été largement diffusée rive droite. Il est toutefois impossible de le savoir, faute d’équivalent des « mairies annexes » contemporaines qui aurait pu permettre de connaître la diffusion précise à Recouvrance.

Nous ne pouvons donc affirmer que Recouvrance possédait le monopole de la pratique de la langue bretonne, puisque ces deux documents concernent l’agglomération brestoise dans son ensemble. Il est aussi, pour l’instant, impossible de déterminer la proportion de la population capable de lire ce genre de communication.

La presse

Il existait à Brest au XIXe siècle deux organes de presse principaux. Le premier, L’Océan, Journal des intérêts maritimes et constitutionnels, devenant par la suite L’Océan, Journal du droit National, a été créé en 1846 (premier numéro le 1er juin 1846), et édité par la maison d’édition Lefournier. A tendance catholique et royaliste, il était en concurrence avec L’Armoricain, journal laïque et républicain, second organe de presse brestois. Nous ne trouvons aucune trace de la langue bretonne dans ce dernier, ce qui s’explique par son attachement profond aux valeurs républicaines, notamment dans la notion d’indivisibilité de la société française véhiculée par le jacobinisme, dans sa définition de doctrine opposée aux politiques communautaires et popularisée par l’abbé Henri Grégoire, Bertrand Barère ou encore Jérôme Pétion de Villeneuve. La tendance politique de L’Océan n’excluait pas la langue bretonne : on y trouve tout d’abord des références ou des traces fragmentaires du breton puis des écrits en langue bretonne. Dès le troisième numéro, il y est publié une publicité pour le Dictionnaire Français et Celto-Breton de Troude(102), « en vente à la librairie de Mme veuve J.-B. Lefournier, rue Royale, 86, à Brest.(103) ». Une nouvelle publicité pour la même oeuvre apparaît quelques mois plus tard, le mercredi 21 octobre 1846, sur presque une demi-page cette fois, avec une description du dictionnaire :

« Le but de ce dictionnaire est d’offrir, en un seul volume et à un prix peu élevé(104), un ouvrage qui puisse devenir, pour toutes les personnes s’occupant de la langue celto-bretonne, un livre très utile.

L’auteur a adopté, comme M. LE GONIDEC, le dialecte de Léon, et s’est attaché à conserver dans toute sa pureté son ortographe [sic] philosophique. M. LE GONIDEC, n’ayant pu avant sa mort achever une seconde édition de sa grammaire, pria M. TROUDE, son élève, ainsi que toutes les personnes qui s’occupent de cette langue, de lui communiquer leurs remarques.

Aujourd’hui, que l’espoir de voir paraître cet ouvrage n’existe plus, M. TROUDE a cru devoir insérer dans son Dictionnaire : 1° un Supplément à la Grammaire de M. LE GONIDEC ; 2° un Tableau des Celticismes que n’a pas rapportés cet auteur ; 3° une Notice sur la prononciation ; 4° une Liste des noms de pays et de villes, avec leur signification ; 5° un Tableau de quelques mots communs au Celto-Breton et à d’autres langues, 6° enfin, un Tableau des mots Celto-Bretons qui ont été francisés en Bretagne et dans quelques provinces.(105) »

Aussi, nous trouvons dans le numéro du 1er décembre 1847 une liste d’ouvrages, en vente à la librairie de la veuve Lefournier à Brest, dont la thématique est la Bretagne ou la langue bretonne :

« VOYAGE DANS LE FINISTERE, par Cambry, nouvelle édition accompagnée de notes historiques, archéologiques, physiques, et de la Flore et de la Faune du département, par le chevalier de Freminville, un volume in-8, broché, de 31 feuilles, grande justification, Brest, 1836.
DICTIONNAIRE FRANCAIS ET CELTO-BRETON, par M. Troude, un vol.in-8.
COLLOQUE FRANCAIS ET BRETON, in-12, broché.
DICTIONNAIRE CELTO-BRETON ou Breton et Français , par Le Gonidec,in-8, br.
ELEMENTS SUCCINTS de la langue des Celtes-Gomériens ou Breton, par Le Brigant, broché (rare).
GRAMMAIRE FRANCAISE-CELTIQUE ou Française-Bretonne, par P. F. Grégoire de Rostrenen, in-12, broché.
RUDIMENT du FINISTERE, composé en Français et mis en Breton, par T. Le Jeune, in-8, broché. »

Comme nous pouvons le voir, la librairie brestoise de la rue Royale proposait une offre diversifiée de titres traitant de la langue bretonne, voire même d’ouvrages rédigés en breton. Si cette librairie proposait ces titres, c’est qu’il existait à Brest une population suffisamment instruite pour les lire. Nous pouvons supposer que le lectorat potentiel de ces ouvrages est constitué des membres des sociétés savantes de Brest, dont nous aurons l’occasion de parler plus en détail. Ces sociétés éditaient des bulletins où l’on pouvait trouver des écrits en langue bretonne (poèmes, nouvelles, etc.). Les ouvrages scientifiques concernant la langue bretonne étaient, sans nul doute, un outil indispensable aux auteurs de ces écrits, bretonnants ou nonbretonnants.

Toutefois, cela reste pour l’instant de la publicité et il n’existe toujours pas de communication en langue bretonne dans L’Océan. Le journal va franchir le cap le 9 août 1858(106) avec un article en langue bretonne intitulé Da Impalaer ha da Impalaerez Bro-C’hall qui en fera la Une. Celui-ci, rédigé par Gabriel Milin, est une ode à la gloire de l’Empire et se termine en ces termes :

« Bevet ar Vamm dener !
Bevet he Map karet !
Bevet ann Impalaer !
Ho zri euruz, bevet !(107) »

Le 13 août 1860, il publie dans son feuilleton un cantique de Gabriel Milin, rédigé en langue bretonne et traduit en français, intitulé Itroun Varia Rumengol, Rouanez Breiz-Izel(108). Le 7 novembre de cette même année est publié un chant d’un auteur anonyme (il est signé ur breizad – « un breton ») intitulé Arme ar pap Pius Naved(109). Le 2 janvier 1861, le lecteur peut prendre connaissance du cantique Daelou ann Tad-Santel(110), rédigé en breton par le barde de Saint-Guenolé. Nous voyons bien ici la tendance catholique de la ligne éditoriale de L’Océan. Si ce journal publiait des textes en breton, c’est qu’il existait une population pour les lire.

De plus, ces cantiques en langue bretonne nous donnent des indices sur l’emploi éventuel de cette langue lors des messes brestoises.

A partir du 22 juillet 1859 seront régulièrement publiées des fables de la Fontaine traduites en breton par Gabriel Milin. Elles apparaîtront le 25 février, le 11 mars, le 18 mars, le 8 avril et le 20 avril de cette même année. La fable du 25 février est agrémentée d’un commentaire de l’éditeur, expliquant que « Notre ami et collaborateur M. Milin, qui s’est exercé avec succès dans un genre de poésies à la fois nationales et bretonnes, a eu l’excellente idée de traduire en vers bretons quelques-unes des fables de La Fontaine. Les partisans et les amateurs de la langue bretonne nous sauront gré de leur communiquer ces nouveaux essais de la muse de notre jeune barde Armoricain, sur lesquels nous appelons d’une manière spéciale leur attention et qui à tous égards méritent leurs encouragements […](111) » Tout ceci tend à prouver qu’il existait un lectorat bretonnant à Brest au XIXe siècle.

L’édition

Je me suis intéressé à la production d’ouvrages à Brest au XIXe siècle (de 1789 à 1914). La bibliothèque d’études de Brest possède un fonds breton particulièrement conséquent et le personnel de cet établissement m’a permis d’établir une liste de l’ensemble des titres de leur collection que j’ai pu classer par éditeurs, langage utilisé, thèmes abordés et périodes. Nous allons voir que l’édition brestoise du XIXe siècle n’était pas avare de production de titres en langue bretonne. Les 324 titres se répartissent comme suit :

Classement par éditeurs et par langage utilisé

Classement par éditeurs et par langage utilisé

Classement par thème

Classement par thème

Classement par périodes politiques

Classement par périodes politiques

J’ai pu mettre en évidence ici que le pourcentage d’ouvrages édités en langue bretonne par rapport à l’édition d’expression française à Brest est de 27,47 % pour la période et que les ouvrages religieux et scientifiques sont les plus représentés, ce qui parait logique pour ces premiers(112). Les ouvrages scientifiques, quant à eux, concernent essentiellement la linguistique et sont destinés à l’usage ou la compréhension sémantique du breton. Ils sont destinés à un public lettré et ne contiennent pas que du breton et nous avons vu précédemment à quel public ces ouvrages pouvaient être adressés. Pour la même période, ce sont les ouvrages scientifiques, historiques et institutionnels (lois, décrets, etc.) qui sont le plus édités en langue française.

Nous voyons aussi que l’éditeur Lefournier est le plus prolifique sur l’ensemble de la période, que se soit pour les ouvrages édités en langues bretonne ou française. Cela s’explique par le fait que c’était une affaire familiale qui se transmettait de père en fils et qui a perduré tout au long du XIXe siècle. On trouve ensuite les édition Moulerez ru ar c’hastell, qui a produit 17,98 % de l’édition en langue bretonne, connue aussi sous le nom d’Edition de la Rue du Château (0,85% de l’édition d’expression française). Enfin, les éditions Derrien avec 10,11 % de la production en breton.

La période la plus prolifique pour l’édition brestoise, toute langue confondue, est la Troisième République, avec une moyenne de 4,67 titres par an. Vient ensuite, pour le breton, le Second Empire (0,73 titre en moyenne). Pour le français, la période révolutionnaire, avec une moyenne annuelle de 2,34 titres, représente une grande part de la production. Ceci s’explique par le fait que les textes de lois et décrets que l’Assemblée Nationale faisait paraître étaient édités de façon systématique.

76 Archives départementales et communautaires de Brest, cote 1I136, Police des halles et marchés, copie du document original en annexe
77 Loi, promulguée le 4 mai 1793, taxant le prix du blé, du sel, du pain, des salaires, etc. que certains détournèrent en constituant des stocks qu’on ne trouvait qu’au marché noir à haut prix
78 Barré dans le texte
79 « Ce sont les règles invariables des obligations essentielles pour les vendeurs. Que ceux-ci n’oublient pas la déclaration de leurs marchandises, qui doit être renouvelée chaque mois ; que l’état des marchandises doit être placardé aux portes extérieures de leurs magasins ; que des sanctions les attendent à chaque infraction de la loi ; la municipalité, fidèle à ses devoirs, continuera promptement à poursuivre et à punir les coupables. »
80 « Citoyens, négociants, marchands et travailleurs de tout métier : affichez dans les endroits les plus visibles de vos magasins et de vos étals les prix auxquels sont taxées vos marchandises et que votre bouche ne prononce aucun prix en dehors de ceux qu’ils disent. »
81 « Alors nous verrons disparaître la misère façonnée par la disparité des prix. Alors la droiture du coeur amènera de nouveau l’abondance et la confiance publique ; alors vous vous serez montrés dignes d’être français et républicains ; alors vous aurez mérité de jouir des bons effets de la révolution qui fera pour toujours la gloire de notre siècle, ou de notre temps, et le bonheur des générations à venir. »
82 « Nous nous disons tous patriotes, nous nous honorons tous du nom de républicains et nous souffrons de (?) la mauvaise envie et l’avarice de saper sans bruits les fondements de la République […] »
83 « Citoyens, vous pour qui la liberté, l’égalité et la patrie ne sont pas de vains mots, c’est à vous que nous nous adressons : poursuivez, donnez la chasse jusque dans leurs tanières à ceux qui vont à l’encontre de la loi salutaire du maximum ; éclairez sur leur véritables intérêts les citoyens qui, aveuglés par les jouissances ou les besoins du moment, se préparent à eux-mêmes, comme à leurs concitoyens, des privations sans fin ni terme en ne payant plus la taxe. Dénoncez aux autorités constituées ces hommes inconscients qui, au mépris des lois, font leur fortune sur le compte de la misère publique. »
84 D. Bernard, La Révolution Française et la Langue Bretonne, Oberthur, Rennes, 1913, article d’une dizaine de pages non numérotées
85 Exécutif du conseil général du département sous la Première République.
86 D. Bernard, op. cit.
87 24 avril 1795
88 D. Bernard, op. cit.
89 D. Bernard, op. cit.
90 « Que ceux-ci n’oublient pas la déclaration de leurs marchandises, qui doit être renouvelée chaque mois ; que l’état des marchandises doit être placardé aux portes extérieures de leurs magasins. »
91 Par exemple : « Daoust d’al louzeier ne wellae ket e stad. » Malgré les médicaments, sont état ne s’améliorait pas.
92 Par exemple : « Gwellaat stad al labourerien. » Améliorer la condition des travailleurs.
93 « […] dénoncez aux autorités constituées ces hommes inconscients qui, au mépris des lois, font leur fortune sur le compte de la misère publique. »
94 Testard, fils d’un négociant, président de l’association des Amis de la Constitution à Lesneven ; Le Lae, fils d’agriculteur de Lannilis et avocat à Rennes ; Salaün, commis au bureau de la Marine ; Raoul, ancien chantre devenu instituteur à Pleyben ; Le Gall, procureur syndic du district de Landerneau pour n’en citer que quelques-uns (sources : Y. Le Berre, Qu’est-ce que la littérature bretonne, PUR, Rennes, 2006)
95 Y. Le Berre, Qu’est-ce que la littérature bretonne, PUR, Rennes, 2006, p. 74
96 Y. Le Berre, op. cit. p. 77
97 Y. Le Berre, op. cit. p. 74
98 Sur le langage et la Révolution Française, voir aussi B. Schlieben-Lange, Idéologie et uniformité de la langue, Mardage, Sprimat (Belgique), 1996
99 Élections législatives, archives municipales et communautaires de Brest, cote 1K263. Copie du document original en annexe
100 « Jamais la situation n’a été aussi bonne qu’actuellement »
101 « Si vous voulez transmettre à vos enfants la joie que chacun d’entre eux possède aujourd’hui »
102 Amiral Emile Troude, chef de bataillon, disciple de Le Gonidec.
103 Archives Nationales de la Défense, L’Océan, Journal des intérêts maritimes et constitutionnels du 3 juin 1846. Copie du document original en annexe.
104 Volume relié de 600 pages coûtant 8 francs. Toutefois, ce que la publicité appelle un prix peu élevé nous fait nous intéresser au coût de la vie dans cette première moitié du XIXe siècle. Paul Paillard nous renseigne sur ces conditions (salaire journalier) : « A Nantes, les filatures payent l’homme 3 fr, la femme 2 fr et l’enfant 0 fr 40, tandis que l’ouvrier tisseur n’atteint gère que le franc journalier. Les constructions navales bretonnes accordent environ 2 fr. » (Les salaires et la condition ouvrière à l’aube du Machinisme – 1815-1830, Revue Economique, année 1951, volume 2, n° 6, P. 770, via Persée)
105 Ibid. L’Océan, Journal des intérêts maritimes et constitutionnels du 21 octobre 1846. Copie du document original en annexe.
106 A l’Empereur et l’Impératrice des Français, Ibid. L’Océan, Journal des intérêts maritimes et constitutionnels du 9 août 1858. Copie du document original en annexe.
107 « Vive l’Empereur ! Vive l’Impératrice ! Vive leur fils aimé ! Qu’ils soient tous trois heureux ! » est la traduction faite par G. Milin lui-même. Ici, la traduction littérale se rapprocherai plutôt de « Vive la tendre Mère ! Vive son fils aimé ! Vive l’Empereur ! Qu’ils vivent tous trois heureux ! »
108 Notre Dame de Rumengol, Reine de Basse-Bretagne, Ibid. L’Océan, Journal des intérêts maritimes et constitutionnels du 13 août 1860. Copie du document original en annexe.
109 L’armée du Pape Pie IX, Ibid. L’Océan, Journal des intérêts maritimes et constitutionnels du 7 novembre 1860. Copie du document original en annexe.
110 Les larmes du Saint Père, Ibid. L’Océan, Journal des intérêts maritimes et constitutionnels du 2 janvier 1860. Copie du document original en annexe.
111 Ibid. L’Océan, Journal des intérêts maritimes et constitutionnels du 25 février 1859. Copie du document original en annexe.
112 Pour la même période, ce sont les ouvrages scientifiques, historiques et institutionnels (lois, décrets, etc.) qui sont le plus édités en langue française.

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