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2. Une lueur d’espoir

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Le Mouvement de 20 février (M20) n’est pas venu du néant. Dans une étude lumineuse, auquel nous adressons certaines critiques dans un deuxième temps, Mounia Bennani-Chraïbi et Mohamed Jeghllaly ont suivi le processus de la constitution du M20 à Casablanca. Ils concluent que « le déclenchement d’un large mouvement de protestation (le cas du M20) ne résulte ni d’un effet domino, ni de l’avènement d’une génération spontanée »(11). La mise en place de plusieurs actions, de structures associatives et d’initiatives militantes ont précédé la mise en place de ce mouvement. Je décrirai dans cette deuxième partie mon expérience dans le cadre des dynamiques ayant précédé le M20.

Ces dynamiques se sont accélérées depuis 2007, date qui a connu l’organisation des élections législatives déclarant la faillite du système électorale suite à un absentéisme record. Cette même date a connu la création d’un nouveau parti provenant directement du palais royal – le Parti Authenticité et Modernité (PAM) dans une tentative de procéder par le haut pour raviver un jeu politique inspirant recul et désintérêt.

a) Le Mouvement Nouvel Horizon, les Espaces de Dialogue de la gauche et l’aspiration à un changement politique

Au côté de plusieurs militants de gauche, notamment les jeunes du Parti Avant-gardiste Démocratique Socialiste (PADS), le Parti Socialiste Unifié (PSU), le Congrès National Ittihadi (CNI) et une tendance militante des jeunes de l’USFP et du Parti pour le Progrès et le Socialisme (PPS), j’ai participé à la création de l’association Mouvement Nouvel Horizon (MNH) comme j’ai participé à la constitution de forums de débat public (organisation de tables-rondes et rencontres-débat) ayant pour objet de dénoncer un système politique subissant un contrôle ferme d’une monarchie exécutive et absolue.

Devant la crise de la gauche marocaine, son recul électoral face aux organisations islamistes montantes, son repli organisationnel, son incapacité de recrutement dans les différentes catégories socioprofessionnelles et les classes populaires, ainsi que le flou idéologique qui, dorénavant, caractérise son discours, je me suis engagé avec des jeunes militants appartenant à différentes structures de gauche pour fonder cette association qui devrait traverser les partis de gauche et construire une nouvelle force politique. Lancé en été 2009, le MNH a rassemblé des dizaines de militants entre les deux villes Rabat-Salé et a engagé un débat sur l’union de la gauche et a tâché d’ouvrir des espaces publics de débat autour des questions de la jeunesse et de la démocratie.

Les autorités des deux villes avaient refusé l’octroi du statut légal, condamnant l’association à oeuvrer dans l’illégalité. Cela nous a conduit à choisir l’Université comme cadre favori du travail. Ainsi, nous avons tenté d’introduire le débat politique dans les différentes facultés à Rabat à travers l’organisation de rencontres-débat réunissant des leaders de la gauche et figures de l’opposition, ainsi que des activités estudiantines incitant les jeunes à s’engager dans la lutte pour la démocratie et se mettre à critiquer et dénoncer le régime en place.

Par ailleurs, le Mouvement Nouvel Horizon, malgré de maintes pressions de la part des autorités, a réussi à organiser des rencontres-débat (soutenu par des structures associatives et syndicales telles la Fondation Abderrahim Bouabid (FAB), la CDT, l’Association Marocaine pour l’Education de la Jeunesse (AMEJ), Sala Almoustaqbal) dans les quartiers défavorisés à Salé. A travers des techniques telles « les cafés-liberté » et « les ateliers de formation » nous ciblions des jeunes dépolitisés et leurs permettions de débattre librement de leurs opinions et aspirations. Des formations également ont été organisées sur des thématiques telles la citoyenneté, le nationalisme, l’histoire politique du Maroc, la démocratie représentative, les politiques publiques et la production de l’exclusion sociale et d’autres plus techniques portant sur le montage des projets associatifs par exemple.

Plusieurs des jeunes approchés et recrutés par le Mouvement Nouvel Horizon seront également des figures de proue du mouvement 20 février et parmi les premiers ayant appelé aux manifestations. A travers le MNH, ils ont réussi également à s’ouvrir sur de nouvelles sphères militantes et sur des espaces connaissant la participation des opposants, notamment de gauche et des associatifs et anciens détenus politiques. Parmi ces espaces, il y a l’organisation appelée « Espace de Dialogue de la Gauche ». Créé à Casablanca en 2008 par des anciens militants de l’USFP et du PSU (marginalisés quant aux postes de décision au sein de leurs partis) cet espace a ouvert sa section à Rabat. Il va jouer un rôle essentiel quant au rapprochement entre les militants de différentes structures politiques socialistes. Il a par ailleurs constitué une opportunité de recrutement et de débat et s’est installé comme une alternative aux partis sombrant dans une crise structurelle. Lors de ces rassemblements, les idées émergent, la critique s’intensifie et des initiatives de luttes ainsi que des formes de militantisme et de résistance deviennent de plus en plus concrètes : créations de nouvelles associations pour les droits de l’Homme et des libertés d’expression et de la presse, diffusion de communiqués de dénonciation des politiques publiques placées par le régime, lancement d’initiatives et organisation de sit-in et manifestations, etc.

b) Les répercussions des premières manifestations de la Tunisie, Lybie et l’Egypte : les mobilisations et sit-in devant les ambassades des pays arabes à Rabat

Depuis le déclenchement des manifestations en Tunisie suite à l’immolation de Mohamed El Bouazizi en décembre 2010, les militants marocains, d’abord ceux et celles évoluant dans des organisations de gauche, se sont organisés en solidarité avec les manifestants et contre la répression et crimes perpétrés par le régime Ben Ali. Les structures susmentionnées ont gelé leurs activités pour se concentrer sur les campagnes de solidarité qui très vite se transformeront en campagnes de mobilisation pour « un printemps marocain ».

Personnellement, j’ai participé activement à ces premières mobilisations et vécu de près ce processus qui participera à la naissance du M20 février. Différentes associations, jeunesses de partis politiques de gauche et syndicats ont donné naissance à ce moment à la « Coordination Marocaine d’Appui aux Peuples Arabes » (CMAPA). Sans attendre l’aval de l’USFP, auquel j’adhérais à ce moment, j’ai décidé, avec d’autres jeunes travaillant à mes côtés, de siéger à cette coordination au nom de la jeunesse du parti. Nous savions très bien que la décision des instances ne serait pas forcément favorable et que l’administration de l’USFP, pourtant, ne pourra dénoncer notre participation du fait des divergences en interne. Ce moment était d’autant plus propice pour bouger les lignes au sein du parti et le secouer en puisant d’une nouvelle légitimité et de nouvelles ressources militantes : la présence dans la rue aux côtés des forces qui aspirent au changement social.

La Coordination a appelé dès les premiers jours des manifestations dans les pays arabes à des sit-in de solidarité devant l’ambassade de la Tunisie à Rabat. Certains ont été réprimés et interdits, d’autres ont été tolérés. Ils avaient connu la participation d’une centaine de militants seulement. Certains parmi eux étaient venus d’autres villes comme Tanger et seront par la suite des membres actifs du M20. Il s’agissait des étudiants, des membres d’associations des droits humains, des syndicalistes, etc. Les slogans de solidarité et de dénonciation du régime Ben Ali (Ben Ali, dégage, la Tunisie restera libre ; Ben Ali lâche, défenseur des intérêts sionistes ; …) vont très vite se dissiper pour donner lieu à d’autres revendiquant la démocratie au Maroc et appelant les citoyens à se révolter pour défendre leur dignité et contre la tyrannie (« liberté, dignité pour le peuple marocain » ; « allez peuple du Maroc, jusqu’à la libération et la victoire » ; …).

Avec les évolutions régionales, et suite au déclenchement des manifestations en Egypte, les mouvements islamistes marocains, notamment le groupe illégal Al Adl Wal Ihssan -Justice et Bienfaisance-, puissante organisation islamiste non instituée et la jeunesse du Parti Justice et Développement (PJD), vont rentrer en scène et commenceront à participer avec nous aux sit-in de solidarité organisés devant les ambassades des pays arabes révoltés. Une ancienne organisation créée au début des années 1990 s’est réactivée dans ce contexte après plusieurs années d’inaction, c’est l’Association Marocaine de Solidarité avec le Peuple Palestinien. Cette organisation pan-arabiste qui avait rassemblé dès sa naissance islamistes et gauchistes autour de la cause palestinienne, va jouer un rôle de rapprochement entre les militants des deux idéologies distinctes.

Elle appellera, à côté de la Coordination Marocaine d’Appui aux Peuples Arabes CMAPA, à soutenir les luttes des peuples arabes. Malgré le rôle de médiateur joué par l’association pan-arabique, les différences étaient palpables et considérables lors de ces sit-in. Bien que les militants appartenant aux mouvements islamistes et ceux aux mouvements de gauche étaient côte-à-côte, les slogans scandés ne reflétaient pas les mêmes positions. Souvent, nous étions incapables de répéter des slogans « neutres ». Les différences qui vont se maintenir tout au long du processus de M20 et participeront activement à son essoufflement vont apparaitre dès le début. La connotation religieuse était forte dans les slogans des militants du PJD ou d’Al Adl Wal Ihssan, alors que la terminologie puisant dans le langage révolutionnaire socialiste était présente chez nous, militants de la gauche.

L’espace sur lequel se déroulaient ces manifestations ayant rassemblé les militants de gauche et les islamistes était structuré de manière significative. Une présence considérable des islamistes devant une taille humble des gens de gauche. Du côté des islamistes, les femmes et les hommes constituent deux groupes distincts et séparés dans l’espace. Seuls les militants de sexe masculin assurent le rôle d’organisation et sont des leaders visibles dans l’espace.

Ces sit-in et manifestations ont permis l’instauration d’un espace de dialogue entre les militants. Malgré les distances idéologiques, des militants islamistes et socialistes se sont rapprochés et ont commencé à échanger autour de la nécessité de saisir cette occasion régionale et lancer « le printemps marocain ». Après la fin de chaque manifestation de solidarité avec les peuples arabes, les discussions continuent dans des arènes publiques, des sièges de partis politiques, des syndicats ou des associations des droits de l’Homme, notamment l’Association Marocaine des Droits de l’Homme (AMDH), le Parti Avant-gardiste Démocratique Socialiste (PADS), Attac Maroc et l’USFP. Ces discussions et débats se sont intensifiés et ont fini par gagner et animer la toile et les réseaux sociaux pour toucher l’ensemble du Maroc, notamment les jeunes actifs sur Facebook.

c) Préparer le 20 février : premières rencontres des militants, élaboration des appels à manifestations, e-conférences et débats « virtuels »

Depuis le déclenchement de la révolution tunisienne, plusieurs « pages » et « groupes » facebook se sont constitués pour appeler à sortir dans les rues marocaines en faveur du changement, la démocratie, voire la chute du régime. Un débat politique sans précédent s’est déclenché sur la toile en guise d’élargissement du débat lancé par les jeunes et les structures politiques dans des espaces publics classiques tels les sièges des associations, les rencontres et conférences, etc. J’ai participé personnellement durant cette période à l’animation et l’organisation de plus de 30 conférences, rencontres-débat et sit-in pacifiques en moins d’un mois. L’influence des révolutions tunisienne, égyptienne et libyenne était ressentie. Lors de ces activités politiques, les militants participants, en majorité, étaient des citoyens déjà organisés au sein de structures politiques.

Pourtant, d’autres nouveaux nous avaient rejoints suite aux débats sur les réseaux sociaux ou encore suite aux campagnes de mobilisation et diffusion de tracts appelant aux manifestations dans les universités et les quartiers populaires et places publiques. Mais, une sensation de reproduction et d’incapacité à rallier un large public était pesante. Il s’agissait plus d’une redynamisation de collectifs et d’acteurs déjà existants que d’une fondation de nouveaux groupes protestataires. Plus loin nous serons amenés à conclure qu’en réalité le M20 n’a touché que des franges très réduites de la société et son influence n’a pas dépassé des arènes déjà instituées. Deux temporalités se superposaient. D’un côté une accélération des événements politiques au niveau des institutions politiques, l’Etat et des acteurs sociaux, de l’autre une stagnation manifeste et une monotonie au niveau des quartiers populaires et des unités sociales et des unités de production économique. Je garde encore l’image d’une action intensive et des mobilisations permanentes des acteurs sociaux lors de cette période comme je garde une image des salles de café peuplées des jeunes et ouvriers qui, devant des amplificateurs médiatiques tels Aljazeera et Al Arabiya, suivaient les manifestations réprimées dans le sang en Egypte et en Libye. Nombreux, ces spectateurs se félicitent d’être dans « un Maroc stable », un Maroc «préservé par dieu et par son roi » comme me disent certains d’entre eux.

Lors de cette période, des appels à manifester se sont multipliés. Tout d’abord, deux jeunes étudiants ont créé le 14 janvier depuis la ville de Meknès un groupe Facebook baptisé « Pour un dialogue libre avec le roi, pour la démocratie ». En moins de trois jours, le nombre des adhérents à ce groupe dépasse les 6.000 personnes. Cela a motivé les deux administrateurs à appeler à une manifestation sur l’échelle nationale le 27 février 2011. A ce moment, les services secrets de l’Etat se sont activés sur le net d’une manière visible. La stratégie de ces services était autre que de recourir à l’interdiction d’accès à Facebook ou encore à internet. Beaucoup plus efficace, elle consistait à infiltrer les débats et investir les réseaux sociaux dans une course effrénée avec les cyber-activistes pour occuper l’espace de la toile et créer des contre-publics.

Ainsi, ils ont créé des pages et groupes tels « pour la monarchie et la stabilité du royaume », « tous derrière sa majesté le roi », etc. La police du net a également attaqué l’image des cyberactivistes et celle des militants qui critiquent la politique interne ou appellent à manifester. Dans ce sens, elle a diffusé sur les réseaux sociaux des photos privées ou encore truquées des militants en leur collant des étiquettes telles : athées, déjeuneurs pendant le Ramadan, homosexuels, chrétiens, pro-Polisario, traître ou infiltrés des forces politiques occidentales, etc. Ainsi, la rumeur a pu circuler sur le web affirmant que le 27 février est la date de la constitution du front du Polisario(12) au Sahara occidental et indiquant que ces manifestations seront organisées par les « traitres de la nation », « des groupes d’homosexuels aux valeurs contre l’Islam» ou encore des « salafistes intégristes ». Cela a poussé les cyberactivistes à changer cette date et fixer la date du 20 février comme date de manifestation à l’échelle nationale.

Par ailleurs, des pages et groupes ont été créés pour véhiculer les propos étatiques. La presse nationale, arabophone et francophone, partisane et indépendante (à l’exception d’un ou de deux journaux tel « Akhbar Al Yaoum »), vont se transformer en organes de propagande en relayant des propos autour de « l’exception marocaine ». Ce thème sera répété abondamment par des ministres, notamment ceux qui se présentent comme « jeunes ministres » tel Moncef Belkhayat, ministre de la jeunesse à l’époque. Ils créeront de leur côté leurs propres groupes et pages facebook afin de « débattre avec la jeunesse » et la convaincre de ne pas descendre dans la rue. C’est ainsi que le mot de « l’exception marocaine » est né. Un slogan propagandiste qui vise à exclure le Maroc d’un mouvement qui touche déjà l’ensemble des pays de la région.

De leur côté, les médias audiovisuels, contrôlés par l’Etat et loin d’être libres malgré la loi de la « libéralisation du secteur audiovisuel de 2003 » qui n’a fait en réalité que renforcer l’aliénation des médias, vont relayer des informations incitant à boycotter les appels de manifestations. Ils se mettront très vite à médiatiser des rencontres de jeunesses partisanes appelant à boycotter le M20. En outre, ils vont se focaliser longuement sur le côté relatif aux répressions, la violence et les conflits armés dans les révolutions et manifestations dans les pays arabes en amplifiant les chiffres des victimes et des morts. Pourtant, ce traitement de l’information a participé à la médiatisation du M20 implicitement en produisant un effet opposé à celui qui est recherché. Le mouvement devient peu à peu connu par les populations notamment dans les grandes villes.

11 Bennani-Chraïbi Mounia et Jeghllaly Mohamed, « La dynamique protestataire du Mouvement du 20 février à Casablanca », Revue française de science politique, 2012/5 Vol. 62, p. 870
12 Le Polisario : Front populaire de Libération de la Saguia el Hamra et du Rio de Oro, créé en 1973, il revendique l’indépendance du Sahara occidental. Il est entré depuis 1975 en guerre contre le Maroc. Le cessez-le-feu ne sera signé qu’en 1991. Son Quartier Général est à Tindouf en Algérie, il est considéré comme représentant des populations sahraoui revendiquant leur indépendance.

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