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2. Motivations des guides composteurs

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2.A. Un sentiment de distinction ?

Chez certains guides composteurs, faire partie des premiers sites de compostage bisontins
provoque une fierté, voire un sentiment de distinction par rapport à d’autres citoyens peu
respectueux de l’entretien. Le sentiment d’être un précurseur et d’avoir fait le bon choix en ayant
décidé d’installer un composteur au sein de la copropriété peuvent être confortés par les visites de
néo-composteurs qui sont amenés sur les sites les plus exemplaires lors des formations de guides
composteurs du SYBERT.

Gérard : « A chaque fois que Louise m’amène des gens ici pour voir, ils sont stupéfaits parce que ça sent rien du
tout. […] Et puis le SYBERT ils aiment bien visiter mon site de compostage parce qu’il y a un bel environnement,
derrière c’est sympa, c’est de la verdure et tout ça. » (Entretien avec Gérard, guide composteur, le 6 mars 2012.)

Le sentiment de distinction est aussi alimenté par une promotion des éco-gestes et une
valorisation des éco-citoyens sur la scène publique. Les initiatives de compostage collectif sont très
médiatisées : Gérard a été sollicité à plusieurs reprises pour donner des interviews au bulletin
municipal (BVV) et à la presse locale, voire nationale (France Inter). Toutefois, pour les guides
composteurs à la retraite, les rétributions symboliques(16) qu’apportent l’exemplarité et la valorisation
de leur comportement sur la scène publique ne flattent pas tant leur ego qu’elles leur apportent
plutôt une animation ludique qui s’inscrit dans une temporalité structurant le quotidien(17).

Gérard : « Pour moi, je suis à la retraite, ça m’occupe un peu et puis c’est un plaisir. » (Entretien avec Gérard,
guide composteur, le 6 mars 2012.)

2.B. Une participation à la vie collective ?

Mieux gérer ses déchets grâce au compostage peut également relever d’une volonté de
participation à la vie collective : il s’agit de rendre service au collectif, que ce collectif désigne la
société dans son ensemble, la ville, le quartier ou la copropriété. En effet, nous pouvons remarquer
que l’investissement dans le compostage est corrélé avec l’investissement dans la vie du collectif.

Ainsi, les multiples engagements associatifs et institutionnels de Christian (Conseil Syndical des
Familles, Centre Technique Régional de la Consommation de Franche-Comté, Conseil des sages)
l’ont poussé à développer le compostage au sein de son quartier. Ce constat est encore plus palpable
chez Vincent et Émeline concernant l’investissement consenti par leurs voisins au sein de la vie
collective de l’immeuble :

Vincent : « En fait la plupart de ceux qui sont investis dans l’immeuble, c’est-à-dire qui font des travaux, qui
s’intéressent à la vie de l’immeuble, à la vie de la copro, participent au compost. Ceux qui ne participent pas ce
sont ceux qu’on ne voit jamais, ceux qui s’en foutent un peu de ce qui se passe autour. En résumé c’est ça. »
Émeline : « Mais c’est vrai qu’on est une copro où il y a pas mal de personnes âgées et quand même pas mal de
gens qui ont l’esprit de faire les choses elles-mêmes. Donc tous les espaces verts c’est les petits vieux qui les
entretiennent. La peinture de la barrière c’est eux qui la font. Là ils avaient refait le bardage sur un bout de
garage. Dès fois ils rebricolent des choses. Donc en fait c’était déjà dans l’esprit de la copro d’avoir un compost,
qu’on fasse nous même un truc pour toute la copro. Mais les gens qui font déjà pas mal de choses avaient pas
envie de se relancer encore là dedans. Parce qu’ils s’imaginaient que c’était beaucoup de travail. » (Entretien avec
Vincent et Émeline, guides composteurs, le 6 mars 2012.)

La copropriété de Vincent et Émeline ne délègue pas l’intégralité de la gestion des parties
communes au syndic pour conserver l’emprise sur un espace collectif vecteur de convivialité. C’est à
travers un investissement commun dans des petits travaux que le lien social entre copropriétaires
prend forme et se stabilise. Néanmoins, ce constat est vrai pour les personnes âgées habitant
l’immeuble depuis longtemps. Vincent et Émeline ont emménagé assez récemment et l’intégration
au sein de ce collectif n’a pas été évident malgré leurs propositions récurrentes adressées aux
copropriétaires pour participer aux petits travaux qui n’ont jamais abouti.

Émeline : « Avant que j’arrive dans le conseil syndical, c’était vraiment que des retraités qui se connaissent
depuis des années et qui font les choses ensemble depuis des années, et j’ai trouvé qu’ils avaient un petit peu du
mal – au début hein – à intégrer des nouvelles personnes. Enfin voilà, à prendre en compte des nouvelles
personnes. » (Entretien avec Vincent et Émeline, guides composteurs, le 6 mars 2012.)

L’investissement de Vincent et Émeline dans l’installation d’un site de compostage collectif
reflète leur volonté d’apporter une contribution à la vie collective de l’immeuble. Les relations entre
copropriétaires sont marquées par une économie de la réciprocité : pour intégrer le collectif il faut
répondre au don des autres copropriétaires (petits travaux d’entretien des parties communes) par un
contre-don (l’installation et la gestion de composteurs).

Émeline : « Après ce qui est quand même satisfaisant c’est aussi de se dire qu’on participe à la vie de la copro
parce que… Comme je dis, dans la copro il y en a pleins qui vont s’occuper des espaces verts, qui vont peindre
les barrières et tout ça. Sauf qu’ils le font toujours que pendant les périodes où on travaille quoi. Parce que
comme c’est tous des retraités, généralement le week end ils sont pas forcément là donc ils le font en semaine.

Donc voilà, là ça permet d’avoir notre contribution et puis de montrer ”Eh Oh ! On est là et nous aussi on veut
faire des choses !”. Enfin c’est quand même satisfaisant de participer à la vie de la copro, ça contribue aussi à
faire en sorte qu’on se connaisse un peu dans la copro, qu’on soit pas juste à se dire bonjour quand on se croise
sans savoir comment on s’appelle. » (Entretien avec Vincent et Émeline, guides composteurs, le 6 mars 2012.)

A l’inverse, les voisins qui ne participent pas au compostage sont ceux qui ne sont pas
intégrés au collectif de la copropriété.

Émeline : « Après c’est vrai que c’est les gens qui participent le moins à la vie de la copropriété, qu’on voit pas
souvent près des composteurs. Et puis chaque fois qu’il y a eu des évènements communs, genre la fête des
voisins, ils participent pas, ils viennent pas donc… A part se croiser et dire bonjour, c’est tout quoi. » (Entretien
avec Vincent et Émeline, guides composteurs, le 6 mars 2012.)

Le compostage en pied d’immeuble est un consolidateur du lien social à condition qu’il y ait
une sociabilité préexistante se concrétisant par une utilisation collective et pacifiée des parties
communes. L’investissement de cet espace à la frontière entre public et privé s’oppose à un repli sur
l’appartement, espace de l’intime et du privé, pour développer une sociabilité collective, créer un
entre-soi. Il peut prendre d’autres formes que des travaux collectifs, comme dans l’immeuble de
Christian où les parties communes sont un espace de discussion qui permet d’échanger sur un grand
nombre de sujets, et notamment ceux qui sont en rapport avec la vie de l’immeuble.

Christian : « Alors tout-à-l’heure je vous disais que notre immeuble c’est un petit peu comme un village. Dans la
période d’été, quand il fait très beau, sur les escaliers qui rentrent dans l’immeuble, ben la grand-mère du bas, qui
peut plus très bien marcher, vient là pour s’assoir. Comme il y a beaucoup de gens qui connaissent la grand-mère,
on discute avec la grand-mère. Donc, de temps en temps, on est une petite réunion de gens et on parle de tous les
sujets de la vie. Aussi bien de l’augmentation des loyers, pourquoi les charges sont si importantes, pourquoi le
chauffage a augmenté d’une façon si importante… » (Entretien avec Christian, guide composteur, le 8 mars
2012.)

Finalement, nous pouvons affirmer que la réussite d’un projet de compostage collectif
dépend en grande partie du climat social qui règne dans l’immeuble et du statut des parties
communes selon qu’elles sont considérées comme un simple espace anonyme voué au transit (à
l’instar de la rue) entre l’espace privé et l’espace public, un espace de sociabilité ou un espace de
coopération(18) . Cette corrélation est vraisemblablement valable pour le tri des déchets recyclables et
les ordures ménagères résiduelles(19). Nous prévoyons d’approfondir notre recherche sur ce point dans
le cadre de notre travail de deuxième année de master en nous intéressant d’une façon plus large et
empirique à la gestion des déchets ménagers en habitat collectif.

16 Concept forgé par Daniel Gaxie qui désigne la contrepartie immatérielle inhérente à l’action d’un individu (prestige,
reconnaissance, etc.). GAXIE Daniel, « Économie des partis et rétributions du militantisme », in Revue française de
sciences politiques, 1/1977 : Vol. 27, p. 123-154.
17 A travers ses travaux sur le commerce équitable, Matthieu GATEAU montre que l’investissement d’une population
retraitée dans l’antenne dijonnaise d’Artisans du Monde résulte d’un désir d’« utilité » et d’« établissement d’un cadre
temporel ». GATEAU Matthieu, « Militer pour Artisans du Monde et Max Havelaar. Étude de cas des acteurs
associatifs et militants du commerce équitable dijonnais », in Interrogations : n°4, p. 207.
18 Participer à une oeuvre commune selon l’étymologie latine du mot : cum, avec, et operare, faire quelque chose, agir.
19 Nous pouvons présupposer que les performances en termes de tri et de compostage au sein de chaque espace
d’habitation collectif dépendent du degré de sociabilité – et, réciproquement, d’anonymat – propre à chacun d’eux.

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