Gagne de la cryptomonnaie GRATUITE en 5 clics et aide institut numérique à propager la connaissance universitaire >> CLIQUEZ ICI <<

2. Le modèle de développement du compostage collectif à Besançon

Non classé

2.A. L’acceptation des projets de compostage collectif en Assemblée Générale de copropriété

Pour qu’un projet de compostage collectif voit le jour au sein d’un immeuble, il faut que
l’initiative émerge d’un ou plusieurs habitants(8) et que celle-ci soit acceptée par l’Assemblée Générale
de copropriété ou par l’organisme logeur lorsqu’il s’agit de logements HLM. Cette étape est décisive
étant donné que le choix d’un traitement de proximité des déchets organiques est censé garantir une
meilleure acceptabilité sociale des infrastructures nécessaires à ce traitement. Cependant,
l’approbation des copropriétaires à l’installation d’un composteur collectif n’est pas spontanée. Au
contraire, pour l’obtenir il est nécessaire de rationaliser les réticences de certains résidents grâce à
un argumentaire bien ficelé. Les motifs de refus soulevés par les copropriétaires sceptiques
concernent soit les nuisances potentielles (odeurs, insectes et rongeurs susceptibles d’être attirés par
les résidus organiques), soit les voisins indisciplinés et incapables de participer à une telle action,
soit le droit de se désinvestir de la gestion de ses ordures sous prétexte d’une contribution financière
déjà élevée au coût du SPED.

2.A.a. Les motifs de réticence

Une peur irrationnelle des nuisances ?

L’exemple de Vincent et Émeline, qui avaient proposé l’installation d’un composteur en pied
de leur immeuble avant que le SYBERT instaure une politique d’accompagnement à la mise en
place de projets de compostage collectif, rend bien compte des peurs suscitées par les nuisances
potentielles de ce type d’installation.

Émeline : « En fait quand je suis arrivée dans la copro en 2007, à la première AG qu’il y avait eu, j’avais proposé
qu’on fasse du compostage et là j’avais fait flop quoi, un gros flop. […] Donc, en gros, vraiment personne n’était
intéressé. Après ils [les autres copropriétaires] avaient commencé à dire ”Oh non, ça va ramener des bêtes, il y
aura des rats, et puis ça va puer” ». (Entretien avec Vincent et Émeline, guides composteurs, le 6 mars 2012.)
D’une part, le compostage suscite des représentations négatives, cette pratique étant associée chez
certains copropriétaires à la décomposition, la putréfaction, la puanteur, la prolifération d’insectes et
rongeurs qualifiés de nuisibles. La disqualification du compostage de proximité par certains
résidents s’apparente à ce que les spécialistes des déchets nomment le phénomène NIMBY et qui
s’exprime par un rejet des installations de traitement des ordures par les riverains en raison des
nuisances potentielles que ces dernières peuvent impliquer. D’autre part, en plus d’être repoussante,
la matière organique est assimilée pour certains au fumier, parfois nauséabond, produit dans les
campagnes. Le compostage urbain peut alors paraître rétrograde en allant à l’encontre de leur
définition subjective du progrès.

Des voisins indisciplinés ?

L’autre argument fréquemment avancé concerne le comportement des voisins face à leurs
déchets. Ces derniers sont soupçonnés d’être peu attentifs à la gestion de leurs ordures. Rappelons
que les conteneurs sont stockés dans des parties communes et que cette cohabitation temporaire des
déchets de tous les voisins au sein des conteneurs, avant qu’ils ne soient enlevés par le camionbenne,
soumet les détritus de chacun à la vue de tous. Ceci permet à certains résidents de porter un
jugement sur le comportement de leurs voisins qui se fonde sur divers signes tels que l’état des
poubelles ou la qualité du tri.

Vincent : « Plus ceux qui disaient aussi ”il y en a déjà plein qui trient pas – comme quoi c’est un tout – et quand
les gens ils commenceront à trier alors on l’installera”. » (Entretien avec Vincent et Émeline, guides
composteurs, le 6 mars 2012.)

Cette caractérisation des voisins comme individus indisciplinés assimile toute velléité d’installation
d’un composteur collectif à une utopie tant que l’ensemble des résidents de l’immeuble n’aura pas
démontré sa capacité à opérer les bons gestes en termes de tri. A cela s’ajoute la contrainte de la
réciprocité en habitat collectif, c’est-à-dire que l’investissement consenti par chacun dans la vie de la
copropriété (qui comprend aussi la bonne gestion de ses déchets ménagers) ne doit pas être en
asymétrie avec l’investissement consenti par l’Autre, le voisin. Autrement dit, il est inenvisageable
pour certains copropriétaires « d’en faire plus » tant que d’autres copropriétaires continueront « d’en
faire moins ».

Le SPED : un service total ?

Jean résume très bien le dernier argument mentionné par les copropriétaires réticents :
« Pourquoi on nous demande de faire des efforts ? Si on paye pour la gestion des déchets c’est pas à
nous de le faire. »(9). Dans ce cas, le SPED est considéré comme ayant la charge intégrale de la
gestion des déchets et chaque individu reste cantonné au rang de consommateur d’un service qui
doit rester total. Cette conception du SPED se rapproche de celle qui fut promue et adoptée en
France par la majorité des acteurs concernés (pouvoirs publics, industriels et ménages) des années
1970 jusqu’aux années 1990 et le développement de la collecte sélective. Elle peut, à ce titre, être
considérée comme une survivance de cet ancien modèle. Ce point est d’ailleurs l’une des limites de
la redevance incitative : le glissement de certains habitants vers une « consommation » totale du
service de gestion des déchets risque de les rendre hermétiques aux incitations financières, comme
le souligne Christian :

Christian : « Quand on discute avec des gens qui ne sont pas convaincus, ils disent ”de toute manière on paye
déjà assez cher”, donc ça les dérange pas d’en payer un peu plus. » (Entretien avec Christian, guide composteur,
le 8 mars 2012.)

2.A.b. Trivial Compost : la médiation d’un expert du compostage

Ces trois lignes argumentatives redondantes ont été très vite saisies par Trivial Compost qui
a su riposter lors de ses interventions auprès des copropriétés. En effet, l’association passe dans
chaque immeuble avant la présentation du projet en AG afin de décider des modalités techniques de
la future installation et d’exposer un point de vue d’expert qui rassure les copropriétaires, ce qui lui a
permis de se forger une expérience et de bâtir une contre-argumentation solide face aux réticences
exprimées.

Émeline : « Et puis vraiment il y a plein de préjugés en fait et donc c’est vraiment bien qu’ils passent avant l’AG
pour casser tout ces préjugés. Le truc c’est que moi, de l’intérieur, je n’arrivais pas à casser les préjugés, les gens
ne me croyaient pas. Il fallait quelqu’un de l’extérieur qui… je sais pas, qui fasse un petit peu sérieux. »
(Entretien avec Vincent et Émeline, guides composteurs, le 6 mars 2012.)

Une position d’expert qui permet de rationaliser les peurs liées aux nuisances

Trivial Compost s’appuie sur sa qualité d’expert pour affirmer qu’un site de compostage bien
géré ne génère pas de nuisances. Son discours est d’autant plus crédible que le compostage collectif
est en pleine expansion et est une réussite sur la quasi-totalité des sites qui ont démarré depuis 2010.
Ce travail de rationalisation des représentations des ménages permet facilement de contourner les
réticences liées à la peur des nuisances. Une information de proximité permet d’atteindre un très bon
niveau d’acceptabilité sociale.

Jean : « Tous les préjugés qu’ils peuvent avoir autour du compost, nous on peut les écarter assez facilement parce
qu’on a un retour d’expérience à faire valoir. Et c’est de plus en plus facile. Au début, bon ben voilà, les premières
copros c’est sûr que là… Maintenant on n’a plus de refus. Généralement il n’y a plus de refus. Au début c’était
plus compliqué. Bon après on a rodé un discours aussi. On sait que, voilà, on a 40 copropriétés, il y a pas un
problème. C’est déjà plus facile d’argumenter. […] C’est là qu’on peut jouer un peu sur la position d’experts
même si on n’aime pas du tout cette position. » (Entretien avec Jean, salarié de Trivial Compost, le 9 mars 2012.)

Cette position d’expert est à la fois avantageuse et inconfortable pour Trivial Compost qui la
rejette tout en s’appuyant dessus lorsque c’est nécessaire. En effet, ce titre d’expert s’oppose à la
conception du compostage que l’association promeut : si composter doit devenir un geste trivial, le
savoir inhérent à ce geste ne doit pas être monopolisé par des professionnels et doit devenir un
savoir populaire. Trivial Compost jongle dans un entre-deux : d’un côté, l’association revendique
son statut d’expert pour convaincre les copropriétaires réticents et légitimer sa position de
prestataire du SYBERT ; de l’autre, elle défend une conception du compostage comme étant un
savoir pratique et universalisable qui n’est l’apanage de personne. Les contradictions inhérentes à la
position de « professionnel-militant » de Trivial Compost, qui pourraient être handicapantes, sont au
contraire transformées en atout qui permet d’adopter une large gamme de positions discursives selon
les situations et les interlocuteurs rencontrés.

Un argumentaire moins étoffé face aux autres motifs de réticence

Alors que les réticences liées aux nuisances s’appuient sur des angoisses exacerbées qu’il
suffit de rationaliser, les autres motifs de refus sont plus complexes à contrecarrer.
En ce qui concerne les copropriétaires qui sont sceptiques quant à la participation des
habitants de l’immeuble au compostage, l’argument avancé par Trivial Compost se fonde moins sur
sa qualité d’expert que sur une conception de l’action collective et de l’enrôlement de nouveaux
alliés : il s’agit pour chaque copropriétaire participant au compostage de faire preuve d’exemplarité
pour emporter l’adhésion des non-participants.

Jean : « Et puis nous ce qu’on constate quand même tous les jours sur les AG, sur nos visites et autres, c’est ”Ah,
mais pourquoi moi je m’investirais alors que les autres ne s’investissent pas”. Non, c’est pas ça la question. C’est
”Investis toi déjà et puis après on verra si les autres participent ou pas. Mais si toi tu ne fais pas le premier pas,
n’attends pas que ton voisin le fasse.”. » (Entretien avec Jean, salarié de Trivial Compost, le 9 mars 2012.)

Pis, face à des copropriétaires qui considèrent que le SPED doit être un service total
excluant toute participation du citoyen, le dialogue semble bloqué puisque les discours des deux
parties sont antithétiques. Néanmoins, cette population est largement minoritaire, ce qui signifie que
les arguments techniques, économiques et écologiques avancés par Trivial Compost atteignent la
plupart des copropriétaires.

L’importance de Trivial Compost en AG

Lorsque l’installation de composteurs en pied d’immeuble est sujette à débats, voire à
polémiques, les copropriétaires qui ont initié le projet restent relativement en retrait et ce sont
principalement les opposants au projet qui s’expriment. Malgré un discours relativement hostile qui
émerge en AG de copropriété, le vote décisionnel est presque systématiquement favorable au projet.

Le retrait des copropriétaires référents du débat (afin de laisser Trivial Compost argumenter à leur
place) donne une dimension désintéressée et inoffensive à leur initiative alors que l’animosité des
opposants peut paraître suspecte.

Jean : « Majoritairement, ceux qui prennent la parole ce sont ceux qui sont contre. Pas tout le temps, mais dans la
grand majorité des cas, les gens qui prennent la parole ce sont les gens qui sont contre. Il y a très peu de
manifestations : ”Oui on est pour !”. C’est nous qui portons les arguments pour. Même les référents, les gens qui
nous ont appelés, se positionnent rarement en AG parce que c’est prendre un risque de se positionner comme
porteur du changement.

Victor : Oui et puis ça peut créer un conflit dans l’immeuble et faire capoter le projet.
Jean : Ça peut créer un conflit. Donc on a peu de manifestations d’intérêt verbales, de gens qui prennent position.
Après, quand il y a le vote, bon ben généralement il y a la majorité qui est pour. » (Entretien avec Jean, salarié de
Trivial Compost, le 9 mars 2012.)

2.A.c. D’autres leviers qui favorisent l’acceptabilité sociale du compostage

Cependant, l’action de Trivial Compost n’est pas le seul levier qui facilite l’acceptation des
projets de compostage collectif en AG de copropriétés. Les gérants de syndics(10) et les pouvoirs
publics sont deux acteurs qui octroient une légitimité renforcée aux projets de compostage collectif.

Les représentants du syndic

Rappelons qu’en habitat collectif, les copropriétaires délèguent généralement la gestion
technique et financière de leurs déchets au syndic. Cette délégation de compétence donne donc une
dimension centrale à l’opinion du gestionnaire quant à l’opportunité d’installer des composteurs au
sein de la copropriété puisque celui-ci est censé prendre des décisions qui vont dans l’intérêt de la
copropriété. Notons qu’avec la multiplication des sites de compostage collectif, les gestionnaires de
copropriétés ont eu accès à de nombreux retours d’expériences, la plupart du temps positifs, ce qui
leur donne de plus en plus un rôle clé dans la promotion du compostage collectif.

Jean : « Ben on a des personnes qui s’occupent des syndics qui sont vraiment relais, qui vont en parler en conseil
syndical, qui vont amener l’idée. Et donc ça pose une autre légitimité parce que ce sont des gens qui ne sont pas
directement intéressés par le compostage. Et donc là les copropriétaires prêtent un peu plus attention. »
(Entretien avec Jean, salarié de Trivial Compost, le 9 mars 2012.)

Émeline : « Il y a eu une réunion du conseil syndical, et donc j’ai voulu relancer le sujet. Et le gars qui s’occupait
du syndic avait changé [l’ancien gérant s’était opposé au projet de compostage]. Donc là quand j’ai relancé l’idée,
c’est pareil, il y en a qui ont commencé à dire ”oui, mais il y a des animaux et tout ça”. Et, en fait, le mec du
conseil syndical a dit ”Ah, mais attendez, moi dans d’autres copropriétés il y en a qui l’ont installé, il n’y a pas du
tout d’animaux, il n’y a pas d’odeurs. C’est vrai que c’est vachement bien et il va y avoir la redevance incitative.”.

Et donc en fait, le fait qu’il y ait cette tierce personne qui paraissait un peu neutre [a fait] que tout les voisins se
sont dit ”ah ben ouais, ben pourquoi pas !”. Parce qu’en fait moi j’étais un peu passée au début pour l’écolo de
service quoi. Donc j’étais un peu plus discréditée. » (Entretien avec Vincent et Émeline, guides composteurs, le 6
mars 2012.)

Comme le mentionne Émeline, l’instauration de la redevance incitative avec pesée
embarquée a aussi été un facteur déterminant dans la promotion du compostage collectif par les
représentants des syndics : des frais maîtrisés de gestion des déchets ne sont-il pas le signe d’une
bonne administration de la part du gestionnaire ? Ceci signifie donc que, au-delà des négociations
au sein de chaque immeuble, l’acceptabilité sociale du compostage de proximité dépend aussi du
caractère incitatif des politiques locales de gestion des déchets.

Un effet redevance incitative ?

L’instauration de la redevance incitative avec pesée embarquée à Besançon est donc un
levier opportun qui facilite l’acceptation des projets en Assemblée Générale de copropriété, bien que
cet argument soit rarement une des premières raisons avancées par les guides composteurs ayant
initié le projet de compostage dans leur copropriété. Les motivations exprimées par ces derniers,
nous le verrons, sont plus de l’ordre des valeurs, des convictions. La redevance incitative produit un
effet d’aubaine(11) chez les guides composteurs et la rationalité économique n’est pas au coeur des
initiatives de compostage collectif. Assurément, l’effet d’aubaine présuppose que d’autres motifs
incitaient déjà les guides composteurs à passer à l’action avant que le levier économique ne soit
actionné. L’argument économique peut donc amener certains copropriétaires à composter mais n’est
presque jamais directement à l’origine de l’initiative des guides composteurs. Ainsi, Jean interprète
la recrudescence des demandes de compostage en pied d’immeuble, depuis l’annonce de la mise en
place de la redevance incitative, comme la concrétisation opportuniste d’une action qui était déjà
pensée et envisagée par la plupart des nouveaux guides composteurs.

Jean : « L’effet redevance incitative c’est un argument en plus pour les gens qui voulaient déjà lancer le
compostage. Il y a une bonne partie des guides composteurs qui sont des gens qui partagent tout ce dont je suis
en train de te parler depuis tout à l’heure : des valeurs concomitantes, sous-jacentes au compostage. Il y en a ça
faisait une fois, deux fois qu’ils proposaient [et c’était] jamais validé. Là il y a la redevance, donc ils ont un
argument en plus. […] Donc c’est bien joué de la part de nos élus. C’est bien joué parce que là, encore une fois,
on retrouve le truc : via l’argument économique on va toucher des personnes qui étaient pas rompues à la
pratique éco-citoyenne et, via ce poids qui arrive, tous les éco-citoyens ont des arguments en plus pour
convaincre les gens qui ne l’étaient pas. Là-dessus c’est fort. » (Entretien avec Jean, salarié de Trivial Compost, le
9 mars 2012.)

Pour Trivial Compost, la redevance incitative conforte sa stratégie de recrutement d’alliés
puisqu’elle permet de sensibiliser aux questions écologiques des copropriétaires qui s’investissent
simplement dans le compostage pour réaliser des économies financières.

2.B. L’accompagnement et le suivi des projets

L’accompagnement et le suivi des projets de compostage collectif sont destinés à assurer un
soutien opérationnel aux guides composteurs. Ces actions concrètes se doublent d’une production
discursive en direction des guides composteurs qui fait office de répertoire des différentes
justifications. Ces derniers peuvent mobiliser les différents arguments avancés par Trivial Compost
pour défendre la nécessité de la pratique du compostage.

2.B.a. Un suivi opérationnel

La formation de guide composteur, qui s’apparente plus à une introduction à la pratique du
compostage, ne suffit pas à rendre autonomes les personnes référentes au sein de chaque
copropriété. Ces dernières ont besoin de l’assistance de Trivial Compost et du SYBERT pour
répondre à certaines questions techniques ou organisationnelles qui concernent le « comment
composter ? ». Ces questions peuvent autant concerner l’équilibre du compost(12) et
l’approvisionnement en broyât de bois(13) que les moyens de sensibiliser les copropriétaires. Les
experts de Trivial Compost visitent régulièrement les sites de compostage collectif et donnent ainsi
des conseils techniques aux guides composteurs. Finalement, à travers un accompagnement prévu
pour un an, les guides composteurs prolongent leur formation grâce à l’expérimentation personnelle
et aux conseils distillés par l’association. Ils acquièrent ainsi un statut de quasi-experts et doivent
prouver leur capacité à gérer leur site de compostage de façon autonome.

2.B.b. Donner du sens à la pratique du compostage

Trivial Compost, grâce à sa posture militante, va plus loin que ce simple suivi opérationnel
en tentant de donner du sens à la pratique de compostage, ce qui revient à répondre au « pourquoi
composter ? ». A travers ses différentes visites sur les sites de compostage, les salariés de
l’association discutent longuement avec les guides composteurs et leur délivrent des informations
qui justifient leur investissement personnel dans le compostage et, en même temps, les invitent à
s’impliquer sur d’autres thématiques connexes.

Jean : « Il y a des guides composteurs qui vont rentrer dans le compostage parce que c’est la gestion des déchets
en proximité et que ça a un impact sur la redevance payée par chacun. Mais nous quand on va les voir, forcément
le débat il se déporte sur d’autres choses et on leur donne de l’information, plus largement sur l’agriculture,
l’environnement, le système de production, la surconsommation. On fait de l’éducation populaire. » (Entretien
avec Jean, salarié de Trivial Compost, le 9 mars 2012.)

Cependant ce léger débordement des compétences déléguées à Trivial Compost n’est pas toujours
vu d’un bon oeil par le SYBERT qui craint que l’association affiche de façon trop prononcée sa
démarche militante, ce qui pourrait ainsi discréditer l’apparente neutralité de la politique de
compostage de proximité(14).

2.C. Les limites du modèle bisontin de compostage collectif

Afin de pouvoir atteindre un taux de valorisation des déchets organiques honorable, les sites
de compostage collectif doivent se multiplier. Mais certaines contraintes mettent en relief les limites
de ce modèle.

2.C.a. Le recrutement des guides composteurs

Si de nombreux bisontins résidant en habitat collectif se sont mobilisés pour installer un site
de compostage au sein de leur copropriété, l’initiative reste pour le moment marginale. Pour
l’étendre il faut réussir à recruter un plus grand nombre de guides composteurs. Or, nous avons vu
que ce sont principalement les convictions et les valeurs des guides composteurs qui les poussent à
passer à l’action et à inscrire celle-ci dans le temps. Le recrutement de guides composteurs en
habitat social est une question délicate dans un milieu où la gestion des déchets ménagers est
souvent négligée, ce qui redouble la nécessité de trouver des personnes référentes déterminées et
influentes. A ce titre, Jean émet une critique virulente de la logique technocratique à partir du projet
d’installation d’un pavillon de compostage collectif dans le quartier sensible de Planoise. Cette
logique prend peu en compte les caractéristiques du contexte local et préfère développer un modèle
d’action stéréotypé considérant que l’installation d’un site compostage suffit à motiver les habitants.

Jean : « On était là : ”Mais arrêtez d’halluciner ! Si vous croyez que parce que vous avez pris la décision et puis
que vous avez l’autorisation des espaces verts pour installer votre pavillon, ça va fonctionner, vous planez
complet !”. Ça c’est la logique technocratique, bureaucratique. » (Entretien avec Jean, salarié de Trivial Compost,
le 9 mars 2012.)

L’imposition d’un site de compostage dans un immeuble où aucun copropriétaire n’a
démontré sa motivation à s’investir remet en cause le paradigme sur lequel s’appuie le modèle
bisontin en transférant le pouvoir d’initiative des habitants aux pouvoirs publics : on passe d’un
modèle volontariste à un modèle directif. De nouveaux problèmes risquent d’apparaître (faible taux
de participation, mauvais entretien du site, abandon, etc.) et l’autonomie de l’immeuble dans la
gestion de son site de compostage risque d’être précaire. Ainsi, la seule action pérenne envisageable
pour favoriser le développement du compostage collectif à Besançon réside dans un
accompagnement public ou associatif qui appuie l’émergence d’initiatives locales.

2.C.b. Quelle relève pour les guides composteurs ?

Un autre point tout autant sensible du système des guides composteurs réside dans le
remplacement à prévoir en cas de départ ou de « démission » du guide composteur de la copropriété
et paraît menacer le modèle sur le long terme. Pour illustrer le problème posé Christian prend
l’exemple très parlant du monde associatif.

Christian : « Mais, en même temps, je dirais que c’est très fragile. Parce que, pour avoir fait plusieurs
associations, quand vous montez une association vous êtes la partie qui tire l’association et celle-ci fonctionne. A
partir du moment où celui qui a mis en place l’association disparaît, l’association disparaît aussi. On remarque
que pendant deux ans, grand maximum, il y a des gens qui disent ”ah ben on peut pas laisser tomber, on va
reprendre !” mais 9 fois sur 10 ça meurt derrière. Donc ce qui veut dire qu’on retrouve la même situation avec les
guides composteurs… Bon, moi j’ai 68 ans, dans quelques années je pourrais peut-être plus forcément m’occuper
de tout ça. Mais, en même temps, indépendamment de l’âge, je peux être amené à déménager, je peux… Ce qui
veut dire que le compostage va disparaître quoi. » (Entretien avec Christian, guide composteur, le 8 mars 2012.)

L’initiative citoyenne est donc à la fois une force et une faiblesse du système. La question
qui se pose pour faire face à cet écueil est la suivante : Comment canaliser et consolider le système
des guides composteurs sans adopter une démarche directive ?

2.C.c. Des contraintes foncières

La dernière difficulté se pose en termes d’espace disponible pour l’installation de sites de
compostage collectif.

Jean : « Mais, après les difficultés c’est des difficultés de foncier aussi : il faut quand même des espaces verts. Ou
même si il y a pas d’espaces verts on peut quand même installer, mais bon, on cassera peut-être un petit peu de
bitume. Et puis il faut pas non plus que ce soit trop en vis-à-vis. Ça dépend vraiment des personnes, des
habitants, de la configuration spatiale de l’immeuble. » (Entretien avec Jean, salarié de Trivial Compost, le 9
mars 2012.)

Ce problème est particulièrement aigu dans le centre historique de Besançon où la solution
semble se trouver dans l’installation de sites de compostage collectifs sur l’espace public (rues,
parcs, espaces verts). Or, les quartiers de la Boucle et de Battant sont des secteurs sauvegardés et les
services municipaux paraissent réticents à l’idée d’installer des composteurs dans ces zones. Ce
blocage administratif est l’occasion pour Trivial Compost de sortir de sa position de prestataire des
collectivités publiques pour engager une action militante de lobbying qui sous-entend qu’avec un
minimum de volontarisme politique les problèmes liés au foncier peuvent être facilement résolus.

Jean : « Là on lance les hostilités sur Battant qui était le deuxième quartier sur lequel on voulait s’investir au
départ, qui est un quartier historique, donc secteur sauvegardé. Les architectes des bâtiments de France,
l’urbanisme, le service des domaines, tout le monde est réticent sur l’installation de compostage collectif. Donc
nous on a essayé de faire jouer les élus, on a pris contact avec pas mal de services – les espaces verts, etc -, pas
mal de gens. C’est tout le temps non. Alors que nous on a énormément de gens qui habitent Battant et on sait qu’il
y a plein de gens motivés. Donc là on va rentrer sur un peu plus les fondamentaux de l’association, c’est-à-dire
faire du lobbying quoi. Militants, et arrêter de prendre la voie administrative, la voie institutionnelle. L’idée c’est
de faire une pétition pour peser. » (Entretien avec Jean, salarié de Trivial Compost, le 9 mars 2012.)

Cette action de lobbying coordonnée par Trivial Compost permet à l’association d’exprimer
son ambition militante en sortant de la tutelle du SYBERT. Elle est très représentative de la position
particulière qu’occupe l’association vis-à-vis des institutions, position qui oscille entre la méfiance et
la coopération. Trivial Compost exprime un point de vue souvent critique, même vis-à-vis de la
mairie de Besançon ou de la CAGB, tout en accordant du mérite à ces institutions qui ont su
prendre des décisions innovantes et courageuses.

Jean : « Ça c’est une grande chance pour nous. Le compostage on s’est dit : ”Là c’est énorme, c’est tout
simplement énorme. On a des élus qui sont ultra-motivés, qui y croient à fond : sur la participation des habitants,
sur le fait qu’on ne prenne pas une grande structure industrielle, pas sur l’investissement matériel mais sur de
l’investissement humain. On va mettre la redevance incitative. Besançon ville pilote au niveau français.” »
(Entretien avec Jean, salarié de Trivial Compost, le 9 mars 2012.)

Afin d’initier une réflexion collective capable de trouver des solutions aux limites
précédemment exposées et de pérenniser le modèle de compostage collectif bisontin, Trivial
Compost met actuellement en place un réseau des guides composteurs regroupant tous les guides
composteurs désirant partager leur expérience avec leurs homologues ou s’investir davantage dans
la promotion du compostage et d’autres pratiques éco-citoyennes. A terme, ce réseau devrait être
une structure capable de dynamiser les projets de compostage collectif grâce à la mise à disposition
de solutions techniques et d’éviter l’isolement des guides composteurs après l’année
d’accompagnement. Cette initiative est aussi une stratégie de l’association pour gagner en force
bénévole et ainsi élargir le champ d’action de l’association en s’intéressant à d’autres thématiques
liées à l’éco-citoyenneté. Nous avons pu assister à la première réunion du réseau, ce qui nous a
permis de rencontrer des guides composteurs avec lesquels nous avons pu nous entretenir. Ces
entretiens semi-directifs étaient destinés à cerner quelques caractéristiques sociales, motivations et
représentations qui définissent la population des guides composteurs, ainsi que la façon dont ces
derniers s’approprient leur rôle au sein de la copropriété.

8 Ces habitants deviennent les référents du compostage au sein de leur immeuble et acquièrent le titre de « guide
composteur » après avoir suivi une formation d’un jour auprès du SYBERT.
9 Entretien avec Jean, salarié de Trivial Compost, le 9 mars 2012.
10 « Dans le droit de la copropriété “le syndic”est la personne physique ou morale désignée par l’assemblée générale
des copropriétaires dont la fonction consiste à assurer l’administration de l’immeuble dépendant de la copropriété. Sa
gestion est contrôlée par un “Conseil syndical” formé de copropriétaires élus par l’assemblée des copropriétaires. »
Source : http://www.dictionnaire-juridique.com/definition/syndic.php (page consultée le 04/06/2012)
11 « Lorsqu’un acteur économique s’efforce d’inciter les autres acteurs à agir de telle manière, il les appâte en général
en leur offrant un avantage s’ils se comportent de la façon souhaitée: par exemple baisse de prix, prime, cadeau, etc.
Il y a effet d’aubaine si l’acteur qui bénéficie de cet avantage avait eu, de toute façon, l’intention d’agir ainsi même si
l’avantage n’avait pas été accordé. »
Source : http://www.alternativeseconomiques.fr/Dictionnaire_fr_52__def609.html (page consultée le 04/06/2012)
12 La gestion du compost nécessite une bonne connaissance des processus chimiques qui président à la décomposition
de la matière, tels que le rapport carbone-azote.
13 Pour respecter le rapport carbone-azote et aérer le compost il est nécessaire d’apporter une matière structurante
carbonée.
14 En effet, les choix techniques opérées ne sont jamais neutres et s’apparentent à des « projets socio-techniques », au
sens donné à cette expression par Michel Callon (Cf. partie « Opposer une alternative au modèle allemand pour
préserver l’industrie », p. 45). Ainsi, parmi les membres du bureau du SYBERT, nous remarquons que beaucoup
d’entre-eux ont une sensibilité écologique accrue : le président est affilié au parti Europe Ecologie Les Verts et la
vice-présidente au parti Les Alternatifs. Derrière la solution technique que représente le compostage de proximité se
cache aussi un projet social.

Page suivante : Chapitre 2. Les guides composteurs

Retour au menu : La gestion des déchets ménagers en milieu urbain : les atouts de la redevance incitative et du compostage collectif à Besançon