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§ 2 : La possibilité pour la société d’accorder une aide financière envue de l’acquisition de ses actions par un tiers.

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Dans le cadre de ce paragraphe, nous nous intéresserons à la façon dont le droit
européen appréhende la personne souhaitant devenir actionnaire sous l’angle de ses relations
financières avec la société dont elle souhaite acquérir les actions. Si l’article 23 de la directive
77/91/CEE a, dans un premier temps, instauré un régime de prohibition de l’assistance
financière (A.), il a récemment assoupli sa position de façon considérable, voire supprimé
cette interdiction (B.).

A. Un régime originaire d’interdiction.

La rédaction initiale de l’article 23, al. 1 de la directive 77/91/CEE faisait clairement
interdiction à la société d’accorder quelque aide financière que ce soit à un tiers afin de
permettre à celui-ci d’acquérir ses actions : il était ainsi prohibé à celle-ci d’ « avancer des
fonds », d’ « accorder des prêts » ou de « donner des sûretés en vue de l’acquisition de ses
actions par un tiers ». Cette interdiction ne s’appliquait cependant pas aux transactions
réalisées dans le cadre des opérations courantes des banques et d’autres établissements
financiers, ni aux opérations effectuées en vue de l’acquisition d’actions par ou pour le
personnel de la société (art. 23, al. 2), ainsi qu’aux opérations visées par l’article 20, al. 1 de la
directive. Cette prohibition de l’assistance financière avait pour objectif d’éviter que la société
ne se vide de son patrimoine en accordant des prêts ou des sûretés(56). Cette règle constituait un
corollaire des règles relatives à la souscription ou à l’achat par la société de ses propres titres
(art. 19 et 20 de la directive)(57).

Cette disposition européenne a été introduite dans le droit français des sociétés par la
loi du 30 décembre 1981(58) à l’article L. 225-216 C. Com., qui constitue la transposition fidèle
de l’article 23 § 1 de la directive, tant au niveau de la prohibition de principe que des rares
exceptions à celle-ci. L’article 225-216 C. Com. ne précise pas la sanction à l’interdiction qu’il
édicte, mais l’opinion majoritaire en doctrine qualifie cette disposition d’ « impérative », ce
dont il résulte que les opérations réalisées en violation de celle-ci peuvent être annulées(59).
Cependant, la chambre commerciale de la Cour de cassation a décidé que la méconnaissance
de l’art. L. 225-216 C. Com. n’entraîne, dans le cas de l’octroi d’une sûreté, que l’annulation de
celle-ci, et non celle du prêt que cette sûreté devait garantir(60). Cette interdiction a été
expressément assortie d’une sanction pénale réprimant le fait pour le président, les
administrateurs ou les directeurs généraux d’une société anonyme, d’effectuer au nom de celleci
les opérations interdites par l’article L. 225-216, al. 1 C. Com. (article L. 242-24 C. Com.).

Le droit allemand a pris en compte cette interdiction au § 71a, al. 1 AktG, en
application duquel un acte juridique qui a pour objet l’octroi d’une avance, d’un prêt ou d’une
sûreté par la société à un tiers en vue de l’acquisition de ses propres actions est nul. Selon la
doctrine, il peut être déduit du but de cette disposition que la liste des actes prohibés n’est pas
exhaustive et que le § 71a AktG entend sanctionner toutes les mesures de soutien financier à
l’acquisition des actions de la société ayant pour effet de porter atteinte à son patrimoine(61). Les
exceptions prévues par la formulation d’origine ont également été fidèlement transposées.
Selon certains auteurs, la transposition de l’article 23 de la directive au § 71a al. 1 AktG s’est
révélée inutile, dans la mesure où une opération d’assistance financière telle qu’appréhendée
par la directive constitue une violation du § 57 al. 1 AktG, qui prohibe la restitution aux
actionnaires de leurs apports, et qui préexistait à la loi de transposition de la directive(62). En
effet, certains auteurs considèrent que le § 71a al. 1 AktG constitue une application spéciale
du § 57 al. 1 AktG, dans la mesure où ces deux dispositions ont pour objectif d’empêcher des
distributions irrégulières d’éléments du patrimoine social aux actionnaires. Cependant, le
champ d’application du § 71a AktG est plus large que celui du § 57 al. 1 AktG, car il a
également vocation à régir les relations de la société avec les candidats acquéreurs(63). Cela
étant, la prééminence du § 57 al. 1 AktG constitue peut-être une explication au fait que le droit
allemand soit, tout comme le droit français, resté insensible aux assouplissements (voire à la
suppression) de la prohibition de l’assistance financière par la directive 2006/68/CE.

B. Les assouplissements apportés par la directive 2006/68/CE.

La directive 2006/68/CE du 6 septembre 2006 vient assouplir, voire supprimer,
l’interdiction de principe de l’assistance financière et donne aux États membres la faculté
d’autoriser celle-ci – ces derniers étant cependant libres de maintenir une interdiction totale(64) –
tout en la subordonnant à un certain nombre de conditions cumulatives(65). Ces
assouplissements, qui semblent s’inscrire dans un mouvement plus large de relativisation de la
conception classique du capital social, ont été accueillis avec circonspection par l’opinion
majoritaire en doctrine allemande(66). Le nouvel article 23 § 1 de la deuxième directive est en
effet rédigé comme suit : « lorsque les États membres permettent à une société, directement
ou indirectement, d’avancer des fonds, d’accorder des prêts ou de donner des sûretés en vue
de l’acquisition de ses actions par un tiers, ils soumettent ces opérations aux conditions
énoncées dans les deuxième, troisième et quatrième alinéas ». Ces conditions ont un caractère
cumulatif(67) : tout d’abord, l’opération de prêt ou de garantie doit avoir lieu à de justes
conditions de marché sous la responsabilité de l’organe d’administration de la société
octroyant l’assistance, afin d’éviter que le prêt ne soit consenti à un taux d’intérêt hors marché.
Ensuite, l’opération d’octroi de l’assistance doit être soumise, pour accord préalable, à
l’assemblée générale, qui statue à la majorité qualifiée après qu’un rapport écrit lui exposant
les motifs de l’opération et, entre autres, l’intérêt et les risques que celle-ci présente pour la
société ainsi que le prix auquel le tiers est censé acquérir les actions ait été mis à sa
disposition. Ensuite, l’aide financière accordée aux tiers ne doit pas rendre l’actif net de la
société inférieur au montant du capital souscrit, augmenté des réserves que la loi ou les statuts
ne permettent pas de distribuer. Enfin, la situation du tiers bénéficiaire de l’assistance
financière « doit avoir été dûment examinée », afin de ne pas venir en aide financièrement à
une société en situation économique précaire(68).

La France a, pour l’instant, fait le choix de ne pas revenir sur la prohibition de
l’assistance financière, toujours en vigueur à l’article L. 225-216 C. Com.. La chambre
commerciale de la Cour de cassation adopte d’ailleurs une interprétation stricte de ce texte(69).
Selon certains commentateurs, le maintien d’une telle position, qualifiée de « rigoriste », est
inopportune « à l’heure de la frilosité des prêteurs », car le dispositif d’autorisation de
l’assistance financière tel qu’aménagé par le droit européen serait de nature à protéger les
actionnaires et les créanciers sociaux de la société contre les risques inhérents à une telle
assistance(70). À l’instar du législateur français, l’Allemagne a, elle aussi, maintenu la même
position afin d’assurer le respect du principe énoncé par le § 57 al. 1 AktG, selon lequel il est
interdit de restituer leurs apports aux actionnaires (dans le cas où les candidats acquéreurs
sont actionnaires). Une introduction en droit allemand des assouplissements prévus par la
directive 2006/68/CE ne serait donc possible que dans l’hypothèse où le législateur allemand
prévoit une modification du § 57 alinéa 1 AktG(71).

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