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2. La nécessité pour Michelin de rester à Clermont-Ferrand

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Les dirigeants de la firme multinationale, leader du pneumatique sur le marché mondial, auraient très bien pu considérer que l’avenir de Michelin et son rayonnement international passaient par un déménagement du siège à Paris. Pourquoi donc, rester dans une ville moyenne de 300 000 habitants (si l’on inclut l’agglomération urbaine), qui plus est longtemps enclavée dans une région plutôt pauvre et rurale, loin des clients constructeurs automobiles, des grandes écoles d’ingénieurs et des centres du pouvoir politique ? Pour Pierre-Antoine Donnet, « quitter Clermont-Ferrand, il n’en a jamais été sérieusement question »(95). En effet, Alain Jemain, auteur de Michelin, un siècle de secrets, explique que Michelin trouve dans cette fidélité à la région « les sources de son originalité, de sa force et de son bon sens » avant de poursuivre : « son expansion s’explique dans une large mesure par cette obstination farouche de puiser complètement, abondamment, dans ses propres racines terriennes et paysannes »(96). En effet, comme nous l’avons évoqué, à l’origine de Michelin & Cie était, bien avant 1889, un commerce de machines agricole tenu par les ancêtres de André et Edouard Michelin. De plus, l’Auvergne était, et reste encore aujourd’hui, en majeure partie rurale. Ainsi, nombre de valeurs chères aux dirigeants de la Manufacture se retrouvent dans celles des gens du milieu rural, particulièrement dans le Massif Central : modestie et austérité dans le mode de vie, sens de l’économie, chasse au gaspillage, respect de l’acte ou de l’objet accompli par l’homme, respect des faits, de ce qui a été expérimenté ou qui est passé par l’épreuve du temps. Autant de valeurs qui se retrouvent dans le contenu des discours internes des dirigeants de Michelin ou dans la traditionnelle sobriété de leurs discours en externe. Par exemple, Pierre-Antoine Donnet explique que « la lutte contre le gaspillage et la recherches des économies deviennent une obsession (…). Une bonne partie des notes [bulletins internes d’information destinés aux cadres et aux ouvriers] y est consacrée, invitant le personnel à traquer les dépenses inutiles »(97). Autre exemple, le Bulletin intérieur du 13 mars 1959 titre « Maintenant, parlons d’économies » et les intertitres sont « Petites économies = grande maison » et « Economies = progrès et avenir »(98). Dans le numéro du 27 février, le Bulletin intérieur titre cette fois « Parlons du gaspillage » avant de marteler des mots d’ordre chers à la « Maison » : « gaspiller, c’est voler le client », « Gaspiller, c’est mettre en péril notre propre situation »(99).

A un journaliste du journal La Montagne l’interrogeant sur les raisons de maintenir le siège à Clermont-Ferrand, François Michelin répondit : « C’est une force énorme ! A Clermont-Ferrand, nous sommes près de la matière, de l’usine, des hommes, et ça sent le caoutchouc ! La conception française qui veut que tout soit à Paris est stupide, comme il est stupide de penser que les idées viennent d’en haut. Elles viennent du terrain, de la réalité. Mon grand-père m’a toujours dit : ‘’tu sais, il y a beaucoup plus d’idées dans le crâne des gens qui tripotent la matière tous les jours, ils savent des choses que nous ne savons pas du fait que nous sommes trop souvent dans nos bureaux’’, voilà pourquoi le siège de Michelin est et restera à Clermont-Ferrand’’ »(100). Des valeurs communes en effet très partagées par les gens d’Auvergne, souvent issus du milieu rural, montagnard, dans lequel ces valeurs sont exacerbées, mais qui ne sont pas propres à l’Auvergne.

Dans l’entretien qu’il nous a accordé, Manuel Armand, journaliste à La Montagne s’intéressant particulièrement à Michelin et au tissu économique, social et politique de l’Auvergne, explique que cet esprit s’est transmis de génération en génération à la tête de la Manufacture puisque même « Edouard Michelin disait qu’il y aurait toujours de la production aux Carmes [le siège de Michelin se situe Place des Carmes à Clermont-Ferrand] ne serait-ce que pour que les fonctions supports sentent le caoutchouc lorsqu’ils entrent et sortent de leurs bureau ! »(101). On peut cependant remarquer que cela n’a pas pour autant empêché Michelin de délocaliser en masse ses activités de production en dehors du territoire national. On peut d’ailleurs se demander dans quelle mesure cet volonté farouche de rester dans la capitale auvergnate ne cache pas, au fond, une véritable crainte des effets dévastateurs que susciterait un départ d’Auvergne. Il convient en effet de bien comprendre que le retrait de Michelin d’Auvergne et plus précisément de Clermont-Ferrand serait vécu de manière tragique pour nombre de personnes. Non seulement, les 13 000 foyers qui dépendent de la Manufacture s’en trouveraient anéantis, mais une majeure partie de la population le vivrait comme une véritable trahison. Exactement de la même manière qu’une mère abandonnant sa famille ou qu’un soldat désertant son armée en plein combat. La « Maison » au Bibendum a évidemment parfaitement conscience de poids psychologique énorme qu’elle représente dans la région. A tel point que tous les dirigeants qui se sont succédé à la tête de la Manufacture de pneumatiques ont toujours promis que le siège social de la société resterait dans la capitale auvergnate. Au-delà des frontières régionales, un tel acte pèserait forcément sur la bonne image dont peut se prévaloir Michelin.

Michelin prend d’ailleurs très au sérieux le rôle qui lui est attribué en Auvergne et prend ses responsabilités dans ce sens. Comme nous l’a expliqué Jérémy Papon, employé de Michelin en charge du partenariat entre la Manufacture et l’ASM Omnisports, « Michelin possède un département entièrement consacré à la gestion d’un budget pour développer sa présence dans la vie locale. Cela fait partie de l’un de ses axes de valeurs (…) : s’intégrer harmonieusement dans la vie locale. Nous sommes profondément ancrés dans le territoire auvergnat et c’est quelque chose qui nous tient particulièrement à coeur mais nous ne communiquons pas dessus. Nous préférons faire que dire. Mais il y a peut-être maintenant un besoin de dire ce que nous faisons »(102).

Le profond attachement des habitants à Michelin s’est clairement démontré lors du décès d’Edouard Michelin. Un article du Figaro du 15 septembre 2007 intitulé « L’adieu douloureux de Clermont à Edouard Michelin » relate que « toute la ville s’est figée pendant les obsèques »(103). Le stade Marcel Michelin avait été ouvert avec des écrans géants pour la retransmission de la messe et il était plein.

Pour Manuel Armand, spécialiste de Michelin et de son impact sur l’Auvergne, « l’entreprise et les dirigeants ne veulent pas ou rechignent à faire savoir le rôle très important que joue Michelin en Auvergne. Il y a toujours cette ambiguïté entre la fierté et la réticence à le dire »(104). Pierre Chaix, dans son ouvrage consacré au rugby professionnel en France(105), explique que « la question est de savoir ce que recherchent les sponsors. Pour Michelin, l’image de marque de la firme dans l’agglomération de Clermont-Ferrand est très importante ». Or, Michelin ne tire pas véritablement parti de ce lien privilégié, légitime et original qu’il entretient avec le territoire auvergnat et sa population. Il s’agit pourtant là d’un véritable élément différenciant, dont l’originalité peut justifier des actions de communication afin de montrer un peu plus l’identité propre à Michelin, tout du moins en France car les origines ou ’identité auvergnates de Michelin aux Etats-Unis ou à Shanghai n’ont pas grande signification.

En effet, l’ancrage territorial, qui plus est pour une firme multinationale, n’est qu’assez peu utilisé alors même que cela peut procurer. Par exemple, en termes de communication interne, songeons que la fierté qu’éprouvent nombre d’employés de Michelin, tout particulièrement en Auvergne, ne trouve que peu de retour à leur égard de la part des dirigeants dans leur discours –celui-ci étant largement dominé par les concepts d’innovation- du fait de cette ambiguïté entre la fierté et la réticence de Michelin à assumer son ancrage territorial qui lui a donné une bonne partie de ses valeurs et de sa culture d’entreprise, aujourd’hui reconnu et partagé de manière largement positive. Or, lorsqu’on sait l’importance de l’image de Michelin en Auvergne, il y a véritablement matière à creuser.

Comment un groupe mondial puise-t-il dans ses origines territoriales des ressorts communicationnels adéquats et pour quels dividendes ? Nous pensons fermement qu’il existe une opportunité unique que peu d’autres entreprises peuvent se féliciter d’avoir. En effet, Michelin a la possibilité de légitimer, presque de justifier, ses valeurs du fait de l’origine et de l’ancrage territorial de Michelin en Auvergne, dans sa communication, à l’échelle nationale tout du moins. En effet, l’une des difficultés que rencontrent nombre d’entreprises aujourd’hui dans leur communication institutionnelle, notamment auprès des jeunes, est de justifier que telle ou telle valeur avancée par la société est d’une part bien partagée par les collaborateurs, et d’autre part qu’elles trouvent une légitimité concrète dans l’entreprise, de par son histoire par exemple, ou la nature de ses activités. Si l’on prend l’exemple de Total, à titre comparatif, qui s’appuie et communique largement en interne comme en externe sur sa « Total Attitude » dont les quatre valeurs fondamentales sont l’audace, la solidarité, la transversalité et l’écoute, comment justifier concrètement ces valeurs ? Comment Total peut se prévaloir de valeurs revendiquées par bien d’autres entreprises ? La question se pose de la même manière avec Danone et son CODE (Commited, Open, Doer, Empowered) résumant les valeurs du groupe agroalimentaire français. Là où bon nombre d’entreprises ont du mal à trouver la réponse, Michelin a toute légitimité à se concentrer sur son ancrage territorial qui contribue à son originalité pour montrer que les valeurs de modestie, de respect des faits, celui de l’environnement que « la Maison » se targue d’avoir, se retrouvent dans cette histoire unique avec une région et une population qui lui a donné en grande partie ces valeurs.

Enfin, nous l’avons vu, Michelin connait depuis plusieurs années un problème de communication de recrutement. En effet, attirer jeunes talents et cadres expérimentés à Clermont-Ferrand n’est pas évident, même lorsqu’on s’appelle Michelin, du fait de l’image que renvoie, à tort, l’agglomération clermontoise, encore vue comme manufacturière, grise et culturellement pauvre, et la région, souvent considérée comme rurale, enclavée et aux ambitions limitées. L’un des enjeux majeurs de communication de recrutement de Michelin se situe donc dans le challenge de révéler le vrai potentiel et l’ambition de la ville de Clermont-Ferrand et du territoire d’Auvergne, qui sont à jamais attachés à l’entreprise leader du pneumatique dans l’inconscient collectif français. Michelin a un double rôle à jouer dans la mesure où la Manufacture est à la fois en partie à l’origine de l’image négative que revêt aujourd’hui Clermont-Ferrand et peut constituer le moteur de son renouvellement d’image dans la mesure où l’entreprise véhicule une image largement positive auprès des Français, et reste connu pour son goût pour l’innovation et la qualité de ses produits. Michelin bénéficie depuis très longtemps d’une excellente image auprès des Français. A telle enseigne que la Mnufacture décroche régulièrement encore la première place parmi les entreprises préférées dans l’opinion publique française, comme l’atteste un sondage Ipsos-Posternak Margerit de 2006. Les résultats de ce sondage faisaient ressortir 86% d’opinion favorables contre seulement 6% d’opinion négative pour la maison de Bibendum. Sur son site Internet, l’article d’Ipsos explique que « l’illustre équipementier, habitué du top 5 mais jusque là souvent devancé par Peugeot (…) ou Leclerc (…) s’octroie même le luxe de devancer assez nettement ses concurrents sur l’indice de très bonne image : 29% (stable) »(106). En 2008, Michelin arrivait quatrième au classement(107) et onzième en 2010 avec 66% de bonne image(108) selon le baromètre Posternak IPSOS.

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