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§2. La fonction de solidarité de la fratrie

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77. La solidarité caractérise, semble-t-il, l’ensemble des rapports familiaux, à travers, notamment, l’existence d’obligations alimentaires (C.civ., art. 205 et s.). En revanche, la fratrie semble ignorer tout devoir de secours et d’assistance, alors que, paradoxalement, y est attaché un idéal de fraternité. Cette fraternité n’est en effet pas à rechercher en termes d’obligation mais de faculté (A), ce qui la distingue d’autant des autres formes de solidarité familiale (B).

A/ Les moyens étendus de la fraternité

78. Si le Code de 1804 ne traite de la fratrie qu’incidemment au titre des empêchements à mariage, il l’ignore absolument s’agissant de l’obligation alimentaire. Cette indifférence a été vivement critiquée par les auteurs classiques, indignés que « le Code laissât par son silence un individu terrassé par la destinée mourir de faim sur le seuil du foyer de son frère aussi indifférent que favorisé par la vie » (128). En réalité, le droit organise une réelle solidarité entre frères et sœurs, en leur permettant d’agir, de s’abstenir, ou de consentir des sacrifices au profit de celui dans le besoin (129).

79. Facultés d’abstention – En premier lieu, le droit pénal prévoit un ensemble d’immunités au profit de certains membres de la famille afin de leur permettre de secourir leurs proches sans engager leur responsabilité (130). Notamment, les frères et sœurs sont dispensés de dénoncer celui qui a commis une infraction (CP, art. 434-1) (131). Mieux, le frère ne peut être poursuivi pour recel de malfaiteur (CP, art. 434-6) (132) ni pour aide au séjour d’un étranger en situation irrégulière (CESEDA, art. L.622-4) (133). Ainsi, ce pouvoir d’abstention du frère, pouvant aller jusqu’à héberger un délinquant ou un étranger en situation irrégulière en toute impunité, traduit une forme de fraternité reconnue et encouragée par le droit ; « la solidarité familiale [l’emporte] sur les nécessités de l’ordre public en ce domaine » (134).

80. Facultés d’action – En deuxième lieu, la solidarité fraternelle se manifeste par un rôle actif de soutien des frères et sœurs. Une partie peut, par exemple, être assistée par son frère devant le Tribunal d’instance (CPC, art. 828). Mieux, les collatéraux ont la possibilité de participer aux mesures de protection de leur frère (C.civ., art. 449 al. 2, 456 al.2) (135), d’exécuter certaines mesures d’assistance éducative (C.civ., art. 375), de s’opposer à une déclaration d’abandon (C.civ., art. 350) et même d’adopter leur frère mineur en cas de décès des parents. L’adoption fraternelle est alors favorisée par la jurisprudence qui admet une dérogation à l’écart d’âge de 15 ans exigé entre l’adoptant et l’adopté (136).

Le principe de non séparation de la fratrie repose également sur cette fonction de solidarité : le maintien d’une communauté de toit est présumée bénéfique à l’enfant puisqu’il ne connaît d’exception que si l’intérêt de ce dernier commande une séparation (cf. supra n° 57).

L’aîné majeur pourrait même se voir accorder l’hébergement de ses cadets, sur le fondement de l’article 373-3 du Code civil, en cas d’inaptitude des parents à les recueillir (137).

81. Ces prérogatives d’ordre extrapatrimonial sont complétées par des facultés d’aide et d’assistance pécuniaire. Certes, il n’existe en ligne collatérale aucune obligation alimentaire (138), mais la jurisprudence a reconnu de longue date l’existence d’une obligation naturelle entre frères et sœurs, traduisant une forme de solidarité spontanée (139). Par ailleurs, si la famille collatérale semble délaissée par le droit des successions, elle est fortement encouragée par le droit fiscal à s’entraider au moyen de libéralités.

L’article 796 O ter du Code général des impôts exonère de droit de mutation à cause de mort la part de succession du frère âgé de plus de 50 ans ou en situation de handicap et vivant depuis au moins cinq ans avec le de cujus. Le droit fiscal favorise ainsi les transmissions de biens aux frères et sœurs dans le besoin, les libéralités revêtant là un caractère alimentaire prédominant (140). L’obligation de secours purement naturelle se traduit alors par la facilitation des transmissions du patrimoine à cause de mort. Le frère pourrait alors, si les circonstances le justifient, revêtir la qualité de « personne à charge », au sens de l’article L. 361-4 du Code de la sécurité sociale (141).

82. Faculté de renoncement – En dernier lieu, le droit permet aux collatéraux, et à eux seuls, de consentir certains sacrifices au profit de leurs frères et sœurs dans le besoin. Ainsi, le droit prévoit des dérogations très strictes à l’interdiction pour tout mineur ou majeur protégé – vivant – de consentir à des dons d’organes (CSP, art. L. 1231-1 s.), concernant au premier chef les frères et sœurs (142). Par ailleurs, les collatéraux peuvent renoncer à toute action en réduction des libéralités consenties à un de leur cohéritier au cas où celles-ci excèderaient la quotité disponible (C.civ., art. 929) (143). Le mécanisme de la renonciation anticipée à l’action en réduction permet donc à la fratrie de consentir un sacrifice au profit de l’un des siens, sur l’initiative des ascendants concernés.

86. En dépit de l’absence de toute obligation alimentaire entre frères et sœurs, la solidarité fraternelle, reconnue et encouragée par le droit, ne peut être négligée et constitue une composante majeure des relations collatérales.

B/ Les moyens propres de la fraternité

87. L’existence d’une solidarité propre à la fratrie souffre de deux critiques. D’une part, sont invoquées l’absence de juridicité des rapports fraternels et « la spontanéité qui les caractérise » (144) ; les sociologues observent que la fratrie est un lien « peu normé » (145). D’autre part, est allégué le manque de spécificité de cette fonction également attachée à l’alliance ou à la parenté, voire à un cercle toujours étendu de proches (146). Aucune de ces critiques ne parvient cependant à faire douter des spécificités de la fraternité.

88. Rejet de la thèse du non droit – L’absence de règle contraignante ne saurait être assimilée au « non-droit » (147). En effet, le droit présente diverses « textures » (148), et le critère de la contrainte n’est aucunement exclusif de toute juridicité de la règle en cause. Or, « beaucoup de gens […] placent tous leurs espoirs dans le Droit pour la rénovation de la famille » (149) : cette approche de la famille repose sur un postulat doublement erroné, selon lequel seul le droit pourrait organiser les rapports familiaux et que ce droit ne pourrait être que contraignant.

En réalité, il ne fait aucun doute qu’il existe, entre collatéraux, une obligation naturelle d’assistance et de secours que le droit reconnaît (150). Les dérogations par ailleurs apportées à des règles d’ordre public – pénales, fiscales, successorales – ne sont concevables que par application d’une règle de droit. La question n’est donc « pas de savoir s’il existe une obligation à la fraternité, mais […] si la fraternité est une faculté » (151). Aussi, l’absence de contrainte pesant sur les collatéraux ne saurait-elle exclure tout rapport juridique entre frères et sœurs.

89. Cependant, certains ont pu souhaiter la création d’une obligation civile d’aliments entre frères et sœurs (152) afin de permettre la défiscalisation de ces versements qui, selon une jurisprudence constante, sont imposées au titre de l’impôt sur le revenu du bénéficiaire sans être déductible de celui du solvens (153). Une telle évolution ne semble toutefois pas souhaitable. La création d’une telle obligation aurait également pour corollaire la faculté pour l’Etat d’exercer une action récursoire contre les débiteurs d’aliments après avoir acquitté une dette de nature alimentaire (CASF, art. L132-7 ; CSP, art. L. 6145-11) (154). Le frère pourrait alors être poursuivi par son collatéral ou l’Etat créancier, ce qui romprait l’égalité de chance devant exister au sein de la fratrie. Pour que la fonction de solidarité fraternelle soit compatible avec la mise en concurrence des frères et sœurs, elle doit rester une simple faculté (155).

90. Subsidiarité de la fraternité – En dépit de l’extension de ces règles à un cercle élargi de proches, la solidarité fraternelle conserve une spécificité certaine résultant de son caractère subsidiaire, distinct des autres solidarités familiales. En premier lieu, la fraternité est strictement limitée aux situations de besoin dans lesquelles pourrait se trouver un frère ; elle est donc subsidiaire aux obligations de contribution aux charges entre époux ou d’éducation des enfants qui dépassent largement les seuls besoins de leur bénéficiaire (156). En second lieu, la fraternité n’intervient qu’en cas de défaillance des débiteurs d’aliments. L’assistance du frère reste toujours secondaire et en proportion moindre que celle des parents ou enfants : elle est donc subsidiaire aux obligations alimentaires de nature civiles (Annexe 5).

91. Cette subsidiarité que certains assimileraient à une inconsistance révèle en réalité une spécificité de la fraternité, instituée comme un dernier recours. Elle est la condition-même de sa compatibilité avec la fonction d’éclatement et de concurrence de la fratrie, concourant à la cohérence d’une institution complète.

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92. Conclusion du chapitre premier – Loin de constituer un sous-ensemble « dans les bas-côtés de la parenté » (157), la fratrie apparaît comme une institution autonome, présentant un corps de règles propres et des finalités spécifiques. Le frère n’est pas « un tiers, en droit civil » (158). Caractérisée par une égalité et une unité particulières, l’institution fraternelle concourt à la séparation des frères et sœurs tout en organisant une mise en concurrence loyale et favorisant une solidarité non contraignante. A travers « une fonction sociale et le statut impératif qui la régit » (159) , la fratrie présente les attributs d’une institution autonome, d’un « lien devant être distingué des autres » (160).

Or, ces caractéristiques peuvent être détachées du lien de filiation qui unit chaque frère et sœur à un parent commun. « Le respect de la fratrie découle des rapports fraternels et non d’un quelconque rattachement aux parents » (161). Il est donc possible de détacher le rapport de fraternité de la parenté, et d’apprécier la fratrie de manière autonome au sein de la famille.

93. Pourtant, le droit ne semble définir le frère qu’au regard d’une filiation commune. La fratrie est, en droit, l’ensemble des « fils [et filles] d’un même père et/ou d’une même mère » (162). Or, dès lors que l’institution fraternelle est détachée de la parenté, il convient d’en rechercher la composition, indépendamment du critère tenant au lien de filiation commun.

128 Julien BONNECASE, La philosophie du Code Napoléon appliquée au droit de la famille, op. cit., p.109
129 Valérie BOUCHARD, « De la solidarité en ligne collatérale », LPA, 30 août 2001, n° 173, p. 4
130 Pierre MOUSSERON, « Les immunités familiales », RSC, 1998, p. 291 ; Théo HASSLER, « La solidarité familiale confrontée aux obligations de collaborer à la justice pénale », RSC, 1983, p. 437
131 Solution étendue au délit de non obstacle (CP, art. 223-6) ; Crim., 7 nov. 1990, RSC, 1991, p. 569, obs. G. LEVASSEUR
132 Jean-Pierre DELMAS SAINT-HILAIRE, « “Vrai” et “faux” recel de malfaiteur », RSC, 2004, p. 645
133 Michel REYDELLET, « Les délits d’aide à l’étranger en situation irrégulière », D, 1998, p. 148
134 Jean-Pierre DELMAS SAINT-HILAIRE, « “Vrai” et “faux” recel de malfaiteur », art. cit.
135 Nathalie PETERKA, « La famille dans la réforme de la protection juridique des majeurs », JCP G, 2010, p.33
136 CA Paris, 10 févr. 1998, JCP G., 1998, II. 10130, note C. PHILIPPE, Dr. Fam., 1998, n°83, note P. MURAT
137 CA Papeete, ch. civ., 25 sept. 1997, JurisData : 1997-055551
138 Laurence MAUGER-VIELPEAU, « Les sujets et l’objet de la dette alimentaire », LPA, 24 juin 2010, n° 125, p. 21
139 Req., 5 mars 1902, D. 1902, I. 220, S. 1902, I. 312 ; Req., 7 mars 1911, D. 1913. I, 404 ; CA Paris, ch. 11, 25 avr. 1932, JCP, 1932, 607, note H. Mazeaud ; et arrêts cités dans George Ripert, La règle morale dans les obligations civiles, LGDJ, 4e éd., 1949, p. 375 ; Caro-line SIFFREIN-BLANC, La parenté en droit civil français, PUAM, 2009, 679 p. 532
140 Elie ALFANDARI, « Droit alimentaires et droits successoraux », Mélanges René Savatier, Dalloz, 1965, p.1
141 Ass.plén., 30 janv. 1970, D. 1970, somm. p. 221, concl. R. LINDON, note J-J. DUPEYROUX
142 Frédérique DREIFUSS-NETTER, « Les donneurs vivants ou la protection des personnes en situation de vulnérabilité », D. 2005, p. 1808
143 Nathalie LEVILLAIN, « La renonciation anticipée à l’action en réduction », JCP N., 2006, p. 1349 ; François SAUVAGE, « La renonciation anticipée à l’action en réduction », AJ Fam., 2006, p. 35
144 Valérie BOUCHARD, « De la solidarité en ligne collatérale », art. cit.
145 Jean-Hugues DECHAUX, « La place des frères et sœurs dans la parenté au cours de la vie adulte », art. cit..
146 Loi du 5 mars 2007, relative à la protection des majeurs (C.civ., art. 430) ; loi du 6 août 2004, relative à la bioéthique, concernant les donc d’organes (CSP, art. 1231-1 s.), etc.
147 Jean CARBONNIER, Flexible droit, op. cit., p. 25
148 Catherine THIBIERGE, « Le droit souple », RTD Civ. 2003, p. 599 ; Antoine JEAMMAUD, « La règle de droit comme modèle », D. 1990, p. 199
149 Julien BONNECASE, La philosophie du Code Napoléon appliquée au droit de la famille, op. cit., p.3
150 Vivien ZALEWSKI, Familles, devoirs et gratuité, op. cit., n° 190, p. 203 ; Pascal BERTHET, Les obligations alimentaires et les trans-formations de la famille, op. cit., p. 83, n° 136
151 Yves GUILLON, « La fraternité dans le droit des sociétés », Rev. Soc., 1989, p.439
152 Jean DE GAULLE, AN, XIe Lég., 17 janv. 2002, Proposition n° 3548 ; Caroline SIFFREIN-BLANC, La parenté en droit civil français, op. cit., p. 533, n° 672 s.
153 Frédéric DOUET, « Pension alimentaire entre frères et sœurs », obs. sur CE, 28 mars 2012, L’essentiel-Droit de la famille et des personnes, 15 juin 2012, n° 6, p. 7 ; rappr. Marc FRANCINA, AN, XII Lég., Qu. n° 59868, JO, 05 juil. 2005, p. 6627
154 Jean HAUSER, « Une famille récupérée », dans Mélanges Pierre Catala, Litec, 2001, p. 327
155 Adeline GOUTTENOIRE-CORNUT, « L’obligation alimentaire, aspects civils », dans Luc-Henry CHOQUET, Isabelle SAYN Obligations alimentaires et solidarités familiales. Entre droit civil, protection sociale et réalités familiales), LGDJ, 200, p. 27 ; Elie ALFANDARI, « Droit alimentaires et droits successoraux », Mélanges René Savatier, Dalloz, 1965, p.1
156 Emmanuelle CRENNER et alii, « Le lien de germanité à l’âge adulte », Revue française de sociologie, 2000, 41-42, p.211
157 Gérard CORNU, « La fraternité. Des frères et sœurs par le sang dans la loi civile », art. cit.
158 Véronique TARDY, « Les fraternités intrafamiliales et le droit », art. cit.
159 Anne-Marie LEROYER, Droit de la famille, op. cit.,, p. 23
160 Caroline SIFFREIN-BLANC, La parenté en droit civil français, op. cit., p. 524
161 Véronique TARDY, « Les fraternités intrafamiliales et le droit », art. cit., p. 7.
162 Gérard CORNU, Vocabulaire juridique, op. cit., v° « frères »

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